Cohen, Gustave/ Recueil de farces françaises inédites du XVe siècle.
Edited by GUSTAVE COHEN. Medieval Academy Books, No. 47 (1949).



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THE MEDIAEVAL ACADEMY OF AMERICA
PUBLICATION No. 47






RECUEIL DE FARCES FRANÇAISES INÉDITES
DU XVe SIÈCLE

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RECUEIL DE FARCES FRANÇAISES
INÉDITES DU XVe SIÈCLE


Publiées pour la première fois
avec une Introduction, des Notes, des Indices,
et un Glossaire



par
GUSTAVE COHEN
professeur en sorbonne





THE MEDIAEVAL ACADEMY OF AMERICA

CAMBRIDGE, MASSACHUSETTS

1949


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The publication of this book was made possible by grants of funds
to the Mediaeval Academy from the Carnegie Corporation of
New York and the American Council of Learned Societies.






Copyright by

THE MEDIAEVAL ACADEMY OF AMERICA

1949







Printed in U. S. A.


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Au grand historien américain du Théâtre Français

HENRY CARRINGTON LANCASTER

Affectueux et admiratif hommage


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AVANT-PROPOS

Je tiens à remercier ici la Mediaeval Academy of America d’avoir consenti à patronner cette publication et à l’inscrire dans sa célèbre collection, et l’American Council of Learned Societies d’en avoir permis l’impression par le subside qu’elle nous a accordé. Qu’il me soit permis aussi de nommer ici dans un sentiment de reconnaissance mon éminent collègue J. D. M. Ford, ancien Président de l’Académie, et l’ancien secrétaire des publications de celle-ci, R. J. Clements. Rien n’exprime mieux la grandeur d’un pays en guerre que cette persistance dans le travail pacifique de la science et cette aide accordée aux travailleurs en exil.

Qu’il soit donné à l’un de ceux qui ont bénéficié pendant deux ans de sa généreuse hospitalité de lui dire ici toute sa gratitude et toute son admiration et de lui offrir ce travail en hommage à son magnifique apport dans le domaine des études médiévales et françaises.

GUSTAVE COHEN

Paris, 1949


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TABLE DES MATIÈRES


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INTRODUCTION

I. Origine

Parmi tant de biens que j’ai perdus par suite de la ruée barbare — livres, fiches, manuscrits, correspondant à quarante ans de vie scientifique — j’ai heureusement réussi à sauver un document des plus précieux: la copie d’un gros recueil de farces pour la plupart inconnues, qui vient enrichir et compléter d’une façon remarquable notre connaissance du théâtre profane du XVème siècle.

Ce recueil, imprimé factice oblong (format qui est celui des manuscrits destinés aux acteurs, témoin le Manuscrit 617 de Chantilly que j’ai décrit et publié1) n’est pas, à vrai dire, absolument inconnu. Il a été aperçu par Eugénie Droz, la savante éditrice de ce Recueil Trepperel auquel il est apparenté, et signalé par elle en ces termes: “Il y a lieu d’intercaler ici trois séries inconnues qui forment un recueil conservé dans une bibliothèque privée. Ce volume, trouvé en même temps que le Recueil Trepperel,2 est d’un intérêt capital et il sera impossible de parler de la farce, en tant que genre littéraire, avant que ces pièces soient publiées. Je les ai examinées trop rapidement à mon gré, à une époque où je n’avais pas encore l’espoir de publier le Recueil Trepperel, de sorte que je n’ai pu me livrer à aucune identification d’imprimeur, ni copier les textes. Ce recueil est d’un format un peu plus petit que ceux que nous venons d’énumérer, il est imprimé en caractères gothiques de trois sortes, ce qui permet d’établir trois séries différentes.”

Suit une énumération de titres groupés, sous les numéros X, XI, XII, mais qui, souvent incomplète et inexacte, doit être remplacée par celle, suivie d’analyses, qu’on lira plus loin.

Toutes les pièces du recueil pourvues de titres gothiques et de marques d’imprimeur3 sont cependant sans lieu ni date. E. Droz croit pouvoir affirmer qu’elles ont été imprimées à Paris, vers 1540, mais, comme chacun sait, ceci ne préjuge en rien de leur date de composition et de représentation car, loin de périr au milieu du XVIème siècle, comme nos grands mystères, notre théâtre comique s’est assuré une longue survie, et certains recueils, tel celui de Copenhague, ont été réimprimés jusqu’au début du XVIIème siècle à une date aussi tardive que 1619 (Lyon).

Il convient donc de dépouiller les pièces de notre recueil sans préjugé et de tenter d’en établir successivement la date, la localisation et l’appartenance à divers groupes sociaux ou professionnels; mais avant cela il faut en dresser la liste dans l’ordre tout fortuit où elles se présentent en faisant suivre les titres, qui sont ceux de l’imprimeur ou de l’éditeur ancien, d’une brève analyse. Tout en me servant de ces désignations, j’ai renoncé à classer les pièces en farces, sotties et moralités, parce qu’il est difficile de faire une discrimination assez nette entre les divers genres de notre théâtre profane. C’est ainsi que le recueil débute par une sottie.

Sauf indication contraire, elles sont inédites.

II. Énumération et Analyse des Pièces du Recueil

I (Sottie). Farce nouvelle fort joyeuse à trois personnages, c’est à savoir: le prince, le premier sot, le second sot.

Sorte de sottie — parade: les deux sots ne reconnaissent pas tout de suite leur Prince parce qu’il a, par dessus son costume de sot, revêtu une robe de cour, mais, l’ayant dépouillé, ils échangent avec lui des propos décousus, satiriques et incongrus.4


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II.5 Farce nouvelle de celuy qui se confesse à sa voisine qui est habillée en habit de prestre qui est le Ribault marié, ou Maugré jalousie à troys personnages: c’est à savoir le mary, la femme, la voysine.

Le résultat de cette pseudo-confession est que la voisine apprend que le mari infidèle a dépucelé la fille du faux prêtre. En pénitence, femme et voisine s’unissent pour battre le mari.

III. Farce6 nouvelle des Esbahis à quatre personnages c’est à savoir: le premier, le second, le tiers esbahi et la justice qui les adresse.

Contre l’abus des bénéfices distribués à “Gens qui n’y sont pas propices” et autres abus, etc.

IV. Farce nouvelle à cinq personnaiges de Maistre Mymin qui va à la guerre à tout sa grant escriptoire pour mettre en escript tous ceulx qu’il y tuera. maistre mymin, le capitaine, lubine, le souldart, le seigneur.7

V. Farce nouvelle à quatre personnages, très bonne et très joyeuse de Thevot qui vient de Naples et amaine un Turc prisonnier c’est à savoir: colin, la femme, le pelerin, thevot.

Déjà connue, publiée et republiée en 1542 chez Barnabé Chaussart, sous le nom de: Colin, fils de Thevot le Maire. Répertoire, 121; Choix de farces par Mabille, II, 5, 33.

VI. Farce8 nouvelle très bonne et fort joyeuse des Queues troussées à cinq personnaiges c’est à savoir: macé, lanternier, michault, savetier, la premiere femme, la seconde, maistre aliborum, les queues troussees.

Les deux femmes ont des robes à queues, ridiculement longues. Maître Aliboron, qu’elles vont consulter, les leur trousse et y met un miroir où se mirent leurs maris; après avoir ôté le chaperon, ils s’aperçoivent qu’ils ont des oreilles de veau. Le second conclut: “sont veaux et si n’en sçavent rien.”

VII. Farce nouvelle à six personnages c’est à savoir: regnault qui se marie à lavollée, godin fallot, franc arbitre, lavollée, messire jehan et son clerc.

Abandonnant Godin Fallot, joyeux compère, et Franc Arbitre et malgré les avertissements qu’on lui prodigue, Regnault épouse Lavollée, ce qui fait supposer qu’il sera battu et . . . cocu. La pièce est assez plaisante et émaillée de chansons.

VIII. Farce nouvelle de trois amoureux de la Croix à quatre personnages c’est à savoir: martin, gaultier, guillaume et l’amoureuse.

Une femme mariée, beatrix (?), donne rendez-vous à trois amoureux après avoir reçu de chacun d’eux dix écus; l’un à dix heures, l’autre à onze heures, le troisième à minuit, au pied d’une grande croix. Le premier doit se déguiser en prêtre, le second en mort, le troisième en diable. Ils se rencontrent et sont très effrayés, mais bientôt ils se démasquent et reconnaissent qu’ils sont dupes de la même coquette.

IX. Farce nouvelle très bonne et fort joyeuse des amoureux qui ont les botines Gaultier à quatre personnages ç’est assavoir: rousine, gaultier, le premier gallant, le deuxieme gallant.

Les deux Gallants font la cour à Rosine qui leur donne un rendez-vous et, comme gage à chacun séparément, une des bottines que son mari lui a donné à porter au cordonnier. Ainsi que dans la pièce précédente, ils s’avouent l’un à l’autre qu’ils ont été dupés.

X. Farce nouvelle à deux personnages c’est à savoir: le brigant et le curé.

Un curé est arrêté en allant à son Eglise par un brigand, qui veut le détrousser, mais qui finit par se confesser. Fade, sans intérêt, quelques mots incompréhensibles.

XI. Farce nouvelle du Clerc qui fut refusé à estre prestre pour ce qu’il ne sçavoit dire qui estoit le père des quatre Filz Haymon. A quatre personnages, c’est à savoir: le maistre, jenin clerc, l’official.


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N’ayant pu répondre à l’Official qui était le père des quatre fils Aymon, Jenin le clerc revient vers son maître, qui lui reproche sa bêtise lui remontrant que la réponse était aussi simple que: qui est le père de Colart le Fèvre. Jenin retourne à l’official et déclare que le père des quatre fils Aymon c’est Colart le Fèvre. Il est définitivement repoussé.

XII. Farce (en réalité moralité) nouvelle à troys personnages c’est assavoir: cautelleux, barat9 et le villain.

Cautelleux et Barat s’allient pour tromper le vilain. Barat lui dérobe son âne tandis que Cautelleux contrefait cet âne allant au paradis et en profite pour lui dérober demi-écu; Cautelleux ensuite lui marchande deux pots et les casse en apprenant de Barat la mort de son père; puis Cautelleux met Barat dans un sac sous prétexte de le mener faire abbé; il en sort. Le vilain prend sa place et est battu par les deux coquins.

XIII. Farce nouvelle à trois personnages fort joyeuse. C’est assavoir: tarabin, tarabas, triboulle mesnage.

Tarabin, la mal mariée, se plaint de la tête de son mari, qui lui se plaint du cul de sa femme. Triboulle Mesnage les accommode puis emporte les ustensiles souillés et les ordures de la maison. L’auteur s’excuse lui-même in fine d’une farce “ung bien petit grace” (grasse).

XIV. Farce nouvelle très bonne et fort joyeuse des deux frans archiers qui vont à Naples. A deux personnaiges, c’est assavoir: le premier franc archier, le deuxieme franc archier.

Deux bravaches se menacent l’un l’autre, le second, plus couard encore que l’autre, s’enfuit.

XV. Farce nouvelle très bonne et fort joyeuse des femmes qui font accroire à leurs maris de vecies que ce sont lanternes. A cinq personnages. C’est assavoir jenin, grant gosier, la première harangière, la seconde harengière, la vieille.

Les deux harengères s’injurient, s’accusant l’une l’autre de vendre du poisson avarié et de tromper leurs maris. Ceux-ci Jenin Marion et Grantgosier les entendent. Mais comme ce sont deux ivrognes, la vieille Typhaine conseille aux deux harengères de leur faire accroire que des vessies sont des lanternes. Ils se laissent persuader et désormais accepteront tout. C’est ici la première apparition de Grantgosier (le grandgousier des grandes et inestimables chroniques) qui là non plus n’a aucun des traits qui caractérisent le père de Gargantua, si ce n’est qu’il aime à boire.10

XVI. Farce nouvelle des femmes qui se font passer Maistresses. A cinq personnaiges. C’est assavoir: le maistre, le fol, alison, la commere, le mari.

Maistre Regnault apporte aux deux femmes, la Commère et Alison, une bulle du pape qui les fait maîtresses, leur confère le bonnet rond, et leur donne droit de planter là leur mari, ce qu’elles font pour Martin, afin de faire un exemple.

XVII. Farce nouvelle des femmes qui apprennent à parler latin. A six personnages. C’est assavoir: le principal, le provincial, robinet, guillemette, alison, barbette.

Le Principal et le Provincial apprennent à trois Parisiennes, dont ils veulent faire des “Artiennes,” un latin de fantaisie. La pièce, assez fade, appartient au milieu universitaire de la Montagne Sainte Geneviève, à laquelle il est fait allusion.

XVIII. Farce nouvelle et fort joyeuse de Resjouy d’Amours qui révèle son secret à Gaultier Guillome, dont il est mis ou sac aux lettres de peur d’estre bruslay. A trois personnages, ç’est assavoir: resjouy d’amours, gaultier guillome, tendrette femme de Gaultier.

Tendrette est courtisée par Resjouy d’Amours qui, par indiscrétion et bêtise, révèle au mari le lieu du rendez-vous et la personne. Il surprend les amoureux, mais Tendrette sauve, de la fureur de son mari, qui détruit le mobilier, le sac aux lettres dans lequel elle a caché son amoureux.

XIX. Farce nouvelle très bonne et fort joyeuse du Pasté, et est à trois personnages: c’est assavoir l’homme, la femme, le curé.

L’homme est un Jehan Jehennin, mari trompé par sa femme avec le curé Maistre Guillaume. Elle le force à l’inviter à souper et mange avec le curé le pâté qu’elle a préparé, tandis que lui fait chauffer la cire
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pour estouper le cuvier à laver les mains. A la fin mari et femme se réconcilient sur le dos de leur hôte qu’ils battent. Sans doute mise à la scène d’un proverbe de celui qui fait chauffer la cire. La farce, qui semble parisienne, est assez fade et de peu de force comique.11 Aucun rapport avec le Pâté et la Tarte (Répertoire, p. 190).

XX. Farce nouvelle très bonne des drois de la Porte Bodès et de fermer l’huis. A trois personnages: le savetier, sa femme, le juge.

Le mari savetier et la femme se battent au sujet d’une porte, que ni l’un ni l’autre ne consentent à fermer. Le fera celui qui, le premier, rompra le silence: c’est la femme, qui, entreprise par le juge, s’irrite de l’indifférence de son mari. Néanmoins, comme elle refuse de s’exécuter, ils décident de porter leur différent devant le juge où elle invoque toutes les besognes du ménage. On reconnaît la double influence de la Farce du Chaudronnier (pari du silence) et de la Farce du Cuvier.12

XXI. Farce nouvelle de Celuy qui garde les patins. A trois personnages: le patinier, le savetier (jacquet) et sa femme.

Le savetier surprend sa femme avec son amant le patinier. Celui-ci envoie le mari garder les patins pendant qu’il courtise celle-ci, promettant de siffler pour lui donner occasion de prendre sa femme en flagrant délit. Toutefois il oublie de siffler. Le mari impatient les surprend néanmoins ensemble et les bat plus sérieusement que n’attendait le patinier. Version brève, 310 vers. Cf. XXXV.

XXII. Farce nouvelle du Mince de Quaire, à trois personnages, c’est assavoir: bietrix, mince de quaire, fricquette.

Mince de Quaire fait la cour à deux filles qui sont à la fontaine. Il donne à Biétrix un écu pour avoir ses faveurs. Fricquette en réclamant la moitié, elles se disputent. Mince de Quaire les entend et ayant perdu toute estime pour elles, veut le leur retirer. Fricquette arrose d’eau Mince de Quaire qui cède la place, et Bietrix, pour la remercier, lui abandonne la moitié de l’écu.13

XXIII. Farce de la femme qui fut desrobée à son mari en sa hote et mise une pierre en son lieu. A quatre personnages, c’est assavoir: le laboureur, (jehan des prés), la femme (jeannette), frere frappart, le clerc.

La femme se plaint d’être impotente et de ne pouvoir aller aux champs. Jaloux, le Laboureur (jehan des prés) l’emmène dans une hotte. Frère Frappart l’amuse de vaines paroles, tandis que le Clerc y substitue, dans la hotte, une pierre. Il fait d’elle son plaisir tandis que le Laboureur se lamente. Frère Frappart, revenu, l’exhorte à bien prier Dieu et ramène ensuite la femme au lieu de la pierre. Le Laboureur est satisfait. La pièce contient bon nombre de rondeaux, comme les grands mystères.

XXIV. Farce nouvelle très bonne et fort joyeuse du Dorellot aux Femmes qui en a la Chemise Bertrand. A quatre personnaiges ç’est assavoir: bertrand, sadinette, le dorelot, faicte au mestier.

Incitée par l’entremetteuse, Sadinette trompe l’amant, le Dorelot, lui arrache des promesses de robe et, pour le faire échapper à la colère du mari, le revêt d’une vieille chemise de celui-ci: “la chemise Bertrand.14

XXV. Farce nouvelle de Legier d’Argent à quatre personnages, c’est assavoir: jacquet, legier d’argent, la vieille, et le paige.

Legier d’Argent, vantard et besogneux, que raille son page Jacquet, prête sa femme à qui la veut pour en tirer quelque pécune.

XXVI. Farce nouvelle du Faulconnier de ville qui emmaine la beste privée, tandis que le faulconnier champestre et le Gentilhomme sont bendez pour la cuider prendre à tastons. A quatre personnages, c’est assavoir: faulconnier de ville, faulconnier champestre, et le gentilhomme (plus la fille, personnage muet).


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Les deux faulconniers vantent leur métier, mais celui de la ville c’est la fille qu’il chasse. Survient un gentilhomme pour prendre part à leur débat et une fille (personnage muet) que le faulconnier de ville ne tarde pas à capturer. Les deux autres réclament leur part, mais se laissent bander les yeux pour qu’on la joue à Colin-Maillart. Faulconnier de ville s’enfuit, emmenant la fille et laissant les autres s’efforcer de l’atteindre à tâtons.

XXVII. Farce des Enfans de Bagneux à deux personnages, c’est assavoir: guillot tabouret, tybault chenevote.

Deux paysans de Bagneux aux environs de Paris discutent de leurs amours, préférant leurs bergères aux citadines et concluent: “Il n’est amours que de village.” C’est la tradition pastorale d’Adam le Bossu dans le Jeu de Robin et Marion vers 1283.15

XXVIII. Farce nouvelle très bonne et fort joyeuse d’une femme à qui son voisin baille ung clistoire. A trois personnages, c’est assavoir: trubert chagrinas, frigalette sa femme, doublet son voisin.

Doublet, médecin, vante sa marchandise. Trubert Chagrinas tance sa femme à qui il commande toute besogne, mais à qui il donne peu de plaisir. Elle s’en plaint à son voisin, qui lui suggère la manière de se plaindre et de se porter malade. Elle suit le conseil, fait appeler Doublet par son mari, qui la lui laisse emmener. Inquiet il surprend le rendez-vous qu’ils se donnent, bat sa femme et la ramène chez lui.

XXIX. Farce nouvelle des femmes qui font baster leurs maris aux corneilles. A cinq personnages, c’est assavoir: guillemette, phelipote, pierre tinette, dando, l’amoureux.

Guillemette envoie son mari Pierre Tinette cueillir avec les dents dans le jardin du curé de Charonne une herbe et sa racine qui guériront son mal de dents, tandis que Phelipote, en lui disant d’observer le vol des corneilles pour la pluie, écarte son mari aussi pour faire place à son amant. Tous deux reviennent en leur hôtel, entendent leurs épouses se vanter de leur stratagème et les battent. Le personnage de Dando [mareschal] est un “emploi” qui nous est connu par le Recueil Trepperel IX, page 185: Le magister sentencieux qu’on berne.

XXX. Farce nouvelle du Ramonneur de Cheminées fort joyeuse, nouvellement imprimée. A quatre personnages: le ramoneur, le varlet, la femme, et la voysine.

Consiste surtout en un dialogue plein d’équivoques grossières entre le ramoneur et son valet, qui le force à assurer même à la femme et à la voisine amoureuse de Jean du Houn qu’il n’a plus la force de “ramoner.” Cf. Le ramoneur de cheminées, dans Répertoire, p. 225. Ancien théâtre français, t. II, pp. 189-206.

XXXI. Farce nouvelle de l’ordre de Mariage et de Prebstrise très honneste et joyeuse pour joer à toutes nopces, et est à quatre personnages. C’est assavoir: l’homme marié, l’ecclésiastique, le gallant qui se marie, la fille estant pres la tour de mariage.

Le Marié et l’Ecclésiastique exposent chacun les avantages de leur état et cherchent à y gagner le Gallant. Mais celui-ci accepte de la Fille, qui survient, le chapeau de fleurs. Ils iront ensemble à la Tour de Mariage, ayant entre eux la Paix. Il y a là une de ces farces de noces telle que Malostru en offre à Teste Creuse dans la sottie VIII des Coppieurs et Lardeurs. (Page 164 du Recueil Trepperel.)

XXXII. Farce nouvelle à quatre personnages du Mariage Robin Mouton: la mere, robin mouton, sebille, peu subtille.

La mère marie son fils Robin Mouton avec la fille de Sebille, Peu Subtille. (Lacune importante, folios 191 et 192, doubles des folios 237 et 238 où ils sont à leur place.) Une allusion à la fin à Sainte Gervaise. Il est question chez Rabelais de Robin Mouton dans la fameuse scène des Moutons de Panurge.

XXXIII. Farce nouvelle à quatre personnages, c’est assavoir: le savetier, le moyne, la femme, le portier.16

Le savetier vante au moine les charmes de sa femme, mais celle-ci survient qui bat et tance son mari. Le moine s’offre à la mener à résipiscence par confession, mais c’est pour faire d’elle à son plaisir. Le mari prend les vêtements de sa femme et bat le moine ainsi que le portier complice.


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XXXIV. Farce nouvelle à trois personnaiges des Esveilleurs du chat qui dort, dont ils s’en prennent par le nez et sont farcez.

Les deux éveilleurs s’en prennent à un chat qui dort et les égratigne aux mains et au nez et le Fol les raille. (Sottie?)

XXXV. Farce nouvelle du patinier à troys personnages. C’est assavoir le patinier, le savetier, la savetière.

Le Patinier aime la Savetière que son mari soupçonne d’être infidèle. Le Patinier lui propose d’éprouver la vertu de sa femme en lui faisant la cour, tandis que le mari gardera les patins. Le patinier sifflera au bon moment, mais il oublie cette convention et tous deux sont surpris par le mari qui les roue de coups tous les deux. Version longue (531 vers) de XXI (310 vers).

XXXVI. Farce nouvelle à quatre personnages des femmes qui font renbourer leur bas. C’est assavoir la première femme, la seconde femme, espoir, de mieulx.

Farce qui n’est qu’un tissu d’équivoques grossières sur l’expression mentionnée dans le titre. Le plus singulier y est la dissociation en deux d’un personnage allégorique de Moralité, si l’on peut dire: Espoir de Mieulx.

XXXVII. Farce nouvelle à quatre personnaiges du Savetier qui ne respont que chansons. C’est assavoir: le savetier, sa femme, son varlet, la voisine.

Sandrin avec son valet Naudet répond par des chansons à toutes les requêtes de sa femme Claudine, secondée par la voisine Ysabeau, tendant à l’acquisition d’une nouvelle robe.

XXXVIII. Farce nouvelle des femmes qui vendent amourettes en gros et en détail, mais l’esgard du marché les met à pris. A quatre personnages, c’est assavoir: finette, fierette, adam, mal pascience.

Finette et Fierette vont au marché vendre leurs amourettes. L’Esgard du Marché en fixe le prix. Villoire, Sotereau de village, qui y est venu vendre ses oisons, veut leur en acheter et ne reçoit que des coups. Dans l’intervalle de ces deux scènes a éclaté une dispute entre Adam et Mal Pascience qu’essaie d’apaiser leur voisin Enguerrant.

XXXIX. Farce nouvelle de Mahuet qui donne ses oeufs au pris du marché et est à quatre personnaiges, c’est assavoir: mahuet, la mère, gaultier, la femme.

Mahuet, qui est un type de badin et de niais, a reçu l’ordre de sa mère d’aller vendre ses oeufs à Paris au prix du marché qu’il prend pour un personnage. Il les refuse donc à une femme, mais les accorde à Gualtier, qui se donne pour tel, puis celle-là le barbouille de noir sous prétexte de le laver. Toutefois le sot se venge en lui brisant sur la tête un pot où sa main est restée prise. Au retour sa mère se refuse à reconnaître en ce barbouillé son fils Mahuet.

XL. Farce nouvelle à quatre personnages des trois nouveaux martirs. C’est assavoir: martir marié, martir en procès, martir en mesnaige et la fin.

Les trois personnages se plaignent entre eux d’abord, puis devant la Fin, du martyre qu’ils ont connu l’un en mariage, le deuxième en procès, le troisième en ménage, et celle-ci, convaincue, les couronne martyrs avec palme et auréole. (Moralité.)

XLI. Farce nouvelle à troys personnages c’est assavoir: martin de cambray, guillemette sa femme et le curé.

Martin le savetier se dispute avec sa femme Guillemette et, jaloux, l’enferme avant d’aller au marché, vendre des vieux souliers et houseaux. Le curé qui est amoureux d’elle essaie en vain de pénétrer dans la place, mais elle lui conseille de se déguiser en diable et de l’emporter au moment où son mari, lassé par trop de plaintes, dira: “le Diable l’emporte!” Ainsi dit, ainsi fait. Le mari rentre, nouvelle dispute, Martin prononce le mot fatidique, faisant apparaître le faux diable, qui emporte la femme sur son épaule. Il reparaît ensuite en curé pour entendre le récit du mari affolé auquel il essaie en vain de persuader qu’il s’agit d’un mauvais plaisant. Mais le voici de nouveau qui, déguisé en diable, rapporte la femme qui raconte à Martin apeuré qu’elle a vu en enfer toute une fournée de jaloux. Il reçoit d’elle une ceinture qui le fait Martin de Cambrai (?) et lui remet les clés de la maison dont elle usera librement. C’est une des pièces les plus plaisantes du recueil.


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XLII. Farce nouvelle des maraux enchesnez à trois personnages, c’est assavoir: justice, soudouvrer, coquillon.

Deux marauds, prisonniers et enchaînés par Justice, Soudouvrer et Coquillon, font mille projets de vie libre et belle et évoquent leurs exploits passés, démesurément grossis.

XLIII. Farce nouvelle de Digeste vieille et Digeste neufve ou deux escoliers estudient lesquels ne peuvent trouver moyen d’avoir argent si n’est par coustume et loix. A cinq personnages, c’est assavoir: le premier, le second, digeste vielle, digeste neufve, coustume.

Il y en a même deux le plus, le tiers et le quart, qui apparaissent à la fin. Digeste vieille et Digeste neufve discutent de leurs mérites réciproques qu’elles content au premier et au second étudiant en droit. L’un et l’autre se donnent à Coustume, qui a pour eux plus de charme, et se conduiront désormais “Par droit, par coustumes des lois.” Evidemment pièce destinée à des étudiants en droit ou à des Clercs de la Basoche.

XLIV. Farce nouvelle — à trois personnages, c’est assavoir: richard, gaultier, tierry: Le Pourpoint retrechy.

Richard et Gaultier compagnons de débauche de Tierry en rétrécissant son pourpoint lui font croire qu’il est enflé d’hydropisie et mourant. Gaultier, déguisé en prêtre, le confesse et apprend ainsi qu’il l’a fait cocu en courtisant Alison et qu’il a battu un soir Richard. Tous deux s’en vengent et l’emportent pour le jeter à l’eau sous prétexte de le guérir en lui faisant changer d’air.

XLV. Farce nouvelle à trois personnages, c’est assavoir: L’aveugle, sa chamberiere et son varletnommée la Farce du Goguelu.

La chambrière propose à l’aveugle de jouer au jeu de broche en cul: occasion de le her et de le faire battre par Goguelu, le valet, qui change de voix pour faire le sergent. Ils s’en vont en chantant à trois une chanson en s’accompagnant de la vielle. Ce jeu est aussi proposé par Sauldret à son maître, dans un Mystère de la Résurrection.17

XLVI. Farce nouvelle excellentement bonne de quatre femmes, c’est assavoir: la bragarde, la gorière, la bigotte, et la théologienne.

La Théologienne, venue de Rome avec une bulle, recueille les confessions successivement de la Bragarde, la Gorrière, la Bigotte, puis les congédie sans leur donner provisoirement l’absolution.

XLVII. Farce nouvelle à cinq personnages, c’est assavoir: faulte d’argent, bon temps, et les troys gallans.

Les trois gallants “sans souci” se plaignent de l’absence de Bon Temps que Faulte d’Argent bride et tient étroitement prisonnier. Elle le reprend après qu’il s’est échappé pour se plaindre à eux des misères du temps présent.18

XLVIII. Farce nouvelle à deux personnages, c’est assavoir: rifflart et finette, la mauvaistié des femmes.

Rifflart achève une cage où il veut mettre une pie, mais elle préfère un coucou. Ils se disputent et se battent jusqu’à ce que l’obstination féminine triomphe. C’est un coucou qu’ils rapporteront bientôt du marché.

XLIX. Farce nouvelle — du Capitaine Mal en Point, à cinq personnages, c’est assavoir: briffault, paillart, mal en point capitaine, près tondu, maulpensé, capitaine des Mauhaictiés.

Mal en Point, capitaine, prétend avoir sous ses ordres Briffault et Paillart comme anciens archers. Maulpensé, capitaine, les fait inviter par son garçon Près Tondu à un festin qui reste imaginaire, ce dont ils sont fort morfondus.

L. Farce nouvelle — de la Résurrection Jenin à Paulme, à cinq personnaiges, c’est assavoir: jenyn a paulme, la soeur a jenyn, joachim, thoynon et caillette.

La soeur de Jenyn à Paulme se lamente en présence de Joachim de l’avoir perdu, mais voici qu’il apparaît
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revenu des enfers. En son honneur et avec Thoynon et Caillette, survenues sur ces entrefaites, sera fondée sous le vocable de Saint Baboyn, l’abbaye des ressuscités. L’argot picard rend cette pièce souvent difficile à comprendre.19

LI. Farce nouvelle des Chambrières à quatre personnages, c’est assavoir: guillemette, marguerite, debat et le cordelier.

Deux chambrières à la fontaine médisent de leurs maîtres. Débat s’amuse à les exciter l’une contre l’autre. Tandis qu’elles se disputent, survient le Cordelier qui les réconcilie.20

LII. Farce nouvelle de la trippière à trois personnages c’est assavoir: rolhiart, male fin, la trippière.

Rolhiart demande à la tripière de lui faire l’aumône; elle refuse. Male Fin se présente à son tour sous un déguisement sur les conseils de Rolhiart, qui feint de se prendre de querelle avec lui et de lui asséner sur la tête le pot à tripes avec lequel il s’enfuit, tandis que la tripière est aveuglée par le brouet qu’il lui jette à la tête. Ils se gobergent ensuite ensemble, tandis que la tripière se plaint à Rolhiart de nouveau déguisé, puis toute seule.

LIII. Farce nouvelle des Coquins à cinq personnages, c’est assavoir: maulevault, pain perdu, pou d’acquest, le tavernier et le clerc.

Les trois coquins ou truands parlent de choses et de pays fantastiques, se reprochant à chacun leur saleté, puis, buvant et mangeant au Château, content leurs exploits imaginaires, après quoi successivement ils se sauvent pour ne pas payer l’écot. Farce d’écoliers de l’Université de Paris, contemporains et émules, au talent près, de François Villon. Cf. Droz, p. 96. Dans la Sottie VIII des Coppieurs et Lardeurs (avant 1488) Malostru offre à Testecreuse: “J’ay la Farce des troys coquins.” C’est sans doute celle des “Sots guerdonnez,” VI du Recueil Trepperel (antérieur à 1488).

III. Chronologie

J’ai dit au début de cette introduction que, selon l’opinion d’E.Droz, la plupart des pièces de notre recueil avaient été imprimées vers 1540, mais en même temps que ceci ne préjugeait en rien de leur date. Celle-ci doit être, autant que possible, établie, pour chacune, par des éléments intrinsèques, surtout allusions à des événements et à des personnages assez rapprochés de celle de la représentation pour pouvoir être comprises du public et lui être par conséquent plaisantes. Déjà la seule analyse des pièces XXXI et LIII nous a conduits vers les années 80 du XVe siècle. Dans cette dernière, LIII (p. 442), Maulevault, parlant des gueux qu’il a connus, articule:

Dictes moy n’ouïstes vous oncque

Parler des beaux faits de la Hire. . . .

Qui fust si vaillant homme de guerre?

La Hire, né en 1390, mourut en 1443, mais a pu rester célèbre, comme le Chevalier Bayart, longtemps après. 1443 est donc ici plutôt un terminus a quo, un point de départ (car il est donné comme mort) qu’un terminus ad quem qu’on ne pourrait dépasser. Si l’on admet pour Pathelin la date de 1464 que Holbrook et Cons21 ont rendue vraisemblable et qui en tout cas se situe avant 1470, date du document officiel reproduit par Petit de Julleville, (Répertoire, p. 197), XLIV est postérieur, à cause de l’allusion de Gautier aux divers langages, quand, faux prêtre, il recueille la confession de Thierry (p. 250):

Si tu veulx et si parleré

Breton ou picard.

Cette conclusion est confirmée par la mention d’un épouvantail de chenevière (p. 351) qui ne peut
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se référer qu’au Franc Archer de Bagnolet, monologue également postérieur d’un peu à 1470 (cf. Répertoire, p. 269):

RICHARD

Sembles dea, tu me sembles estre

Ung espouvantail de chenevière. . . .

Les beaux pathelins (trompeurs)

Pour venir aux fins . . .

COQUILLON

Se maistre Henry ne fust mort,

Nous fussions picça despechiés.

SOU d’OUVRER

Dieu luy pardoint ce pechez.

Helas! c’estoit nostre bon père.

COQUILLON

Nous étions la meilleure paire

De pigeons de son colombier.

Point de doute qu’il ne s’agisse de Henry Cousin, bourreau de Paris entre 1457 et 147922 dont les deux personnages sont le gibier d’élection. XLII est donc postérieur à 1479.

Un terminus ad quem nous est donné au moins pour XXXVII (p. 293), par une allusion à l’expédition de Charles VIII en Italie (septembre, 1494-octobre 1495) et peut-être à la réunion de la Bretagne et de la France par le mariage d’Anne avec celui-là (1491).

SANDRIN

Il nous faut aller à la guerre

Par le sang bieu de là les mons.

NAUDET

Si le roy nous y a semons

C’est grant folye de tant attendre.

SANDRIN (en chantant)

Prenés le temps, Breton de Nantes,

Prenez le temps comme il viendra!

BRIFFAULT

Il n’en est pas trois aussi seurs

Que nous d’icy jusqu’à Pavie.

Bien entendu, il ne s’agit pas ici de la défaite de François Ier à Pavie (1525).

L’évocation du Mal de Naples et le jeu de mots sur Surie (la suerie de la vérole) peut se rapporter aussi à la conquête du Royaume de Naples par Charles VIII (XLVI, p. 376):

LA THÉOLOGIENNE

Fustes-vous oncques à Naples?

LA GORRIÈRE

Sy ay! Sy ai! G’y ay esté!


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LA THÉOLOGIENNE

Et en Surie?

LA GORRIÈRE

Voyre, par Saincte Marie,

Au plus parfond du païs

Et fus logée à la roupie,

Le premier coup que g’y allis.

Mais voici qui est plus précis, comme allusion à la fois à l’expédition de Charles VIII à Naples (1494-5) et à la bataille de Montlhery, que le Comte de Charolais (plus tard Charles le Téméraire) y livra, à la tête de la Ligue du Bien Public, le 16 Juillet 1465, à Louis XI, qu’il ne put empêcher d’entrer dans Paris, XIV. Les deux Francs Archiers, qui vont à Naples, devisent:

(p. 103)

Pensez qu’il en fist plusieurs rendre

La journée Mont le Héry.

Les Francs Archers, supprimés par Louis XI en 1480, furent rétablis par François Ier en 1520; mais dans l’intervalle, s’ils ont quitté le théâtre de la guerre, ils n’ont pas quitté la scène. Il ne faut donc retenir ici que le terminus a quo de 1465, rejoignant celui que fournissent les allusions patelinesques. Toutefois cette pièce XIV est farcie d’allusions au plaisant Franc Archer de Bagnolet23 qui est de la décade de 80.

(p. 103)

Ha! je ne crains pas une maille

Homme, s’il n’a plus de dix ans.

(Celui de Bagnolet ne craint page “s’il n’a point plus de quatorze ans.”)

Le SECOND

Je ne crains rien, fors les gendarmes!

(imité de son “Je ne craignois que les dangiers,” repris par Panurge).

“Mais que de fouir j’aye espace” emprunté à l’épitaphe du même, imitée encore. Si l’on ajoute le “Vela mon gantelet pour gaige” de la page 104, on verra que l’imitation confine au plagiat. Dans la même pièce des Francs Archiers à Naples, le dialogue: (p. 105)

Vive saint Yves

Le SECOND

     Vive le quoy?

Dites et puis je le diray.

s’inspire de la Sotie des Trois Galants et Flipot (Recueil général des Sotties, Paris, 1922, éd. Em. Picot, t. III p. 169-204). Au contraire XLV connaît le Mystère de la Résurrection attribué erronément à Jean Michel et il a eu en main ou a entendu la version du Manuscrit de la Bibliothèque Nationale, que j’ai utilisée moi-même dans mon étude sur La Scène de l’Aveugle et de son Valet (Romania, 1912). Goguelu parle du Jeu de broche en cul qui est celui par lequel Saudret, le garçon d’aveugle, dupe son maître, et la même farce connaît aussi l’effet du changement de voix, dont j’ai pu établir la tradition depuis le Babio du XIIème jusqu’aux Fourberies de Scapin de Molière, en passant par le dit Mystère de la Résurrection.

(p. 365)

LE VARLET en faignant sa voix

Et estes vous icy, gallans,

Avecques la mille duquoys (sic)24


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Les références à d’autres pièces de théâtre comme les allusions historiques nous ramènent donc elles aussi à la décade 1480-1490. Certaines allusions mythologiques dans XVII peuvent être inspirées de la Passion de Jean Michel jouée à Angers en 1486, de même celles de la Farce III (p. 21): Jason, Médée, Phébus, Phaéton, Phèdre, Saphire (Sapho?) et dans la Sottie I (p. 4) l’évocation de trois philosophes, d’ailleurs connus dans l’Ecole:

Quel Socrates! Quel Pithagoras! Quel Platon!

Tous ces éléments “antiques” se rapportent fort bien à la Prérenaissance de 1475 à 1490, où écrit Robert Gaguin et où l’on commence à enseigner le grec à Paris.25

Enfin des mentions de types d’acteurs ou de personnages connus par le Recueil Trepperel tel Dando Maréchal et sur lesquels nous aurons à revenir nous mènent à la même période.

XXVIII p. 224:

TRUBERT (le mari trompé)26

Et certes je suis bien Dando

Dando, mais plus que Dandinastre.

Or ce Dando est avec Maître Aliboron, qui appartient aussi à notre recueil, le héros de la Sottie des Sots qui corrigent le Magnificat (Recueil Trepperel, p. 165) antérieure à 1488. La sottie fait allusion au personnage bien connu de Roger Bontemps, p. 3:

Roger le sait, Bon Temps le voit.

Mais la plus surprenante des apparitions de type est celle de celui qui sera si célèbre au XVIIème siècle parmi les grands Farceurs: Gautier Garguille.

(V. p. 40)

THEVOT

Marier et à quelle fille?

COLIN

A la fille Gaultier Garguille27

La mention des Gallants sans Soucy et des Gaudisseurs dans IX (p. 77) est trop vague pour qu’on en puisse tirer des conclusions chronologiques.

En l’absence d’un répertoire complet des chansons du XVème siècle et d’indications sur la date de leur première apparition, il est impossible d’utiliser celles auxquelles il est fait allusion dans nos pièces et qui sont nombreuses.

J’ai essayé de la datation par les costumes, mais ces recherches, par exemple, sur les vêtements courts ou les pantoufles des gorriers (élégants) ou les queues longues et troussées des robes de femme n’ont pas donné des résultats assez précis pour valoir d’être consignés ici. De même pour les monnaies, désignation et valeur.28

En conclusion, il semble bien que pour toutes les pièces de notre recueil sur lesquelles on peut étayer des inductions précises, c’est la décade de 1480 à 1492 qui s’impose. Ceci est d’autant plus intéressant que les conclusions d’E.Droz pour le Recueil Trepperel sont sensiblement les mêmes.

Il y aurait donc eu à Paris, dans cette période de paix relative entre la fin des guerres civiles et le commencement de l’expédition d’Italie, une remarquable efflorescence de notre théâtre comique.

IV. Localisation

Le principe de la localisation, en matière théâtrale, est celui-ci: le public se plaît à entendre l’acteur se référer aux lieux qui sont les plus familiers à l’un comme à l’autre, ce qui diminue la
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part de la convention théâtrale et les rapproche de la réalité quotidienne. Ceci ne peut être le fait naturellement que du théâtre comique, le théâtre tragique nous éloignant au contraire de celle-ci encore que les Mystères nous y plongent à l’occasion, mais surtout — il est vrai — dans leurs scènes plaisantes. L’allusion n’est pas seulement aux lieux, elle est à la corporation, dont les acteurs font partie et qui est familière au public: Collège, Université, Basoche29 c’est-à-dire l’ordre universitaire et judiciaire.

Irons-nous sur Navarriens? demande-t-on en IV, p. 3130 et ce terme doit désigner le Collège de Navarre dans la bouche des étudiants. Ces derniers sont aussi familiers avec la “librairie du Couvent des Grands Augustins” près de la Seine (IX, p. 72).31 Mais l’exemple le plus caractéristique tant pour la localisation que pour la spécialisation universitaire est dans LIII:

MAULEVAULT

. . . . . . . . . . . . . . . . . . se l’aventure(p. 433)

M’avenoit et mon ancestrure

Seroit du tout renouvellée

Et seroit Grève relevée,

Saint Innoscent et Petit Pont.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

PAIN PERDU

D’où je vien? Je vien d’Avignon.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

POU D’ACQUET

Or devisons mes mignons

Qu’on dit de beau parmy Paris

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

MAULEVAULT

On le* vent à chariotées(p. 434)

En Grève et aussi aux Halles . .

POU D’ACQUET

Et je vy passer ung bateau

Auprès de l’ille Nostre Dame.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

PAIN PERDU

Car la maindre est com je suppose(p. 436)

Beaucoup plus grosse qu’ung groseil

Ne la pierre de Mauconseil32

Ou du Palays lyez ensemble.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ou en chascune a ung clocher,

Grant comme les tours (de) Nostre Dame.

PAIN PERDU

Où trouverons-nous? Au Chasteau?(p. 438)

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

MAULEVAULT

                                   Y a il ame?


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POU D’ACQUEST

Je cuyde que lui (le clerc) et la dame

Comptent ensemble du Chasteau

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

POU D’ACQUET

Tu ne dis pas se les sergens

Passent par cy qu’ilz nous trouvassent

J’auroye grant peur qu’ilz nous menassent

En Chastellet sans arrester.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

POU D’ACQUEST (au Clerc du Château)

Or ne te chault se je te treuve(p. 439)

De cest an ne de l’autre en Greve33

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

MAULEVAULT

Cuide-tu estre bourgoys de la Cité(p. 443)

Ou escollier de l’Université?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

POU D’ACQUEST

Je vous feray par les sergens(p. 446)

Au Chastellet mener tout droit

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

PAIN PERDU

Nous sommes d’une nation

Tous trois et si me font cecy!

Ce pourrait être une exception, mais la pièce précédente, la LIIe nous ramène aussi au centre de Paris.

ROLHIART (mendiant)

Je te jure par sainct Martin(p. 424)

Que aujourd’hui à ce matin

Allé m’en suis à la Grant Sale

Du grant Palais et puis aux Halles,

Vu que trouver ne te povoye

Et en passant parmi la voye,

Arté me suis emmy la place

Icy tout droit dessus ma masse

Querant pour povre loqueteux

LI (p. 416) dit:

Et que tu es la plus infame

Qui soit à Paris chambrière.

Si L (p. 406, 409) parle deux fois d’Arras et du Bourg l’Abbé il nous ramène aussitôt à Paris en évoquant le cabaret célèbre de la Pomme de Pin au cloître Saint Benoit34 fréquenté déjà par Villon et que Rabelais connaîtra aussi: (p. 409)

JOACHIM

Regardez icy quel loppin

On m’a donné à la Ruppée.


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La toponymie parisienne connaît encore un quai de la Rapée, mais il s’agit d’un commissaire de troupes et Ruppée m’est inconnu. Champ Gaillard de L (p. 411) où doit être fondée l’Abbaye des Ressuscités de St Babouyn reste à identifier. C’est certainement un lieu-dit parisien qu’évoque cette résurrection Joachim puisqu’il est question des enfants de Beauvais, c’est-à-dire du Collège, et de la prison du Châtelet.35 La précédente, XLIX (p. 402 et 404), parle de la table de marbre du Palais Royal de la Cité, familière au lecteur de Notre-Dame de Paris, sur laquelle les clercs de la Basoche érigeaient les tréteaux de leurs farces. Dans le même texte “pont à baillon” est une mauvaise graphie de “pont à billon,” nom familier du Pont au Change, qui existe encore et conduit du Palais au Châtelet.

PRES TONDU

De quoy est la table de Marbre?(p. 402)

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

MAL EN POINT (p. 404)

Où nous sommes,

Nous sommes tristes et pensifs,

A la Table de Marbre assis,

Couvers chascun d’ung vieil haillon

Et gardons le Pont à Baillon

Tous prestz pour couldre et pas tailler.

Ailleurs, le même texte parle de Paris, de la Halle, près de laquelle naîtra Jean-Baptiste Poquelin dit Molière, et des Quinze Vingtz, l’hôpital fondé par Saint Louis et qui existe encore dans la Cité. XLII est de nouveau aussi précis que possible:

SOUD’OUVRER

Et moy j’estoie encore à jeun(p. 330)

Au matin, ainsi qu’on se liève,

Entre le Port-au-Fain36 et Grève,

Entre ses chantiers de busches,

Trois sergens estoient en embusches

Qui m’empoignèrent au collet

Et me menèrent au Chastellet

Velà comme je fus prins.

XLVIII mentionne Notre-Dame de Boulogne, pélerinage célèbre sous Paris, et dans XLVII Bontemps dit: (p. 382)

Et c’est pourquoy je me chemine

Parmy Paris puis aulcun temps.

En XLVI, La Bragarde affirme qu’on l’appelle ainsi dans Paris et qu’elle a été à Bagnolet (sous Paris)

J’ay été à Baignollet(p. 370)

Ouyr le rossignollet

tandis que la Théologienne évoque à fois Montmartre, Saint-Maur sur la Marne, Saint-Germain-des-Prés, Saint-Merry qui figurent dans la liste des pélerinages parisiens dressée par le regretté Paul Perdrizet dans son Calendrier parisien, p. 205:

LA THÉOLOGIENNE

Avez vous point souvent amors

D’aller jouer à Montmartre

Au pellerinage de Saint-Mors

Pour visiter les saincts corps

Des moynes pour vous esbatre?


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LA BRAGARDE

J’ay esté des foys plus de quatre

Là à Saint-Germain-des-Prés

P. 374, elle parle encore de Saint-Merry que nous connaissons tous, et de l’Hotel Dieu (p. 376). Par contre, j’ignore ce que sont les Brières de la p. 377.

En XLV, (p. 361), allusion à Paris mais vague, tandis qu’elle est bien plus précise dans la précédente XLIV, p. 342.

GAULTIER

Et y en a jà sur les haulx lieux37

Comme sur les tours Nostre-Dame.

RICHARD

Et par le peril de mon ame

C’est si bien dit qu’il n’y fault rien,

Au tertre de Mont-Valérien

Sont ja montés sur l’Ermitaige.

L’Ermitage du Mont Valérien était un lieu de grande dévotion parisienne.38 Par une de ces continuités magnifiques qui sont le secret de notre histoire, il est aujourd’hui consacré à nos Martyrs de la Résistance, torturés et fusillés à Paris par les Allemands de 1940 à 1944. La suite n’est pas moins décisive où il est question de la Seine, des Quinze-Vingts, du Président du Parlement, de l’Eglise Saint-Mathurin — celle où la bande de Villon avait essayé de voler — de Notre-Dame de Boulogne et de Saint-Mor déjà mentionnés.

XLIII mentionne la coutume de Paris (p. 338) et Coquillon en XLII (p. 328) dit qu’il ira à pied en trois jours à Tours, tandis qu’un autre personnage invoque la même Notre Dame de Boulogne. Que XXXIX soit une pièce parisienne ne saurait être mis en question, car la mère y envoie Mahuet au marché à Paris vendre ses oeufs (p. 303, 304). Il jure par Notre Dame de Boulogne comme fait Malle Pacience au XXXVIII. Villoire, sautereau de village, y admire l’encombrement de Paris en chevaux, gens et maisons (p. 300). J’ignore si la rue Faucheron de XXXVII (p. 292) est réelle ou imaginaire. Dans XXXIII le Moine fait allusion au célèbre Petit Pont, qui existe encore et conduit au Parvis Notre-Dame.

Guillemette en XXIX envoie son mari (p. 230) chez le curé de Charonne. Qui ne connaît la rue de Charonne?39 Dans la même pièce, on jure par Notre-Dame de Boulogne et Saint-Mor. XXVII parle de Bagneux, de Bagnolet, de Clamart, de Gentilly, de Meudon, tous ces villages de la banlieue Sud, où, le dimanche, allaient souvent les Parisiens.

La Farce des Faulconniers (XXVI) se réfère sans cesse à Paris, tandis que XXV (p. 198) évoque Saint-Innocent, c’est-à-dire le Cimetière sur les murs duquel est peinte la Danse Macabré (des Macchabées) devenue dans la langue populaire la Danse Macabre.40 En XXII (p. 173) Biétrix dit à Fricquette:

Veulx tu point venir au Palais

Et puis sur le Pont Notre Dame,

Si elle invoque Saint-Germain d’Arras (p. 174), Biétrix parle de Guillaume du Port de Nuilly (Neuilly-sur-Seine, sous Paris). Moins de doute encore pour XX où la femme invoque devant le juge l’ordonnance du prévôt de la porte Bodés, prescrivant que le mari obéisse à sa femme, ordonnance imaginaire naturellement, car il s’agit du “Heaume de la Porte Baudet” (Baudoyer)
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auberge célèbre dont il est question dans les comptes de la Sainte-Chapelle.41 Seul, un public parisien peut saisir.

En XIX, l’homme faisant reproche à sa femme dit (p. 147):

Vous estiez devant Saint Maurice

A genoulx ou à Nostre-Dame

tandis que, dans XVII, p. 123, le principal proclame:42

Robin, vien ça mon amy

Va-t-en vistement attacher

Au Palais et là environ

Et aux Eglises ce papier

Et n’oublie pas à décliner

En plus de cent lieux en Paris

Que le Provincial dès hier

Est descendu en son logis

Et aux Parisiennes dis ....

Que j’ay voué et entreprins

Leur apprendre un nouveau langaige.

..............................

ROBINET

Je vais donc aux Carmes premier

Attacher le petit brevet.

LE PROVINCIAL

A coup, de là, sans tarder

A la Montaigne43

........................

GUILLEMETTE

Soulz l’ombre de pelerinage(p. 125)

Jusques à Nostre Dame des Champs

Nous yrons.

Avant Alison avait évoqué les plus célèbres collèges de l’Université de Paris, XVI (p. 115) et la Faculté des Arts:

Car j’avons esté longuement

Estudier aux Jacobins44

Aux Carmes et aux Augustins

Es Mathurins et es Cordeliers

Et dessoubz plusieurs seculiers.

De plus (p. 113) la Commère parle de celui du Cardinal Le Moyne, rue Saint-Victor, et fondé par lui en 1302, dont une rue de notre Montagne sainte du Savoir porte encore le nom. XLVI (p. 378) évoque les “grans grammairiens de Narbonne,” c’est-à-dire, du collège de Narbonne, fondé en 1316 par Bernard de Farges. Dans L, (p. 411) Joachin dit: “Vive les enfants de Beauvais.” Il s’agit des élèves du collège de ce nom, fondé en 1370 par Jean de Dormans, évêque de Beauvais, entre les rues des Carmes et Jean-de-Beauvais, et le Bourg l’Abbé (p. 409) est un bourg franc dépendant de St-Magloire (IIIe arr.)45 La même pièce connaît (p. 411) Champ Gaillart, rue mal fréquentée du Ve arrondissement, allant de la rue du Cardinal Le Moine à la rue Descartes.46
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J’ignore si “aux Pourcelets” mentionnés dans XV (p. 108) est une taverne parisienne, je le suppose parce que plus loin il est affirmé (p. 112):

Par Dieu, il n’y a en Paris

Plus prudes femmes que nous sommes

et à la fin de la pièce:

Et sur ce point nous concluons

Que plusieurs femmes de Paris

Font acroire telles façons

Le plus souvent à leurs maris.

Au reste, p. 109, il est fait mention des Cordeliers, nommés plus haut et des “coquins de Saint Innocent” (p. 108).

L’official en XI dit au clerc jenin: (p. 84)

Dont es tu? de Saint Gervoys?

célèbre paroisse parisienne aujourd’hui encore.

Si la farce VI a une insignifiante référence à Orléans, IV invoque Nostre-Dame de Montfort (je suppose de Montfort-l’Amaury au delà de Versailles) tandis que III (p. 23) nous ramène au Petit Pont, II p. 13 à Charolles (?) et I, p. 6, au clocher de Saint-Germain.

Ainsi sur 53 pièces, 28 — c’est-à-dire plus de la moitié — nous conduisent à Paris par les allusions les plus précises, à notre glorieuse Montagne-Sainte-Geneviève et à ses collèges universitaires, au Palais, à la Cité, à la Seine qui l’enserre, aux Ponts qui permettent de la franchir.

Comme par ailleurs rien dans le langage ou les allusions que j’ai soigneusement relevées ne s’oppose à ce que les autres pièces, dépourvues de références à l’inclyte Lutèce, n’y aient été représentées, il est légitime d’attribuer l’ensemble de ce recueil à Paris et à la région parisienne, c’est-à-dire à la patrie de Molière et ceci ne saurait être indifférent à l’histoire de la littérature.

V. Genres, Types, Emplois et Caractères

En localisant les pièces, nous avons été frappés du nombre d’allusions à l’Université de Paris et aux Collèges de la Montagne-Sainte-Geneviève. Ceci apporte un témoignage intéressant sur le rôle des étudiants dans le développement du théâtre comique.

Je l’avais mis en évidence pour le XIIème siècle et la région d’Orléans en publiant avec mes élèves le Corpus de la Comédie Latine en France au XIIème Siècle (Paris, les Belles-Lettres, 1931) 2 vol. in-12, donnés sous les auspices de l’Association Guillaume Budé; je l’avais souligné pour le XVIème Siècle et la naissance de la tragédie classique dans mon Ronsard, sa vie, son oeuvre (Paris, Boivin, nouvelles éditions, 1932 et 1946), mais je n’avais point eu encore l’occasion de le démontrer pour le XVème siècle. Sans doute la pièce LIII dont je viens de faire une longue citation contient des allusions au Palais et par conséquent à sa Basoche, ainsi qu’à la prison du Châtelet, mais les mots de

PAIN PERDU

Nous sommes d’une nation

            Tous trois

ne peuvent se rapporter qu’à l’une des quatre Nations composant l’Université de Paris. L fait allusion aux enfants de Beauvais, donc au Collège de ce nom. En XVI Alison déclare avoir étudié aux Jacobins, aux Carmes, aux Augustins, aux Mathurins et aux Cordeliers et évoque le Collège du Cardinal Lemoine. Cependant c’est là une exception et une minorité.

De même les pièces se référant au Palais et que j’attribuerais aux Clercs de la Basoche, comme XLIX qui se joue sur la Table de Marbre, XX, parodie de procès; mais combien plus remarquables sont les autres farces en ce qu’elles se rapportent à des types comiques, à des personnages, à des
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“caractères,” comme on dirait en anglais, chers au public et qui semblent ressortir au théâtre professionnel et à des troupes permanentes, analogues à celles des Italiens. Ceci me paraît un aspect tout à fait nouveau du théâtre comique du XVème siècle qui pouvait déjà s’induire du Recueil Trepperel, mais qui éclate ici avec une évidence plus grande encore, surtout par l’apparentement avec celui-ci. Plus remarquable que la ressemblance avec la Commedia dell’arte est le fait que certains des types rencontrés ici anticipent sur ceux du XVIIème siècle, tels Turlupin47 et Gautier Garguille. La continuité de notre théâtre, manifestant simplement la continuité française, s’avère une fois de plus.

A tout seigneur tout honneur. Voici deux allusions dans I à Maistre Mouche et à Triboullet

p. 4:Esse point Maistre Mouche?

p. 5:J’ai beu une quarte d’ung traict

Aussi bien que fist Triboullet.

L’allusion aux Vigiles Triboullet du Recueil Trepperel (p. 217) est évidente. Le Triboulet connu par Le Roi s’amuse est en fait un nom traditionnel de fou passé de la Cour, où il est porté par celui de René d’Anjou et de Louis XI, à la scène. Le nôtre qui y fleurit entre 1470 et 1490, semble avoir été un personnage aussi considérable que nos grands farceurs du XVIIème siècle: Turlupin, Gros Guillaume ou Gautier Garguille, dont les noms de guerre masquent l’état civil véritable.

Ce qui est plus curieux c’est que, comme Molière, dont il est une ébauche mal dégrossie, un premier essai du Fabricateur souverain, il est d’abord un grand acteur, ayant joué et peut-être créé le rôle de Pathelin.48 Parfois, il s’élève jusqu’à une récitation plus noble, dans la Belle Dame sans Mercy d’Alain Chartier. Tel Jean-Baptiste Poquelin il est appelé en cour pour jouer au Palais Royal à la Fête des Rois. Auteur, il n’a pas composé moins de 400 moralités (v. 226), autant de farces, dont on a fait l’inventaire et de sotties grand foison.

Car c’est un sot, comme le sera au début du XVIème siècle Pierre Gringoire. C’est dans une sottie qu’il apparaît ici aussi. Mais en cette fonction il est en ordre subalterne comme le “mignonnet” et “le lieutenant de Maistre Mouche” (Recueil Trepperel, p. 229, v. 131). N’est-il pas curieux que Maistre Mouche et Triboullet soient ici aussi rapprochés dans la pièce I de notre Recueil que j’ai qualifiée sottie? Ce qui achève la ressemblance, c’est que le sot est cité comme un maitre biberon:

J’ay beu une quarte d’ung traict

Aussi bien que fist Triboullet49

Autre type d’ivrogne qui fait sa première apparition dans le champ de l’histoire littéraire, c’est Grant Gosier, aussi buveur, comme son nom l’indique, que Triboullet. Il est dans XV, p. 108 où il croque la pie, hume le piot, selon les expressions argotiques qui peignent l’acte du buveur.50

Un autre type sur lequel nous avons moins de précision est celui de Dando Mareschal, que, en XXIX, p. 327, sa femme envoie épier le vol des corneilles pour savoir quand il pleuvra. Il se retrouve dans la farce IX du Recueil Trepperel, des Sots qui corrigent le Magnificat (p. 185-186) où il apparaît magister sentencieux et berné. En XXVIII Trubert, le mari trompé dit:

Et certes je suis bien Dando

Dando mais plus que Dandinastre.


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Dès lors il ne semble pas douteux que nous ayons ici le prototype de Georges Dandin. Molière a bien plus puisé aux sources indigènes qui affleuraient au Petit Pont, ou sur les tréteaux du Pont Neuf et de Saint-Eustache, qu’on ne l’a cru jusqu’à présent.

Je ne sais qui est Jenin des Paulmes mentionné dans la même pièce. Il peut être identique à cet “écumeur de latin” Jehan Jenin dont la Farce fera partie du T.II du Recucil Trepperel, mais je n’ai nulle peine à identifier “le Cycle du povre Jouan,” représenté par la Farce du pauvre Jouhan, (VII du Recueil Trepperel, avant 1488), type du mari berné. D’après la Sottie de ceux qui corrigent le Magnificat elle est déjà démodée à cette date. Il y a aussi un Jenin Patin (XXV, v. 133) que je ne puis non plus identifier. Jenin est synonyme de niais dans XII. Il est un clerc, ce qui ne l’empêche pas d’être stupide dans X. Parfois il est Jehan-Jehan, mari trompé par le curé (en XVIII) ce qui amène sa femme à lui dire (p. 147): Jehan-Jehenin, et lui même se présente (p. 156):

Je suis Jehan qui chauffe la cire,

et il le fait littéralement tandis que femme et curé mangent son pâté.

J’ignore ce que représente Gaultier de Cambray, dont il est question dans VIII, ou Godin-Falot (VII), autre type de niais, ou Gamache (LII) ou Goguelu (XLV).

Maistre Aliborum est encore “emploi,” comme nous disons en argot de théâtre, de la scène comique de la seconde moitié du XVème siècle. La Fontaine le tient de la tradition scolastique. Son nom, a démontré mon bon maître Antoine Thomas, est une personnification de l’ellébore qui guérit la folie.51 Il figure dans la Sottie des Sots qui corrigent le Magnificat.52 C’est l’imbécile qui vient faire le savant, et il est probable que ce rôle incombait à un acteur favori du public, puisqu’on possède un monologue écrit après 1445, Ditz de Me Aliboron qui de tout se mesle et sçait faire tous mestiers et de tout rien. C’est le “Jack of all trades and master of none” des Anglais. Notre Farce VI, p. 47-48, a deux allusions à Maître Aliboron, ce qui achève de la situer dans la période de 1488 à 1490 où ce personnage fut particulièrement en vogue.

Si notre Recueil, à la différence du Trepperel, ignore l’Escumeur de latin et le Coppicur ou Blasonneur, par contre Maistre Mymin, pédant à la fois et bravache, figure dans IV (p. 39 ss). Il est parfaitement connu par la Farce de Maistre Mymin étudiant (1480-1490) qu’a excellemment rééditée Emmanuel Philipot.53 Maistre Gonin, deuxième pédant, figure encore dans le deuxième dialogue du Cymbalum Mundi de Bonaventure Des Périers.

Maistre Regnault est un autre Magister de XVI, et l’on peut voir dans cette multiplication du Pedante, comme dit Montaigne, une preuve de la part prise par les étudiants, en tant qu’acteurs, auteurs et spectateurs, dans le développement de la farce.

Dans la faveur du public, le fanfaron, hérité du Miles Gloriosus de l’Antiquité et que connaît déjà notre Comédie Latine du XIIème siècle, le dispute au pédant.

IV évoque Thevot, sorte de bravache dont il est question dans le Répertoire, p. 35; Colin, fils de Thevot le Maire, qui vient de Naples et amène un Turc prisonnier. A la fin, Colin annonce qu’il veut se marier (p. 40).

A la fille Gaultier Garguille

ancêtre du célèbre farceur du XVIIème siècle.

XXV (p. 199) fait une autre allusion à thevot:

Vecy par le sang Antecrist

Encore plus meschant esprit

Que jamais si ne fut Thevot.

Alison est bien connu comme emploi incarné aussi par un acteur favori en travesti dans la première moitié du XVIIème siècle. Il joue son rôle ici dans XVI (p. 113 et suivantes). A la même famille ressortissent encore, dans IV, le Capitaine de sot Vouloir ou encore les Francs
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Archiers, apparentés à celui de Bagnolet et de Cherré dont les monologues sont bien connus et ont été évoqués plus haut.

Ainsi le buveur, le cocu, le benêt qui souvent est tout un, le pédant, le bravache constituent les principaux emplois, mais il faut insister sur les types qui anticipent ceux du XVIIème siècle, les annoncent et probablement les engendrent en une succession de générations à travers le XVIème siècle.

Tandis que Maistre Aliborum, le Franc Archer, Roger Bontemps, jusqu’à un certain point Dando Mareschal (encore que je le retrouve en Georges Dandin), l’Escumeur de Latin, Pathelin, renouvelé dans Panurge, Grandgousier, Jehan, Jehan, Maistre Mymin ne dépasseront guère le XVIème siècle, Turlupin, Gaultier Garguille, Alison, franchiront la limite séculaire pour servir de masque comique à de grands farceurs de la première moitié du XVIIème siècle, prédécesseurs et inspirateurs de Molière.54

Il paraît probable, et déjà cette idée a été formulée par Eugénie Droz55 que, transportée dans les bagages de l’armée d’Italie au delà des Monts, la farce française, avec ses types caractéristiques à transformation de costumes et de métiers, a pu influencer la farce Italienne et son Herlequin-Arlequin.

VI. Conclusion

Il y aurait bien d’autres constatations à tirer de cet important recueil, mais la stricte économie qu’impose en temps de guerre la générosité américaine elle-même, me force à formuler ici un simple programme.

Beaucoup de nos farces sont émaillées de chansons, qui en faisaient des vaux-de-ville ou encore des opérettes, sans que malheureusement la notation musicle nous en soit transmise avec le texte. Il y avait certainement une clef du Caveau, comme on a dit à la fin du XVIIIème siècle, qui est perdue. Preuve cet incipit de la Farce du Goguelu: “Ils chantent tous ensemble en chantant la chanson qui s’ensuit sur le chant” de: “Bon temps reviendras-tu, etc.” La plupart sont très gaies et rappellent par leur texte les plus spirituelles de nos chansons de café-concert:

VII (p. 53)

REGNAULT, chantant

Et qui qu’en soit le père

Tu seras le papa.

Tu t’en repentiras, Regnault.

Elles pratiquent la répétition qui les rend si plaisantes, même si les mots n’ont point de sens.

VI (p. 44)

MACÉ chante

Baille luy, baille, baille luy belle,

Baille luy, baille, baille luy beau.

MICHAULT chante

Tarabin, tarabas, tarabinette

Tarabin, tarabas, tarabineau.

Ce Tarabin Tarabas est connu de Rabelais qui le cite dans le chapitre XII de Pantagruel. Et puisque j’évoque Rabelais, citons la chanson de Grant Gosier, XV, p. 108

GRANT GOSIER en chantant

Comment le buvrays-je

Ce vin qui est si bon, don, don?


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Il faut en rapprocher XXII, p. 171

BIETRIX commence en chantant:

La tricoton, coton, la tricotée,

La belle et jolie tricotée

FRIQUETTEet p. 173:

Je n’y entens ne fa ne my.

Beaucoup de chansons, comme il convient, concernent la femme.

VII p. 52

REGNAULT chantant

Si tu prens vieille femme

p. 51Elle te rechinera.

Regnault si tu prens femme

Garde que tu feras.

ou p. 52 car la farce VII est la plus farcie, si l’on peut dire, de chansons:

Les aultres en chantant

Si tu prens jeune femme,

Cocu tu en seras,

Tu t’en repentiras . . . .

Le couplet sentimental, comme on l’attend au siècle de la délicieuse Passerose, ne manque pas non plus:

IX, p. 76:

LES DEUX GALLANTS en chantant:

et, p. 57:Dieu doint très bon soir à m’amye

MARTIN, premier amoureux, commence en chantant

J’ayme mieux mourir bref que languir . . .

On trouvera les autres par ma table des Incipit de chansons destinée à ce Corpus des chansons du XVème siècle que nous promet la Vicomtesse de Chambure.

Malgré l’indigence des rubriques, nos pièces fourniraient une contribution importante à cette Histoire de la Mise en scène du théâtre comique au Moyen-Age, qui n’est pas encore faite et que donnera j’espère un jour, en parallèle à mon Histoire de la Mise en scène, mon disciple Pierre Sadron.

Par exemple en VIII (p. 63) l’usage des masques (visaigières ou testières) bien plus répandu qu’on ne le croit, (témoin la miniature du Fauvel, reproduite dans mon Théâtre profane pll. XVIII et XIX), mais qui n’a peut-être pas atteint la généralisation qu’ils ont connue en Italie. Ces masques sont nécessaires à trois travestis: Martin, en prêtre, Gaultier, en mort, Guillaume, en diable et l’un d’eux dit (p. 64): Je osteray du chef ma testière. En XII, Cautelleux est déguisé en Martinâne. Le prince dans I commence estant habillé en longue robe et dessoubs est habillé en sot. (p. 3) La Farce IV (p. 28) nous fournit le costume du badin (sot, pédant): Maistre Mymin, habillé en badin d’une longue jacquette et en béguine, ayant une grande escriptoire. (p. 421). Une rubrique en latin, singulière survivance du théâtre religieux dont le exit (sortie) des Américains apporte la trace jusque dans la vie quotidienne, rappelle le discursum faciant per plateam des diables dans le Jeu d’Adam (XIIe siècle):

III (p. 1239) “Tunc faciat unum (discursum) per plateam et post dicat ante tripperiam.” Pour la première fois je me demande si notre plateau (scène) ne serait pas lui aussi une survivance de platea.

Le décor de XXXI (p. 244) est plus élaboré que ne le comporte la tradition banale du Théâtre comique: “Voilà qu’alors il aperçoit une belle tour qui illec doit estre, qui s’appelle la tour de mariage et la regardant (le Gallant) dit ainsi.” La suite (p. 247) montre cette tour pourvue d’un huis (porte) s’ouvrant et fermant à clef.


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La mise en scène de XXI (p. 166) comporte des maisons, l’échoppe du savetier et du patinier:

LE PATINIER

Je m’en vois musser çà derrière,

Il est jà à l’huis de devant,

et à la fin d’un autre Jeu (XXII, p. 170), atteste que la salle est pourvue de gradins,

Adieu toute la compaignie

Trestous de degré en degré.

J’ai déjà parlé du costume, mais je dois encore mentionner le bonnet du sot à oreilles de veaux. Sont-elles identiques aux coquilles de la cape des sots telle qu’on l’aperçoit sur beaucoup de marques d’imprimeurs? Il s’agit de la rubrique de VI, p. 43: nota: que les deux hommes (macé et michault) doivent avoir soubz leurs chapeaux, chacun ung bonnet à oreilles de veau. michault en ostant son chapeau de la teste dit en soy mirant, etc. . . .

Il convient d’insister parce que, dans la seconde moitié du XVIème siècle encore, la Tresorière et les Esbahis, comédie de Jacques Grevin56 furent représentés à Paris, “après la satire qu’on appelle communément les Veaux,” dont la nôtre serait le plus ancien exemple, le Manuscrit La Vallière connaissant La Farce des Veaux jouée devant le Roy en son entrée à Rome,57 qui doit être du début du XVIème siècle. Pour la première fois on apporte ici des précisions sur le genre.

Ce n’est là qu’un exemple de plus des innombrables enseignements et renseignements qu’on peut tirer de notre inépuisable recueil qui fournira, je le gage, matière à bien des thèses et des études de détail.

Je ne nourris pas la sotte illusion de croire que cette Introduction épuise les données apportées par ce riche recueil de farces inédites. Il faudrait parler de la langue qui est celle de la seconde moitié du XVème siécle, et non de la date de publication, où le si conditionnel coexiste avec le si de coordination, où subsistent des expressions archaïques comme “Faictes que sage,” “envys” (à contre-coeur), “adans” et où se rencontrent bien des expressions du langage jobelin (argot) ou simplement familier que, seule, une étude linguistique comparative de tout le théâtre comique, restant à faire, pourra éclairer.

La versification aussi mériterait une étude, même dans ses incorrections, l’octosyllabe de base se privant d’une syllabe voire de deux ou bien en ajoutant une ou deux, ce qui, à l’audition, ne s’aperçoit pas. Les formes plus élaborées du rondel ou de la ballade (cf. III) s’y montrent, comme dans les mystères auxquels est emprunté aussi le vers léger de cinq syllabes (Cf. II, p. 9, XXVI, p. 203, etc. . . .)

La satire politique, religieuse, scolaire et sociale, dûment scrutée, apporterait une valable contribution à la connaissance des moeurs du temps, mais surtout les sources et la nature du comique mériteraient une étude. Qu’elle est plaisante, par exemple, en II, la confession du mari à la voisine déguisée en prêtre et qui répète bêtement les phrases de celle-ci!

Ce comique il est souvent brutal en ce qu’il recourt à la bastonnade que ne dédaigneront ni les Italiens ni Molière, et grossier, parce que l’obscénité et la scatologie en sont la base, mais il ne faut point négliger ces frustes manifestations de l’esprit gaulois, car elles sont le terreau et parfois le fumier sur lequel fleuriront et d’où naîtront ces géants du rire, dont la France a fait à l’humanité le don royal et unique: Rabelais et Molière.

Endnotes

 [1] Mystères et Moralités du Manuscrit 617 de Chantilly (Paris, Champion, 1920) in-quarto.

 [2] Paris, Droz, 1935, in-octavo, pp. LVII-LVIII.

 [3] J’ai retrouvé un film de tous les titres et marques d’imprimeur mais j’ai perdu la trace de l’amateur qui a bien voulu me confier le recueil et celle de son détenteur actuel.

 [4] Cf. Droz, page LXIX, note 3.

 [5] Ces chiffres sont introduits par moi. Les pages sont celles de la présente édition.

 [6] Farce, mais aussi Moralité.

 [7] Page 29, allusion au père de Maistre Mymin, Raoullet, qui figure aussi, de même que sa mère Lubine, dans Maistre Mymin estudiant. Cf. Petit de Julleville, Répertoire du Théâtre comique (Paris, Cerf, 1886), in-quarto, désormais désigné par Répertoire, pages 156-7. Cette plaisante farce a été rééditée par Emmanuel Philipot dans Trois Farces du Recueil de Londres, Rennes, Phhon, 1931, in-octavo.

 [8] Cf. aussi Droz, page 213.

 [9] Cf. barat, ap. Droz 118, 124.

 [10] Cf. Gargantua, ch. III, p. 37, éd. Abel Lefranc, n. 2.

 [11] On a joué à Saint-Omer une farce du Pasté. Cf. Justin de Pas, Mystères et Jeux Scéniques à Saint-Omer au XVème siècle, p. 28.

 [12] Sur la porte Bodès, voir plus loin: localisation.

 [13] Cf. Droz, page 253. Le quibus, l’aubert et le caire sont mots d’argot qui signifient l’argent, comme aujourd’hui le pèze et le fric.

 [14] Cf. Droz p. 215: Doreslot, Dorenlot est très commun chez les écrivains de la 2ème moitié du XVème siècle. (Rabelais, Tiers Livre, ch. XIV). Panurge s’imaginant marié dit que sa femme l’entretient “comme un petit Dorelot.” On le rencontre déjà dans des chansons du XIIIème siècle.

 [15] Cf. mon introduction à la transposition publiée à Paris chez Delagrave, 1935, in-12.

 [16] E. Droz signale, p. LIV, Farce d’un savetier à trois personnages s.d. Lyon, de 1532 à 1536. Cf. Répertoire, p. 232.

 [17] Cf. G. Cohen: “La scène de l’Aveugle et son valet,Romania, 1912.

 [18] Bon Temps se trouve dans un Jeu de Johan d’Estrées joué “la Nuict des Roys,” 1472, à Amiens. Cf. Rép. p. 251, et dans la satire que Roger de Collerye écrivit en 1530 pour les habitants d’Auxerre (Recueil, II, p. 347).

 [19] Cf. “Résurrection de Jenin Landore,” Ancien Théâtre Français, II, p. 21-34; Rép. p. 226.

 [20] Cf. Rép. p. 118. Les chambrières très différentes.

 [21] XXXIII “Je luy feray manger de l’oue” (de l’oie) peut se rapporter à Pathelin mais le proverbe peut être antérieur à cette comédie. Autre allusion probable, II (p. 28): “L’habit t’est fait comme de cire.”

 [22] Cf Pierre Champion, François Villon, Paris, Champion, t. II, p. 339.

 [23] J’avais fait de cette pièce une adaptation que mon metteur en scène Etienne Frois — trois fois prisonnier, trois fois évadé en cette guerre de 1940, puis limogé — a jouée au Théâtre de la Cité Universitaire au printemps 1938 avec un énorme succès.

 [24] J’ignore le sens de cette expression.

 [25] Cf. Delaruelle, L’étude du grec à Paris de 1514 à 1530 dans la Revue du XVIème Siècle, 1922.

 [26] Influence lointaine possible de la Farce d’Eustache Deschamps (2ème partie du XIVe Siècle) Trubert et Antrognart, cf. G. Cohen: Le Théâtre profane, Paris, Rieder, 1931, in 8°, p. 50.

 [27] Cf. Le Choix de Farces de Mabille T. II, p. 31.

 [28] Etudiées notamment dans Dieudonné, Les monnaies françaises (Paris 1923) et dans H. Hauser, Recherches et documents sur l’Histoire des prix en France de 1500-1800 (Paris, 1936).

 [29] Cf. Howard Graham Harvey, The Theater of the Basoche (Cambridge, Harvard University Press, 1941 in 8).

 [30] Je ne m’astreins pas à suivre l’ordre des pièces qui n’est qu’une fantaisie du relieur.

 [31] Cf. Franklin, Les Anciennes Bibliothèques de Paris. Paris, 1867-1873, in-folio.

 [*] le vin

 [32] Il y a encore une rue Mauconseil, entre la rue Saint-Denis et la rue Montorgueil, mais la pierre reste à identifier.

 [33] Chacun sait que la Grève est celle de la Seine à la place du Châtelet, et qu’on y trouvait les chômeurs, d’où le mot moderne, qui joue un si grand rôle dans notre vie sociale.

 [34] Emile Colombey (pseudonyme d’Emile Laurent), Ruelles, salons, et cabarets (Paris, 1858), pp. 85-86.

 [35] Cf. P. Champion, Fr. Villon, I, p. 266.

 [36] Je rappelle que Malherbe voulait prendre ses modèles de langage chez les crocheteurs du Port au Foin.

 [37] La partie surélevée de la scène représentant le Paradis.

 [38] Piganiol de la Force, Description historique de la ville de Paris et de ses environs, nouvelle édition (Paris, 1765), t. IX, p. 306.

 [39] Charonne est cité dès le Xème siècle, et dépendait de Saint-Magloire. Cf. Rochegude et Dumolin, Guide pratique à travers le vieux Paris, Paris, Champion, nouv. éd. 1923, p. 325 et s.

 [40] Cf. P. Champion, Villon, t, I, p. 46.

 [41] Bibl. Nat., fr. 22392: cité par Pierre Champion: François Villon I, p. 125, n. 5.

 [42] L’italique est de mon fait.

 [43] La Montagne-Sainte-Geneviève.

 [44] Connu par l’enseignement qu’y donne Saint-Thomas au XIIIème siècle. Il est piquant de remarquer que de notre temps, il est plus fameux — de même que les Cordeliers — pour avoir abrité des clubs révolutionnaires.

 [45] Marquis de Rochegude et Dumolin, op. cit., pp. 410 et 53.

 [46] Ibid., p. 422.

 [47] Dans le Dictionnaire étymologique de A. Dauzat (Larousse), on a donc tort de faire remonter le plus ancien exemple à Guez de Balzac (XVIIème).

 [48] L’insistance des Vigiles à souligner son interprétation du rôle (p. 233) le ferait croire. J’en arrive même à me demander s’il n’en serait pas l’auteur?

 [49] Cf. Recueil Trepperel, p. 229, v. 139:

Il buvait quarte toute pleine.

Il est mort en buvant dans la cave. Cette tradition d’un pays de vigneron sera reprise par Ronsard dans l’Epitaphe de Rabelais et se prolonge dans la Chanson des Compagnons de la Table Ronde que chantent encore nos étudiants et leurs camarades canadiens français.

 [50] La note de la grande édition Lefranc du Gargantua, ch. III du t. I, p. 37, n. 8, ignore naturellement notre prototype du personnage rabelaisien.

 [51] Maistre Aliboron, étude étymologique, 1919, in-4°.

 [52] Pp. 185-215 du Recueil Trepperel.

 [53] Dans Tro’s Farces du Recued de Londres, Rennes, Plihon, 1931, in-8°.

 [54] Mon élève Louis Laurent, président des fameux Théophiliens qui, depuis 1933, restituèrent en Sorbonne aussi bien le Théâtre profane que le Théâtre religieux, avait présenté un beau Mémoire de diplôme en 1939 qui serait devenu une Thèse sur Caractères, Types et Emplois dans le Théâtre Comique du XVème siècle. Hélas! il s’est fait bravement tuer, aspirant de vingt ans, à la défense des Ponts de la Loire en juin 1940. Je lui ai dédié en hommage mes Lettres aux Américains, l’Arbre, Montréal, 1942, 2e éd., 1943.

 [55] Recueil Trepperel: Introduction, p. LXIX: “Les personnages mis en scène, les procédés employés, le jeu à l’impromptu des Itahens sont si pareils à ceux de nos sottics qu’il semble invraisemblable et impossible qu’elles n’aient eu quelque influence sur les artistes de la Péninsule.”

 [56] Cf. Oeuvres éd. Pinvert.

 [57] Cf. Répertoire, pp. 252-254.


 [[ Print Edition Page No. 1 ]] 

RECUEIL DE FARCES FRANÇAISES INÉDITES DU XVe SIÈCLE


 [[ Print Edition Page No. 2 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 3 ]] 

I
1 ro]
FARCE NOUVELLE
FORT JOYEUSE A TROIS PERSONNAGES
*

(vignette)

1 vo]Le Prince commence, estant habillé en
longue robe et desoubs est habillé en sot.

Sotz estourdiz, sotz assotez,

Que faictes ce que vous voulez,

Eslevez vos oreilles!

A venir point ne demourez,

5Et icy, acourant, (a)courez:

Vecy l’an des merveilles.

Sotz ont le temps, quoy qu’il en soit,

Il est sot qui ne l’aperçoit

Quant folie se demaine;

10Roger le scet, Bon Temps le voit,

Ainsi soit, à tort ou à droit,

Il passe la sepmaine.

Chacun de vous si est sçavant,

Et se doit mectre à passer avant,[+1]

15Et passer en folie.

C’est celle qui doresnavant

Fait tourner le moulin à vent,

Car tousjours le fol lye:

Fol qui follie, il est follet.

20Ung saige ne scet que fol est,

Le premier ne l’espreuve.

Ung fol a toujours fol souhaict

Et vient à tout le monde à het,

Quelque part qu’il se treuve.

25S’il fait mal par trop folloyer,

Et puis on le veult affoler

Ou payer une amende,

Fol ne demande qu’à galler.

C’est un fol; laisse-le aller,

30Il ne sçait qui demande.

LE [PREMIER] SOT

Qu’esse que je voy là venir?

LE [SECOND] SOT

Haro!

LE PREMIER

Qu’esse?

LE SECOND

Il me fait fremier;

Je ne sçay, moy, que ce peult estre.

LE PREMIER

Est-il point escolier ou prestre,

35Pour ce qu’il a ceste grant robe?

LE SECOND

Il vient.[[36var,   36en]]

LE PREMIER

Il ne hobe.

LE SECOND

Il vient.

LE PREMIER

Il reculle.

LE SECOND

Il ne hobe.

Je ne me congnois à son fait.


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LE PREMIER2 ro]

Qu’il est maigre!

LE SECOND

Qu’il est deffait!

LE PREMIER

40Quel Socrates!

LE SECOND

Quel valeton!

LE PREMIER

Quel Pithagoras!

LE SECOND

Quel Platon!

LE PREMIER

Quel mignon!

LE SECOND

Qu’il est molu![-1]

Mais regardez ce fol testu,

Comme il regarde çà et là!

LE PREMIER

45Regardez moy quel sot velu!

LE PRINCE

Sotin, approche sans demourance.[+1]

LE PREMIER

Quel museau!

LE SECOND

Quel mine!

LE PREMIER

Quel trongne!

LE PRINCE

Hon, hon, quoy? Que diable esse cy?

Estoit ce tout et d’où vient cecy?[+1]

50Quand mes sotz trouve, qu’esse à dire,

Qu’ilz se gardent si bien de rire?

Jamais cestuy tort ne fut veu;

Sont-ils saiges depuis ung peu?

Quel diablerie, quel sinagogues!

55Si ne sont-ilz point en leurs jogues?

Avant, sotin, que faictes vous?

On leur a fait quelque courroux.

Sotibus!

LE PREMIER

Qu’esse qu’il dit?

LE SECOND

Je n’y entens note.[+1]

LE PREMIER

Esse point maistre Mousche?

LE SECOND

Non.

LE PREMIER

60De par monsieur sainct Simon,[-1]

Si esse quelque teste sotte.

LE PRINCE

Sotin, sotin.

LE SECOND

Il chante à note.

LE PREMIER

2 vo]C’est quelque prince capital.

LE [SECOND] SOT

De maistre Antitus qui se botte

65Pour remonstrer le cardinal.

LE PRINCE

Hau! mes suppostz!

LE [SECOND]

Propos final,

Le sang bieu, c’est maistre couart!

LE PREMIER SOT

Hau, notre prince original!

Honneur!

LE SECOND

Gloire!

LE PREMIER

Magnificence!

LE SECOND

70De nouveau.

LE PRINCE

Garre le penal.

LE PREMIER

Dont nous vient ceste ordonnance?[-1]

LE SECOND

D’où venez-vous?

LE PRINCE

De veoir la dance,

L’estat et le train de la court.

LE PREMIER

Qu’avez veu?

LE PRINCE

Le vieille ballance


 [[ Print Edition Page No. 5 ]] 

75Où l’on pesoit les gens de court.

LE PREMIER

Qui bruit là?

LE PRINCE

Le Temps qui court,

Tout nouveau, tout nouvelles gens.

Ung chacun est dessus le bort,

Et si ne peut entrer dedans.

80Mais à vous demande present,

De quoy estes vous esbahis?

LE PREMIER

Esbahis?

LE PRINCE

Voire!

LE [PREMIER]

A mon advis

Je vous le diray maintenant:

Quant regarde presentement

85La contenance et la manière

Que tenez voz parolles chière,

Que ne soyez plus nostre maistre.

LE PRINCE

Par celuy Dieu qui me fist naistre

Je ne sçay pas que voullez dire.

LE [PREMIER] SOT

3 ro]J’ay veu que vous souliez rire

Et folloyer en folloyant.

LE PRINCE

Est-il vray?

LE PREMIER SOT

Et maintenant[-1]

Vous portez une longue robe.

Pour Dieu, que d’ilec on la hobe,

95Car je vous ay jà descongneu.

LE SECOND

Ma foy, c’est qui m’a tant tenu

De parler à votre personne,

Mais premier que plus loing m’eslongne,

Si Nostre Dame vous doint joye,

100Despoullez-vous tost, que je voye

Si vous estes sotz soubz la robe.

Icy doivent despouller le Prince.

Vecy une chose enorme:[-1]

Je voy aussi, je congnois

Qu’on ne congnoist gens au maintien,

105Que à l’abit, soit long ou court.

LE PRINCE

C’est la coutume de la Court.

Mais qu’ung homme soit bien vestu,

Ung chacun si sera esmeu

De le vouloir entretenir.

LE SECOND (SOT)

110Dictes-moy, Prince, sans mentir,

Pourquoy n’y estes-vous encor?

LE PRINCE

Et je vous jure, par Sainct Mor,

Que j’ayme mieulx cy folloyer

Que d’estre plus en ce dangier.

LE PREMIER

115Vous voulez-vous dont reposer?

LE PRINCE

Plus ne vous en vueil exposer

Car vous avez trop sotes testes.

LE PREMIER

Or ça, recommancerons nos festes,[+1]

Puis que vous estes revenu;

120Je vous cuydoys avoir perdu,

Et que jamais je ne vous tinsse.

LE PRINCE

Faictes honneur à votre Prince

Et me dictes cy en present,

Sans rien laisser aucunement

125Comment vous avez folloyé?

LE SECOND

Une fois, tant je m’enyvray

De la servoyse de Rouen

Que j’en avoye si grant ahan,

J’en beu une quarte d’ung traict,

130Aussi bien que fist Triboullet.

N’estoit-ce pas bien folloyé?

LE PREMIER3 vo]

               A III.

C’est ung estront de chien chié

En vostre sanglante de gorge.

LE PRINCE

Holà, hau! que nul ne se hobe!

135Dy-moy, que mengeust-tu entre deux?

[+1]
LE SECOND

Je mengeays deux ou trois moyeux

D’auls et d’ongnons, sans pain ne sel.


 [[ Print Edition Page No. 6 ]] 
LE PRINCE

Tu es un bon fol naturel;

Et que n’achetoye-tu du pain?

LE SECOND

140Sur le clochier de Sainct-Germain,

Je laissay toute ma pecune.

LE PRINCE

Or, sus, c’est assez parler d’une,

Que ferons-nous?

LE PREMIER

Tousjours grant chère.

LE SECOND

Je le veulx bien.

LE PRINCE

C’est la manière;

145Aucuneffois, je vous amyelle

Ma raye du cul si doulcement;

Grant n’est mousche jeune ne vieille

Que je ne happe incontinant.

LE PREMIER

Je veulx prescher tout maintenant

150Donnez-moi votre beneisson.

LE PRINCE

Qui esse là?

LE SECOND

C’est ung sot.

LE PREMIER

C’est mon.[+1]

LE PRINCE

Que veult-il?

LE SECOND

Vostre beneisson.

LE PREMIER

Jube domine benedicere.[[153]]

LE SECOND

Amen!

Que Dieu te mecte en mal an![-1]

LE PREMIER

155Je suis prest d’evangeliser.

Ne vous sçavez-vous adviser

De parer autrement la chaire

Afin de me garder de braire?

Que Dieu en mal an si vous mecte,

160Et trestous ceulx qui font la beste,

Et qui meshuy en preschera,

Et puis se course qui vouldra,

Si ce fust Jacobin ou Carme!

4 ro]Je prens sur Dieu et sur mon âme,

165Qu’il fut tendu des huy matin,

Par Dieu, il coustera ung tatin,[+1]

A qui que soit, j’en ay juré.

Riez-vous, Monsieur le curé?

Gardez bien que ne vous empongne,

170J’avoye la meilleure besongne,

Et qui venoit tout à propos

Je l’eusse exposé en deux motz,

Et puis une petite fin.

LE [SECOND] SOT

Par ma foy, tu es bien Jenyn,

175De vouloir prescher devant moy.

Et tais-toy, tays, sotin, tais-toy,

Je veulx chanter à contrepoint!

LE PRINCE

Vrayment cela ne me duit point,

Car j’ay trop grant mal en la teste.

LE [SECOND] SOT

180N’est il pas aujourduy la feste

Que nous devons tous folloyer?

LE PREMIER

Hau! Prince, je vous vueil compter

Ce que j’ay veu depuis deux jours.

LE PRIN[CE]

Et je te supply par amours,

185Dy quelque chose de nouveau!

LE PREMIER

J’ay aujourduy veu ung thoreau

Plus petit que une souris.

LE SECOND

C’est trop menty et je m’en ris,

As-tu tant songé à le dire?

190Prince, je m’en vois d’une tire

Veoir si j(e) aprendray quelque chose.

LE PRIN[CE]

Par Dieu, d’icy bouger je n’ose.

LE [PREMIER]

Dictes pourquoy!

LE PRINCE

Je me repose.


 [[ Print Edition Page No. 7 ]] 
LE [SECOND]

Allons-nous en la taverne.[-1]

LE PRIN[CE]

195Nous fault-il point une lanterne?

LE [SECOND]

Nenny, non; c’est à saiges gens.

LE PRIN[CE]

Allon!

LE [PREMIER]

Bonjour!

LE [SECOND]

Devant.

LE [PREMIER]

Je le attens.[+1]

LE [SECOND] SOT

Prenez en gré, je vous en prie!

LE [PREMIER]

199A Dieu toute la compaignie!

FINIS

[4 verso blanc]

NOTES

 [I.] En réalité sottie, mais une sottie peut être une farce aussi bien qu’une moralité. Elle n’est en vérité caractérisée comme telle que par le costume particulier de ses acteurs, robe mi-partie, bonnet à coquille marotte, grelots, etc.

 [5] ROGER et BON TEMPS ne sont qu’un et même personnage connu par la Satyre de Roger de Collerye (vers 1530) mais qui figure déjà dans un jeu joué à Amiens en 1472 dû à Jean Destrées (cf. Répertoire, pp. 251-252).

 [14] [+1] Il serait facile de corriger ce vers. J’y renonce comme je ferai pour les autres, préférant laisser à ce texte ses imperfections métriques qui appartiennent au genre.

 [18] Ces annominations, enseignées par l’Ecole, figurent déjà chez Rutebeuf.

 [36] Vers de 5 syllabes.

 [64] J’ignore qui est Maistre Antitus; peut-être un personnage de farce comme Maistre Aliborum ou Maistre Mimin. Le Cardinal peut viser le Collège du Cardinal Lemoyne.

 [70] penal = pénalité?

 [76] Le Temps qui court, personnage comique, par exemple dans la sottie III du Recueil Trepperel.

 [130] Sur ce personnage, auteur, acteur et type, voir mon Introduction.

 [153] Amen rime en an.

Endnotes

 [†] Note sur la transcription: J’ai distingué u et v, i et j, ajouté les apostrophes, la ponctuation, et les accents sur les syllables accentuées. Les mentions [-1] ou [+1] se rapportent aux pieds manquant ou en excédent. Parfois j’ai remplacé des initiales minuscules par des majuscules. Toute lettre, syllabe, ou rubrique entre crochets a été ajoutées par moi. Toute lettre, syllabe ou mot entre parenthèses doit être considéré comme retranché. Dans les notes du bas des pages O représente l’original. La numérotation des pièces et celle des vers est aussi de mon fait. G. C.

 [36,] O: vers incomplet.

 [†] Réclame au bas de la page.


 [[ Print Edition Page No. 8 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 9 ]] 

II
5 ro] FARCE NOUVELLE
DE CELUY QUI SE CONFESSE A SA VOISINE QUI EST HABILLÉE EN HABIT DE PRESTRE QUI EST LE RIBAULT MARIÉ, OU MAUGRÉ JALOUSIE
A TROYS PERSONNAGES
*

LE MARY, en chantant

Maulgré jalousie,

Je vous serviray,

Ma Dame et m’amye,

Tant que je vivray.

LA FEMME

5Par Dieu, je vous feray

Doncques sembler sot et lourt.

LE MARY

Sang bieu, que tu me respons court.

Tu me viens tousjours contredire,

Au moins s’y m’eusse laissé tout dire.

LA FEMME

10Sainct Jehan, je vous feray mauldire

La chanson, et qu’onques la chantastes,

Ains qu’il soit nuyt.

LE MARY

Se tu me hastes

Par Dieu, je recommanceray.

LA FEMME

Bien par Dieu, je vous rendray

15Trestout au long la courtoisie,

Si je puis.

LE MARY [chantant]

Maulgré jalousie,

Je vous serviray,

Ma dame et m’amye,

Tant que je vivray.

LA FEMME

20Puis qu’avez amye,

Ung amy auray.

LE MARY

Par le sang bieu, je vous batray.

Venez-vous cy pour m’argüer?

LA FEMME

A la mort, me veulx-tu tuer?

25Paillard, truant, meurtrier de femme,

Par Dieu, je te feray infame.

Voy-tu, tu n’y gaigneras rien.

A Dea, je me doubtoye bien

Que tu avoys fait une amye,

30Mais croy [ . . . ]

LE MARY

Tu as menty par ma vie,

Se je chante en moy esbatant,

Doy-tu penser en mal pourtant?

Entre-tu en tel frenaisie?

Et n’oseray pour jalousie

35Chanter, par Dieu je chanteray,

Et danseray et m’esbatray,

Et hongne qui hongner vouldra!

LA FEMME

Par Dieu, la chanson vous cuyra.

LE MARY5 vo]

Et elle fera ung estron.

40Il n’est pas gentil compaignon

Qui souvent ne se desduira.

LA FEMME

Par Dieu, la chanson vous cuyra.

LE MARY

Pour ton parler ne caqueter,

Je ne lairray jà à chanter,

45Quant mon cueur se resjouira.


 [[ Print Edition Page No. 10 ]] 
LA FEMME

Par Dieu, la chan [son vous cuyra].

LE MARY

Tais-toy, tu ne scez que tu dis,

Pour une, j’en chanteray dix,

Puis verray qui m’en gardera.

LA FEMME

50Par Dieu, la chanson vous cuyra.

LE MARY

Se tu me vas gueres argüant,

Et je me vois ung peu fumant,

L’ung de nous s’en repentira.

LA FEMME

Par Dieu, la chanson vous cuyra,

55Je le dis encore une fois.

LE MARY

Par sainct Jehan, vous serez de boys

Chargée asprement et boullée.

LA FEMME

Nostre Dame, il m’a affollée.

LE MARY

Vostre cry a tres meschant son.

LA FEMME

60Dieu mette en mal an la chanson,

Et qu’onques j’en ouy le chant.

LE MARY

Je vois parler à ung marchant,

Garde bien l’hostel hault et bas.

LA FEMME

Que mau feu vous arde les bras,

65Et les mains tant les avez dures.

LE MARY

Qu’esse là que tu murmures

Et que vas ainsi flag[e]ollant?

Ne me va gueres grumellant

Que tu ne soyes dorelotée

70Au retour.
                  [Il sort]

LA FEMME

J’ay tres bien notée

La chanson et bien retenue.

Combien qu’aye esté batue?

Par Dieu, j’en feray tous les tours.

Il a fait dame par amours;

75Jamais ne le croire autrement.

Je m’en iray tout maintenant.

Pour moy, conseiller bonne alleure

Cheuz une bonne creature,

La mienne commère Colette.
                     [Elle entre chez la Voysine]

80Dieu vous gart! Estes-vous seulete

Ma commère, que faictes-vous?

LA VOYSINE

Je filloye. Que voulez-vous?

Or sa, qui a-il de nouveau?

LA FEMME

6 ro]Par ma foy, nostre damoiseau,

85Mon beau mary, est amoureulx.

LA VOYSINE

Non est.

LA FEMME

Si est, se m’aist Deux!

Je vueil qu’on me crève ung oeil,

S’il n’est vray.

LA VOYSINE

Comment le sçavez-vous?

LA FEMME

S’il vous plaist,

90La manière vous veulx compter:

Aujourd’huy ne fist que chanter

Ceste chanson, Dieu la mauldie,

Que la dicte: “Malgré jalousie,

Je vous serviray.”

LA VOYSINE

Dictes, ma mye,

95Escoutez que je vous diray.

Pourtant, s’il est joyeulx et gay,

Et qu’il chante tost ou tard,

Cuidez-vous qu’il ayme autre part,

Espoir c’est par amour de vous.

LA FEMME

100C’est bien soufflé; où sommes-nous?

Cuydez-vous que je n’y voye goutte?

Par ma foy, je n’en fais pas doubte,

S’il m’eust aymée, ne tant ne quant,

Il ne m’eust pas batue tant,

105Mais m’eust montré signe d’amour.


 [[ Print Edition Page No. 11 ]] 
LA VOYSINE

Vieulx-tu apprendre ung bon tour[-1]

Comme tu sçauras son courage?

LA FEMME

Helas! ouy, car j’en enrage.[-1]

D’autre chose, se je le sceusse

110De tous point appaisée fusse,

Comment le pourra l’on sçavoir?

LA VOYSINE

Très bien. Où est-il?

LA FEMME

Il va voir

Aval ceste ville ou ès champs,

Pour trouver ne sçay quelz marchans,

115A qui il a à besongner.

LA VOYSINE

Il ne fauldra point songer,[-1]

Ne rioter quant il viendra.

LA FEMME

Et quoy doncques?

LA VOYSINE

Il conviendra

Que tu luy donnes à entendre,

120Qu’il est malade et, sans attendre,

Qu’il se confesse pour le mieulx;

Et luy dis qu’il pert à ces yeulx,

Qu’il ne vivra jamais deux heures.

Mais il fauldra que tu pleures[-1]

125Et contreface la marrye.

LA FEMME

6 vo]Et puis quoy?

LA VOYSINE

Par saincte Marie,

Voicy comment le ferons pestre;

Je me desguiseray en prestre,

Car j’ay l’abillement tout prest.

LA FEMME

130Et puis que ferons-nous après?

LA VOYSINE

Je luy diray par motz exprès

Qu’il est forcé qu’i ce confesse

Et pour riens qu’il dye, ne cesse

Jusques à ce qu’il le consente,

135Car pour venir à mon entente,

Tu me viendras icy querir,

Et de mort puissé-je mourir,

Se nous ne savons bien, ma seur,

Trestout ce qu’il a sur le cueur,

140Et s’il a fait amye ou non.

LA FEMME

Ha! que c’est bien dit, mais ou nom

De Dieu, faitz si bien la besongne

Qu’il se confesse à ta trongne[[143]][-1]

A ta manière ou contenance.

LA VOYSINE

145Je yray par si bonne ordonnance

Que tu ne vis oncques mieulx faire.

LA FEMME

Je voys tendre à cest affaire,[-1]

Car il me touche. Apreste-toy!

LA VOYSINE

Si ferai-je.

LA FEMME [Elle rentre chez elle]

Ho! je le voy!

150Il me fauldra mon semblant faindre

Tantost, et souspirer et plaindre

Faignant d’avoir le cueur mary.

Pausa

LE MARY [rentrant]

Holà!

[LA FEMME]

Bien viengnes, mon amy!

LE MARY

Est le disner prest ou apresté?

LA FEMME

155Dieu, benedicite,

Dont venez vous ainsi deffait?

LE MARY

D’où je vien[s]?

LA FEMME

Voire.

LE MARY

Voir s’il ne plaist,

Je le te diray, et ne t’en chaille.[+1]

LA FEMME

A Nostre-Dame, il fault que je aille

160Querir bien tost le medecin.

LE MARY

A quoy faire?


 [[ Print Edition Page No. 12 ]] 
LA FEMME

Car vostre fin

7 ro]S’aprouche; vous estes malade;

Oncques couleur ne fut plus palle

Ne plus morte que vous l’avez.

LE MARY

165Malade?

LA FEMME

Voire; et vous sçavez

Que chacun doit penser de l’âme:

Il serait bon, par Nostre Dame,

De vous confesser ung petit.

LE MARY

Quel confesser? J’ay appetit

170De menger, non pas de cela.

LA FEMME

Menger? Il ne vous tient pas là.

Jamais vous ne mengerez plus.

LE MARY

Ne feray?

LA FEMME

Il en est conclus.

Il pert bien à vostre visaige.

175Las, doulente, et† que feray je?

Vous chantiez yer et estiez

Joyeulx, et si vous esbatiez.

Or est tournée en peu d’heure[-1]

La chanse; las! se je pleure,

180Je n’ay pas tort, povre doulente.

LE MARY

Il n’est douleur que je sente.[-1]

De quoy te vas-tu debatant?

LA FEMME

M’en iray-je querir batant

Nostre curé ou son vicaire?

LE MARY

185Le sang bieu, je n’en ay que faire,

Je suis aussi sain que tu es.

LA FEMME

Et par mon serment, vous sués,

Tant estes mat et deffait.[-1]

LE MARY

Et par mon serment, vous sués,

190Je sue; fay-le-moy acroire.

LA FEMME

Vous avez la face plus noire

Qu’oncques ne fut drap de brunette.

LE MARY

Sces-tu quoy? je vueil que me mecte

La nappe, si me souperay.

LA FEMME

195Ha! Nostre Dame, je mouray

Avecques vous, mon doulx amy:

Plus n’avez vigueur ne demy

Tant est vostre cueur mat et vain.

LE MARY

Et je n’eus oncques plus grant fain!

200Que me vas-tu cy flageollant?

C’est doncques de la mort Rollant

Que je mourroye, car je bevroye

Moult voulentiers et mengeroye

Très bien, mais je n’ai de quoy,[-1]

205Dont me desplaist.

LA FEMME

7 vo]Par ma foy,

Mon très beau mary, vous resvés,

Et pour la cause vous devez

Estre confès et repentans.

LE MARY

Par le sang bieu, il n’est pas temps.

210J’attendray bien jusque en Karesme,

LA FEMME

Et je m’en raporte à vous-mesmes.

Ne sentés-vous pas grant douleur?

LE MARY

Nenny non.

LA FEMME

Hélas! la couleur

De vostre visage le monstre.

215Hélas! se vous passiez oultre,

Sans confesser ne ordonner,

Dieu ne vous vouldroit pardonner

Voz faultes ne voz grans pechez,

Dont vous estes si entachez,

220Et pour ce, se faictes que saige,

Confessez-vous de bon courage,

Tandis qu’avez sens et advis.

LE MARY

Par bieu, je le fais bien envys,

Car je n’ay mal ne maladie


 [[ Print Edition Page No. 13 ]] 

225Du corps que je n’y remedie

Très bien, par boire ou par menger,

Et tu me fais cy enrager

De parler de confession.

LA FEMME

En l’honneur de la Passion

230De Dieu, mettez-vous en estat

De grâce, sans faire debat;

Couchez-vous, vostre lict est prest.

LE MARY

Ha! dea, je vois bien que c’est!

Il fault dire, plaise ou non plaise,

235Que suis malade et à malaise,

Mais je ne sens rien quant à moy.

LA FEMME

Ne tant, ne quant?

LE MARY

Non, par ma foy,

Tous mes membres en chacun lieu,

Sont en bon point.

LA FEMME

Non sont, par bieu,

240On le voist à vostre parolle,

Car vous l’avez jà si très molle

Et foible que c’est grant pitié.

LE MARY

Et je parle mieulx la moitié

Que tu ne fais; vecy merveilles!

LA FEMME

245Faulce mort tu faiz la vieilles,

Maintenant quant me vieulx oster,

Celuy qui me deust conforter

Et qui m’as tousjours fait du bien.

LE MARY

8 ro]Et par sainct Jehan, nous sommes bien.

250Garde que la mort ne te hape†

La première, car je n’ay garde.

LA FEMME

Par mon âme, quant je regarde

Vostre viz ainsi mesh [a]ignez,

Je n’ay ne perdu ne gaingné.

255Ne vous confesserez-vous point?

LE MARY

Et puis que je suis en bon point

Pourquoy donc me confesseray-je?

LA FEMME

Vous estes en bon point? Vecy rage.[+1]

Et cuidez-vous que je le disse?

LE MARY

260A dea, se je sentisse,

[-2]

Aucun mal, je fusse content.

LA FEMME

Il n’est pas saige qui attent

Tant qu’il soit de la mort surprins.

LE MARY

Et vien sa, vien; qui t’a aprins

265Si bien à prescher? C’est dommage

Que tu n’es prescheur de village.

On s’en passeroit au besoing.

LA FEMME

De mon prescher, n’ayez jà soing.

Mettez seulement en memoire

270Ce que vous ay dit.

LE MARY

Encore![-1]

Tu es trop mollement devotte,

Je n’auray meshuy autre notte,

Je le voy bien; mais touteffois,

On dit qu’on doit aucuneffois

275Croire sa femme; si feray je!

Or donc me confesseray je.[-1]

M’amye, va querir le prestre.
[La Femme sort de chez elle et entre chez
      la Voysine.
]

LA FEMME

Au moins, l’ay-je fait pestre;

Tant l’ay-je abusé par parolles:

280A ce coup ira par Charolles;

Il passera ung mauvais pas.

Tost, tost! Voisine, n’es-tu pas

Encore vestue en chappelain?[+1]

LA VOYSINE

Et comment va?

LA FEMME

Pour certain[-1]

285Il le fault aller confesser;

Il luy a tant fallu prescher

Avant qu’i se soit consenty!

Touteffois, quant il a senty,

Que de si près, je le pressoye,

290Il m’a creue.


 [[ Print Edition Page No. 14 ]] 
LA VOYSINE

Metz-toi en voye

Et nous en allons vistement.

Suis-je bien?

LA FEMME

8 vo]Par mon serment,

L’habit t’est fait comme de cire.

Mais comment te deveray-je dire,[+1]

295Ou appeler? Messire Jehan?

LA VOYSINE

Et nenny, de par nostre Dame.

LA FEMME

Comment doncques?

LA VOYSINE

Messire Guillaume,[+1]

Ainsi qu’a nom nostre curé.

LA FEMME

Par ma foy, il m’a procuré

300Mainte douleur, je vous affy.

LA VOYSINE

Qui? le curé? deable!

LA FEMME

Nenny,

Mais nostre vaillant mary.[-1]

Il semble qu’ung charivary

Nous allions faire entre nous deux.

LA VOYSINE

305Doulx Dieu, que je suis ung hydeux

Confesseur, quant je me regarde.

LA FEMME

Vien-t’en, vien-t’en, n’y prens point garde,

Mais sur tout, il ne fault point rire.

LA VOYSINE

Mais vrayment, comment doit-on dire

310Quant on confesse une personne.

LA FEMME

Benedicite.

LA VOYSINE

Holà! ne sonne

Plus mot. Il m’est souvenu,[-1]

Puis que prestre suis devenu,

Auray [je] point de breviere?

LA FEMME

315Nenny, mais muce-toi derière,

Que mon mary ne l’aperçoive.

LA VOYSINE

Affin que mieulx je le deçoive,

Je luy couvreray le visaige.

LA FEMME

Feras?

LA VOYSINE

Ouy, car c’est l’usage[-1]

320Pour estre plus couvertement.

LA FEMME

M’amye, je te prie cherement,

Si le enqueste bien de son fait.

LA VOYSINE

Va devant, va; il sera fait.

Laisse-m’en du tout convenir.
[Elles sortent]

LE MARY [seul chez lui]

325Elle met assez à venir.

Ma femme, que Dieu y ait part,

E[s]t au prestre.

LA FEMME [rentrant seule]

Il est tard,

9 ro]J’ay beaucoup demouré; n’ay mye?

LE MARY

Où est nostre curé, m’amye?

LA FEMME

330Veez-le cy; il vient après moy.

LE MARY

Sainct Jehan, je suis en grant esmoy

Comment je me doy confesser.

LA FEMME

Il vous sçaura bien adresser

Et monstrer ce que deverois dire.[+1]

LE MARY

335Fera?

LA FEMME

Ouy.

LA VOYSINE [entrant]

Dieu soit ceans.[-1]

Que fait ce malade?[-3]


 [[ Print Edition Page No. 15 ]] 
LA FEMME

Petitement, car très malade.

Puis hyer au lict ne repouse.[-1]

LE MARY

De fièvre soit-elle espouse[-1]

340Qui ment, car j’ay très bien dormy.

LA VOYSINE

Or ça, comment va mon amy?

Ayez en Dieu contriction,

Autrement à perdition

Tout droit vostre âme s’en yroit.

LA FEMME

345Et quelqu’un la trouveroit[-1]

Où elle serait bien mucée.

LA VOYSINE

Es saintz cieulx sera exaulcée†[[347]]

Avecques les anges, croyez de voir,[+1]

Se vous faictes vostre devoir

350De confesser tous voz pechez.

LE MARY

Je vous requiers, ne me preschez

Jusques à tant que j’ayes souppez.

LA FEMME

Vous y pourriez estre trompez,

Mon très bel amy, car la mort

355Sy subitement point et mort.

Supposé que on y ait desir

De bien faire, on n’a pas loysir;

Pour ce, vueillez vous abreger.

LE MARY

Et soupperay-je point premier?

360J’en auray meilleure memoire.

LA VOYSINE

Mon amy, pensez en la gloire

De paradis, amy courtoys.

LE MARY

Au moins, si beusse une fois,

J’en eusse meilleur retentive.

LA VOYSINE

365C’est très mal quant on estrive[-1]

Et on refuse à confesser.

LE MARYB I.

à 9 vo]Hélas! et fault-il commencer,

Sans soupper?

LA VOYSINE

Ouy, c’est le point.

LE MARY

Par Dieu, il me vient mal à point

370Et comment esse que je doy dire?[+1]

Dictes-le-moy.

LA VOYSINE

Et dea, sire,

N’y sçavez-vous doncques autre chose?[+1]

LE MARY

Non vrayement, mais je supose

Que vous me devez enseigner.

LA VOYSINE

375Or avant, vueillez vous seigner

Très bien d’ung cousté et d’autre.[-1]

LE MARY

De ceste main?

LA VOYSINE

Non, mais de l’autre,

Oncques homme ne vy si maulduit,[+1]

Pour ce estes mal introduit.

380Dictes après moy, mon amy doulx,

Sire, je me confesse à vous.

LE MARY

Sire, je me confesse à vous.

LA VOYSINE

De tous les pechez que j’ay faitz.

LE MARY

De tous les pechez que j’ay faitz.

LA VOYSINE

385Or les nommez.

LE MARY

Or les nommez.

LA VOYSINE

Mais vous mesmes.

LE MARY

Mais vous mesmes.

LA VOYSINE

Me doy-je confesser à vous?

LE MARY

Me doy-je confesser à vous?


 [[ Print Edition Page No. 16 ]] 
LA VOYSINE

Ouy, vrayment

LE MARY

Ouy, vrayment.[-2]

LA VOYSINE

390Où sommes-nous?

LE MARY

Où sommes-nous?

LA VOYSINE

Vous estes foul et estourdy.

LE MARY

Vous estes foul et estourdy.

LA VOYSINE

Ce n’est pas ce que je vous dy.

LE MARY

Ce n’est pas ce que je vous dy.

LA VOYSINE

395Confessez-vous, se vous devez.

LE MARY10 ro]

Confessez-vous, se vous devez.

LA VOYSINE

Par sainct Jehan, vous refusez?

LE MARY

Par sainct Jehan, vous refusez?

LA VOYSINE

Hé! Dea!

LE MARY

Hé! Dea![-2]

LA VOYSINE

400Hé, vray Dieu! Quelle simplesse![-1]

LE MARY

Hé, vray Dieu! Quelle simplesse!

LA VOYSINE

Dictes: je me confesse.[-2]

LE MARY

Dictes: je me confesse.[-2]

LA VOYSINE

Adieu!

LE MARY

Adieu, sire Guillaume.

405Donnez lui à boire, ma femme,

Puis qu’il s’en veult partir d’icy.

LA VOYSINE

Dea, je ne m’en vois pas ainsi.

Pourtant, se adieu vous disoye.

LE MARY

Par le corps bieu, je le cuidoye:

410N’avez-vous pas presché assez?

LA VOYSINE

Et vous n’estes pas confessé

Ce n’est que le commancement;

Or dictes.

LE MARY

Bon gré, mon serment,

D’ung maulgré jalousie[-2][[414]]

LA FEMME [à la Voisine]

415Commère, l’avez vous ouye?

Velà sa note de tousjours.

LA VOYSINE [au mari]

A’vous fait dame par amours?

Dictes tout en confession.

LE MARY

Par ma foy, ouy. Nenny, non.[-1]

420Où est nostre femme? Je la voy[-1]

Icy, m’est advis, de ce costé,[+1]

Faictes la reculler arrière.

LA VOYSINE [à la Femme]

Recullez-vous, ma mye chère,

Car il ne vous appartient pas

425Nous escouter. Or parlons bas,

Et me dictes vostre courage.

Avez-vous rompu mariage?

LE MARY

Il est vray que la plus gaillarde,

La plus gente, la plus abille

430Qui soit en toute ceste ville,

Si est ma dame par amours.B II.

LA VOYSINE

10 vo]Pour tout certain.

LE MARY

N’a pas deux jours

Qu’avecques moy se rigoloit,

Et plus de cent fois m’acolloit,

435En la tenant entre mes bras.


 [[ Print Edition Page No. 17 ]] 
LA VOYSINE

Et sçavez-vous bien de quelz draps

Elle va tous les jours vestue;

Declairez tout d’une venue

Puis que la matière est ouverte.

LE MARY

440Elle porte une robe verte,

Aux festes, de couleur diverse.

LA VOYSINE

Et les bons jours?

LE MARY

Une perse

Tres bien fourré de pane blanche.

LA VOYSINE

Et les grans jours?

LE MARY

Comme au dymanche,

445Hopelande, belle saincture

De rouge, je vous asseure,

Et beau chaperon de brunette.

LA VOYSINE

Et comment l’apelle-on?

LE MARY

Jamette.

LA VOYSINE

Jamette?

LE MARY

Ouy, vrayement.[-1]

LA VOYSINE

450Et congnoissez-vous bien son père?

LE MARY

Sainct Jehan, ouy?

LA VOYSINE

Qui est sa mère?

LE MARY

Sang bieu, c’est nostre voysine.[-1]

Je m’acointé de la meschine,

En allant en pelerinage.

LA VOYSINE

455Touttefois, semble-elle bien saige;

Chacun la tient pour pucelle.[-1]

LE MARY

Et que voullez-vous? on la selle,

Mais par ma foy, il est ainsi.

LA VOYSINE

Attendez-moy ung peu icy;

460Je reviendray sans contredit.
[Elle va vers la Femme]

Ha! Que de Dieu soit-il mauldit,

Voysine, tu ne scez comment

Le faulx traistre garnement

M’a fait grant honte et grant diffame.

465Comme cuide-tu estre femme

A ce faulx traitre desloyal?

LA FEMME

Comment va-il de nostre faict?

LA VOYSINE11 ro]

Très mal[+2]

Que bon gré en ayt sainct Gille:[-1]

Il a despucellé ma fille!

LA FEMME

470Ta fille? Tu me dis merveilles!

LA VOYSINE

J’ay ouy de mes aureilles

Sa confession toute entière;

Il m’a dit toute la manière,

Et par quel moyen l’a deceue;

475Et ne m’en suis aperceue,[-1]

De quoy je suys plus esbahye.

LA FEMME

Je sçavoye bien, par bieu, m’amye,

Comme s’il estoit veritable.

LA VOYSINE

C’est mon, dame, de par le dyable!

480Vous n’estes pas la mieulx aymée;

Il a ma fille diffamée,

M’amye, a peu que je n’enrage.

LA FEMME

Mais à moy, plus grans dommage[-1]

A fait qu’à toy, à parler vray.

LA VOYSINE

485Et comment?

LA FEMME

Je le te diray:

Tu sces que l’amoureux deduyt

Qu’il me devoit, et jour et nuyt,

Monstrer en signe d’amitié,

Je n’en ay pas eu la moytié:

490Il a à ta fille donné.


 [[ Print Edition Page No. 18 ]] 
LA VOYSINE

Par bieu, je ne luy en sçay gré,

Et j’en enrage toute vive.

LA FEMME

Et par mon serment, tant qu’il vive,

Il ne luy en tiendra, ce croy-je.

LA VOYSINE

495Par ma foy non, pour ce, disoye

Qu’on trouvast manière comment

Il fust pugny si asprement

Que jamais il n’en eust point.†[-1]

J’ay advisay ung autre point.

500Je iray vers luy sans plus actendre,

Et si luy feray entendre[-1]

Qu’il fault qu’il face penitance,

S’il veult avoir sa pardonnance

Du grant peché qu’il a congneu.

LA FEMME

505Et que sera-ce?

LA VOYSINE

Que tout nu

A jointes mains et à genoux

Te crira mercy et puis nous

Deux aurons chacun en noz mains

Ung bon baston ou au moins

510Unes verges tres bien poignantes.

11 vo]Depuis la teste jusques aux plantes[+1]

Des piedz sera tresbien gallé.

LA FEMME

Par ma foy, tu as bien parlé,

Oncques femme ne parla mieulx.

515Y vas.

LA VOYSINE

Ouy, ce m’aist Dieux!

Va querir les verges en tandis.[+1]

LA FEMME

Le contraire je ne t’en dis

J’en trouveray avant que cesse.

LA VOYSINE [revenant au Mary]

Mon amy, quant on se confesse†,

520Pour descharger sa conscience,

On doit tout prendre en pacience

La penitance qu’on vous encharge.

LE MARY

Sainct Jehan, ce n’est pas ma charge,

Penitance, bon gré, ma vie.

LA VOYSINE

525Voire, vous l’avez bien deservie[+1]

Bien terrible, mais touteffois,

Pour peu de chose ne vous chault;

Vous avez faict ung grant deffault

De rompre vostre mariage.

LE MARY

530Où sont les pièces?

LA FEMME

Et que sçay-je?

Pour acquerir pardon à Dieu

Et eschever le puant lieu

D’enfer dont chacun doit ainsi,

Vous acomplirez, mon amy,

535Voulentiers ce que vous diray.

Ne ferez mye?

LE MARY

Je ne sçay.

Se c’est chose que puisse faire

Sans moy grever pour complaire,[-1]

Je le feray.

LA VOYSINE

Or, escoutez,

540Il fault que vous desvestez[-1]

Tout nud pour acquerir mercy

A vostre femme que veez cy,

Et Dieu aura misericorde

De vous.

LE MARY [La Femme rentre]

545Nonobstant que je m’en passasse

Très voulentiers.

LA VOYSINE

Il fault qu’il se face[+1]

Pour avoir mercy et pardon.

LA FEMME

Croyez qu’il aura son guerdon

De ces verges au long du dos.

LE MARY12 ro]

550Qu’esse-là?


 [[ Print Edition Page No. 19 ]] 
LA VOYSINE

Rien, ce sont motz[-1]

Qui ne s’adressent point à vous.

Or vous avancez, amy doulx,

Car on ne peult plus humblement

Venir à mercy qu’en ce point.

LE MARY

555Touteffois, ne me trompez point,

Car g’y vois à la bonne foy.

LA VOYSINE [au MARY]

Jamais! Tost, tost, avance-toy

Mais parlons bas, quoy qu’il avienne.
     [à la FEMME]

Deschargeons sus!

LA FEMME [au MARY]

Il vous souvienne

560Du tour que vous m’avez joué:

Vous m’aviez promis et voué

La loyauté de vostre corps.

LA VOYSINE

Aussi vous fault estre recors

De ma fille qu’avez diffamée.[+1]

LE MARY

565Vostre fille? Bon gré sainct Estienne,[+1]

Qui estes-vous?

LA VOYSINE

Par Nostre Dame,

Vous le sçaurez, ains que je fine.

LE MARY

Sang bieu, vous estes ma voysine,

Collette, qui parler vous entens.

LA VOYSINE [Elles le battent]

570Tenez, tenez!

LE MARY

Las, je me rens.

LA FEMME

Sus, ma voysine!

LA VOYSINE

Tenez, tenez![+1]

LE MARY

Las, je me rens, Colette.

LA FEMME

Sus ma voysine.

LA VOYSINE

Je ne m’y fains point.

LE MARY

Bien m’en sens.

LA FEMME

575Se tu as sens, si le retiens.

LE MARY

Je suis tout cassé.

LA VOYSINE

Vous y avez très bien chassé,

En tout, ma fille hault et bas,

Et avez fait voz choux bien gras

580Avecques elle, en malle santé.

LA FEMME

Il n’y a pas pour neant esté,[+1]

Au moins il a esté froté

Et son dos est bien gallez.[-1]

LE MARY [à la VOYSINE]

Mal suis fortunez,

585Vous m’avez du nez

Bien tirez les vers.

LA VOYSINE

Les propos ouvers

Et motz decouvers

Souventesffois nuysent.

LA FEMME

590Ceulx qui se devisent

Et les motz n’avisent,

S’en treuvent deceuz.

LA VOYSINE

Puis que née suis

Nouvelles je n’euz

595Si très desplaisantes.

LE MARY

Bien l’ay-je senty

Quant j’en suis batu

De verges poingnantes.

LA FEMME

A quoy tient-il que tu ne chantes

600Maintenant, “Maulgré jalousie,

Tu l’avois la belle jolye,

Or la voiz tout à ton ayse.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 20 ]] 
LA VOYSINE

Pour Dieu, Voysine, qu’on s’en taise,

Je t’en requiers, ma doulce seur.

LE MARY

605Le Dyable ayt part au confesseur,

Car il m’a excommunié

Et asprement discipliné

De verges, il ne m’en dist rien;

Sang bieu, le cueur me disoit bien

610Qu’en la fin ainsi m’en prendroit.
[au Public]

Pour ce, vous tous, gardez-vous bien,

Quant parlerez n’en quel endroit.

Mais qui jamais ne mesprendroit

Aurait de sens trop largement.

615Seigneurs, vueillez pour orendroit

Prendre en gré nostre esbatement.

FINIS

NOTES

 [II.] Farce de celuy qui se confesse à sa voisine.1

 [5-6] le premier vers de six syllabes, le second de sept montrent une fois de plus l’inutilité d’essayer de forcer le texte dans une métrique rigide.

 [201] Cette allusion à la mort de Roland à qui Turpin apporte à boire dans la Chanson de Roland, est aussi curieuse qu’inattendue.

 [207] desvez pour “devez.” La faute est attirée par resvés, dont le sens est aussi: vous êtes fou.

 [235] à, peut-être à corriger en ai.

 [245] corrompu.

 [334] deverois, corr. “devrez”? quoique le changement de personne soit fréquent.

 [389] corr. vrayment en vrayement.

 [399] Je ne sais si les deux He! Dea forment un vers de 3 ou 4 syllabes.

 [414] corrompu.

Endnotes

 [†] Éd.: Cette abréviation désigne les rubriques ajoutées par moi.

 [†] Éd.

 [88:] La fin du vers manque pour rimer avec oeil.

 [143.] O: ne.

 [†] Éd.

 [175,] O: que et. O = original.

 [207,] O: desvez.

 [208,] O: repantens.

 [250,] O: manque un vers pour rimer avec celui-ci.

 [†] Éd.

 [347,] O: Et.

 [†] Éd.

 [†] Éd.

 [498:] Après le vers “Et que jamais il n’en cust point,” rubrique “la voysine” que j’ai supprimée.

 [519,] O: ce.

 [544:] Vers incomplet. Manque une rime en orde.

 [†] Éd.

 [†] Éd.

 [†] Lacune. Le compte des vers est impossible.

 [†] Éd.

 [1] Les titres sont ici abrégés et modernisés.


 [[ Print Edition Page No. 21 ]] 

III
13 ro] FARCE NOUVELLE DES ESBAHIS
à QUATRE PERSONNAGES
*

[vignette]

LE PREMIER SOT ESBAHY commence13 vo]

Je m’esbahis de plusieurs choses.

LE SECOND SOT ESBAHY

Je m’esbahis de lettres closes

Et de cent mille oppinions.

LE TIERS SOT ESBAHY

Je m’esbahis des oisillons,

5Menus pinchons et alouettes,

Linottes et bergeronnetes,

Qui se laissent prandre au fillé.

LE PREMIER

Je m’esbahis.

LE SECOND

De quoy?

LE TIERS

Dis-le.

LE PREMIER

Si feray-je en temps et en lieu.

LE SECOND

10Je m’esbahis.

LE TIERS

De quoy?

LE SECOND

De Dieu,

Qui distribue benefices

A gens qui n’y sont pas propices.

N’est-ce pas esbahissement?

LE TIERS

Je m’esbahis bien autrement

15Et de plus sauvaige façon.

LE PREMIER

Et de quoy?

LE TIERS

C’est comment Jason

Peut avoir la Toison dorée,

Et m’esbahis comment Médée

Luy fist menger ses deux enfans.

LE PREMIER

20Je m’esbahis depuis dix ans

Plus que jamais je n’avois fait.

LE SECOND

Je m’esbahis de ce qu’on fait.

LE TIERS

Je m’esbahis quant l’en fera.

LE PREMIER

Je m’esbahis quant ce fera

25Que d’envieux ne sera plus.

LE SECOND

Et je m’esbahis de Phebus,

Qui presta ces quatre chevaux

A Phecton, qui fist tant de maux.

LE TIERS

Je m’esbahis, à bref parler

30Où en fin l’en pourra aller,

Et que le monde deviendra.

LE PREMIER14 ro]

Et m’esbahis de Phedre†,[[32]]

Qui fut si très fort amoureuse,

Que ce fut chose merveilleuse

35Et de Saphire encore plus.

LE SECOND

Or ne nous esbahissons plus

De bien, de vertu ne de vice,

Tant que nous sachons à Justice

De quoy on se doit esbahir.


 [[ Print Edition Page No. 22 ]] 
LE TIERS

40Et nous ostera sans faillir

De tous nos esbahissements.

LE PREMIER

Du tout à Justice me rendz.

LE SECOND

C’est celle qui fait la raison.

LE TIERS

Allons vers elle, en sa maison.
               [Ils entrent chez la Justice]

45Veez-la là, l’espée en la main.[+1]

LE PREMIER saluant Justice

Dame, fille du hault roy souverain,[[46-75]]

Throsne d’honneur et de magnificence,

Tous esbahis de veoir le corps humain,

Nous presentons devant vostre presence,

50Vous suppliant nous donner congnoissance

Dont procèdent tant d’esbahissemens,

De fantasies et tant d’empeschemens,

Car vous estes nostre propre nourrice,

Ainsi qu’il gist à noz entendemans;

55Tout ira bien, s’il court bonne justice.

LE SECOND

De toutes pars, fantasies nous sourdant

On ne voy onc riens securité;[-1]

Les ungz pleurent, les autres bouheurdent,

D’anfans chantans, menans jocundité,

60Les ungs règnent en grant felicité;

L’un gist en bien, l’autre en mal et en vice,

Mais nonobstant par vous bien medité,

Tout yra bien, s’il court bonne justice.

LE TIERS

Imbeciles par qualités obices,

65Moitié obscurs et moitié interestres,

Tous obfusquez par vertueuses bestes,

Lours, ineptes ainsi que povres aestes,

De Cerberes évacues les testes,

De faulx felix tout comble de malice,

70Mais nonobstant broulemens et molestes,

Tout ira bien, s’il court bonne justice.

LE PREMIER

Princesse, en qui gist tout nostre esperance,

Chacun de nous s’en tient vostre novice,

Car nous avons sur ce ferme creance,

75Tout ira bien, s’il court bonne justice.

JUSTICEA II.

14 vo]Enfans, qui vous est propice[-1]

Qui tant de beaux motz blasonnez,

Vous me semblez tous estonnez,

Et gens fort merencolieux.

LE SECOND

80Moitié tristes, moitié joyeux,

Non pas estonnez proprement,

Mais ravis d’esbahissement

Et de petites fantaisies.

JUSTICE

Ce vous vient de merencolies.

85Et vostre non?

LE TIERS

Les Esbahis.

JUSTICE

Les Esbahis, mais quelz devis,

Les Esbahis à quel propos?

Et estes qui?

LE PREMIER

Vos vrays suppotz,

Vos petits clercs et serviteurs.

JUSTICE

90Et puis, enfans, que dient les cueurs?[+1]

Vous me semblez esbahis tous.

LE SECOND

Pardieu, dame, si sommes-nous.

JUSTICE

Esbahis, il court si bon temps,

Et n’estes vous pas bien contens?

95Craignés-vous à mourir de fain,

Si bon marché avez de pain,

Et aussi avez-vous de vin?

Et prince tant doulx et begnin,

Il n’y a de tel dessoubz les cieulx,[+1]

100Et puis Paix. Que vous fault mieux?[-1]

LE TIERS

Nous avons ce que nous avons,

Les bledz sont beaux et les vins bons.

JUSTICE

N’est-ce pas donc bonne police?


 [[ Print Edition Page No. 23 ]] 
LE PREMIER

Vous n’estes pas par tout, Justice.

105Que sçavez-vous s’en ung tonneau,

On met le vieil et le nouveau?

LE SECOND

Que sçavez-vous se boullengiers

Ont bledz puans en leurs guerniers?

LE TIERS

Que sçavez-vous à Petit Pont

110Le tour que poissonnières font?

LE PREMIER

Que sçavez-vous se les sergens

Sont bons larrons ou bons marchans?

LE SECOND

Que sçavez-vous se chicaneurs

Desrobent l’argent à plusieurs?

LE TIERS15 ro]

115Que sçavez-vous se medecins

Parviennent tousjours à leurs fins?

LE SECOND

Que sçavez-vous si une† nonnain[+1]

Peult bien avoir le ventre plain?

LE TIERS

Que sçavez-vous [se] une abesse

120Se desjune sans ouyr messe?

LE PREMIER

Que sçavez-vous si ung gendarme

S’enfuit bien quant on crie alarme?

LE SECOND

Que sçavez-vous quant une femme

Si est putain ou preude femme?

LE TIERS

125Que sçavez-vous si à Paris

Les femmes font coux leurs maris?

JUSTICE

Vous estes gens bien esbahis

Et de diverses oppinions.

A tant de proposicions

130Respondre ne m’est propice.[-1]

LE PREMIER

Et pourquoy donc, dame Justice,

N’en avés-vous pas la puissance?

JUSTICE

Tout ne vient pas à congnoissance,

Car il y a mainte matière,

135Que plusieurs larrons par derrière,

Desrobent pour vous dire à tous.

LE SECOND

Pourtant nous esbaïssons-nous!

JUSTICE

Plusieurs besongnes sont brassées,

Tant en ait en dit que en penscée

140Dont je ne sçais rien bien souvent.

LE TIERS

C’est dont vient l’esbahissement.

JUSTICE

De tout ce que je puis congnoitre,

Je y vueil bonne justice mettre,

Mais il est trop de fines gens.

LE SECOND

145C’est dont vient l’esbahissement.

JUSTICE

Quant ung larron est attrappé,

Le sergent qui l’aura happé

Le laira, mais qu’il ait argent.

LE TIERS

C’est dont vient l’esbahissement.

JUSTICE

150On m’a bien donné à entendreA III.

15 vo]Qu’on en a fait noyer ou pendre

Plusieurs sans mon consentement.

LE PREMIER

C’est dont vient l’esbahissement.

LE SECOND

Je m’esbahis des gens de court

155Qui ont tant broué sur le gourt

Et puis après les vis deffaire.

JUSTICE

J’y estois moy; je le fis faire.

LE TIERS

Je m’esbahis d’ung coup de main

D’une espée donné soudain,

160Donc noble teste cheut à bas.

JUSTICE

Par ma foy, je n’y estois pas.


 [[ Print Edition Page No. 24 ]] 
LE PREMIER

D’Orbatus je m’esbahis fort,

Qui son nepveu dompta à mort

Estant en son lict mortuaire.

JUSTICE

165Je y estois moy: je le fis faire.

LE SECOND

Et je m’esbahis de David

Que par la femme de Urie qu’il veit

Le fist mourir: c’est pit[e]ux cas.

JUSTICE

Par ma foy, je n’y estois pas.

LE PREMIER

170Aussi de Aman suis esperdu,

Qui devant son huis fut pendu

Au propre gibet qu’il fist faire.

JUSTICE

Je y estois moy; je le fis faire

Pour monstrer qu’il vouloit trahir.

LE SECOND

175Assez ne me puis esbahir

De la tromperie et finesse

D’aucuns prestres qui chantent messe

Après qu’ils ont mengé et beu.

JUSTICE

Mais par ta foy, en as-tu veu?

LE TIERS

180Je m’esbahis quant adviendra

Le temps que plus il ne viendra,

A mon huis, un tas de merdailles

Pour demander l’argent des tailles;

N’est-ce pas l’esbahissement?

LE PREMIER

185Et moy, je m’esbahis comment

Vivront ces gendarmes cassez.

LE SECOND

Je m’esbahis des trespassez

Que l’en ne prie Dieu pour eulx.

LE PREMIER

Je m’esbahis de malheureux

190Qui sont boutés ès gras offices

LE SECOND16 ro]

Je m’esbahis de benefices

Que l’en vend à deniers comptant.

JUSTICE

Ne vous esbaïssés plus tant.

Tant que soyés à ma maison

195Je vous feray droit et raison,

Mais il convient estudier,

A Dieu servir et le prier

Et puis craindre et aymer Justice,

Tant comme il vous sera propice,

200Saurés bien comme je presupose.[+1]

Mais vous obliés une chose

De quoy vous deussez esbahir.

LE TIERS

De quoy?

JUSTICE

De ce qu’il fault mourir.

Vous en esbahissez-vous point?

LE PREMIER

205Nenny, pas moy.

LE SECOND

Ne moy.

JUSTICE

Ung point.

Aussi fault passer ce passage,

A toutes gens, si n’est pas saige,

Qui n’y sçait mettre son penser.

LE PREMIER

Toutes gens fault par là passer,

210Mais puis qu’on ne peult mort fuir,

De quoy se doit-on esbahir

Ne entrer en si grant esmoy?

JUSTICE

Voullés-vous demourer o moy?

LE SECOND

Certes ouy, Dame Justice,[-1]

215Tous humbles soubz vostre service

Esperans avoir de vous biens

Sans envers vous faillir de riens.

JUSTICE pour fin et conclusion dit:

Mes enfens, donc je vous retiens,†[[218]]

Car loyaument vous apprendray,

220Et garderay et deffendray

De tous oultrage et villennye.

Adieu, toute la compaignie!

FINIS

[16 verso blanc]


 [[ Print Edition Page No. 25 ]] 

NOTES

 [III.] Farce des Esbahis. Il y a une pièce de Grévin, toute différente, qui porte le même titre. Celle-ci est une sottie.

 [28] Le mètre empêche de corriger Phaéton.

 [35] Saphire, altération de Sapho, la poétesse grecque.

 [46-75] ballade.

 [162] D’Orbatus, je n’ai pu résoudre cette énigme historique.

Endnotes

 [32:] Il manque un mot en a à la rime.

 [207,] O: s’il.

 [218,] O: mais.


 [[ Print Edition Page No. 26 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 27 ]] 

IV
17 ro] FARCE NOUVELLE
à CINQ PERSONNAIGES DE MAISTRE MYMIN QUI VA A LA GUERRE, ATOUT SA GRANT ESCRIPTOIRE POUR METTRE EN ESCRIPT TOUS CEULX QU’IL Y TUERA
*

[vignette]

LE CAPIT AINE DE SOT VOULOIR
                                                        
commence:17 vo]

Quel dommaige qu’ung grant couraige

Comme moy n’a point l’avantaige

Des ennemys, j’entens la proye.

Je les tueroye, j’en abatroye,

5Comme Thevot, homme curieux

De mourir si soubdainement;

La chose qu’il aimoit le mieulx,

Me laissa en son testament,

C’est sa lance; j’en suis plus fier,

10Se trouvasse où l’employer.[-1]

LE SEIGNEUR DE PETIT POVOIR

Et vecy bien pour enraiger

Que je n’ay pas ung blanc vailant,

Et si ay le panart taillant

De Copin de Valenciennes,

15Toutes victoires estoient siennes;

Au moins en avoit-il le los

En toutes guerres terriennes,

Tant chrestiennes que payennes;

Il despescheoit tout à deulx motz.

LE CAPITAINE

20Vecy droictement à propos;

J’aperçoy delà gens mouvoir.

LE SEIGNEUR

Capitaine de Sot Voulloir,

Honneur; je vous cherche par tout.

LE CAPITAINE

Mettons-nous dessus le beau bout,

25Ce sera une belle bende

De racompter nostre legende,

Pour nostre bruit espouventable.

LE SOULDART

Tout est venu; mettés la table,

Tout beau car je suis estonné,

30Si suis-je bien embastonné.

J’ay l’arc, Dieu en pardoint à l’âme,

Du franc Archer du Boys Guillaume,

Sa salade et ganteletz,[-1]

Dague pour ferir aux pouletz,

35Deux flèches bruslés par le bout.

Et puis comment se porte tout,

Fait-on plus nulz coups dangereux?

Sot Vouloir, homme oultraigeux,[-1]

Vous vous faictes par tout sercher.

LE CAPITAINE

40Sus gallans, sus! il fault marcher

Fierement en toutes rencontres.

LE SEIGNEUR DE PETIT POVOIR

Capitaine, sans faire monstres,

J’ay ataché ung escripteau

18 ro]Icy près, contre ung posteau,[-1]

45Que gens fors et aventureux

Viennent et ilz seront receuz

Soubz nous troys.

LE CAPITAINE

C’est fait d’un grant sens.

LE SOULDART

Et que ceulx seront innocens

Qui se trouveront en ma voye.


 [[ Print Edition Page No. 28 ]] 
LE CAPITAINE

50La char bieu, nous crirons Montjoye,

Si j’en trouvons ung à l’escart.

Quel lance!

LE SOULDART

Quel arc!

LE SEIGNEUR DE PETIT POVOIR

Quel panart!

LE CAPITAINE

Quant est à moy, je les pourfendz.

LE SEIGNEUR

Je les fais trembler sur les rencz.

LE SOULDART

55N’ay-je point baillé sur les dens

A d’aucuns, et tomber adans

De mes mains, mais ils sont cassez.

LE CAPITAINE

Dieu ait l’âme des trepassez

En son seculorum, amen.

60Mais en beau sang de crestien,

Je me suis autres foys disnay.

LE SEIGNEUR

Et moi que je me suis baigné

Comme en eaue de belle fontaine.

LE SOULDART

J’ay veu autrefois capitaine

65Les mains plus rouges que crevisses.

On en eust bien fait des saucisses,

Tant l’eusse depecé menu.

LE CAPITAINE

Ce qui est fait, est advenu.

Il faut penser doresnavant

70A faire plus fort que devant

Et chascun se face valoir.

LE SEIGNEUR

Capitaine de Sot Vouloir,

Vous ne serez pas escondit,

Il souldra sur nostre edit

75Qui est là endroit attaché

Quelque huron enharnasché.[[76]]

Chantons. Je m’en voys le ton prendre.
   Adonc ilz chantent tous troys ensemble
          ce qui s’ensuit:

Nous en irons sans plus attendre

Maintenant sur les Bourguignons.

LE CAPITAINE18 vo]

80Les Bourguignons nous attendons

Marchons ung grant pas fierement.
   Maistre MYMIN, hasbillé en Badin, d’une
longue jacquette, et en beguyne, d’un
beguin, ayant une grande escriptoire,
en chantant:

Et comment, comment et comment?

Sont pelerins si bonnes gens?
     En advisant l’escriptoire dit:

Ha! Ha! Qu’esse-là voirement?

85Qui a là mis cette cedulle?

Mais seroit-ce point une bulle,

Ou quelque lettre d’une cure?

Lire la vois à l’adventure:

P. trenchié: par; s.i. si.

90Par cy, ha dea, quesse? et quesse cy

Au cul couppeau d’ongnons?[-1]

Hen! “S’il est aucuns compaignons,

Soient de ville ou de villaiges,[-1]

Qui veullent avoir bons gaiges[-1]

95Du Capitaine Sot Voulloir,

Du Seigneur de Petit Povoir

Et le Soudart de Froit Hamel

Qui a cy mis son escriptel.”

La mort me vienne bientost querre,

100Se je ne m’en voys à la guerre.

Ma mère, hau!

LUBINE, sa mère

Je voys, je voys,

Tu as encore belle voix!

Que Dieu la te vueille saulver,

Mais tu la pourrois bien grever.

MAISTRE MYMIN

105Certes, je m’en vois à la guerre.

LUBINE

Qui l’a dit?

MAISTRE MYMIN

On m’est venu querre,

Je dy, j’ay leu ung escriptel

Où il met: s’il est quel ne tel,

Qui vueille recepvoir bons gaiges

110Pour les chevaulx et pour les paiges,

Vienne.

LUBINE

Est ce qui te amaine?†

MAISTRE MYMIN

Je m’en vays veoir le capitaine,

Car je porteray sa devise.


 [[ Print Edition Page No. 29 ]] 
LUBINE

Que feras-tu de ta clergise?

MAISTRE MYMIN

115C’est pour messire Bavotier,

19 ro]Le curé de nostre moustier,

Se je demeure en chemin.[-1]

LUBINE

Et revien-t’en, Maistre Mimin!

MAISTRE MIMIN

Per deum sanctum, non feray.

LUBINE

120Par mon serment doncques g’iray,

Et me deussiés-vous tous destruire,

Je pleure et si me fais rire.[-1]

Tu as tousjours ton saoul de beurre,

Couché en ung lit plain de feurre

125Aussi molet que le beau lin.

Que veulx-tu plus?

MAISTRE MYMIN

Boire du vin

Ainsi comme on a beu les nostres.

LUBINE

Garde tousjours noz patenostres,

Comment qu’il soit! Hee! Mère Dieu!

130Et où veulx-tu aller?

MAISTRE MYMIN

Au lieu

Où sont les vaillans capitaines.

LUBINE

De sanglante fièvre quartaines

Soient-ilz saisis pour leur payement;

Or vrayment, g’iray veoir comment,

135Ils te gouverneront.

MAISTRE MIMIN

Venez.

Je les voy là, tenez; tenez.

Compter les vays: empru, deux, trois,

Je cuidays que les Genevoys

Du Boys Guillaume fust avecques.

140Et puis que faictes-vous illecques,

Font-ils du raminagrosbis?

LE SOULDART

Sang bieu, quel gardeur de brebis!

LUBINE

Mes amys, je vous crie mercy,

C’est pour mon enfant que vecy,

145Qui veult devenir gens de guerre.

LE CAPITAINE

C’est ung beau gallant par saint gris,

Mais qu’il soit hardy en courage.

MAISTRE MYMIN

Per animam canis, j’enrage

Que je ne treuve à batailler.

LE SEIGNEUR

150Il est ferme comme ung pillier;

Tenez zac!

LE SOULDART

Il a forte eschine.

LE CAPITAINE19 vo]

Qui ne le verroit qu’à la mine,

On le jugeroit fol ou fort.

LUBINE

Ha! Nostre Dame de Montfort!

155Il m’a tant cousté à nourir,

Et je voy qu’il s’en va mourir

Il n’en a honte ne demie.

LE SEIGNEUR

Or ne vous courcés point, m’amie,

Nous l’armerons si bien en point

160Qu’on ne sauroit trouver en point

A luy faire mal d’une eguille.

LUBINE

Il est mouvant comme une anguille,

S’il n’eut été si frenatique,

Nous l’eussons fait homme d’église,

165Moy et son père, Raoullet.

LE SOULDART

M’amie, il est bien où il est.

Venir pourra à tel hutin,

Qu’il pourra avoir tel butin

Qu’il s’en sentira à jamais.

LUBINE

170Dictes-vous?

LE SEIGNEUR

Ouy, je vous prometz ainsi.

On a souvent telle adventure.


 [[ Print Edition Page No. 30 ]] 
LUBINE

Las! Où s’en va ma nouriture,

Maistre Mimin, tu demoureras.[+1]

Or fais du mieux que tu pourras.

175S’il vous plaist, vous le conduirés;

Mon filz, ce que vous gaignerés,

Raportez-le à la maison.

MAISTRE MIMIN

Si feray-je.

LE CAPITAINE

C’est bien raison;

Il vous en envoira de beaux.

MAISTRE MIMIN

180Je vous recommende noz veaux.

Qu’on maine les cochons au boys!

Donnés à mon chien turquoys

Mon desjuner et mon soupper.

LUBINE

Veulx tu plus rien?

MAISTRE MIMIN

Et à Rogier,

185Qu’il preigne garde à ses bestes,

Et qu’il me garde mes sonnettes,

Avecques mon moustier d’ymaiges

Aux enseignes de six fourmaiges

Que nous emblasmes au chasier.

LUBINE20 ro]

190Ton père ne dois oublier;

Ce n’est pas bien fait, mon varlet.

MA[I]STRE MIMIN

Dictes à mon pere Raoulet,

Que c’est bien.

LE SOULDART

Retournés-vous-ent,

Car plus y serés longuement,

195Et plus de mal vous en feroit.

LUBINE

Messeigneurs, gardés-luy son droit,

Je le vous recommant, et Adieu.[+1]

LE SEIGNEUR

Que de babil, par le sang bieu!

Il fault armer maistre Mimin,

200Et puis empoigner le chemin,

Et aller fort piller aux chables.

MAISTRE MIMIN

Ma foy, je n’ay point peur de dyable,

Je suis clerc et maistre passé.

Qui vouldra cantemus basse,

205Et puis nous irons nous combatre.

LE CAPITAINE

C’est bien dit; il est bon follastre.

LE SOULDART

Sus, qui sçaura rien, si le monstre,

Chantons et je feray le contre.
   Adonc ilz chantent tous ensemble
          ce qui s’ensuit:

“Ilz s’en vont trestous en la guerre,

210Maintenant les bons compaignons,

La renommée court grant erre,

Que dagues ont sur les rongnons.”

LUBINE

Ha! Mère Dieu! Quant je m’avise,

Mimin, tu pers bien ta clergise,

215Tu me donnes bien du courroux.

Gens d’armes, maulditz soiés-vous,

Par la croix bieu de paradis!

Je verray comment sont hardis,

Et si sera tout à ceste heure.

220Que maistre Mimin leur demeure,

Mon fiz, mon enfant, ma figure,

Ma godinette creature,

Vrayment g’y bouteray remède,

Et si n’y demande point d’aide.
   Adonc ilz chantent ensemble
          ce qui s’ensuit:

225Aux armes, aux armes, aux armes!

Maistre Mimin, tiens bons termes.

LE CAPITAINE

Qu’esse-cy?

MAISTRE MIMIN

20 vo]Ces brigandinas.

LE CAPITAINE

Oste ce latin, poitrinas,

Crie en tout lieu qu’on arrive

230Fierement: “Qui vive?”

MAISTRE MIMIN

Qui vive?

Mais il vault mieulx que je l’escripve.

LE SOUDART

A mort!


 [[ Print Edition Page No. 31 ]] 
MAISTRE MIMIN

A mort! fuyons-nous-en!

LE CAPITAINE

Ha! Velà bon commencement,

Tien, vestz ce jacques, tu te haulse.

MAISTRE MIMIN

235Ainsi en fait-on en Beaulse,[-1]

Pour gueter beste à l’acul.[-1]

LE CAPITAINE

Comment t’armes-tu sur le cul?

MAISTRE MIMIN

Encor j’ay peur d’estre fessé.

LE SEIGNEUR

Velà gentement commencé.

MAISTRE MIMIN

240J’en ay veu d’autres, ne vous chaille,

Or sus! irons-nous en bataille,

Et n’auray-je rien sur ma teste?

LE SOUDART

Tien cecy.

MAISTRE MIMIN

Hé! Qu’il est honneste,

Celle capeline de fer,

245Or vienne le dyable d’Enfer,

A sçavoir se je ne le tue,

Qu’auray-je puis?

LE CAPITAINE

Cette massue

Pour jouer à double ou à quitte.

MAISTRE MIMIN

Tout le monde mettray en fuite,

250Puis que m’y metz propos final,

Mais qui nous pourroit faire mal?

LE SEIGNEUR

Irons-nous sur Navarriens?

MAISTRE MIMIN

Et nenny non; cela n’est riens.

LE SOUDART

Sur leurs voysins au pis finer.

MAISTRE MIMIN

255Ce n’est pas pour ung desjeuner

De tous ces folz baragouins.

Tremblez, payens et Sarasins,

Mimin s’en va frapper dedens!

21 ro]Capitaine, soyés marchans

260Après moy.

LE CAPITAINE

As-tu peur, ribault?

MAISTRE MYMIN

Si nous sommes prins [e]n sursault,

Frapperay-je par sur le nez?

LE SEIGNEUR

Affin que vous y aprenez,

Au hault du manoir tout ainsi.

265Et voire ent. Dea, et qu’esse cy,

Qui te pend?

MAISTRE MYMIN

C’est mon escriptoire

Pour mettre trestout en memoire,

Ceulx que nous y assommerons.

LE SOUDART

C’est bien dit. Or nous en allons.

270Au col ton baston ne desbauche.

MAISTRE MYMIN

A Dieu, me comment à la gauche,

C’est cy grant empeschement[-1]

Se je meurs, par mon testament,

Je n’ay peur signon de mon col,

275Je laisse mon habit au fol,

Dieu pardoint, à Raolet, mon père,

Et tous beguins, et à ma mère,

Et se je meurs en cette guerre,

Pour ceulx qui me mettront en terre,

280Je diray ung de profundis.

Devant qu’aller en paradis.

LUBINE, habillée en homme cornant
                                                     d’ung cornet:

Truc, truc, prenez-les, prenez-les!

Et si n’en faictes nul relais,

Nomplus qu’on feroit d’une autrusse.

MAISTRE MYMIN

285Je ne sçay par où je me musse,

Capitaine de Sot Vouloir,

Le Seigneur de Petit Povoir,

Et le Soudart de Froit Hamel,

Me laisserés-vous?

LE CAPITAINE

Paix, bourrell

LE SOUDART

290Parle bas, tu nous feras prendre!


 [[ Print Edition Page No. 32 ]] 
LE SEIGNEUR

S’on estoit quitte pour se rendre,

Mais nenny, ilz sont plus que nous.

MAISTRE MYMIN

Et où grant deable courés-vous,

Me laisserés-vous tout seullet?

LE SOUDART

295Ilz approchent!

LE SEIGNEUR21 vo]

Gardons les coups!

MAISTRE MYMIN

Et où grant dyable, courés-vous?

Qu’estrangler vous puissent les loups!

Ha! que ce jeu me semble laid.

Et où grant dyable, courez-vous,

300Me laisserez-vous tout seulet?

LUBINE, en cornant

A eulx tost, arrive, arrive,[-1]

Qui vive, qui vive, qui vive,

Mais où gibet sont-ilz allez?

Où sont ces grans vanteurs coulés,

305Qui contrefaisoient les vaillans?

Ilz s’en sont fouys les vaillans,

Ilz s’en sont fouys les gallans.

Maistre Mymin, Maistre Mymin!

MAISTRE MYMIN

Je vous promets par sainct Fremin,

310Qu’il s’en est de peur enfouy.

LUBINE

Ha! par mon serment, je t’ay ouy,

Encore a le plus grant honneur.

MAISTRE MYMIN

Ce ne suis-je pas, mon seigneur.

De frayeur le cueur me fremie.

LUBINE

315Je l’os bien.

MAISTRE MYMIN

Ce ne suis je mye,

Par ma foy.

LUBINE

Vien ce, s’il te plaist.

MAISTRE MYMIN

Hélas! mon bon père Raoullet!

LUBINE

Et qui t’a mis icy derrière?

MAISTRE MYMIN

Qui estes-vous?

LUBINE

Je suis ta mère.[[319-326]]

MAISTRE MYMIN

320De ce dire avez beau precher,

Car ma mère n’est pas vachère,

Qui estes-vous?

LUBINE

Je suis ta mère.

MAISTRE MYMIN

Vous seriés plustost mon père,

Qui cy viendroit pour moy sercher.

325Qui estes-vous?

LUBINE

Je suis ta mère.

MAISTRE MYMIN

De ce dire avez beau prescher.

LUBINE22 ro]

Pour cause que je t’ay si cher,

Je me suis en cest estat mis.

On doit radresser ses amis

330Le mieux qu’on peult, sans aucun blasme.

Il n’est finesse que de femme,

Quant elle veult appliquer son sens.[+1]

Vien-t’en, mon doulx enfant.[-1]

Au monde n’est chose si chère.

MAISTRE MYMIN

335Touteffois estes-vous ma mère?

Ma mère avoit si grans dens:[-1]

Ouvrez que je voye dedens.

Je les voy, ma mère Lubine.

LUBINE

Quel adventure de cuisine;

340Ilz sont partis couardement.

MAISTRE MYMIN

Ma mère, retournons-nous-en.

Trois jours a que je ne souppay.

LUBINE

Je sçay bien que je te donneray![+1]

Mais par le vray doulx Roy celeste,

345Vous serez dedens trois jours prestre,

Ou jamais vous ne le serés.


 [[ Print Edition Page No. 33 ]] 
MAISTRE MYMIN

Donques vous me desarmerés;

Je ne chanteray pas ainsi:
en chantant:

Per omnia!

LUBINE

Partons d’icy.

350On dist bien vray, c’est chose clere:

Il n’est vraye amour que de mère.

Pourtant vueillés nous pardonner,

Seigneurs et dames, hault et bas.

Ce lieu voulons habandonner.

355Prenés en gré tous noz esbatz!

FINIS

[22 verso blanc]

NOTES

 [IV.] Farce de Maistre Mimin qui va a la guerre. Sur MAISTRE MYMIN et ses parents, LUBINE et RAOULLET voir mon introduction.

 [5] O, Thenot . . . crueux.

 [33] Le Franc Archer de Bagnolet et celui de Cherré sont bien connus (cf. Introduction) mais non celui du Boys-Guillaume.

 [56] Adans = adents, face contre terre.

 [76] edit, c’est l’escripteau du v. 92.

 [97] Le Soudart de Froit Hamel m’est inconnu.

 [138-139] Qu’est-ce que ces Genevois du Boys-Guillaume?

 [265] ent à corriger: ens.

 [266] qui = quoi.

 [274] signon corr.: sinon.

 [319-326,] rondel.

 [331.] Dans Maistre Mimin estudiant, le MAGISTER dit: “Il n’est ouvrage que de femme” (Trois Farces du recueil de Londres, éd. P. Philipot, 1931, p. 161, v. 385).

Endnotes

 [111] O: ameaiene.


 [[ Print Edition Page No. 34 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 35 ]] 

V
23 ro] FARCE NOUVELLE
à QUATRE PERSONNAGES TRES BONNE ET TRES JOYEUSE DE THEVOT, QUI VIENT DE NAPLES ET AMAINE UNG TURC PRISONNIER
*

[vignette]

23 vo]FARCE NOUVELLE DE COLIN, le FILS THEVOT, QUI REVIENT DE NAPLES ET AMAINE UNG TURC PRISONNIER

THEVOT commence:

Vive monseigneur le maire[-1]

Et aussi mon grant filz Colin,

Pleust à Dieu qu’il peust tant faire[-1]

De mettre le grant Turc à fin!

5Il reviendra quelque matin;

Il y a tantost six moys passez

Qu’il partit sans point de procès.

S’une fois il a entreprins,

Rende-soy Naples, il est prins,

10Et se garde qui s’aymera,

Car jà homme n’eschappera,

Qui ne soit par luy prins ou mort,

Ou soit à droit ou soit à tort,

Tredame, il est fier comme ung lyon;

15Vous ne veytes onc tel champion,

Ne plus vaillant homme de guerre

Pour tost s’en retourner en guerre.

Mon grant-père, sa hardiesse

En cuidant acquerir noblesse,

20Pour ce qu’i se reculloit derrière,[+1]

Tumba dedans une carrière,

Et fut leans pour se retraire.

LA FEMME

Dieu vous gard, Monseigneur le Maire,

Je vous viens demander justice.

THEVOT

25C’est grant fait que d’avoir office,

Et bien bien je la vous feray.

LA FEMME

Ha! Monseigneur, je vous diray;

Il est venu ung gentillastre,

L’autre jour, jusques à mon astre,

30Après disner, la relevée,

Tuer ma poulle grivellée,

Celle qui ponnoit les gros oeufz.

THEVOT

Mais estoit-il tout seul ou deux?

Declairez moy bien vostre cas.

LA FEMME

35Deux, nenny; il n’y estoient pas.

Il n’y avoit qu’ung grant testu,

Qui avoit ung jacques vestu

Qui mist ma geline affin.[-1]

THEVOT [à part]

Seroit-ce point mon filz Colin?

40Il frappe de taille et d’estoc.

LA FEMME

24 ro]Monsieur, il tua mon coq,

Et si me fist de grans oultrages,

Encore print-il deux formaiges,[-1]

Ma foy, c’est ung mauvais garson.

THEVOT

45Il fault faire la formation,

Pour sçavoir lequel ce peut estre.


 [[ Print Edition Page No. 36 ]] 
LA FEMME

Encore mist-il sa jument paistre[+1]

En mon jardin pour me pis faire,

Il est vray, Monseigneur le mère,

50La verité sera trouvée.

COLIN, fils de THEVOT

Le dyable ayt part à l’armée,[-1]

Mon père, hau! je suis venu.

THEVOT

Colin, es-tu ja revenu?

Comment se porte la bataille?

COLIN

55Vous n’avez garde que je y aille,

Tant que j’auray la vie au corps.

THEVOT

y en a-il eu guères de mors?

Racompte moy de tes nouvelles.

Et où sont Vicestre et Grenelles?

60Tu n’en fais point de mencion.

COLIN

Je les laissé en ung buisson,

Où il se tindrent pour l’assault.

Ilz trembloient, et si faisoit chault,

Mais c’estoit de peur seullement.

65Mais dictes-moy, vostre jument,

Mon père est-elle venue?[-1]

THEVOT

La jument? Mais l’as-tu perdue?

COLIN

Par ma foy, quelq’un la happa,

Car veez-vous, elle m’eschappa.[+1]

70Je ne sçay qui c’est qui la print;

Je luy avoys dit qu’elle s’en vint,[+1]

Par Dieu, et si luy en feis signe.

LA FEMME

C’est vous qui tuastes ma gueline,

Je vous congnois bien maintenant.

COLIN

75Et puis quant j’alay courant,[-1]

Quant nous fusmes par devers l’armée,[+1]

On dit qu’il y avoit journée,

Par ma foy, vous devés penser,

Qu’ilz estoient tous vestus de fer,

80Et j’avoye mon jacques de toille.

THEVOT

Et ne feis†-tu pas du rebelle,

Quant à l’armée vous arivastes?[+1]

LA FEMME24 vo]

Ha! par ma foy vous la tuastes

D’une dague à large rouvelle.

COLIN

85Trois jours devant je vous vis à elle,[+1]

Doys-je dire j’ouys† sonner

Clerons, et moy de retourner.

Il ne faisoyt pas bon au lieu.

LA FEMME

Vous la printes, par le corps bieu,

90Alleluya a coquolicoq.

Et puis vous tuastes mon coq.

Monseigneur,† faistes m’en justice.[[92]]

THEVOT

Colin, ce fut à toy ung grant vice,[+1]

Se tu fis tout ce qu’elle dit.

COLIN

95Cuidés-vous que j’eus grant despit,

Quant je perdis mon hault bonnet,[[96]]

La vielle me print au colet

Et me vint bailler sur le groing,

Par Dieu, cinq ou six coups de poing

100Et print mon bonnet sur ma teste.

THEVOT

Et comment estes-vous si beste

De te gouverner de tel sorte?

COLIN

Le corps bieu! La vielle estoit forte!

Pensez; s’elle ne m’eust abatu,[+1]

105Ma foy, elle ne m’eust pas batu,

Mais touteffois j’en euz très bien.

THEVOT

Et dea! Colin, je t’avoye bien,

Par Dieu, racompté ta leçon;

Tu ne congnois pas la façon.

110Du temps qu’à la guerre j’estoye,

Sces-tu bien comme je fesoye:

Je tenoye tousjours pied à boulle.

LA FEMME

Vous eustes mon coq et ma poulle;

Je vous supplie, despechez-moy.


 [[ Print Edition Page No. 37 ]] 
THEVOT

115Colin, ce fut mal fait à toy

De perdre ton jacques en ce point.[+1]

COLIN

Ne pensez vous pas que en pourpoint

On court mieux que tout vestu?[-1]

THEVOT

Ce fut à toy bien entendu;

120Tu as ung bel entendement.

COLIN

Je le feis si secretement,

Que j’eschappay par devant tous.

LA FEMME

25 ro]Et par ma foy, si fustes-vous

Qui montastes en ma chasière.

125J’estoys en nostre chennevière;

Il fault dire du bien le bien.

Monseigneur le Juge, de rien

Je ne vouldroye jamais mentir.

COLIN

Mon père, pour vous advertir,

130Prenez que j’ay esté vaillant,

Combien que j’ay perdu comptant,

A l’erme mainte bonne bag[u]e.

THEVOT

Colin, et monstre ça ma dague;

Long temps a que ne l’ay tenue.

COLIN

135A tredame, je l’ay perdue!

La vielle la print au fourreau.

Se n’eusse reculé tout beau,

Je cuide qu’elle m’eust frappé,

Mais touteffois j’en eschappé,

140Car, par ma foy, je m’en fouy.

LA FEMME

Vous la printes dedans le ny,

Aussi tost que vous arrivastes,

Je sçay bien que vous la fourrastes

Incontinent en la besace.

COLIN

145Quand nous fusmes devant la place,

Je ouys sonner drain, drain, drain,

Et moy de regarder le train;

L’ung crioyt: torche, frappe, tire!

THEVOT

Que scez-tu?

COLIN

Je l’ay ouy dire.

150Quant j’ouys crier à l’enseigne,

Je vins derrière une montaigne

Et laissay tous mes compaignons.

LA FEMME

Vous les mengastes mes oysons

Qui menoient les petits pipos.[[154]]

THEVOT

155Vous ne venez† pas à propos,

Vous ne faistes que fatrouiller.

COLIN

Que venez nous icy bruiller?

Je ragny!

THEVOT

Ha! tout beau, Colin,†[[158]]

Reculez-vous, il est hardy!

LA FEMME

160Tout aussi vray comme je dy.

Ha! je vous ay bien advisé

Combien que soyés deguisé.

25 vo]Vous aviez ung hocqueton

Tant espés.

THEVOT

Nous en jugeron

165En temps et en lieu, ne vous chaille!

LA FEMME

Vous la mengastes ma poullaille,†

Et aussi feistes-vous mon coq;

Faictes-moy justice, Thevot,

Se je dois dire, Mon Seigneur,

170Il me fist plus grant deshonneur,

Et je vous diray la manière:

Il empoingna ma chamberière,

N’estoit-il pas bien maucourtois?

Et si luy fist deux ou trois fois.

THEVOT

175Est-il vray?

LA FEMME

Ouy, je les y trouvay,[+1]

Le cas est congnu et prouvé;

Il n’y convient pas d’autre preuve.


 [[ Print Edition Page No. 38 ]] 
COLIN

Mais cuidés-vous, quant on se treuve

Seulement à les veoir de loing,

180Il est bien de fouir besoing:

On y donne de mauvais coups.

LA FEMME

Thevot, je vueil parler à vous!

Se vous n’en faictes autre chose

De ma cause, je m’y oppose,

185Et fornicallment j’en appelle,

Et s’il fault que je me rebelle,

Je mettray aligation

Sans vostre juridiction,

Et m’en croiray aux accidens.

THEVOT

190Pardieu, et en despit de vos dens,[+1]

Meshuy je n’en jugeray.[-1]

LA FEMME

Il me suffist: je m’en iray.
                                         [Elle sort]

COLIN

Affin que plus on n’en devine,

Ce fut moy qui tuay la geline.

195Elle court et je faux acoup

Atout ma dague et fais: “soup”.[-1]

Je la frappé en trahison.

THEVOT

Colin, la femme avoit raison;[[198]]

Mais escoute que je te dy,

200Et comment fus-tu si herdy,

Tu la fuyois jusques à la mort.[+1]

COLIN

Mon père, j’ay bien fait plus fort,

Et pour cela, ne plus ne mains,

J’ay bien aultre chose entre mains,

205Que vous verrez tantost en place,

26 ro]Ce n’est pas comme de la vache,

Que vous emblastes une fois.

THEVOT

As-tu ouvré de plus grans pois,

Mon filz Colin, pour abreger?

COLIN

210Mon père, j’ay ung prisonnier,

Que j’ay attrappé en chemin.

Je croy que c’est un Sarazin,

Car il parle baragonnoys.

Je le prins au pié de la croix,

215En venant de Naples à Romme;

Vous ne veistes onc ung tel homme,

J’ay esté vaillant, Dieu mercy!

THEVOT

Colin, amaine-luy icy,

Velà bien besongné à toy.

COLIN

220Venés donc avec moy,[-2]

Ou aultrement je le lairé:[-1]

Il porte ung grant baston ferré,

Par Nostre Dame, je le crains.

THEVOT

J’ay mon bon baston à deux mains.

225Où l’as tu bouté en prison?

S’il n’est bien [en] forte maison,

Je l’attrapperay, si je puis.

COLIN

Je l’ay bouté derrière l’huys;

Il n’a garde d’en eschapper.

230Veez-le là.
       [Il fait sortir le Pélerin de la maison]

THEVOT

Veult-il point frapper?

COLIN

Regarde-le-moy à la trongne.

THEVOT

Ça, maistr[e], ça, je vous empoigne!

Regarde se je suis vaillant.

L’as-tu bien conquesté si grant?

235Colin, tu es vaillant homme![-1]

COLIN

Et je le prins au premier somme,

Entandis qu’il dormoit,[-2]

Et j’escoutoye où il ronfloit,

Alors le couraige me crut.

THEVOT

240De peur qu’il ne t’aperceu[s]t,

Il estoit saison de le prendre.
                     [au Pelerin]

Combien de rançon veux-tu rendre?

Je regny.[[243]]


 [[ Print Edition Page No. 39 ]] 
LE PELERIN

Got fadracot garare vestud mystre

245Tauffe du lain mistrande.

THEVOT26 vo]

Mais que dyable esse qu’il demande!

Je n’entens point son jobelin.

Parle-il françois ou latin?

Je n’en sçais, sus ma conscience.

LE PELERIN

250Ophilos ars d’implorance

Filos meretrefalement.

THEVOT

Veult-il faire son testament?

Colin, demande luy cujus casus,[+1]

De ton latin en sces-tu plus?

255Tu as tant esté à l’escolle.

LE PELERIN

Sarderefore basterolle

Hoart zoart belle fredac.

THEVOT

Avoit-il rien en son bisac,

Quant tu le prins premierement?

260Tu le happas subtillement

Tu fus vaillant, il le failloit.

COLIN

Et je le prins où il dormoit:

Je n’en fusse pas arrivé.

LE PELERIN

Haon mar god toul te rivé

265Zizon grac errac rencontre.

THEVOT

Mais quelle lettre esse qu’il nous monstre?

Monstre-la ça, mon filz Colin,

Je cuyde qu’elle soit en latin.[+1]

Uni, uni, universis,

270Que je ne sçay où j’en suis:[-1]

Inspect, inspect, inspect . . .

COLIN

Inspecturis[+2]

THEVOT

A tredame, tu l’as trouvé!

Ma foy, j’estoye fort troublé,

Je la lisoye à revers;

275Mais il est tant de mauvais clercs!

Pensez que vecy mal escript.

Je cuide que la lettre dit

Qu’il s’en va en pelerinage.

LE PELERIN

Ouel, ouel!

THEVOT

Il disoit bien au couraige,[[279]]

280Ma foy, qu’il estoit pelerin;

Je le congnois bien au latin.

Le dyable ait part en la prinse.

J’en eusse eu vie[le] robe grise,†[[283]]

Colin et ta mère de mesme.

285S’il eust esté de Sarazinesme,[+1]

27 ro]Il eust payé plus de six mille solz.[[286]]

Deslie tost, nous sommes foulz;

Tu n’as pas fait nouveaux esplaitz,

Il fault aller tenir noz plaitz,

290J’ay bien aultre chose affaire[-1]

LE PELERIN

Qu’esse ce or comme il coserre.

Hort, hort mine coque gigois.
[Il s’en va][[292]]

THEVOT

Il s’en va firli firlibois,

Pardieu, à saincte Katherine,

295Colin, la lettre le decline.

COLIN

Vous n’entendez pas la feçon;

C’est Nostre Dame de Cleron,

Par ma foy, je croy qu’il y va.

THEVOT

Par sainct Père, c’est donc cela!

300Je n’avoye pas bien extringué

Ou je cuide que le curé

Y mist de mauvais latinaige.

COLIN

Quant je l’avisé au visaige,

Affin que bien je vous die[-1]

305Je cuidoye qu’il fust de Turquie,

Pour ce qu’il estoit si très grant.

THEVOT

Laissons cecy pour maintenant.

Qu’ay je fait de mon escriptoire?

Il me convient mettre en memoire

310Le cas de mes memoriaux.

Comment espeleray-je houseaux?

COLIN

H. O. U. s. i. a. u. x. siaux.[+1]


 [[ Print Edition Page No. 40 ]] 
THEVOT

Par saint Jacques, tu dis bien[-1]

Mais je ne sçay si je oublie rien;

315Il fault regarder hault et bas.

LA FEMME [revenant]

Et perdray-je l’oye et le jars,

La poulle et le coq ensemble?

Fault-il qu’on desrobe et emble

Aux povres gens ainsi le leur?

320Je m’en vois par devers Monseigneur,[+2]

Et luy porteray de mes pommes.
                        [à Thevot]

Monseigneur, entre nous qui sommes

Subjectz dessoubs vostre justice,

Vous nous devez garder police.

325Escoutez, car voicy pour vous,

Et pour dieu, que me soiez doulx!

Onc ne tatastes de telle pomme.[+1]

THEVOT

27 vo]Venez vous comparoir soulz l’orme!

Vous aurez expedition.

LA FEMME

330Voicy encore en mon geron

Du frommaige ung bon quartier.

THEVOT

Il fait bon estre officier;

Ilz ont tousjours de grans prouffitz,

Colin, escoute ça, mon filz,

335Il est saison que on desplace.

LA FEMME

Je vays mener paistre ma vache,

Je reviendray incontinent,

Vous me trouverez seurement

Soubz l’orme, où vous m’avez dit.[-1]

THEVOT

340Colin, pardieu, j’ay grant despit

Qu’i me convient aller à pié![[341]]

Le grant diable en soit loué,

Quant tu perdis nostre jument.

COLIN

Le dyable soit au perdement,

345Et quant onc je fus à la guerre,

Jamais ne partiray de ma terre,[+1]

Par le sang bieu, ne de mon pays.[+1]

THEVOT

Que feras-tu?

COLIN

Ventre Saint Gris,

Tousjours me venez harier!

350Et bref je me veulx marier.

THEVOT

Marier, et à quelle fille?

COLIN

A la fille Gaultier Gargille.

Je seray son mary, pardieu;

J’ay parlé à elle en ung lieu,

355Et si me dist à l’autre fois,

Quant nous escossions les poys,

De mon cousin Pierre Truette.

THEVOT

Elle est assez belle fillette,

Se ne fust qu’elle est boiteuse.[-1]

COLIN

360Ba, ba! elle est joyeuse![-2]

THEVOT

Or laissons icy ce procès,

Il nous fault aller tenir nos plès;[+1]

J’ay bien autre chose à faire.[-1]

Allons! demouras-tu derrière?

COLIN

365Je vais après incontinent.

THEVOT

Or sus, allons vistement;[-1]

Il fault aller nos plaiz tenir.

Adieu, jusques au revenir.

FINIS


 [[ Print Edition Page No. 41 ]] 

NOTES

 [V.] Farce de THEVOT qui vient de Naples. Celle-ci n’est pas inconnue (cf. Répertoire, 121, qui donne Thenot pour Thevot). Elle figure dans le Recueil du British Museum et a été réimprimée dans l’Ancien Théâtre Français de Viollet-le-Duc par A. de Montaiglon (t. II, pp. 388-405). Elle a survécu aussi dans le Recueil Rousset (1612); Colin, fils de Thenot le Maire (le doublet Thevot, Thenot s’explique par Thevenot, diminutif d’Etienne).
Notre texte, quoique différent dans le détail, est plus proche de B.M. (British Museum).

 [1] B.M.: Thevot, Monsieur le Maire.

 [14] B.M.: car il.

 [17] B.M.: P. t. s’en r. grant erre (plus correct).

 [18] B.M.: M g p. par h.

 [20] B.M.: Pour ce qu’il reculoit derriere.

 [22] Nic. R.: Où mourut sans qu’on l’en peust traire.

 [24] B.M.: Je viens vous . . .

 [33] B.M.: Estoit-il tout seullet, ou d . . .?

 [38] B.M.:. . . ma grant jeline . . .

 [41] B.M.: Monseigneur . . .

 [42] B.M.: Et il

 [45] B.M.: l’information

 [47] B.M.: Encore mist s.j.p.

 [51] B.M.: Le dyable y ayt . . . à l’année.

 [57] B.M.: En y a il beaucoup de mortz?

 [59] J’ignore qui sont ces personnages, portant des noms de lieux.

 [66] B.M.: elle pas v.

 [69] B.M.: V.u.

 [73] B.M.: Vous avez tué ma geline . . .

 [75] B.M.: Et que fusmes près de l’a.

 [81] B.M.: Ne feistes v. p. d.r.

 [82] B.M.: Quant à l’a. a.

 [85] B.M.: je vins à e.

 [89] B.M.: par la croix bieu.

 [90] B.M.: A. coquelicoq

 [92] B.M.: Monsieur

 [93] B.M.: t. grant v.

 [95] B.M.: j’ay

 [96] B.M.: m. grant b.

 [101] B.M.: Et c’estoys tu s.b.

 [104] B.M.: P. c’elle m’eust batu.
N.R.: Si ne m’eust-elle pas battu —
Sans m’avoir premier abattu.

 [112] pied à boulle. Je ne comprends pas l’expression. On dit dans le peuple: je ne peux y tenir pied; je ne puis y résister.

 [115] Les 5 vers qui suivent sont remplacés dans le Rec. Nic. Rousset, par 11 vers que reproduit Montaiglon (A.Th.fr., t.II, p. 393, n.1).

 [130] B.M.: Pensez . . .

 [132] B.M.: A l’armée m. b. brague.

 [145] B.M.: dedans. N.R.: devant.

 [149] B.M.: Qu’en

 [151] B.M.: Je vins

 [154] N.R.: Ou seul ou avec vos supposts.

 [155] B.M.: V. ne venez p. à p.

 [157] B.M.: Q. v. vous icy brouiller?

 [158] B.M.: Je regni

 [166] B.M.: Vous la m.

 [169] B.M.: Se doibtz je d., monsieur.

 [170] B.M.: fait

 [185] B.M.: F.

 [186] B.M.: Aussi fault . . .

 [190] B.M.: Par bieu e.

 [191] B.M.: Meshuy rien je . . .

 [195] B.M.: Elle couroit: je saulx a cop.

 [198] B.M., après ce vers: De ce plaindre par devant moy.

 [199] B.M.: M. e. q. te diray

 [200] N.R.: Comment eus tu la hardiesse
De la poursuivre ainsi sans cesse
Tant que tu l’eusse mise à mort.

 [207] N.R.: Que comme vaillant et non lasche
Nous amenastes une fois

 [216] B.M.: Oncques ne vistes u t.h.

 [220] B.M.: V. doncques avecques m.

 [235] B.M.: C. tu estois

 [237] B.M.: Cependant comme il d.

 [238] B.M.: comme il r.

 [244] B.M.: my. Le baragouin des Mystères est souvent de l’hébreu estropié. Cf. M. Schwab dans Revue des Etudes Juives, oct.-déc. 1902 et janvier-mars 1903 mais ici je ne vois point de quel langage récl il se rapproche. Got peut être de l’allemand. Jobclin indiquerait qu’il s’agit d’argot, mais ce n’est point celui de Villon en ses ballades.

 [250] B.M.: O fillos aes dimplorare. Les deux premiers mots sont grecs: O philos.

 [251] B.M.: meretre salment. Meretre = peut être latin meretrix.

 [256] B.M.: Sardore, sore, b.

 [257] B.M.: “Zohart,” qui pourrait être le livre de la kabale juive.

 [264] B.M.: Aaou mac gos tu te rivé

 [265] B.M.: Tison

 [267] B.M.: M. la moy

 [269] B.M., après universis a ce vers:
Les lettres sont si tres menues.

 [279] B.M.: Ouel. ouel. peut-être l’anglais well.

 [282] B.M.: Le d. y ait p. à la prise.

 [283] B.M.: J’en e. en la r.g.

 [286] B.M.: S’il le e.s.

 [287] B.M.: D. le t.

 [291] B.M.: Queste hore commil consere.

 [292] B.M.: Il s’en va a Firlibois. Firlibois altération de Fierebois.

 [293] Il s’agit de Sainte Katherine de Fierbois où Sainte Jeanne d’Arc prédit qu’on trouverait l’épée qui lui était destinée.

 [297] Notre-Dame de Cléry, pélerinage favori de Louis XI.

 [298] B.M.: il y a

 [313] B.M.: Ha, par

 [320] et 322 B.M.: Monsieur

 [352] B.M.: Garguille. Cf. Introduction.

 [355] B.M.: Et si el me dit l’autresfoys

 [360] B.M.: C’est tout ung, en est plus j.

 [361] B.M.: ce propos

 [362] B.M.: Il fault aller [tenir] n p.

 [366] B.M.: sus, sus
B.M. a ce colophon: Icy fine la farce de Thevot et Colin son filz. Imprimé nouvellement à Lyon en la maison de feu Barnabé Chaussard, près Notre Dame de Confort. Mille cinq cens quarante et deux, Le XX de juing.

Endnotes

 [81,] O: fais.

 [86,] O: je j’ouys.

 [92,] O: Moaseinneur.

 [154,] O: piros.

 [155,] O: penez.

 [158:] Manque un vers pour rimer avec celui-ci.

 [166,] O: poullaige.

 [†] Éd.

 [195,] O: il je.

 [208,] O: poins.

 [243,] est incomplet.

 [283,] O: vier ode grise.

 [†] Éd.

 [324,] O: prolice.

 [336,] O: ma vache paistre.

 [341,] O: dispit.


 [[ Print Edition Page No. 42 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 43 ]] 

VI
[Feuillet 28]
[recto et verso en blanc]
29 ro]
FARCE NOUVELLE
TRES BONNE ET FORT JOYEUSE DES QUEUES TROUSSEES
A CINQ PERSONNAIGES
*

[vignette]

LES QUEUES TROUSSEES

MACÉ commence en chantant, faisant
                                                  ses lenternes:
29 vo]

“Oncques depuis mon cueur n’eut joye

Que fuz marié de nouveau.”

MICHAULT, en cousant ses souliers:

He! que vecy mauvaise soye;

Elle vient d’ung mauvais pourceau.

5Qu’esse si, bon gré sainct Marceau,

Comment se paillart s’il se lie?

Ha! j’entens bien; c’est cuir de veau;

C’est la cause qui ce amolie,

Et vecy terrible folie

10Sesi ne vault pas ung denier.

MACÉ, en chantant:

“Crocque-la-pie se marie

A la fille d’ung poissonnier.”

MICHAULT

Voysin?

MACÉ

Que te fault-il, Gaultier?

MICHAULT

Et je ne sçais, par Nostre Dame,

15Si sois; dy-moy, je te requier,

Se tu sces où est allée ma femme.[+1]

MACÉ

Ta femme? Nenny, par mon âme,

Je croy bien qu’elle se devise

Et qu’elle estudie la legende

20Avec les clercs de nostre eglise.

MICHAULT

Elle leur fait une chemise

Ou des mouchoirs en leur maison.

MACÉ

Mais qu’il est nouvelle prise[-1]

Se leur est fresche venoison?

MICHAULT

25Et la tienne?

MACÉ

En toute saison,

A l’hostel. Où pourroit-elle estre?

MICHAULT

Elle est par bieu, en garnison,

En la chambre de quelque prestre

Et on ne la sçauroit mieulx mectre.[[29-34]]

MACÉ

30Mais la tienne; tu n’en dis blasme;

Elle fait le lit de son maistre;

Elle n’y peult avoir nul blasme;

C’est ce qui la fait preude femme;

Elle va jouer. Que veulx tu?

MICHAULT

35Foy que doy vertu mon âme,[-1]

30 ro]Si ne fus-je jamais coqu!


 [[ Print Edition Page No. 44 ]] 
MACÉ

He dea! Comment tu es testu!

MICHAULT

Et puis?

MACÉ

N’es-tu pas bien rebelle?

Il semble que tout soit perdu,

40Aussi tost qu’on te parle d’elle.

MICHAULT

Que maudicte soit la femelle!

Ce n’est que meschant cuir de veau.

MACÉ chante:

“Baille-luy, baille, baille-luy belle,

Baille-luy, baille, baille-luy beau.”

MICHAULT chante:

45“Tarabin, tarabas, tarabinelle,

Tarabin, taraba, tarabineau.”

MACÉ

Je frappe ung coup de marteau[-1]

Par trop, je ne sçay que je brouille.

MICHAULT

Vecy de la soye de pourceau

50Aussi molle comme ma couille.

MACÉ

Que cecy est dur!

MICHAULT

Si le mouille.

La 1. femme, ayant la queue de sa robe
longue et trainant à terre qu’il auront
levée:

Macé!

MACÉ

Qui est là?

LA [PREMIERE]

Vous vous faignez.

La [seconde] femme ayant queue pareille
que la première et levée:

Vous aurez ung coup de quenoille

Aussi, se vous ne besongnez.

MICHAULT

55Mais vous tousjours vous pignez

Ou voz saintures vous saignez;

Mais ce ne sont pas beaux mestiers.

MACÉ

Ma femme, aussi vous groignez,[-1]

L’on m’a bien dit que vous baignés

60Avec d’autres que mes commères.

LA [DEUXIEME]

On fait souvent de bonnes chères,

Mais c’est sans pencer à malice,

Quant on est avec ses compères.A II.

MACÉ30 vo]

Que vous estes bonnes à l’office![+1]

LA [PREMIERE] FEMME

65Ne vous chaille, c’est ung novice;

Au monde n’est rien plus rebelle!

LA [SECONDE]

Se j’estoye vostre nourrice

Je vous froteroye bien soubz l’elle.

MACÉ

Je m’en raporte bien à elle,

70Mais je sçay bien ce qu’on m’a dit.

LA [PREMIERE]

Le jeu ne vault pas la chandelle.

LA [SECONDE]

Or n’en parlons plus; il suffist.

Le grant monsieur qui nous fist

L’autre jour si bonne chère[-1]

75Si m’a mandé par son petit

Gars, que nous ne demourions guière.

LA [PREMIERE]

Et de partir, par quel manière?

LA [SECONDE]

Ennemenne, je n’en sçay rien.

LA [PREMIERE]

Par quelque excusance legiere

80En fauldra trouver le moyen.

LA [SECONDE]

Pensez que nous y ferons bien

Ennuyt la compaignie françoise.

LA [PREMIERE] [apercevant son mari]

Haa! mon mary!

MACÉ

Estront de chien!

LA [PREMIERE]

Voulez-vous pas bien que je voise

85Ung petit sur une bourgeoise,

Tandis qu’il ne fait pas trop let?


 [[ Print Edition Page No. 45 ]] 
MACÉ

Affin que n’aye point de noise

Par Dieu, allez où vous vouldrez.

LA [PREMIERE]

C’est pour luy tailler ung collet

90Pour ce que le sien est trop hault.

MACÉ

Fust pour luy couper le sifflet,

Par mon serment, il ne m’en chault.

LA [DEUXIEME]

Mon amy, tandis qu’il fait chault,

Et qu’i ne fait pas trop croté,

95Il me fault, mon mary Michault,

Aller jusques à la cité.

MICHAULT

31 ro]Qui vous a si tost invité?

Le macquereau, ouy, par ma foy.

LA SECONDE FEM[ME]

C’est une dame, en verité,

100Laquelle suyt la Cour du Roy.

MICHAULT

Voire, mais tous les jours je voy

Ung grant tas de ratisserie,

Par quoy j’ay grant peur par ma foy

Qu’il y ait de la tromperie.

105N’allez pas donc en riblerie.

LA SECONDE

Que cela je vous feisse acroire

Et c’est, par la Vierge Marie,

Pour enfiller des parlettes.

MICHAULT

Voire.[+1]

Je vous en croy; il est notoire

110Que se mot-là j’avoys songé.
[Il rentre chez lui]

LA SECONDE [à la première]

J’ay esté en grant accessoire

Avant que aye peu avoir congié,

Mais à la fin je l’ay rangé,

En luy faisant acroire songes

115Je cuide que luy ay songé

Plus de cinq cens milles mensonges.

LA PRE[MIERE]

Nous leur referons leur longes,[-1]

Et fussent-ils ung droit milier.

LA SECONDE

Nous les ferons doulx comme esponges

120Quant les voulons humilier.

LA PRE[MIERE]

Pensons au prouffit singulier

Pour tenir au plus rusez serre.

LA SECONDE

De nos queues nous fault traigner

Et les abaisser jusqu’à terre.

LA PREMIERE

125Nous envoirons noz mariz braire.

LA SECONDE

Par bieu, nous les ferons infames!

Allons nous en voir ces gens de guerre[+1]

Qui contentent si bien leurs dames.
[Elles sortent]

MACÉ

Michault.

MICHAULT

Macé?

MACÉ

Disons noz games

130Et puis chantons et ferons raige.A III.

MICHAULT31 vo]

Je suis si aise que noz dames

Sont allées en pelerinage.

MACÉ

Ils sont allées en garçonage;

Cuides-tu qu’ilz soient à l’eglise?

LA [PREMIERE] FEMME, qui laisse
                               traîner sa queue à terre
[reparaissant]

135Nous sommes vostre malle rage,

Ort vilain paillart lanternier.

LA [SECONDE] FEMME, laisse traîner
                                            sa queue à terre, et dit:

Et fault-il pour ung souffletier,

Veu que mal jamais ne nous vit,

Et aussi pour ung savetier,

140Que nous ayons tant de despit,

Et en parlez-vous, il suffist,

Me faictes-vous si très grant blasme?


 [[ Print Edition Page No. 46 ]] 
MICHAULT

Et vrayement je ne l’ay pas dit;

S’a esté Macé, par mon âme,

145Qui m’a dit que par Nostre Dame

Vous estiez toutes deux à la forge.[+1]

MACÉ

Croiez-vous ce paillart infame,

Il a menty parmy la gorge.

MICHAULT, en se esbatant des queues
                                                    de leurs femmes:

Mais qu’esse cy, bon gré sainct George,

150Que vecy longue trainée![-1]

MACÉ

Elles sont propres comme un grain d’orge![+1]

LA [PREMIERE FEMME]

C’est la façon de ceste année.

MACÉ

Vous estes bien habandonnée

D’une si longue queue prendre.

MICHAULT

155Qui a la façon amenée?

Je prie à Dieu qu’on le[s] puist pendre.

MACÉ

Voisin, scez-tu où veulx pretendre

A quel fin et à quel moyen.

Coupons ces queues pour les vendre,

160Car cest estat-cy ne vault rien.

LA [PREMIERE FEMME]

Vous, coquin, bourreau, ruffien,

Dictes-vous que les comperés.[-1]

Ha! nous vous en garderons bien,

Par sainct Jacques, vous mantirés.

MICHAULT

165Et par Dieu, dont vous sortirés

32 ro]Plus viste que vent de Janvier.

LA [SECONDE]

Vous paillart, vous me fraperez,

Mais regardez quel vieilz rotier.

LA [PREMIERE]

Ma voisine, il nous est mestier

170De trouver qui y remedira.[+1]

LA [SECONDE]

Charchons quelque bon savetier,

Je ne sçay moy que ce sera.

LA [PREMIERE]

Nous irons voir qui m’en croira,

Maistre Aliborum, ung petit.

175Incontinent il nous dira

Ce que nous ferons.

LA [SECONDE]

C’est bien dit.

LA [PREMIERE]

N’en parlons plus il souffist,[-1]

Il nous ostera hors d’esmoy.

[Elles vont chez MAISTRE ALIBORUM]

MACÉ [à Michault]

Par le sang que Dieu me fist

180Je meurs de soif.

MICHAULT

Si fois-je moy.

LA [PREMIERE FEMME]

Velà monsieur que je voy.[-1]

LA [SECONDE FEMME]

Allons compter nostre moyen.

MACÉ

Je suis aise quant je boy.[-1]

MICHAULT

Voire et qu’i ne te couste rien.

[Les Femmes arrivent chez maître Ali-
                borum qui paraît
]

LA [PREMIERE]

185Monsieur, devers vous je vien,

Car mon mary m’a voulu batre.

LA [SECONDE]

Enne aussi a fait le mien,

S’on ne les eust chassez au plastre.

MAISTRE [ALIBORUM]

Et c’est trop compté sans rabatre,

190Ilz sont trop aises seurement,

S’il fault que leur baille une emplastre,

Ilz en maudiront l’ongnement,

Et fault-il tant de hongnement;

Les fièvres les espouseront.

MACÉ [à Michault en buvant]

195Noz femmes ont des chaperons,

Affin qu’on die qu’i sont gaillardes.


 [[ Print Edition Page No. 47 ]] 
LA PREMIERE FEMME32 vo]

Il me semble de ces lucarnes

Qui sont au faiste de ces maisons.[+1]

Ilz nous ont juré grans sermens,

200Quant au regard des chapperons,

C’est la maniere de maintenant,[+1]

Que noz queues ilz coupperont.

MAISTRE ALIBORUM

Taisez-vous; taisez; non feront.

LA SECONDE

Faictes-les don tenir en paix.

MAISTRE ALI[BORUM]

205Plus longues encores y seront[+1]

Et plus larges, se je m’y metz.

Pour ce qu’ilz ne finent jamais.

On ne peult faire bonne chere,

Je leur serviray d’ung tel metz

210De quoy on ne se doubte guère,

Macé a bonne femme entière,

Et belle; qu’esse qu’il luy fault?

LA SECONDE

Il m’appelle vieille trippière.

MAISTRE ALIBORUM

Voire, vostre mary Michault?

LA PREMIERE

215Noz mariz chantant aussi hault . . .

MAISTRE ALI[BORUM]

Je les feray chanter plus bas.

LA SECONDE

Mais de cela, il ne m’en chault,

S’il ne m’apeloit vieil cabas.

MAISTRE ALI[BORUM]

Ne vous couroucez pour tous debas[+1]

220Puis que n’estez point affollées;

Vrayement ilz jouront au rabas,

Ilz ne jouront plus à la vollée.[+1]

LA SECONDE

Mon mary m’a tousjours foullée;

De Dieu puist-il estre mauldit!

MAISTRE ALI[BORUM], en levant
                                                       le
urs queues:

225Vous aurez la queue troussée

En despit de ce qu’ilz ont dit.

LA SECONDE

Incessamment le mien mesdit

Sur moy; ay-je tort, se m’en course?

Oncques depuis qu’il se sentit

230Avoir deux blans dedans sa bourse,

Je n’euz bien à luy.

MAISTRE ALI[BORUM]

Pourquoy?

LA SECONDE

Pour ce.

MAISTRE ALIBORUM33 ro]

Dont vient cela qu’i n’est plus doulx?

Vous luy faictes trop la rebource,

Quant il se vient jouer à vous.

LA [SECONDE] FEMME

235Sauf vostre grace, il est jaloux

Et si est plus despit qu’ung chien.

MAISTRE [ALIBORUM]

Et aussi vous le faictes coux.

LA [SECONDE] FEMME

Dea, voire! mais il n’en scet rien.

MAISTRE [ALIBORUM]

Saint Jehan, vous serés tantost bien.

LA [PREMIERE] FEMME

240Si bien qu’il n’y aura que redire.[+1]

MAISTRE ALIBORUM

Ce mirouer si sera moyen

De faire vostre queue reluire;

J’ay bien besongné d’une tire,

Il est plus cler qu’une verrière;
[regardant par la fenêtre]

245Regardez! y a il que redire

Fait-il pas beau veoir leur derrière?

MACÉ

Ceste corne fut entière;[-1]

J’auroye ung couraige de poix.

LA [SECONDE]

Que ma queue seroit belle trainant.

LA [PREMIERE]

250J’ay la plus belle d’Orléans.

MICHAULT

Ha, ha, ha, ha, Macé, je me ris

De noz femmes qui sont sy bestes.


 [[ Print Edition Page No. 48 ]] 
MAISTRE [ALIBORUM]

Retournez devers voz maris

Et parlez bien à leurs barrettes;

255Voz queues sont assez honnestes;

Depechez-vous a’vous ouÿ?

Dieu mercy vous avez deux . . .[-1]

Testes de femmes n’avez pas.

LES DEUX [FEMMES] ENSEMBLE

Ouy.

LA [PREMIERE]

Nous avons cy trop rouy![-1]

260Adieu!

MAISTRE [ALIBORUM]

Adieu, gentes galoises!
[Elles sortent]

MACÉ

Je puisse estre vif enfouy,

Se ne revecy noz bourgeoises.

MICHAULT

33 vo]Ce ne sera pas dont sans noises.

MACÉ

Je croy que ce ne sera mon.

MICHAULT

265Elles sont par Dieu aussi courtoises[+1]

Comme une ortie ou ung chardon.

LA [PREMIERE FEMME]

Ma queue, mon chaperon[-1]

Est fait à la façon qui court.

LA [SECONDE]

Il y fault du parchemin pour

270Le faire tenir debout.[-1]

LA [PREMIERE]

Macé, nous venons du pardon.

MACÉ

Du pardon? ha! ne mentez point!

LA [SECONDE]

Et d’avec Maistre Aliborum

D’apprendre nostre contrepoint.

MICHAULT

275Et quoy faire?

LA [PREMIERE]

Il nous a recourt

Ung petit nos queues plus hault.

MACÉ

Il a dont heurté au maujoint,

Car s’en est ung maistre brifault.

LA [SECONDE]

Il nous a mis pour faire ung sault

280La queue de bonne manière.

MICHAULT

Et esse pour avoir plus chault

Qu’il a descouvert le derrière?

MACE

Vous a-il lavées à la rivière,[+2]

Vous a-il menées à l’abrevouer?[+2]

LA [SECONDE]

285C’est une chose singulière

Des biens qu’i nous a fait avoir.

MICHAULT

Et dea, je vouldroye bien sçavoir

Une chose que vous voys dire,

Mais dequoy sert ce mirouer?

LA [PREMIERE]

290Pour faire nostre queue reluire.

MICHAULT

Ha! ma femme que je me mire,

Ou par Dieu, je n’en feray rien.

LA [SECONDE]

Aprochez-vous; vecy pour rire!

Mirez-vous fort, je le veulx bien.

MACÉ, en soy mirant34 ro]

295Je me mire par bon moyen

Mais par bieu, je ne suis pas beau.

LA PRE[MIERE] FEM[ME]

Pour ung mary orelien

Vous estes plus lourt qu’ung boureau.
NOTA: que les deux hommes doivent
avoir soubz leurs chappeaux chacun ung
bonnet à oreiles de veau. MICHAULT
en ostant son chapeau de la teste dit en
                       soy mirant:

Quoy! se je n’ouste mon chappeau,

300Je ne me puis mirer icy?

LA SECONDE [FEMME]

Pour ce qu’ilz ont teste de veau

Ilz n’entendent pas bien cecy.


 [[ Print Edition Page No. 49 ]] 
MACÉ, en ostant pareillement son chap-
                                              peau, dit, en soy mirant:

Michault, je suis en grant soucy

De ce miroer; je y voy merveilles!

MICHAULT, en soy mirant:

305Au miroer, ma femme, vecy

Une teste à deux grans oreilles,

Serrée comme raisins en treilles;

Que puisse estre? je y pers mon sens!

MACÉ, soy mirant:

Il me souvient de ces bouteilles,

310Quant je me mire icy dedans.

LA PREMIERE

Pour faire noz maris contens

Nous les faisons bien follier.

LA SECONDE

Si sont-ilz veaux, maugré leurs dens,

Ilz ne le sçauroient regnier.

MICHAULT

315De la queue que portiés hier,

Par ma foy, je n’en auroys cure.

MACÉ

Ilz servoient pour baloyer

De la terre toute l’ordure.

LA PRE[MIERE]

Noz mariz pour toute adventure,

320Laissons-les songer le moron,

Et se contre nous l’on murmure,

Allons veoir Maistre Aliborum.

LA SECONDE

Se quelque chasseur à furon

Venoit, ne soions rebelles,

325Car il donra ung chapperon,

Puis que les queues sont si belles.

LA PREMIERE

Il nous fault sçavoir des nouvelles

Entre nous, mignonnes, pour rire.

MICHAULT34 vo]

Jamais je ne vy queues telles

330Que ceulx-ci ne si bien reluire.

MACÉ, en soy mirant derechef:

Je suis joyeulx quant je me mirre,

En ung miroer qui est si beau,

Je ne scet moy que c’est à dire.

Je y voy deux oreilles de veau,

335N’esse pas ung miroer nouveau?
Puis doit remectre son chappeau sur sa
teste en soy mirant comme tout esbahy,
                      et dit:

Mais je n’entens rien au surplus,

Pour ce qu’ay mis mon grant chapeau,

Ses deux oreilles n’y sont plus.

MICHAULT

Et je m’en voys comme reclus,

340Aussi par bien mectre le mien.
Lors doit mectre son chappeau dessus sa
                 teste en soy mirant:

Par ce miroer, je conclus

Que je n’entens point le moyen.

Et quoy? vecy chose de bien,

Que sont-ilz si tost devenus?

345Des oreilles, je n’en voy rien;

Je croy moy qu’elles sont perdues.

LA PREMIERE FEMME

Tousjours seront entretenues

Noz queues, car elles sont honnestes.

LA SECONDE

Quant noz maris les ont tenues,

350Ilz s’i sont mirez comme bestes!

LA PREMIERE

Si en fera bien ses grans festes,

Encores quelque homme de bien.

LA SECONDE

Mais en despit de leurs testes

Sont veaulx et si n’en sçavent rien;

355Nous retourons après les festes.

Adieu, Messeigneurs!

LA PREMIERE

Adieu vous command.

EXPLICIT


 [[ Print Edition Page No. 50 ]] 

NOTES

 [VI.] Farce des Queues troussées.

 [29-34] L’absence de liaison des répliques par la rime révèle une altération du texte.

 [56] saignez. = ceignez.

 [71] le jeu ne vaut pas la chandelle. Cette expression vient du théâtre et doit donc être soulignée ici.

 [196] qu’i. i pour elles appartient encore à la région parisienne.

 [256-259] Texte que des lacunes qu’on appelle en argot de typographe un mastic rendent incompréhensible. Peut être un mot incongru de trois lettres est-il omis à la fin du v. 257.
Nota: etc. Cette Farce est donc une Farce des Veaux, telle qu’on en joua une encore en 1560 après Jules César de Grévin. Ces oreilles rappellent d’ailleurs le bonnet à coquilles des fous.

Endnotes

 [†] Éd.

 [†] Éd.

 [111,] O: ancessoire.

 [†] Éd.: reparaissant, seulement.

 [†] Éd.

 [†] Éd.

 [241,] O: Se.

 [†] Éd.


 [[ Print Edition Page No. 51 ]] 

VII
35 ro] FARCE NOUVELLE
à SIX PERSONNAGES,
*

[vignette]

FARCE NOUVELLE

à six personnages

REGNAULT commence en chantant:35 vo]

“Chascun m’y crye: marie toy, marie,[+1]

Hélas! je n’ose tant suis bon compaignon.”[+1]

GODIN FALOT

Mais veult-on plus joyeuse vie

Qu’avoir sa plaisance assouvie

5Et rustrer avec les mignons.

FRANC ARBITRE

Fy de dueil et de fantaisie,

D’aucun y a qui se soucye;

Ne suyvez plus telz compaignies.

GODIN

Alègres!

FRANC ARBITRE

Preux.

[GODIN FALOT]

Droitz comme joncz.

FRANC ARBITRE

10Prestz à gauldir et tard et tost.

GODIN [FALOT]

Voicy mignons hardis et promptz

Pour faire departir ung ost.

FRANC ARBITRE

Regnault, qu’as tu, tu ne dis mot?

REGNAULT

Je songe, je pense.†[[14]]

GODIN

15Ma foy, tousjours seray Godin Falot,

Hante qui vouldra avec moy!

REGNAULT

Une fois fault penser de soy,

Je l’ay leu en aucun chapitre.

GODIN

Et donques à ce que je voy,

20Tu veulx laisser ton franc arbitre.

REGNAULT

Brief, je me mectray au registre

Des mariez, car il le fault.

GODIN FALOT ET FRANC
                                        ARBITRE,
en chantan[t]:

“Tu t’en repentiras, Regnault,

Tu t’en repentiras.”

FRANC ARBITRE

25Sces-tu bien comment tu seras,

Se tu te metz en mariage?

REGNAULT

Nenny, par ma foy![-3]†

GODIN

Tu n’yras plus avec nous en garouage.

REGNAULT

Sçavoir vueil que c’est de mesnaige

30Car aucuns m’ont dit que c’est blasme.
En chantant:

36 ro]“Regnault, se tu prens femme

Garde que tu feras.”

Je seray refait gros et gras,

Comme on m’a donné à congnoistre.


 [[ Print Edition Page No. 52 ]] 
FRANC [ARBITRE]

35Et voire mais tu dineras

Souvent à la table ton maistre.

GODIN

Avec Franc Arbitre veulx estre.

REGNAULT

Saint Jehan, je veulx devenir chiche.

FRANC [ARBITRE]

On fait bien gens mariez paistre.

40Pour pain blanc mengüent de la miche.

REGNAULT

Je me mectré en ung lieu riche;

Ne vous chaille, j’entens ma game!
Chantant:

“Se tu prens jeune femme,

Elle te reprochera, Regnault,

45Tu t’en repentiras.”

GODIN

Veulx-tu laisser jeulx et esbatz,

Pour t’aller bouter en tutelle,

Et t’asubjecter à ung bas

Pour voulloir chevaucher sans selle?

REGNAULT

50C’est une plaisance immortelle,

Quant on a une femme saige.

FRANC [ARBITRE]

Tousjours est jallouse et rebelle

Quant elle vient ung peu à l’aage.

REGNAULT

Marier me vueil, voicy raige,

55Car je ne puis acquerir blasme.
Chantant:

“Se tu prens vieille femme,

Elle te rechinera.”

REGNAULT

Et bien on en demandera

Une jeune joyeuse et frisque.

GODIN

60Par ce point on t’apellera

Jaloux, tu seras fantastique.

REGNAULT

J’auray une belle relique

Que je baiseray de jour et de nuyt;

Brief c’est une chose angelique

65Qu’estre marié.

FRANC [ARBITRE]

36 vo]Cela nuist.

REGNAULT

C’est soulas, c’est plaisir, c’est bruit,

Quant on a jeune femme et belle,

Car quant on s’esveille à minuit,

On peult besongner sans chandelle.

GODIN

70Jeune femme tient en tutelle

Son mary.

REGNAULT

Jeune femme auray.

FRANC [ARBITRE]

Tu l’auras telle quelle.

REGNAULT

En effait, je me marieray;

Avec elle temps passeray,

75Voire sans faire tort à âme.

LES AULTRES en chantant:

“Se tu prens jeune femme,

Cocu tu en seras;

Tu t’en repentiras.”

REGNAULT

A! par le corps bieu, non seray,

80Doulcement je la traicteray,

Et useray de beau langaige.

GODIN

Jamais ne te conseilleray

Te marier.

FRANC ARBITRE

Tu seras donc foul.

REGNAULT

Mais saige,

Je merray ma femme en voiage,

85Et puis en l’ombre d’une haye,

Nous ferons nostre tripotaige;

Brief il est bien temps que j’aye

Une femme qui soit de mise.
En chantant:

“Quant ira à l’eglise,

90Le prestre la verra.”

REGNAULT

Et puis il luy conseillera

Son salut; cecy sans† broquarder;[[92]]

Par Dieu, pas ne la mengera;

Les yeulx sont faictz pour regarder.


 [[ Print Edition Page No. 53 ]] 
GODIN

95Quant Venus vieult dame happer,

Regnault, de cecy remembre!

De prestre ne peult eschapper

Nomplus que le festu à l’embre.
Chantant:

“La merra en sa chambre,

100Ung enfant luy fera, Regnault,

Tu t’en repentiras, Regnault.”

REGNAULT37 ro]

Godin Falot, tu en diras

Ce que tu vouldras, mais je me vante,

Que comme moy tu ne seras

105Clos ne couvert au feu la plante.
En chantant:

Et quiconques chante, tu respondras.

FRANC ARBITRE

Il fault que ta femme soit sainte,

Vestue, preparée et coincte,

Que tu souffriras paine amère.

REGNAULT

110Se ma femme est grosse et ensaincte

Je feray bonne chère mainte,

Et auré compère et commère.
chantant:

“Et qui qu’en soit le père,

Tu seras le papa,

115Tu t’en repentiras, Regnault,

[Tu t’en repentiras].”

GODIN

Soy marier, c’est grant folie.

REGNAULT

Comme quoy?

FRANC [ARBITRE]

L’homme franc se lie

Du lien cruel et sauvaige.

REGNAULT

120Mais est hors de melencolie.

GODIN

Regnault, par Dieu, je le vous nye,

Point ne passeray ce passaige.

FRANC [ARBITRE]

Se tu te boutes en mesnaige,

Tu ne fis onc tel mesprison.

GODIN

125Te sera-il pas bien sauvage

Garder desormais la maison.

REGNAULT

Nenny.

FRANC [ARBITRE]

Pourquoy?

REGNAULT

Le beau blason

De ma femme et le doulx caquet

Me seront à peu d’achoison

130De bien brief faire mon pacquet.

GODIN [FALOT]

S’elle va en quelque banquet

Où plusieurs sont escornifflées,

La où maint mignon perruquet

Frappe du billart au tiquet,

135Quant on a les torches soufflées.

REGNAULT

Femmes qui sont bien renommées,

N’aquièrent jamais mauvais bruit

37 vo]Et ne doyvent estre blasmé[e]s.

FRANC [ARBITRE]

Raison?

REGNAULT

Ilz ont leur saufconduit.

GODIN [FALOT]

140Tu ne viendras plus au deduit.

REGNAULT

Ne m’en chault; j’auray mon pain cuit,

Plus ne conteray mon escot.

FRANC [ARBITRE]

Pren congié de Godin Falot.

GODIN [FALOT]

Franc Arbitre tu laisseras.

FRANC [ARBITRE]

145De te marier si tost,

Par bieu, tu t’en repentiras.

GODIN [FALOT]

Or sa, Regnault, quant tu viendras

En ta maison, gay et joyeulx,

Tes petits enfans trouveras

150Tous breneux, tu les torcheras;

Ce n’est pas tout fait, si m’aist Dieulx.

FRANC [ARBITRE]

Tu te trouves en plusieurs lieux,

Où tu n’oseras plus aller.


 [[ Print Edition Page No. 54 ]] 
REGNAULT

Merier me vueil pour le mieulx;

155Vous perdez temps de m’en parler.

GODIN [FALOT]

Ainsi tu n’iras plus galler

Avec Godin Falot. Regnault,

Je t’ay veu si bien avaller

Ung beau petit paté tout chault.

REGNAULT

160Uneffois retirer se fault,

Gens mariés sont resolus.

FRANC [ARBITRE]

Je sçay bien dont vient le deffault:

Tu n’as pas leu Matheolus.

GODIN

Jeulx de bateaux, harpes et lucz,

165Dances, esbatz, as tant aimés.

REGNAULT

Je n’en veulx plus.

FRANC [ARBITRE]

Pourquoy?

REGNAULT

Ce ne sont qu’abus.

GODIN [FALOT]

Regnault, tu entens mal ton cas.

FRANC [ARBITRE]

En mesnaige sont tous debatz,

170Femmes ne sont point sans riotes.

GODIN FALOT38 ro]

Tousjours sourdent noises et desbatz

Et est on plus subget au bas,

Que sotz ne sont à leurs marottes.

FRANC ARBITRE

Femmes demandent robes, cotes,

175Sainctures, tissus, demy sainctz,

Chaperons, passe-mariotes.

Les aucunes font des bigotes,

Et si font plaisir aux humains;

Mariez sont-ilz point contrains

180De fournir à l’apointement?

REGNAULT

Je me marie, car je crains

Estre oingt de cet oignement.

GODIN [FALOT]

Considerés premierement

Qu’il fault varletz et chamberières,

185Et qui feront secretement

A tes despens de bonnes chères.

FRANC ARBITRE

Item, provisions sont chières,

Pense ung petit en ton oultrage,

Et que testes sottes legières

190Te veullent mettre en mariage.

GODIN [FALOT]

Se tu as mauvais voisinnage,

Et avec toy on hante ung peu:

Conclusion, non en eschappe,

Non plus qu’on fait du mau saint Leu.

FRANC ARBITRE

195Il est certain.

GODIN [FALOT]

Velà le neu!

REGNAULT

Faire cecy on n’oseroit,

J’en bouteray mon doy au feu.

FRANC [ARBITRE]

Et par mon âme, il bruleroit.

GODIN [FALOT]

Qui les enormes maulx diroit

200Qu’on a trouvé en mariage,

Jamais on ne se mariroit.

REGNAULT

Esse une chose si sauvaige?

FRANC [ARBITRE]

Exemples en avés maintenant

D’ung homme de laische couraige,

205Qui a baillé sa femme en gaige,

Trois mois pour trente frans contant.

REGNAULT

Cil qui a fait est consentant

D’estre cocu et ne luy chault

Lequel bout en voise devant.

GODIN FALOT

210Garde d’estre en ce point, Regnault.

REGNAULT38 vo]

J’auray plus cher prendre un fer chault

Aux dens, que faire telle chose.


 [[ Print Edition Page No. 55 ]] 
FRANC [ARBITRE]

Qui se veult marier il ne fault

Que veoir le Rommant de la Rose.

REGNAULT

215Tousjours ung sot sotie expose

Et esmeut discordz, debatz, noises.

GODIN [FALOT]

L’homme marié ne repose

Jamais avecques les galoises.

FRANC ARBITRE

Vray est que d’aucunes bourgeoises

220De saint Fiacre reviennent,

Qui estoient doulces et courtoises,

Leurs prochains voisins les menant.

Touteffois ainsi qu’elz estoient

En chemin, affin qu’on le notte,

225Toutes assez bon cueur avoyent

Si ce ne fut une bigotte

Qui print à delaisser sa rotte,

Et fist si bien pour faire fin

Qu’elle demoura à la pissote,

230Seulette avec ung sien voisin.

GODIN [FALOT]

Regnault, retiens cela affin

De changer ung pou ton couraige,

Car certes il n’y a si fin

Qui ne soit trompé au mesnage.

REGNAULT

235Ce que dittes n’est que bagaige,

Marié seray, quoy qu’on die.

FRANC ARBITRE

Je suis marry de ton dommaige,

Mais à te nuyre estudye.

LAVOLÉE commence en chantant:

“C’est ung mauvais mal que de jalousie,

240C’est ung mauvais mal à qui l’a.”

GODIN FALOT

Qu’esse cy?

FRANC ARBITRE

Qui est cest[e]-là?

GODIN [FALOT]

Comme elle entre en soursault!

LAVOLÉE

Bonjour! Dieu vous gard! Me velà!

FRANC ARBITRE

Où vas tu?

GODIN FALOT

Qu’esse qu’il te fault?

LAVOLÉE39 ro]

245Je viens revisiter Regnault.

REGNAULT

Par Dieu, vous serés accollée!

FRANC ARBITRE

Qu’esse que tu feras, lourdault?

REGNAULT

Elle sera par moy consollée.
[Il embrasse Lavolée]

LAVOLÉE

A! il ne m’a pas affolée!

GODIN [FALOT]

250Regnault, foy que doy Nostre Dame,

Se marier à Lavollée!

REGNAULT

Ce feray mon, ce sera ma femme!

FRANC ARBITRE

Te marier, bon gré mon âme,

A Lavollée!

REGNAULT

255Que je te baise, belle dame!

GODIN [FALOT]

Il est fol naturel.

FRANC ARBITRE

C’est mon.

GODIN [FALOT]

Homme qui deust avoir regnon,

Prendre une femme desollée.

LAVOLLÉE

Regnault, baise-moy le menton!

FRANC ARBITRE

260Velà Regnault qui se marie

A Lavollée!

CLERICE

Messire Jehan, la messe est sonnée!

MESSIRE JEHAN

Clerice, chanterons-nous hault?

CLERICE

Ouy, car à cest journée

265L’offrende tousjours beaucoup vault.


 [[ Print Edition Page No. 56 ]] 
GODIN [FALOT]

Messire Jehan, marier vous fault

Ces gens icy à la sellée!

MESSIRE JEHAN

Je le vueil bien.

FRANC ARBITRE

Tu laisseras ton franc arbitre

270Puisque tu prens ceste mignonne.

CLERICE

Je le vois mettre en regist[r]e

Il est assez bonne personne.

LAVOLLEE

Quoy? il est forcé qu’il luy donne

Congié; voire, si trestost.

MESSIRE JEHAN

275Ouy, et fault qu’il abandonne

39 vo]Ce doux mignon Godin Falot.

GODIN [FALOT]

Que vous en semble?

MESSIRE [JEHAN]

C’est ung sot

Qui m’a sa voulenté selée!

CLERICE

Il paye assés souvent l’escot

280Qui se marie à Lavolée!

FRANC ARBITRE

Regnault, tu es bien insencé!

Respons: qu’as-tu fait?

REGNAULT

Je ne sçay!

LAVOLÉE

Alon m’en coucher vistement!

GODIN

Ung requiescant in pace,

285Luy donnons au departement.
Chantant:

Requiescant in pace!

MESSIRE JEHAN

Puis que Regnault a varié

Si tres fort qu’il est marié

Et qu’il est tant interessé

290Chantons: Requiescant in pace.

LAVOLÉE

Regnault, par la main me prenés

Et honnestement me menés

Coucher dedans quelque beau lit,

Et là prendrez vostre delit

295En buvant ce qu’avés brassé,

Chantant requiescant in pace.

MESSIRE JEHAN

La substance soit recollée,

Que Regnault ainsi qu’ung vray sot

S’est marié à Lavolée,

300Habandonnant Godin Falot.

CLERICE

De s’estre marié si tost

Franc Arbitre a abandonné.
Chantant:

Or prions tous de cueur dévot

A Dieu qu’il luy soit pardonné,

305Puis qu’ainsi comme ung idyot

A Lavolée s’est marié.

Exemple, mignons, y prenés

Car de luy comme d’ung trespassé

Chantons: Requiescant in pace.

310Derechef chantons ensemble:

Requiescant in pace.

Amen!

NOTES

 [VII.] Farce de REGNAULT qui se MARIE à LAVOLLÉE.

 [163] Les Lamentations de Matheolus qu’a publiées van Hamel.

 [214] Evidemment la suite écrite par Jehan de Meun vers 1276; on le lisait encore au XVe siècle où elle fut l’occasion d’une grande querelle entre le chancelier Gerson et Christine de Pisan.

 [295,] O: ce queues.

 [298] Que a comme dans l’ancienne langue le sens de car.

Endnotes

 [14.] La fin manque sans doute.

 [27,] O, vers tronqué me rimant pas.

 [92,] O: c. tant b.

 [†127-130,] O, dispositior, différente altérée.


 [[ Print Edition Page No. 57 ]] 

VIII
[40 recto et verso: blanc]
41 ro
]
FARCE NOUVELLE
DE TROIS AMOUREUX DE LA CROIX
à IIII PERSONNAGES,
*

Les troix Amoureux de la Croix

[vignette]

FARCE NOUVELLE DE TROIS AMOUREUX DE LA CROIX41 vo]

MARTIN, premier amoureux commence
                                                     en chantant:

J’ayme mieux mourir, bref que languir;†[[1]]

Ce m’est douleur mendre!

Puis qu’aultrement ne puis guerir,

Me vienne donc la mort querir

5Sans plus attendre!

Je doy bien avoir recors,

D’aller au lieu où j’ay promis.

Je n’ay mais ung desir au corps,

Fors celle où j’ay mon cueur mis.

GAULTIER, second amoureux:

10Tenir dois bien donc le compromis[+1]

Que j’ay fait avec ma maitresse.

Il n’y fault pas estre endormis,

Se seroit à moy grant simplesse.

GUILLAUME tiers, commence:

Qui est en l’amoureuse adresse

15D’estre en grace cy comme moy

Doit bien vivre en joye et lyesse

Pour oster soulcy et esmoy.

GAULTIER

Qui se submet en celle foy,

Il pert monnoye et aloy,

20Et est de chacun debouté.

MARTIN

Non est, par Dieu.

GUILLAUME

C’est bien bouté;

Jouez tousjours de voz sornettes.

MARTIN

En ce temps de joyeux esté,

Vas-tu point veoir tes amourettes?

25Or nous dy: sont-ilz jolliettes?

Monstre-les-nous ung peu, de loing!

GUILLAUME

On n’a de tieux chalans besoing;

On ne vous y demande pas.

GAULTIER

Et pourquoy?

GUILLAUME

Vous prendriez-vous pas?

30Il suffist bien de ma personne.

A Dieu vous dy!

GAULTIER

Ho! je ne sonne plus mot;[+1]

Je m’en vais d’aultre part.

Que deviens-tu? [à Martin]†

MARTIN42 ro]

Ains que plus tard,

Je laisseray la compaignie,

35Requerant que Dieu me mauldie

Se ne visite mes amours.


 [[ Print Edition Page No. 58 ]] 
LA DAME

Que jeunes gens font de faulx tours

Pour parvenir à leur entente,

A bien jouir de leurs amours;

40Mais il n’ont pas plaisir de rente,

Car bien souvent on les contente

De promesses, sans le surplus.

MARTIN

Or ça, je suis bien près de l’hus.

Velà ma dame souveraine

45Pour qui je soutiens tant de paine.

Je la veux aller saluer.
[Il s’approche de la Dame]

Dame, de mon povre pover,

Je vous salue très humblement,

Vous suppliant très doulcement

50Que je soye en vostre demaine,

Car vous estes la primeraine

Des dames, et plaisez à tous.

LA DAME

Bien venez puis que c’estes vous!

Quel vent vous maine?

MARTIN

Fin cueur doux,

55Je le vous diray, s’il vous plaist.

Sachez bien de certain qu’il m’est

Trop fort d’endurer mes douleurs,

Se par vous n’ay aucun secours,

Car je vous ay long temps clamée

60Plus que nulle femme et aymée.

Si vous requiers, ma doulce amie,

Que de tous poins ne perde mie

L’amour que j’ay de vous si grande.

LA DAME

Or ça, sire, je vous demande

65Estes-vous donc si fort espris

De mon amour?

MARTIN

Las! je suis prins et si hardement lié[+1]

De vostre amour. Si n’en suis delié

Bref, par vostre doulceur,

70Certainement je suis asseur

De mourir sans aucun secours!

LA DAME

Entre vous, galans, sçavés tours

Subtilz et faictes les semblans

D’estre malades et tremblans

75Tousjours, mais ce n’est que faintise.

MARTIN

Voire, gens plains de couvetise,

Qui vouldroient par leurs beaux yeux†[[77-175]]

43 ro]Qu’on les aimast; mais, se m’aist Dieux,

Mon or, mon argent n’est pas mien:†[[79-80]]

80Tout est vostre!

LA DAME

Vous parlés bien,

Mais ung amant qui veult aimer

Sa dame, doit bien espier

Le temps, la saison, aussi l’heure,

Et le lieu où elle demeure,

85Segretement, sans faire bruit.

MARTIN

Et pourquoy?

LA DAME

Vous serés destruit,

Se mon mary aucunement

Vous trouvoit tenant parlement

Avec moy; velà le cas![-1]

MARTIN

90Pour Dieu, prenés ces dix ducas

Je vous requiers, jusque au retour,

Mais je vous prie que le tour

D’aymer me vueillez ottroier;

Velà l’enseigne du bergier.

LA DAME

95Ce don n’est pas à refuser.

Grant mercy, je suis bien joyeuse

De vostre amour. Mal gracieuse

Seroit, qui vous refuseroit;

Mais je vous diray orendroit:

100Ne povés venir à l’hostel.

MARTIN

Et pourquoy, Dieux?

LA DAME

Le cas est tel:

Mon mari sans faillir,[-2]

Ne sçay s’il vous feroit saillir,

Car il est malement jaloux.

MARTIN

105Quel senglant gibet dictes-vous?

Où se fera donc l’assemblée?


 [[ Print Edition Page No. 59 ]] 
LA DAME

Il fault donc que soit à l’emblée.

Je vous diray qu’il est de faire:

Allez tost en vostre repaire

110Vous vestir en guise de prestre,

Car autrement ne pourroit estre

Que d’aucun ne fussions congneus.

MARTIN

Il est vray.

LA DAME

43 ro]Or, soiés pourveu

D’ung livre ou d’ung breviaire,

115Pour mieux le prestre contrefaire.

Quant ainsi serés desguisé,

Comme je vous ay devisé,

42 vo]Tout fin droit vous vous en irez

A une croix qui est cy près.

120Là endroit, se rien ne me nuist,

A dix heures devant minuit,

Je iroy à vous, ce certainement.[+1]

MARTIN

Vous m’y trouverés seurement,

Mais n’y fallés pas!

LA DAME

Nenny, dea! [à part]

125Par sainct Jehan, vous demeurerés,

Maistre, vous avez beau huer

Je vous feray ennuit suer

En chassant du nez la roupie;

M’aist Dieux, il a beau dire pie,

130Puis que j’ay de luy ceste prune,

Il gardera ennuyt la lune

A celle fin qu’on ne la desrobe.

MARTIN [chez lui]

Il me fault vestir ceste robe

Et la trousser dessubz mon bras.

135C’est fait, je m’en vois tout le pas

A la croix (à Dieu me command!)

Avec peine et tribulation

Pour faire la jubilation

Avec ma dame par amour.

GAULTIER [apparaissant devant la
                                                       Dame
]

140Ma d[a]me, Dieu vous doint bonjour,

Bonne santé et bonne estraine!

Vous ne sçavés pas qui me maine

Par devers vous?†[[143]]

LA DAME

Sans faulte non, vous me dirés vostre raison,[[144]]

145Et se je puis, g’y pourvoyray.

GAULTIER

Ha! Madame, je vous diray,

Nul n’y sauroit remède mettre

Que vous, car vous estes le maistre

Et l’euvre de ma maladie.

150Que voulés-vous que je vous die?

Je seuffre tel paine et douleur

Pour vous, que se vostre doulceur

Ne consent à moy secourir,

Force me sera de mourir

155Du mal que j’ay et du martire.

LA DAME

Et que vous ay-je fait, beau sire,

Par quoy devez recevoir mort?

Advis m’est que vous avez tort

De proposer telle matière,

160Car bien seroye rude et fière

S(i) ung amoureux mouroit pour moy!

[GAULTIER]43 vo]

Touteffois je meurs par ma foy

S’il ne vous plaist par amytié

Avoir de mon grant mal pitié.

165Si vous requiers que de present,

Prenez en gré cestui present

Que je vous fais, courtoise et sage,

En ottroyant de humble couraige

Vostre amour que tant je desire!

LA DAME

170Je ne vueil rien du vostre, sire,

Si vous prie, ne m’en parlés plus.

GAULTIER

Pour Dieu, prenés ces dix escuz,

Je vous requier, ma dame chière,

Sans me vouloir vendre si chière

175La douleur que pour vous je porte.

LA DAME

Or ça, ça, affin que je supporte[+1]

La m[a]l que vous voy recevoir,†

Contente suis de les avoir;


 [[ Print Edition Page No. 60 ]] 

Mais sçavez-vous qu’il est de faire?

180Allez tost en vostre repaire,

Vous vestir en guise d’ung mort,

Et puis après cheminez fort

Tant que soiés à moy exprès,

A une croix qui est cy près.

185Là endroit, se rien ne me nuist,

A unze heures devant minuit,

G’iray à vous sans nulle doubte.

GAULTIER

Ha! que c’est bien dit, somme toute!

Je m’en vais tantost apprester,

190Mais ne vueillés point arrester.

LA DAME

Non feray-ge, saincte Marie,

Je y seray aussi toust que vous.

GAULTIER

Adieu vous dis, mon fin cueur doulx;

Tenez ce que m’avez promis!

LA DAME

195A dieu soiés, mon doulx amy![Exit]

[LA DAME SEULE]

Ainsi s’en doit-on despecher;

Toute nuit me venoit prier

En faisant piteulx clamours,[-1]

Que je l’aimasse par amours;

200Je ne sçay s’il avoit par nom

Gaultier, mais il changera nom.

Car en cest heure tout pour vray

Aura nom Gaultier de Cambray.

Il en sera par l’amour prins.[[204]]

GUILLAUME [apparaissant]

205Dieu qui tout bien en terre a mis44 ro]

Vous ottroie s’amour et sa grace![+1]

LA DAME

Garde soit de vous, beaux amys,

Dieu qui tout bien en terre a mys.

GUILLAUME

Amours m’a devers vous transmis.

LA DAME

210Le dites-vous point par falace?

GUILLAUME

Dieu qui tout bien en terre a mys

Vous ottroie s’amour et se grace!

Je vous diray sans plus d’espace

Mon cas et le concluray bref;

215Je sens au cueur mal si très grief

Que ne doubte, à tout comprendre,

Que l’ame ne me faille rendre

Se bresvement n’ay de vous secours.[+1]

LA DAME

Helas! ce sont des communs tours;

220Vous m’aimés dea, voire de beaux.

GUILLAUME

Pour Dieu, prenés ces dix royaulx

En tant moins pour commencement,

Mais je vous prie cherement

Que je soie vostre servant

225Et loyal amy.

LA DAME

Or, avant,

Puis qu’ainsi est, j’en suis contente.

Sçavés-vous comment vous ferés?

Prestement vous desguiserés

Et puis vous verrés bonne fable.

GUILLAUME

230Et comment?

LA DAME

En guise de dyable[[231]]

Vous mettrés,

Au mieux que faire ce pourra.

GUILLAUME

Mauldit soit-il qui en fauldra!

Je le feray; soiés certaine.

LA DAME

Or prenés quelque grosse chaine,

235Et après vous la trainerés,

Et puis attendre m’en irés,

Oyés-vous? mais qu’il n’y ait faulte,

A une croix qui est si haulte!

Là endroit pour prendre deduit,

240A doze heures devant minuit,

Je iray à vous sans nul delay.

GUILLAUME

Aussi serai-ge; croiez lay,

Quoy qu’après en doibve advenir.

LA DAME

Or ne faillés pas à venir,

245Car je me rendray en la place.


 [[ Print Edition Page No. 61 ]] 
GUILLAUME44 vo]

Ha, ma dame, jà Dieu ne sache

Que je y falle, par sainct Symon,

Et par tous les saints de renom;

Aussi venés tost après moy;

250Je m’en voy bouter en arroy

Secretement, sans sejourner.

LA DAME

Alés! adieu, sans sejourner!
[Exit Guillaume]

Dieu sçait quel gracieulx deduyt:

Ilz auront tous troys malle nuyt.

255De cela, je n’en doubte point.
[Elle s’en va]

GAULTIER

Je croy que je suis bien en point;

Je ressemble (à) ung mort proprement.

Je m’en voys tout secretement

A la croix; je y vois sans repit.

260Le sang beau, velà grant depit,

Velà à la croix aucun âme;

C’est ung prestre, par Notre Dame,

Qui prie pour les trepassés.

Da, bon grebieu, pr[e]stre, passez,

265Vous me rompez mon entreprise.

Je vouldroye qu’il fût en Frise,

Foy que je doy à Saint Amant.

Si ma dame vient maintenant,

Tout nostre fait rompu sera,

270Ce prestre nous emcusera.

MARTIN

Haro! je voy en ceste voye

Ung homme mort, se m’est advis.

Beau sire Dieu de Paradis,

Vueillez moy de mal huy deffendre!

GAULTIER

275Je requier à Dieu qu’on puist pendre

Ce prestre qui est cy venu.

MARTIN

Helas! il m’est mal advenu.

Je voy bien que peché me nuyt.

Mourir me fauldra ceste nuyt,

280Car j’en suis en grant adventure.

Retourne à ta sepulture.[-1]

Requiem eternam cunctis,

Pro fidelibus defunctis.

Or, meschant fol tres oultrageux,

285J’estoye venu faire mes jeulx

Devant ceste croix precieuse,

Où Dieu souffrit mort angoisseuse,

C’est bien droit que Dieu m’en chastie.

GAULTIER

De goutte, de mal et chassye

290Et du mal du saint de Baieux

Ait ce prestre crevé les yeulx.

45 vo]Dit-il tant de ses patenostres

Que de tous les douze apostres,[-1]

Soit maudit et confundu[-1]

295Et par le col soit-il pendu,

Tant me fait-il de desplaisir.

Se madame vient, quel plaisir!

Ce sera bien pour enrager.

[GUILLAUME]

Me vecy prest sans plus targer,

300Vers la croix vois sans faire noise

Car Madame doulce et courtoise

Le m’a en ce point ordonné.

Qui m’auroit cent mars d’or donné

Pas ne seroye si joieulx,

305Que je seray ainsi m’aist Dieux,

Quant entre mes bras la tendray;

Elle doibvra tantost venir.

MARTIN

Las! je ne sçay que devenir

Se mort de moy trop près s’aproche.

GAULTIER45 ro]

310Malle mort te puisse tenir!

MARTIN

Las, je ne sçay que devenir,

Bien voy qu’il me fauldra fuir.

GAULTIER

Va-t-en que je ne te desroche.

MARTIN

Las! je ne sçay que devenir,

315Se mort de moy trop près s’aproche;

Je n’ay membre qui ne me hoche

Tant suis effroyé maintenant.

GUILLAUME

Qu’esse que je voy cy devant,

Là où je doy ma dame attendre;

320Le grant deable s’en puisse pendre,

Velà ung prestre, ce me semble.

Haro! trestout la cueur me tremble.

Velà encore bien plus fort:


 [[ Print Edition Page No. 62 ]] 

C’est je ne sçay quel homme mort;

325Vray Dieu vueillés moy secourir!

GAULTIER

Je voy bien qu’il me fault mourir

Par mon peché desraisonnable.

Et qu’esse cy? velà ung dyable

Qui vient cy pour ma mort livrer.

330Il me convient conjurer.[-1]

Asperges et collocavit,

Memento, Domine David,

Quare fremuerunt gentes.

Salve Regina gementes.

335Tres doulx Jesus, me protegé

De ce mauvais deable enragé.

Dyaletica sanctorum,

45 vo]Communionem Francorum.

Va-t-en d’icy, dyable d’enfer,

340Avec ton maistre Lucifer,

Sans faire envers moy ton pourchas.

MARTIN

Benedicamus gratias!

Helas! dolent, plain de peché,

Je seray tantost despesché.

345Qu’esse cy? Foy que doy (à) saint Pol.

Ce dyable me rompra le col,

Il me vient ma vie abreger.

GUILLAUME

Et vecy bien pour enrager.

Je n’y voy entrée ne yssue.[+1]

350Par mon serment, je tressue,

De paour. Vray Dieu, fay moy mercy!

Ce mort demande quelque don;

Je luy en donray ung bel et bon.[+1]

Dieu vueille qu’elle fasse ainsi;

355Car c’est quelque âme sans doubtence,

Qui fait icy sa penitence.

Au nom de Saint Pierre l’apostre,

Je diray une patenostre,

Cy endroit par devocion,

360Que luy donne remission

Et aux autres ensevelis.

Pater noster qui es in celis,

Libera me de mortuis,[[362-367]]

Afin que je die: et ne nos,

365Pour ceulx qui sont trespassés,

Arrière mort, d’ici passez!

Libera a malo! Amen.

MARTIN

Erubescant verumtamen

In mulieribus ventris.

370Adieu me comment, Beatrix:

Pour ma dame me fault mourir,

Nul ne m’en peult plus secourir,

Tout ce meschef me vient par femme.

Deffens-moy, glorieuse dame!

375Regina celi letare,

Dyabolus dy-moy quare

Tu me viens faire ce meschef,

Je n’ay sur moy membre ne chef

Qui ne soit hors de son bon sens.

GAULTIER

380Se avois des escuz cinq cens

Je voudroye avoir tout donné

Et que je fusse retourné

A mon hostel et à mon estre.

Helas! je m’en voys à ce prestre

385Lui prier par devocion

Qu’il me donne confession

Que je ne meure desconfès.†

Confession, sire!

MARTIN46 ro]

Va-t’en, par le corps bieu tu n’en as garde,†[[389]]

390Va-t’en d’ici, que le feu t’arde,

Car je ne te demande rien!

GAULTIER

Helas! sire, je suis Chrestien,

Je ne suis mort ne trespacé.

MARTIN

Tu mens, tu as le pas passé,

395Ton âme est jà à l’autre monde.

GAULTIER

La mort m’a ici pourchassé,

Une femme, que Dieu confonde! . . .

MARTIN

Tu mens, tu as le pas passé,

Ton âme est jà à l’autre monde.

400Je requiers à Dieu qu’on le tonde,

Qui t’attendra, mais que je y soye.

GUILLAUME

Par Nostre dame, se j’osoie,

Je conjurasse ung peu se mort

Afin qu’il s’en allast aufort.

405Par Dieu, puisque j’en ay juré,

De par moy sera conjuré.

Miserere cicatrices,

Va-t’en sans point faire d’excès.


 [[ Print Edition Page No. 63 ]] 

Letamini et cantate

410Beati quorum laudate

Inimicos dominibus

Fructibus et in noctibus

De profundis vigilia

Qui facis mirabilia

415Et moult de desloyalle inique,

Va-t’en sans me faire la nique

Ne jamais de moy ne t’aproche!

GAULTIER

Helas! se ce dyable m’acroche†

De mon corps, s’en ira sans per

420En enfer. Me puisse chauffer

Et m’oster hors de ceste presse!

Elle seroit bien grant maistresse,

Qui me feroit plus sejourner.

GUILLAUME

Brouha! ha! je voys adjourner

425Ce prestre, il fault qu’il ait la guerre,

A moy! sa, sa, je te viens querre!

Attens, prestre, il te fault mourir!

MARTIN

Tu le gaigneras au courir,

Par le corps bieu, se tu m’atrapes!

430Me cuides-tu en tes attrapes

Ainsi croquer?

GUILLAUME

Je te tiendray.

MARTIN46 vo]

Par le corps bieu, je donneray,

Se tu viens près, de mon breviaire.

Deable, va t’en à ton repaire,

435Tu es Sathan, bien le congnois!

GAULTIER

Helas! beau-père, attendez-moy;

Pour Dieu, vueillez moy confesser.

MARTIN

Me viens-tu encore presser

Qu’on en puisse avoir malle feste?

440Oste-toy, mort!

GAULTIER

A ma requeste

Ecoute-moy parler deux mos

Et te diray de gros en gros[[443]]

Tous mes pechez,

Car par ma foy je suis homme vif[+1]

445Et pour dire vray, oncques mort ne senti.

MARTIN

Par le corps bieu, tu as menti,

Mais tu me le veulx faire acroire!

Tu viens tout droit du Purgatoire,

Je te congnois bien, ne te chaille:

450Tu es une âme!

GAULTIER

Non suis, sans faille,

Je suis homme tel comme vous.

MARTIN

Va-t’en où tu seras secoux.

Tu ne tens qu’à me faire mourir,

Et derechief je te conjure

455Que de ce lieu cy tu t’en ailles.

De par quatre vings mille dyables,

Chargés d’or et de billon,

Et par Godefray de Billon

Et par Bertran de Cloquin

460Et de par la mort Abaquin

Et par tous ceulx Dadamnez,

Que voises avec les dampnez!

Ave salus dominus pars:

Se de ce lieu-cy ne te pars,

465Tu verras bien qu’il me desplaist.

GAULTIER

Escoutés ung peu, s’il vous plaist:

Par ma foy je ne suis pas mort,

Mais conscience me remort,

Je diray chose veritable.

MARTIN

470Va-t-en d’icy de par le dyable!

Te fault-il messe ne matine?

GAULTIER

Ha! sire, je ne suis pas digne

Que on die matines pour moy,

Car je vous prometz par ma foy

475Que je ne suis mort proprement,

Mais j’ay pris cest abillement

Trestout de fin fait advisé

47 ro]Et me suis ainsi desguisé

Affin qu’on ne congneust ma chère.

MARTIN

480Oste donc ceste visaigière

Pour savoir mon se c’est verité.

GAULTIER

Il fauldra donc qu’il soit porté

Le plus secret que vous pourrés.


 [[ Print Edition Page No. 64 ]] 
MARTIN

Jamais nul jour vous n’en orés†[[484]]

485Parler, fors à moy et à vous.

Je seray secret, amy doulx,

Je vous le prometz.

GAULTIER

Seurement.

MARTIN

Et voire par mon serment,

Mon très doulx amy de la messe,

490Se je ne vous tiens ma promesse,

Nommés moy hardiment Gaultier.

GAULTIER

Mettés la main sur le saultier

Affin que ne soiés parjure.

MARTIN

Sur ces lettres-cy je vous jure

495Que jamais je n’en diray rien.

GAULTIER

Or sus donques, il suffist bien.

Or me regarde, suige mort?

Tu me mescrois à grant tort,

Advise ung petit mon visage.

MARTIN

500Par mon serment, voici raige!

Tu es mon compaignon Gaultier

Que je laissé huy au moustier

Emprès Guillaume à l’eglise.

GAULTIER

Et sang bieu! quant je me ravise,

505Et es-tu prestre devenu?

Pas ne t’avoie recongneu.

Par le sang que Dieu aromme,

Or me dy la maniere comme

Tu es venu cy en ce lieu.

GUILLAUME

510Quesse cy? foy que doy à Dieu,

Ce mort est retourné en vie,

Ce prestre luy tient compaignie,

Je vois vers eulx sans nul sejour;

Affin que n’aient de moy paour,

515Je osteray du chief ma testière.

GAULTIER

Sang bieu! vecy faulce matière,

Se dyable s’en vient devers nous.

GUILLAUME

47 vo]Dieu gard seigneurs, que faites vous

Entre vous deulx?

MARTIN

Et par mon ame,

520C’est mon compaignon Guillaume

Qui estoit dyable devenu.

GUILLAUME

Et par Dieu, vecy bien venu,

Mais qui vous a mis en cest estre

Que vecy qui faisoit le prestre

525Et vecy qui faisoit le mort?

GAULTIER

Confessons-nous trois par acord,

L’ung à l’autre nostre secret.

MARTIN

Tu dis bien, mais se on le sçait,

Chascun de nous sera infame.

GUILLAUME

530Promettons qu’à homme ne à femme

Jamais ne sera revelé.

GAULTIER

De par moy il sera selé,

De ce ne faite[s] nulle doute.

MARTIN

Si j’en parle ne grain ne goutte,

535Ne me croiez jamais de rien.

GUILLAUME

Aussi me garderai-ge bien

De dire nostre cornardie.

GAULTIER

Voullés-vous pas que je vous die?

Par mon ame, mes beaux amys,

540Une femme m’a cy transmis

Et m’a baillé ce bruyt icy.

MARTIN

J’en ay autant.

GUILLAUME

Et moy autant.

Nous en avons tous trois pour une.

GAULTIER

545Et moy autant.

Chantons doncques tous trois pour une.
Ilz chantent:


 [[ Print Edition Page No. 65 ]] 
GAULTIER

Tous trois avons gardé la lune,

On n’avoit garde de la perdre.

MARTIN

Des plus fines fames c’est l’une.

GAULTIER

550Tous trois avons gardé la lune.

GUILLAUME

Dea! elle a eu de ma pecune

Dix royaulx. Qu’on la puisse ardre!

MARTIN

Tous trois avons gardé la lune,

On n’avoit garde de la perdre.

GAULTIER48 ro]

555Mais comme se ose femme herdre

De farcer ainsi les galans?

MARTIN

Compaignons, se en somme blans,

Aussy sont plusieurs compaignons.

GUILLAUME

Je conseille que nous prenons

560Congié à nostre seigneurie;

Puis que on joue de tromperie,

Je n’en vueil plus estre assoté.

GAULTIER

Vous qu’estes en amours bouté,

Gardés-vous de telles finesses.

MARTIN

565Nos ebas s’il vous plaist notez,

Vous qu’estes en amours boutez.

GUILLAUME

Les tromperies redoubtés

De telles qui en sont maistresses.

GAULTIER

Vous qui estes en amours boutés,

570Gardez-vous de telles finesses.

Ne vous fiés pas en promesses

Ainsi qu’avons fait simplement.

En joyes, festes et liesses,

Prenés en gré l’esbatement.

EXPLICIT.

NOTES

 [VIII.] Farce des Trois Amoureux de la Croix.

 [65 à 69] Versification très irrégulière.

 [77-175] J’ai rétabli l’ordre logique rompu par un brouillage de feuillets à l’imprimerie, qui n’est pas le fait du brocheur.

 [330-337] Ces formules d’exorcisme sont volontairement estropiées.

 [330] asperges — premier mot de l’antienne asperges me Domine et mundabor: lavabis me et super nivem dealbabor, chantée le dimanche avant le commencement de la grand’messe.

 [331] memento — premier mot du verset memento homo quia pulvis es et in pulverem reverteris, de la cérémonie des cendres, ou bien du répons memento mei Deus, des matines de l’office des défunts. Je songerais plutôt au premier endroit comme étant plus connu.

 [332] quare fremueront gentes — premiers mots du psaume II, des matines du dimanche.

 [334] salve regina — premiers mots de l’antienne de la Ste Vierge, dans l’office per annum.
gementes — se trouve plus loin dans la même antienne.

 [342] benedicamus gratias — le verset et le répons benedicamus Domino . . . Deo gratias est d’usage fréquent, et s’emploie surtout à la fin de la messe, avant la bénédiction.

 [362-367] Même observation.

 [363] libera me de mortuis — la phrase libera me de morte aeterna se trouve au commencement d’un répons de l’office des défunts. Je n’ai pas trouvé les paroles de mortuis dans cet office. Il est possible que la phrase se trouve ailleurs dans les livres liturgiques.
et ne nos inducas (in tentationem): phrase du Pater Noster.

 [368] erubescant verumtamen — erubescant se trouve assez souvent dans les psaumes et ailleurs dans la Sainte Bible. Je ne l’ai cependant pas trouvé en combinaison avec verumtamen. On peut certainement dire que les deux mots se trouvent au moins séparément dans les textes sacrés. Il s’agirait de retrouver l’endroit précis où l’oeil de l’écrivain est tombé. Si “verumtamen” était accentué sur la syllabe “” je serais porter à le corriger en vehementer, et à voir la provenance des deux mots dans le roème verset du psaume VI: erubescant et conturbentur vehementer omnes inimici mei.

 [369] in mulieribus, ventris — benedicta tu in mulieribus, et benedictus fructus ventris tui, phrase de l’Ave Maria.

 [375] regina celi letare: commencement de l’antienne de la Ste Vierge dans l’office Pascal.

 [407] miserere: premier mot du psaume L; très connu.
cicatrices: vient du psaume 37, v. 5: putruerunt et corruptae sunt cicatrices meae a facie insipientiae meae.

 [409] laetamini: provient sans doute du psaume 31, v. 11. laetamini in Domino et exsultate, justi; et gloriamini
 [[ Print Edition Page No. 66 ]] 
omnes recti corde très connu parce qu’en usage comme répons et versicule dans l’office des martyrs.

 [409] cantate: premier mot des psaumes XCV, XCVII, CXLIX.

 [410] beati quorum: premiers mots du psaume XXXI.
laudate: premier mot des psaumes CXII, CXVI, CXXXIV, CXLVI, CXLVIII, CL.

 [411] inimicos: peut être un rappel de la phrase donec ponam inimicos tuos scabellum pedum tuorum, du psaume CIX, très connue parce que faisant partie des vêpres du dimanche.
dominibus: peut-être à corriger en hominibus, mais alors grande difficulté à préciser où le mot a été pris.
fructibus: peut être un rappel de la phrase a fructibus eorum cognocetis eos, Matt. VII, 16, phrase souvent répétée. Cependant, Matt. XIV, 24-25, comporte ce qui suit: Navicula autem in medio mari iactabatur fluctibus . . . quarta autem vigilia noctis venit ad eos ambulans super mare, ce qui pourrait expliquer les mots suivants du texte à expliquer.
de profundis: premiers mots du psaume CXXIX.

 [414] qui facis mirablia solus — sans doute d’après le psaume CXXXV, 4, qui facit mirabilia magna solus.

 [458] Godefroy de Bouillon.

 [459] Bertrand du Guesclin.

 [460] Abaquin? Altération d’Abacuc?

 [461] Dadonnez? Quid?

 [463] ave Maria salus — il se peut que la phrase soit le commencement de quelque hymne en honneur de la Ste. Vierge.
Dominus pars — du verset 5 du Psaume XV, Dominus pars hereditatis meae et calicis mei, très connu parmi les clercs comme faisant partie de la cérémonie de la tonsure.

 [507] Je ne comprends pas ce vers: aromme. Quid?

 [555] Herdre pour aherdre, attacher.

Endnotes

 [1,] Peut-être deux vers.

 [77-175:] O a un ordre tout différent. Les feuillets du manuscrit ont dû être brouillés par l’imprimeur. J’ai rétabli l’ordre logique qu’imposent l’intrigue et les rimes.

 [79-80:] O les attribue à GAULTIER.

 [†] Éd.

 [143:] Il manque quatre syllabes.

 [144,] est trop long.

 [145,] O: pourvoyra.

 [177] O: Le ml que aye vous v. r.

 [204,] O: moue.

 [231:] Ce vers de 3 syllabes, si c’en est un, ne rime point.

 [†] Éd.

 [387-8:] ne riment pas.

 [389:] Décasyllabe?

 [418,] O: se.

 [443.] Vers tronqué ne rimant pas.

 [484,] O: tour.

 [523,] O: quil.


 [[ Print Edition Page No. 67 ]] 

[IX]
[48 verso blanc]
49 ro]
FARCE NOUVELLE
TRES BONNE ET FORT JOYEUSE DES AMOUREUX
QUI ONT LES BOTINES GAULTIER
à QUATRE PERSONNAGES
*

[vignette]

LES BOTINES GAULTIER49 vo]

ROUSINE, femme de Goultier, com-
                                                   mence en chantant

Je prometz en verité,

Se mon mary va dehors,

Je feray ma voulenté

Je prometz en verité.

GAULTIER

5Faictes-vous tel loyaulté,

Je escoute ses records.

ROUSINE en chantant

Je prometz en verité,

Se mon mary va dehors,

Je lucteray corps à corps

10Et me restraindray bien les vaines.

GAULTIER

Vous ferez voz fièvres quartaines.

ROUSINE

Las!

GAULTIER

Ha! hay! esse la façon

Des manches?

ROUSINE

Pour une chanson

Que avez ouy chanter ou dire,

15Me devez-vous ainsi mauldire?

GAULTIER

Maulx sont maulx.

ROUSINE

Chansons sont chansons,

Mais ce sont tousjours voz façons.

Mauldicte soit la jalousie!

Je doy bien mauldire ma vie,

20Et l’heure que te fuz donnée,

Je fis une froide journée

Et pouvoyes bien ce jour vestir

Mes bons habitz! Tousjours glatir,

Je ne pourroye ouïr cela.

GAULTIER

25Autre à luy ta, ty, ta, ta,[-1]

Pour ung mot, el en dira trente.

ROUSINE

J’ay raison.

GAULTIER

Paix! mal paciente,

Qu’esse cecy? maistre ou varlet,

Je abaisseray ce caquet

30Qui est si gros.

ROUSINE

C’est grant dommage

Que je n’endure ce langaige,

Ne me reputez point pour telle:

Il n’en est point quelque nouvelle.

J’ay aussi bon nom sans diffame

35Que la meilleure preudefemme

Qui soit point dedans ceste ville.


 [[ Print Edition Page No. 68 ]] 
GAULTIER

Or bien, donc j’ay failly, ma fille,

Mais se ne vous aimoye bien,

50 ro]Je ne vous en diroye rien,

40Vous le povez considerer.

ROUSINE

Aussi povez-vous bien penser

Que je ne m’en courcerois point.

S’il estoit vray, voyez le cas,

Gaultier.

GAULTIER

Je vous en croy, Rousine,

45Il faut que ceste cause fine,

Mais puisqu’il fault du tout parler,

Dont venez-vous?

ROUSINE

D’où? Du tessier,

Là où je l’ay enduré belle,

J’ay tresbien fait ourdir ma telle.

GAULTIER

50De vray esse fine ouvrage?

ROUSINE

Sur ma foy Gaultier, il fait raige,

Il a si très à point bouté

Le fil, qu’il ne luy est resté

Que les fondrilles seulement.

55Il vous ourdist tant proprement,

Il n’y a point de fil perdu.

GAULTIER

Est-il ainsi bien entendu,

Sont ce doubliers ou servietes?

ROUSINE

Midieux, c’est bien dit, vous y estes:

60De toutes sortes, j’en devise;

On parle d’euvre de Venise,

Mais j’ouy dire à mes parrains

Qu’il n’est ouvrage que de Rains.

Damas est euvre fort exquise

65Si n’est-elle point tant requise.

Des premiers jusques aux derrain[s]

Il n’est ouvrage que de Rains.

Paris qu’est ville bien assise,

Est fourny d’ouvriers sans faintise,

70Qui sont tous seurs et biens certain[s]

De faire l’ouvraige de Rains.

GAULTIER

De cela j’en oste mes mains,

Je ne m’y congnois point, m’amye.

ROUSINE

Puisque ma toille est ourdie,

75Le demourant se fera bien.

GAULTIER

Et du payement?

ROUSINE

Vous sçavez bien

Qu’en devez avoir chemises;

C’est à vous à faire les mises

Du bon bout de la plus loyal[le].

GAULTIER

80Tant me cousteroit à la halle.

Or bien; bien on s’en chevira.

Sçavez que me desservira?

ROUSINE

50 vo]Nenny.

GAULTIER

De me seoir ung petit

Et me froter à l’apetit

85La teste.

ROUSINE

Or vous seez donc!

Hay! avant, vous estes si long;

Mon amy, il fault bien qu’on vous serve.[+1]

GAULTIER

Il fault bien que je le desserve

En temps et en lieu hault et bas.

ROUSINE

90Gaultier, vous ne me gratez pas,

Où me demengue.

GAULTIER

Que de vent!

Maidieux! vous voulez trop souvent

Estre couverte d’ung pourpoint.

Je me suis assis bien à point

95En ce lieu pour passer ennuy.

LE PREMIER GALLANT en chantant

Madame, je vous supply,

Dictes-moy à ung point,

Seray-je vostre amy

Ou le seray-je point?


 [[ Print Edition Page No. 69 ]] 

100Je croy que je viens bien à point

Pour trouver rencontre de sept,

Sortira-il rien, qui le scet?

J’espère à trouver quelque proye.

S’il doit-il venir beste en haye,

105Le vent y est tresbon, par Dieu!

Et si c’est entre chien et leu.

Je suis puis trois jours amoureux.

Helas! tant je serois eureux,

S’elle venoit la desirée,

110A peu que je ne l’ay nommée;

Sur ma foy, hen! closes oreilles.

Il n’est pas que de tant de veilles,

Qu’ay faictes ces nuytz à requoy,

Quelqu’un vienne à bien hauvoy

115Sur la mer.

LE DEUXIEME chante

Quant très fort y vente

Et qu’il y fait trop grant tourmente,

Il y fait dangereux aller.

Je t’ay entendu au parler

De bien loingnet, par saint Cybart!

LE PREMIER

120Je diroye au moins: Dieu gart!

LE SECOND

Je feray ta fièvre quartaine.

LE PREMIER

Quel escaillet!

LE SECOND

Quel escouflart!

LE PREMIER

Je diroye au moins: Dieu gard!

Quel escaillet!

LE SECOND 51 ro]

125De vray, j’en auroye ma part.

LE PREMIER GALLANT

Tu aurois ta malle estraine.

Je diroye au moins: Dieu gard!

LE SECOND

Je feray ta fièvre quartaine.

Certes, tu as nom “Pert sa peine,”

130Car de vray, ton fait est perdu.

LE PREMIER

Il me souffist d’estre repeu

D’un regard où baiser le miel.[[132]]

LE SECOND

Ha! Mon fils, tant tu es nouvel,

T’apaises-tu de veoir leurs yeulx?

LE PREMIER

135Tu en parles com envieux,

Foy que doy à saint Pol l’apostre.

LE SECOND

Tu dois dire ta patenostre,

Pour moy, se t’ay fait le chemin.

LE PREMIER

Est-il vray?

LE SECOND

Tant tu es Jenyn.

LE PREMIER

140Nous sommes deux chiens o ung os,

C’est pour venir à mon propos,

Croy que la vecy bien à point.

LE SECOND

Oys-tu? Ne te souvient-il point

Des enseignes de sur le banc?

LE PREMIER

145Et ouy vrayement.

LE SECOND

Je parle franc.

Mais mot, car il se doit celer.

Et puis qu’il fault du tout parler,

Elle t’ayme pour le caquet.

LE PREMIER

Tu scez qu’en ung petit sachet

150Les bonnes espices y sont.

On scet bien qu’au grant ne seront,

Tu ne sers que de jambayer.

LE SECOND

Quant on est sur cest astelier,

Chascun y fait du mieux qu’il peut.

155Au moins, se d’aventure pleut,

Nous les metrons mieulx à couvert,

Pour une robe de bon vert,

Com ung autre la bailleroye.

LE PREMIER

Nous suivrons tosjours ceste voye,

160Et s’il vient vermeil d’aventure,

Il est nostre.


 [[ Print Edition Page No. 70 ]] 
LE SECOND

Ha! Je t’asseure,

Car nous aurons bref des nouvelles,

L’oreille m’espoint.

LE PREMIER

S’ilz sont belles,

51 vo]Onc homme plus joyeux ne fut.

165Qu’esse cy? Le nez me mengust,

On parle de moy.

LE SECOND

Tant mieulx vault.

S’il survient riens, prens-le d’assault,

Et le menons à l’ordinaire.

GAULTIER

Dont vient cecy? Le luminaire

170Me commence à apetisser.

ROUSINE.

Aussi je ne m’en sçaurois taire,

Car vous estes ung espicier.

GAULTIER

On voit bien à ung vieil mercier

Avoir de belle marchandise.

ROUSINE

175Nul ne doit estre officier,[-1]

S’il n’en scet l’usaige et guise.[-1]

GAULTIER

J’ay prins amours à ma devise

Pour conquerir joyeuseté.

ROUSINE

Vous avez mal la table mise,

180Ou ung souper mal apresté.

GAULTIER

Corps bieu! Je suis bien apointé,

Hay avant! parlez ça, Rousine,

Il fault reporter ma botine

Au savetier et que l’entrée

185Et la chose luy soit monstrée;

Regardez, j’ay ce pié enflé,

L’autre aussi.

ROUSINE

C’est bien ronflé,[-1]

Vous mocquez-vous?

GAULTIER

Se je me mocque,

Maulgré en ait la nicque nocque,

190Regardez en quel point j’en suis.

ROUSINE

Voulez-vous qu’atende à l’huis,

Tant qu’il ait fait que l’en m’informe;

Les feray-je bouter en forme,

Affin que puissent eslargir?

GAULTIER

195Ouy, dea, et qu’il garde le cuir,

C’est cordouen, il est bien tendre!

ROUSINE

Puisqu’il les me fauldra attendre,

Je hanteray tousjours l’ouvrier.

GAULTIER

Allez, courez com ung levrier,

200Hastez-vous!

ROUSINE

Ha! Je vous asseure

Qu’il en prendra bien la mesure

A ceste fois.

GAULTIER

52 ro]Or allez avant!

ROUSINE

Et que ferez-vous ce pendant?

GAULTIER

Je ne sçay.

ROUSINE

Recousez vos chausses.

GAULTIER

205Vray Dieu, qu’il est de femmes fauces!

Par le sacrement de l’autel,

Qui seroyt cent en ung hostel

Et les embesongneront bien

Seurement sans vous celer rien

210En une esguillée de fil

Où mectre ung petit de mil.[-1]

ROUSINE

Tenez, et se vous avez fait

Devant que l’ouvrier ait parfait,

Rongnez vos ongles, mon amy!

GAULTIER

215Qu’il n’y face pas à demy,

Que ce soit à recommancer!

ROUSINE

Je luy feray bien affoncer

La forme dedans ça et là,

Tant que le cuir s’eslargira;

220Il m’en pourra bien souvenir.


 [[ Print Edition Page No. 71 ]] 
GAULTIER

Allez, faictes qu’au revenir,

Je y entre bien sans chausse pié!

Se vous trouvez là ung treppié

De ces mondains, de ces rieulx,

225Ne me caquetez point à eulx,

Vous n’en amenderiez rien.

ROUSINE

C’est tout fin vray, vous dictes bien.

GAULTIER

Allez, que santé Dieu vous doint!

LES DEUX GALLANS amoureulx, en
                                                         chantant

Point, point, point, point, point, point,

230Il n’y en a point

De persil en noz jardins, n’y a point.

GAULTIER

Je ne sauroys serrer ce point,

Mon esguille ne veult entrer.

ROUSINE

Comment Gaultier est bien empoint!

LE PREMIER

235Que dis-tu?

LE SECOND

Ce fust bien à point,

Qui peust qui que soit rencontrer.

GAULTIER

Je ne sçauroys serrer ce point,

Mon esguille ne veult entrer.

Cest ouvraige est à serrer,

240Je ne le sauroys pas serrer.

Trut avant! je prens sur mon âme,

L’esguille semble à ma femme,[-1]

Elle a mauvais cul vrayement.

52 vo]N’y est-elle point? Quel tourment,

245S’elle eust ouy dire ces motz.

Mes le pas baille en propos,[-1]

Qu’il me fault mes ongles rongner.

Corps bieu! J’ay bien eu à besongner,[+1]

Je n’auray mais en pièce fait.

LE PREMIER GALLANT en sifflant

250Hon, hon, hon!

LE SECOND GALLANT

Bien dea, beau sifflet!

Voy-tu rien?

LE PREMIER GALLANT

Ouy laisse venir,

Parle bas, vecy nostre fait.

Hon, hon, hon! (en sifflant)

LE SECOND

Bien dea, sire, beau sifflet![+2]

ROUSINE

Helas! mon bon amy parfait,

255Le pourray-je jamais tenir?

LE PREMIER GALLANT en sifflant

Hon, hon, hon!

LE SECOND

Bien, dea, beau sifflet!

Voy-tu rien?

LE PREMIER

Ouy, laisse venir!

Chantons pour voir son maintenir

Et sa façon et sa manière.
   Adonc ilz chantent tous deux
          ce qu’il s’ensuit:

260Je n’y seray jamais, bergère,

Querez qui le sera pour moy,

Ce sera pour m’oster d’esmoy,

Car je vueil estre mariée.

ROUSINE

Benoiste royne couronnée,

265Les deux marchans m’ont apperceue,

Par ma foy, j’en suis bien deceue,

Il me fault tirer autre train.

LE PREMIER

Revenez.

LE SECOND

Ça, ceste main!

ROUSINE

Je congnois trop vostre demeure,

270Je ne vous quiers point.

LE PREMIER

Est-il heure,

Que gens de bien soient par pays?

ROUSINE

Nous ne sommes point gens haïs

De nos voisins ne sus ne soubz,


 [[ Print Edition Page No. 72 ]] 

Mon mary ne moy, oyez-vous,

275Qui me gard nuyt et jour aller

Sans chandelle, sans en parler,

Comme une bonne preude femme.

LE SECOND

Personne que vous ne vous blasme.

Nous vous congnoissons bien, voisine,

280Ne vous nommez-vous pas Rousine,

53 ro]Femme de Gaultier le lisant?

ROUSINE

Et en vaulx-je pis, Dieux avant

Qu’en dictes-vous?

LE SECOND

Le cas est tel,

Vous frappez souvent du coutel,

285Vous tenez voulentiers franchise.

LE PREMIER

Je croy bien celle ayme l’eglise,

C’est à cause de la frarie,

En quel main est la librairie

Des Augustins.

ROUSINE

Quelz gens de bien!

290Je vous pry, ne me dictes rien,

Vous ne sçavez à qui vous parlez.

LE SECOND

A une femme.

ROUSINE

Or allez,[-1]

Et ne me dictes point d’injure,

Ou je voue à Dieu et jure

295Que je vous feray adjourner.

Quoy? Me voulez-vous destourner

D’aller?

LE PREMIER

D’aller? allez aux loups.

ROUSINE

Ce n’est point viande pour vous,

Je ne suis point vostre cheval.

LE SECOND

300C’est très mal fait d’en dire mal,

Quant on n’y a point veu de bien.

J’entens le cas; qui ne dit rien,

Il n’est jamais bel appelay.

LE PREMIER

Fault-il que cecy soit celay?

305Vous souvient-il point du gallant

Dont vous eustes le dyament

Et luy baillastes de la muse?

ROUSINE

Qui, moy?

LE SECOND

Pour bailler d’une ruse,

Il n’en est point de tel ouvrière.

ROUSINE

310Moy, mon amy!

LE PREMIER

Toute entière,

Sans aultre.

ROUSINE

Ha! Que c’est bien dit!

LE SECOND

De Dieu soys-je treffort mauldit,

Se ce n’estoit vous en personne.

ROUSINE

Il ne fault point qu’on m’en blasonne

315En ce point, car vous me prenez

Pour une autre.

LE SECOND

53 vo]Tant que vouldrez,

Mais vous fistes le personnage.

ROUSINE

Et puis, se l’ay fait, quel dommage?

Que vous chault, ce n’est rien du vostre.

LE PREMIER

320Le confessez-vous?

ROUSINE

Ouy voir.

LE PREMIER

Nostre,

Qu’esse cy en vostre giron?

ROUSINE

Que c’est? Et c’est mon chapperon

Que porte à la presseresse.

LE PREMIER

Escoutez ung mot, ma maistresse,

325En l’oreille.


 [[ Print Edition Page No. 73 ]] 
ROUSINE

Parlez tout hault.

LE SECOND

Dictes priveement, ne vous chault,

Je ne vous encuseray pas.

LE PREMIER

Arrière ung peu, vecy le cas:

Je sçay trestout et si suis ferme,

330De long temps; mectez-moy ung terme,

Je suis seur.

ROUSINE

Ha! Tout seroit perdu.

LE PREMIER

N’en parlez plus, dictes le lieu.

ROUSINE

Mais vous, car je n’y congnois aage,

Oncques fillettes de village

335Si ne fut aussi nouvellette.

LE PREMIER

A l’hostel.

ROUSINE

Je seray tost preste

A l’heure, mais mot!

LE PREMIER

Je suis saige,

Baillez-moy quelque simple gaige

Pour plustost venir au lieu dit.

ROUSINE en luy baillant une botine

340Tenez, musez lay.

LE PREMIER

Il souffist.

Et se mon compaignon vous touche

Que j’ayes dit, taisez vostre bouche,

Car je ne luy en diray rien.

ROUSINE

Et sera fait d’homme de bien,

345Je ne seray pas si baveuse.

LE SECOND

Elle fait de la dangereuse,

54 ro]Et puis à quoy tient ce marché?

Qui vouldra, j’en seray chargé.

ROUSINE

Il me parloit de ma cousine

350Qu’il congnoist.

LE SECOND

C’est bien dit, Rousine.

LE PREMIER

Vous m’entendez bien.

LE SECOND

Ha! finart,

Vous contrefaictes le regnart,

Vous en voulez aider tout seul,

Ça, ung mot.

LE PREMIER

Il luy fait grant deul

355Qu’il ne le scet, que mal feu l’arde,

Mais non pourtant il n’en a garde.

Il auroit plustost de la lune,

J’ay enseignes, moy, c’est pour une.

LE SECOND

Or ça, or disons, belle dame,

360Qui faictes de la preude femme,

Vostre seur si est esgarée,

On congnoit trop vostre quarrée.

Vous est-il point advis que j’aye

En mon beau mouchouer monnoye,

365Ou de bon or quelque recluche.

ROUSINE

Je ne regard, n’espluche[-2]

Les gens de si près, velà tout.

LE SECOND

Il fault commencer par ung bout.

Pour ce qu’ayme vostre honneur,[-1]

370Ung mot vous diray de bon cueur:

Ne vous fiez pas en chacun.

ROUSINE

Comme quoy?

LE SECOND

Nous sommes trop d’ung.

C’est mon compaings, m’amye chière,

Qui a la langue trop legière,

375Je vous dy pour abregier.[-1]

ROUSINE

Si n’y a point de dangier[-1]

En parolle que me dist huy.

Mais nonobstant, c’est dit d’amy,

Humblement je vous en mercie.

LE SECOND

380Si avez-vous de quoy je vous prie,[+1]

C’est qu’au lieu duquel je vous dis,

Yssir il y a des jours six,


 [[ Print Edition Page No. 74 ]] 

Vous trouverez dedans demain

Huit heure; or ça, vostre main,

385Le ferez-vous?

ROUSINE

Par trop envis

J’escondiroies ung si beau filz,

Mais gardez qu’âme n’y survienne

54 vo]Affin que pis ne nous en vienne,

Car mon honneur seroit forfait.

LE SECOND

390N’y ait faulte.

ROUSINE

Il sera fait.[-1]

Mais secret.

LE SECOND

Tant de fois dire.

ROUSINE

Tenez, mussez cecy, beau sire,

Affin de plustost m’y trouver.

Pour gaige aurez ce soulier,

395Mais à vostre compaignon mot.

LE SECOND

Non, non, je ne suis pas si sot.

Partez tost sans plus de frestel.

LE PREMIER

Où retournez-vous?

ROUSINE

A l’hostel!

Dieu vous doint bon soir, mon bignon!

LE PREMIER

400Rousine!

ROUSINE

A Dieu! compaignon,

Je m’en vois sans plus en parler.

LE PREMIER

Mais en quel lieu?

LE SECOND

Laisse-la aller,[+1]

Et puis nous dirons du meilleur.

ROUSINE

Ha! mon Dieu! et quelz gens d’honneur.

405J’en suis eschappée piedz joincts.

De forte fièvre soient-ils oingz!

Destourbée m’ont, ne m’en chault.

J’alloye, parlé-je point trop hault?

Où j’eusse gaigné une penne,

410En ung lieu, mais j’en suis bien Jehanne.

Que pourray-je à Gaultier dire[-1]

De ses botines? C’est pour rire,

Il m’en fera bien grant brairie.

Trouver fault quelque tromperie

415Puis que j’aprouche du logis.

GAULTIER chante

Il est temps de fermer son huis,

Viendra-el point? C’est à demain.

El me baille bien du plantain,

Je me feray mes chausses tondre,

420Je requier Dieu qu’elle puist fondre,

Mais que ce soit ains qu’il soit nuyt.

Je n’y voy goute. Qui y vist,

Il fault que couse à lunettes,†[-1]

Vecy des coustures bien faictes,

425J’ay mis la pièce auprès du trou,

J’en suis tout tanné la brou, la brou.[+1]

J’ay autre chose à besongner,

55 ro]Car il me fault mes ongles rongner.

[+1]Il m’y fault prendre par bon desir,

430Je cuyde que j’aye tout loisir,[+1]

C’est bien demouré, quel prouffit,

J’attendray encor ung petit.

LE PREMIER

Dy moy verité et soyes ferme.

LE SECOND

Si feray-je bien, dea, j’ay terme.

LE PREMIER

435Tout cela, ce n’est que du moins,

J’ay plus fort.

LE SECOND

Quoy? estraint les mains,

Ou marché sur le pié?

LE PREMIER

Nenny.

LE SECOND

Ma foy, je te tiens pour Jenyn,

Tout au long tu n’y congnois aage,

440J’ai bien dit.


 [[ Print Edition Page No. 75 ]] 
LE PREMIER

Ce n’est que langage

Mais moy, j’ay enseignes certaines.

LE SECOND

Se c’estoient fi[è]vres quartaines,

Mon filz, tu n’en tremblerois jà,

T’y fies-tu?

LE PREMIER

Es-tu à cela?[+1]

445Toy mesme, es-tu si fort beste?[-1]

Dea, dea, n’en baisse jà la teste,

Tu n’as garde du horion!

LE SECOND

Tu en es bien.

LE PREMIER

Quelle raison?

As-tu enseignes?

LE SECOND

Ouy vrayment.

LE PREMIER

450Monstre!

LE SECOND

Mais toy?

LE PREMIER

Là premierement.[+1]

LE SECOND

Non feray, tu en bouteras.

LE PREMIER

Ha! de vray, tu en gasteras

Bien tost, se tu es le premier.

LE SECOND

Bien, se tu y vas le dernier,

455Ce sera pour les grâces dire.

Scez-tu quoy tu me feras rire?

LE PREMIER

De quoy?

LE SECOND

Tu es loing de ton compte.

ROUSINE

Dieu gard!

GAULTIER

55 vo]Et n’avez-vous pas honte,

Belle dame, de mettre tant?

460Je me vois ici combattant

Tout seul sans voisins ne voisines

Et puis quoy, où sont mes botines?

ROUSINE

Chez l’ouvrier, j’ay parlé à luy,

Avoir ne les pouvez meshuy,

465Jusques à demain au matin.

GAULTIER

Qu’avez-vous trouvé en chemin?

Par Dieu, c’est tres mal labouré.

ROUSINE

Pourquoy ay-je tant demouré?

Il fust pour vous saison de boire.

GAULTIER

470J’ay recousu mes chausses.

ROUSINE

Voire.

Je cuide qu’ilz soient presque bien.

GAULTIER

M’aidieux, je n’y congnois plus rien

Sans lunettes, mot n’en hongnez!

ROUSINE

Et puis sont vos ongles rongnez?

GAULTIER

475J’ay fait vostre commandement,

Soupperons-nous point?

ROUSINE

Ouy vrayement,

La table est en la cuisine,[-1]

Là bas.

GAULTIER

C’est bien parlé, Rousine,

Mes botines?

ROUSINE

C’est à demain.

GAULTIER

480Devant.

ROUSINE

Je vois querir le pain,

Et voir se la viande est cuitte.


 [[ Print Edition Page No. 76 ]] 
GAULTIER

Pleust à Dieu que je fusse plus vitte,

Et ung bon tresorier fust nostre,

Je m’iray coucher en apostre,

485Aujourduy piedz nudz, c’est raison,

C’est celle de nostre maison

Qui joue ses jeulx, mais quoy? j’endure.

De coucher il n’est pas saison,

C’est celle de nostre maison,

490Qui m’apaise de son blason.

Celle ne craint que j’aye froidure,

C’est celle de nostre maison

Qui joue les jeux, mais quoy? j’endure.

ROUSINE

Estes-vous point party? trop m’y dure.

495S’il le sçavoit, d’ung an entier,

Soyez certains par saint Regnier,

56 ro]Je n’auroyes bien, velà le cas.

Ils sont plus froiz que verglatz;[-1]

Quelz gorgias, quelz galeretz,

500Ce sont varletz dimencheretz,

Des sept au blanc, quelz paladins!

Et puis s’ilz cuident estre fins,

Mais je suis encore plus fine.

Car ilz en ont de la botine,

505Tout du long, j’en cheviray bien,

A Gaultier, cela n’est rien,[-1]

Car je scay bien où on les vent,

Je luy en baille bien souvent,

Dont il ne m’en dit pas grant mercis.

510Je croy que Gaultier est assis,

Je m’envoys, car il luy ennuye.

LES DEUX GALLANS en chantant

Dieu doint tres bon soir à m’amye!

LE SECOND

Or me dy, se Dieu te doint joye,

Par quelque point ou quelque voye,

515Le lieu où elle t’a promis,

Veu que nous sommes tant amys

Et sçavons assez l’ung de l’autre.

LE PREMIER

Sçauroys-tu en faire la peaultre,

Me diras-tu point verité

520En me promettant ta loyauté[+1]

Comme ung compaignon doit faire,

Dire le lieu de son repaire

Où elle t’a dit.

LE SECOND

Seurement,

Le te diray bien loyaulment,

525Sur ma foy.

LE PREMIER

Sces-tu le logis

Où nous mengeasmes les mauvys?

LE SECOND

Deus vray, à peu que ne le croy.

LE PREMIER

C’est leans.

LE SECOND

Je jure ma foy

Qu’au dit lieu el m’a baillé terme

530A huit heures.

LE PREMIER

Quoy?

LE SECOND

Qu’elle est ferme!

A quelz enseignes?

LE PREMIER

D’ung soulier

Que vecy.

LE SECOND

C’est pour affoller,

Et j’en [ai] eu une botine.

LE PREMIER

Montre ça.

LE SECOND [Ils se montrent leur
                                                       bottine
]
56 vo]

C’est tout ung.

LE PREMIER

Rousine,

535Ha! vous jouez d’ung grant mestier,

Ce sont les botines Gaultier!

LE SECOND

Seurement nous en avons d’une.

Se la rencontre sur la brune,

El dira par chacun quartier

540Que j’ay des botines Gaultier.

LE PREMIER

Par le sang bieu! Nous l’avons belle,

Elle est d’une faulce femelle!

Je cuidoys estre tout routier,

Mais j’ay des botines Gaultier,

545Je vous prie, n’en dictes mot.


 [[ Print Edition Page No. 77 ]] 
LE SECOND

Sainct Jacques, il y fait sot

Que la dosser ung jour entier,

Sert-el des botines Gaultier.

LE PREMIER

Mot, bon gré saint gris, qui sauroit

550Nostre cas chacun nous huroit.

El nous a comme ung bastier

Baillé les botines Gaultier.

LE SECOND

S’il est sceu par quelque sentier

Qu’i nous soit advenu cecy

555Comme des Gallans sans soucy,

Des gaudisseurs, des bas persez

Ou joyeuls mondains, c’est assez

Pour estre raillé une année.

LE PREMIER

Ceste cause est assez menée,

560N’en parlons plus, allons-nous-en,

Nous deulx par derriere coyement,[[561]]

Dy-je bien.

LE SECOND

Ouy sus, sus à tout,

Il en fault saillir par ung bout,

Temps est de faire departie.

565A Dieu command la compaignie.

EXPLICIT.

NOTES

 [IX.] Farce des Amoureux qui ont les bottines Gaultier.

 [16] peut-être faut-il entendre: “mots sont mots”?

 [85] La règle de l’enchaînement des répliques par la rime n’est pas rigoureusement observée. Cf. aussi 115. La phrase est d’ailleurs dépourvue de principale.

 [100] L’expression m’est inconnue.

 [114] hauvoy?

 [157] vert: vair (fourrure).

 [160] vermeil d’a. L’expression m’échappe.

 [288-9] la librairie, la bibliothèque du Couvent des Grands Augustins, entre les rues Dauphine, Christine, les Grands Augustins et la Seine. Cf. Franklin, Les Bibliothèques de Paris. t.I, pp. 380 ss.

 [303-4] appelay: celay: part. passé.

 [386] envis: à regret.

 [505] Des sept au blanc, expression du jeu de dés, mais je ne la comprends pas.

 [540] Le moment où chacun des galants produit la bottine qu’il a reçue en gage de la même femme de Gautier, est d’un comique intense et d’un effet sûr.

 [551] Le mot bastier m’est inconnu.

 [561] Gallans sans soucy est le nom d’une compagnie dramatique connue du XVe siècle (cf. G. Cohen, Le Théâtre profane, 1931, p. 54). Cette farce, comme d’autres du Recueil Trepperel, est un proverbe en action.

Endnotes

 [†] “Quel escouflart” manque.

 [132,] O: la.

 [423,] O: lumettes.


 [[ Print Edition Page No. 78 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 79 ]] 

X
57 ro] FARCE NOUVELLE
À DEUX PERSONNAIGES
*

[vignette]

La confession du brigant au curé

[vignette]57 vo]

FARCE NOUVELLE DU CURÉ ET DU BRIGANT.

LE BRIGANT commence

Je suis desconfit de quinquaille,

Tout mon argent est despendu.

A malle hart soit-il pendu

Qui soustient ne denier ne maille!

5Or n’est-il rien qui ne me faille

Et grant planté d’escuz vieulx.

Ma robe a le ventre creux

Depuis que je n’ay eu nul gaige.

Tout me fauldra en mon mesnaige,

10Du pain, du lart et du fourmaige.

Je ne le tiendray pas à saige

Qui passera ains que je couche.

LE CURÉ

Voicy la feste qui s’approuche

De Pasques et pour ce, à ma cure

15Je veulx aller à l’aventure

Confesser mes paroissiens,

Car ilz sont si très negligens,

Que ce n’est que toute ignorance,

Pour acquiter ma conscience.

20La Dieu mercy, je suis tout prest.

Aller me fault sans nul arrest,

Et il convient que je me haste.

Mais un homme sans baston[-1]

Est à la mercy des chiens.[-1]

25Or avant, je ne crains rien,[-1]

Dieu me conduye et Nostre Dame!

LE BRIGANT

Par la croix bieu, il ne passe âme,

Je ne fais icy que morfondre,

Je prie à Dieu qu’il me confonde,

30Si je ne voy là quelque proye.

Ho! Ho! Il convient que je voye,

S’il y a point de compaignie.

Sang bieu! vous y perdrés la vie

Tantost, domine Curate.

LE CURÉ

35Je me suis assés toust hasté,

Je seray bien tost à mon estre.

LE BRIGANT

A mort! A mort!, demourés, prestre,

Il fault retourner par deçà!

LE CURÉ

Hélas! hélas! Et qu’esse là?

40Pour Dieu, ne me faictes nul mal!

LE BRIGANT

Vient-il à pié ou à cheval?

LE CURÉ58 ro]

Je n’ay veu âme quelconque.

LE BRIGANT

Vous avés peur, maistre gallant!

LE CURÉ

Je cuydoye premierement

45Que se fussent mauvaises gens,

Mais non sont, Dieu mercy.[-2]

LE BRIGANT

Jamais ne partiray d’icy

Que n’aye compté vostre monnoye.


 [[ Print Edition Page No. 80 ]] 
LE CURÉ

C’est donc pis que ne cuydoye,[-1]

50Las, ne me faites nul effors!

LE BRIGANT

Je te mettray la dague au corps,

Par la chair Dieu, se tu dis mot.

LE CURÉ

Nenny, je ne suis pas si sot,

Il n’en sera jamais nouvelles.

LE BRIGANT

55Çà, de l’argent.

LE CURÉ

Il n’y a rouelle,

Par le Dieu qui me fist, en ma tasse.[+1]

LE BRIGANT

Parle bas, qu’i ne passe[-2]

Quelqu’un qui face empeschement.

LE CURÉ

Vous dictes vray, par mon serment,

60Je l’avoye oublié,[-2]

J’ay mon argent tout employé

Au luminaire de la feste.

LE BRIGANT

Par le sang bieu, ribault prestre,[-1]

Vous chanterés d’autre martin.

LE CURÉ

65Je vous donneré (ung) pot de vin,[+1]

Beau sire, et soyons amys.[-1]

LE BRIGANT

Baille des escus cinq ou six,

Tu n’auras garde qu’on le t’emble.

LE CURÉ

Je n’en vis oncques tant ensemble,

70Par Dieu qui me fist, en ma bource.

LE BRIGANT

S’il convient que je me courouce. . . .

LE CURÉ

Se feroit une grant peine.[-1]

LE BRIGANT

Voicy la longue sepmaine[-1]

Que je veulx estre confessé.

LE CURÉ58 vo]

75A! par Dieu, tout sera laissé,

Devant que je vous confesse.[-1]

Or sus, mectez-vous à vostre aise,

Debout, assis ou à genoulx,

Et dictes benedicite Dominus!

LE BRIGANT

80Dy-le pour moy!

LE CURÉ

Benedicite sempiternum

Secu corda predicale

Spiritus sancti, amen.

Or dites donc, je me confesse.

LE BRIGANT

Dy-le pour moy.

LE CURÉ

85Je me confesse à Dieu.

LE BRIGANT

Et maulgré bieu du vilain prestre,

T’en veulx-tu desjà aller?[-1]

LE CURÉ

C’est ung mot de confession.

LE BRIGANT

Par la mort sans remission

90Je te tueray, se tu quaquettes.

LE CURÉ

Or sus, dictes voz besongnettes,

Avez-vous prins rien de l’autruy?

LE BRIGANT

Et morbieu ouy,

Quant je jouoye aulx espinettes

95Avec les belles fillettes,[-1]

Je leurs ostoyes leurs espingles

Et les donnoye à d’autres filles.

LE CURÉ

Or Dieu le vous pardoint, sire![-1]

Comment vous va du peché d’ire,

100Vous courrocez-vous voluntiers?

LE BRIGANT

Quant je vois par my les santiers,

Une ronce ou une espinette

Me happe par my ma jambette,

Incontinent je maulgroye Dieu,

105Et la coupe par le mellieu,

Voire tout bas, sans mot sonner.

LE CURÉ

Dieu le vous vueille pardonner,

Mais d’argent prendre, il s’en fault faindre.


 [[ Print Edition Page No. 81 ]] 
LE BRIGANT

Si fois-je quant n’y puis actaindre.

LE CURÉ

110C’est bien fait, car Dieu s’en courrouce.

59 ro]Avez-vous point veu en la bource

A ces gallans et joué de force?

LE BRIGANT

Nenny, par Dieu, pas encore.†[-1][[113]]

LE CURÉ

Or sus, faicte bien vostre deu,

115Il faut laisser chascun son fais.

LE BRIGANT

Par le sang bieu, je suis emprès,

Encore ne fais que commencer.

LE CURÉ

Il vous fault très bien penser

A mettre tout hors, mon amy.

LE BRIGANT

120Aussi fais-je tant que je puis,

Mais le pertuis est trop petit.

LE CURÉ

Se sera vostre prouffit,[-1]

Mon amy, ne laissez rien.[-1]

LE BRIGANT

Mon prouffit, par saint Julien,[-1]

125Au moins y ay-je esperance.[-1]

LE CURÉ

N’avez-vous pas en Dieu fiance?

Dea! ne vous hastés qu’à vostre aise.

LE BRIGANT

Nenny, dea, je suis bien aise,

Vous fais-je point de desplaisir?

LE CURÉ

130Nenny non, faictes tout à loisir,[+1]

De vous amender j’ay grant joye.

LE BRIGANT

Je vaulx mieulx que je ne faisoye

Des escus, par Dieu, plus de six.

LE CURÉ

Vostre confession, beau filz,

135Elle doit estre parfaicte.[-1]

LE BRIGANT

Elle sera par Dieu toute nette[+1]

Se je puis, avant que la laisse.

LE CURÉ

Dea, il ne fault pas que l’on laisse

Aucuns pechés, n’en laissés nulz.

LE BRIGANT

140Je prens les grans et les menus,

Certes j’en foys bien mon effors.

LE CURÉ

Dieu vous sera misericors.

Or sa, savés-vous autre chose?

LE BRIGANT

L’autre jour, il y a grant pose,

145On avoit mis ung gras chappon

59 vo]A la gelée toute nuyt

Et je le prins.[[147]]

LE CURÉ

Dea . . .†

LE BRIGANT

Par le sang bieu, je le mengay

Sans sel, dont je m’en confesse.[-1]

LE CURÉ

150Or ça, oyés-vous point la messe

Au dimenche, quant elle sonne?

LE BRIGANT

Je l’oy bien d’où je suis.†[-2][[152]]

LE CURÉ

Par Dieu, vous avez grant somme,

Mais que faites tousjours ainsi?

LE BRIGANT

155J’en ay beaucoup Dieu mercy.

LE CURÉ

Or mon amy, dictes après

Sans faire tant de replicques.

LE BRIGANT

Je mengay l’autre jour des trippes

A une tripière qui passoit

160Et luy abbatis son bacquet,

Tant que la gresse cheut à terre

Et laissé là mon couteau.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 82 ]] 
LE CURÉ

Dea nous en sommes bien et beau,

Confession est-elle faicte?

LE BRIGANT

165Par le sang bieu, elle est nette,[-1]

Je ne sçay en ma conscience

Plus riens seul, s’il n’est bien sauvaige.

LE CURÉ

C’est vostre prouffit,†[[168]]

Se je n’y ay part, j’ay fiance.

LE BRIGANT

170Or sus donc, que l’en s’avance.[-1]

LE CURÉ

Il vous fault avoir penitence

Pour vos pechés pardon avoir.

LE BRIGANT

Monsieur, vueillés y penser,

Car si vous me baillés grant charge,

175Je ne la sçauroie porter.

LE CURÉ

Ego asuote (?)

De la crouste d’ung pasté

Sicut erat sempiternum

Spiritu sancti amen.

LE BRIGANT

60 ro]Sire mor, mon amy,†

180Vous estes garny de grant sens.

LE CURÉ

Vertu bieu, je eschape bien aucy,†[[181]]

Que je n’é pas laissé l’endosse.

Mor bieu, je le reviens par cy,

Je m’en vois à mon avanture

185Confesser mes parroisiens.

Prenés en gré l’esbatement,

Sire Dieu le vous pardonne.[-1]

Adieu vous dy pour maintenant.

FINIS.

NOTES

 [X.] Farce du Curé et du Brigant.
Quant aux vers 82-84:

Benedicite sempiternum

Secu corda predicale

Spiritus sancti amenet 175-178

Ergo asuote

Sicut erat sempiternum

Spiritus sancti amen,

je n’y vois aucun sens ni aucune référence. Benedicite est une formule de salutation. Ego asuote pourrait être une corruption de ego absolvo te, formule d’absolution dans le sacrement de pénitence. Spiritus sancti rappelle la formule de bénédiction in nomine Patris et Filii et Spiritus sancti. Sicut erat vient certainement du Gloria Patri, verset final des psaumes à l’office. Mais il est à noter que dans ces vers le procédé n’est pas le même que dans le numéro VIII. Là il s’agíssait de mots pris au petit bonheur et un peu partout dans un livre d’église, paroissien, psautier ou autre, mais pris tels quels tout de même. Ici les mots sont corrompus, par ignorance ou de propos délibéré, et il me semble impossible de dire où certains d’entre eux ont pu être pris.

 [96] espingles à corriger en espinglettes.

 [181-3] Texte altéré, comme en témoigne l’absence de rimes.

Endnotes

 [† 80-5,] compte des vers impossible.

 [113:] Il manque un mot à la fin, pour rimer avec le deu du vers suivant.

 [147,] O: iulfhange (faute d’impression, incompréhensible).

 [152:] Vers incomplet de la fin qui devrait rimer avec somme du suivant.

 [168:] Il manque un mot comme: davantage.

 [179,] O: mor ise (mots estropiés pour lesquels je ne vois pas de correction à proposer).

 [181:] Ne rime ni avec le vers précédent ni avec le suivant. Il se pourroit que 182 et 183 aient été intervertis, mais cela ne lève pas la difficulté.


 [[ Print Edition Page No. 83 ]] 

XI
[60 verso blanc]
61 ro]
FARCE NOUVELLE
DU CLERC QUI FUT REFUSE A ESTRE PRESTRE POUR
CE QU’IL NE SCAVOIT DIRE QUI ESTOIT LE PERE DES QUATRE FILZ HAYMON
A QUATRE PERSONNAGES
*

LE MAISTRE commence61 vo]

Hau, Jenin!

JENIN

Plaist-vous, Maistre Pierre?

LE MAISTRE

Metz ma table, ça ma chaire!

Ung marchepié, tost ung coussin!

JENIN

Vecy tout, faictes bonne chère.

LE MAISTRE

5Or prens le pot et va au vin.

JENIN

Vous en aurés tantost de fin,

L’on a crié du moult de Rin,

En voulés-vous avoir ung pot?

LE MAISTRE

Apporte du pain blanc, Jenin,

10Et ung bon pasté de poussin

Et ung formaige d’agnelot.

JENIN

Ne vous sers pas en gringuot.[-1]

LE MAISTRE

Je te diray tout plainement:

Marier te vueil richement,

15Ta peine aura guerdonnée.[-1]

JENIN

Femme seroit mal asseurée,

Et ce seroit mon, par mon âme,

Je pense pour vivre sans femme,

Quelque chose (que) vous me faciés estre.[+2]

LE MAISTRE

20Et quoy Jenin?

JENIN

Ung saige prestre,

Si auray gaigné mon escot.

LE MAISTRE

Comment pourroit ung clerc sot[-1]

Parvenir en l’ordre de prestrage?[+1]

Je escripray, si te treuve sage,

25A l’examen qu’on te reçoyve,

Et s’il est besoing qu’on en boyve,

Je payeray le vin à eulx.

JENIN

Or escripvés ung mot ou deux

Par dessus pour sçavoir à qui

30J’adresseray.

LE MAISTRE

Est à celuy

Qui des prestres fait l’examen.

Or va, que Dieu te conduie.

JENIN

Amen.[+1]

Adieu, je m’en voys à la court.

LE MAISTRE

62 ro]Quant tu auras fait, retourne court.

35Il ne fust oncques à l’escolle[+1]

Et si cuide estre prestre acop.


 [[ Print Edition Page No. 84 ]] 
JENIN

Je me suis arresté par trop,

Si m’en vueil aller tout d’une tire.[+1]

Où est la lettre de mon sire,

40Que dois à la court porter?[-1]

A l’hostel me fault retourner,

Car je l’aie là oubliée.[-1]

Ha! ha! non est, je l’ay trouvée,

Elle estoit en ma main senestre.

45Je vois là ung seigneur ou prestre,

Je vois à luy; “Sire, à qui esse

Que ceste lettre-cy s’adresse?

Lisés ceste lettre à part soy.”

L’OFFICIAL

Ces lettres s’adressent à moy,

50Je les vois ouvrir et puis lire:

“A mon seigneur et honoré sire

Le secretaire à Monseigneur.

Cher amy, ung serviteur

Que j’envoyes par devers vous,

55Suppliant, cher sire doulx,

Que, se le trouvé assés saige,

Qu’il aye l’ordre de prestaige,

J’aye escript ceste patenostre,

Et par Pierre le serviteur vostre[+1]

60A faire tout vostre bon plaisir.”[+1]

A ce que j’en puis en ouyr,

Tu veulx estre prestre, fais point.

JENIN

Ouy, Monsieur, c’est le point,[-2]

Pour quoy je suis en court venu.

L’OFFICIAL

65Or en bonne heure, que sces-tu?

Es-tu clerc, comme il appartient?

JENIN

A! je suis clerc voyrement,

Je sais bien chanter en la maison[+1]

Sanctus et kyrie leyson.

70J’ay esté grant clerc autrefoys.

L’OFFICIAL

Dont es-tu? de saint Gervoys?

JENIN

Par Dieu, tous mes parents en sont,

Mais je n’en suis pas, sauf vostre grâce,[+1]

S’il vous plaist, menés moy en la place[+1]

75Où l’examen sera huy.†[-1]

L’OFFICIAL

Je te demande se tu sces,

Sur ce je te examineray

Puis après je te passeray

Se tu respons bien.

JENIN62 vo]

N’en doubtés!

L’OFFICIAL

80Je te demande se tu ses

Comment avoit jadis à nom

Le père aux quatre filz Aymon,

Son nom nommer te convient.[-1]

JENIN

Par le corps bieu, je n’en scay nient.

L’OFFICIAL

85Ne sces-tu le père d’où vient

Le gendre Aymon?

JENIN

S’i vois penser,

Je ne scauroye deviner

Ung nom que je n’ouys oncques.[-1]

L’OFFICIAL

Tu ne seras point prestre doncques.

90Or t’en reva dire à ton sire

Que tu sces peu pour estre prestre.

Ce fol icy est tout yvre[-1]

Et si cuide estre prestre fais,

Il en est beaucoup d’ainsi fais

95Qui cuident sans elles voller.

JENIN

J’ay plus d’ennuy à m’en aller

Cent fois que n’eus à venir.[-1]

MAISTRE

Je voy mon prestre revenir,

Je vueil aller au devant.[-1]

100Sire, bien soyés venant[-1]

Tant estes simple; de quoy esse?

Quant chanterés-vous vostre messe

Entre vos parents et les miens?

JENIN

Par Dieu, maistre, je n’en sçay riens,

105Je reviens tel que g’y allay.

MAISTRE

Ainsi dit-on qui a les biens.


 [[ Print Edition Page No. 85 ]] 
JENIN

Par Dieu, maistre, je ne sçay riens.

MAISTRE

Je n’entens pas bien vos moyens,

Mais à quoi a-il tenu[-1]

110Que l’examen n’estes passés.

JENIN

Ouy, il a tenu assés,[-1]

Car il m’a fait une demande

La plus terrible et la plus grande

Que j’ouys oncques en ma vie,

115Je ne l’entens non plus qu’ebrieu.

MAISTRE

63 ro]T’a-il dema[n]dé de quoy Dieu

Fist les elles sainct Michel,[-1]

Ou dequel bleu il tint le ciel?

JENIN

La demande estoit bien plus grande.

MAISTRE

120Je croy qu’il te demanda donc

Où les roulés Gabriel sont

Dont il salua Nostre Dame.

JENIN

Et non fist, bon gré mon âme,[-1]

Mais sans plus dema[n]der†[[124]]

125Je le vous diray, s’il vous plaist.

MAISTRE

Je t’en prie.†[[126]]

JENIN

Se n’est qu’une tromperie,[-1]

C’est ung sens bien recommandé

Et saichés qu’il m’a demandé

130Comment avoit jadis à nom

Le père aux quatre filz Aymon,

A! c’est forte chose à entendre.

MAISTRE

Je te le feray bien aprendre

Par exemple.

JENIN

Dictes avant!

LE MAISTRE

135Ne congnois-tu point cy devant

Collard le Fèvre, ung marichau?

JENIN

Ouy, je le congnois bien et beau.

LE MAISTRE

Et n’a-il pas quatre filz?[-1]

JENIN

Si a deux grans et deux petits,

140Je les congnois bien orendroit.

LE MAISTRE

Et viens ça, qui te demanderoit

Qui est le père des enfants

Collard le Fèvre, sot meschant,

Que respondrois-tu?

JENIN

G’y voys voir,

145C’est Collard le Fèvre,

Car je cong[n]ais ses enfans cy,

Aussi leur père nourrisier;

De vos promesses ne suis fier,

Qui les croit, il pert bien sa peine.

150Je m’en voys, car je n’aye vaine

Qui à vous servir s’estudie.

MAISTRE

63 vo]Aufort, soit ou sens ou folie,

Va-t’en où ta teste te maine.

JENIN

Vous ne me verrés de sepmaine;

155Prestre seray, je vous affie,

Et puis je gaigneray ma vie

Sans servir, ainsi qu’autres font.

LE MAISTRE

Ne m’arguë plus, va-t’en,[-1]

Sans plus te trouver en ma voye.

JENIN

160Dea, il m’est advis que je voye

Le prestre à qui ores parlé,

Par Dieu, je le salu[e]ray

Affin que le tiengne en amour.

Monseigneur, Dieu vous doint bonjour,

165Je viens à vous encor sçavoir

Se vous me voulés recepvoir

Comme prestre en peu de parolles.

L’OFFICIAL

Tu n’as point esté aux escolles

Depuis que ceans te reprins.

JENIN

170Non, Seigneur, mais j’ay aprins

Ung mot que demandé m’avez.


 [[ Print Edition Page No. 86 ]] 
L’OFFICIAL

Et quel mot fusse?

JENIN

Vous sçavez

Que demandés m’avez le nom

Du père des quatre filz Aymon[+1]

175Et j’ay aprins le nom, beau sire.

L’OFFICIAL

Il est vray, tu ne sceuz dire,[-1]

Je te filz penser bien avant.

JENIN

Dea, je sçay bien maintenant

Le nom, si le congnois bien,[-1]

180Car je l’ay sceu par le moyen

De mon maistre, qui le m’a dit.

L’OFFICIAL

Est-il mort?

JENIN

Nenny, il vit,

Et demeure près ma maison.

L’OFFICIAL

Qui? le père des filz Aymon?

JENIN

185Voire, par Dieu.

L’OFFICIAL

Et tu t’abuses.

JENIN64 ro]

Et que vous me faictes de ruses,

Je le congnois mieulx qu’un denier!

L’OFFICIAL

Touteffois je veulx essayer

Se tu congnois bien ou non

190Le père au[x]quatre filz Aymon,

Quel est son nom, pense à brief dire.

JENIN

C’est Collart le Fèvre, sire,

Ung mareschal qui fait les cloches.

L’OFFICIAL

Collart le Fèvre, de quelz nopces,

195Seroit-il père aux quatre frères?

Les filz Aymon ont-ilz deux pères?

Dy moy comment, ne par quel art?

JENIN

Ilz n’ont nul père que Collart,

Et en debatissiez cent foys.

L’OFFICIAL

200Sy ont, si.

JENIN

Non ont, par ceste croix.[+1]

L’OFFICIAL

Par sainct Jehan, se tu me croix,

Se tu as argent, si va boire,

Car prestre ne seras-tu pas,

Car tu ne sces rien aprendre.[-1]

JENIN

205Mais vous le me faictes entendre,

Ne me faictes plus cy attendre,

Mettés-moy en estat de prestre.

L’OFFICIAL

Se tu as argent, si va boire,

Car prestre ne seras-tu point.

JENIN

210Sainct Jehan, me voicy en bon point,

Je n’ay ordre ne benefice,

Et si suis hors de mon service.

Se j’eusse sceu à deviner

Du père aux filz Aymon nommer,

215Je fusse prestre maintenant.

Pourtant vous, jeunes clercz, souvent

Se prestres vous voulez passer,

Le père vous fauldra nommer

Des filz Aymon ou nullement

220Ne passerés à l’exament.

Ce m’ait Dieu qui gard par sa grace†[[221]]

Tous ceulx qui sont en ceste place.

FINIS.

NOTES

 [XI.] Farce du Clerc, etc. . . .

 [7] du moult du rin, je comprends: du moust (vin doux non encore fermenté) du Rhin.

 [95] elles: ailes.

 [121] roulés: rolets (papiers).

Endnotes

 [11,] O: angelot.

 [75:] Manque la rime à sces du vers suivant.

 [124:] Vers “amputé” de la fin: plait(?).

 [126:] Vers incomplet du début.

 [221,] O: Ce n’est.


 [[ Print Edition Page No. 87 ]] 

XII
[64 verso blanc]
65 ro]
FARCE NOUVELLE
à T[R]OYS PERSONNAGES
*

CAUTELLEUX commence

Il est bien matin esveillé

Auquel je ne viendroye à pas.

BARAT

Jamais ne suis ensommeillé.

CAUTELLEUX

Il est bien matin esveillé.

BARAT

5Soit en repos ou travaillé,

Nul ne peult fouir mes esbatz.

CAUTELLEUX

Il est bien matin esveillé

Auquel je ne viendroye à pas.

Pourtant pour avoir mon repas,

10Je m’en voys à l’adventure,

Sans bruit mener, voulant, tout coint,

Par les voyes, car ma nature

Est de frauder toute creature,[+1]

Mais qu’il n’y apperçoyve point,

15L’en le voit bien à ma nature

Que ne dit mot, mais elle point.

BARAT

Par ma foy, je suis bien appoint

Pour tost trouver une grant bourde

Et sur plain champt ung contrepoint,

20Et ne me chault se elle est lourde,

Gresle, petite, grosse ou bourde,

Et joue bien de la toupie.

CAUTELLEUX

Qui est celuy qui nous espie?

Ne pourroit-on trouver nul gaing?

25Ung jour aura de tromperie,

Ha! ha! que Dieu gard le compaing!

BARAT

Et vous aussi jusqu’à demain

Qui vous bailleroit aultre garde.

CAUTELLEUX

Qui vous maine par ce beau plain?

30J’ay grant plaisir quant vous regarde.

BARAT

Et vous aussi, mais on vous tarde

D’estre, vostre nom sçavoir veulx.

CAUTELLEUX

Je suis subtil comme moustarde,

65 vo]Chascun m’appelle Cautelleux.

35Votre nom?

BARAT

Barat le gueux.

CAUTELLEUX

Touche cy, nous yrons nous deux,

Petris sommes de mesme paste.

BARAT

Il n’en scet rien qui n’en taste.[-1]

CAUTELLEUX

Va tout beau, nous n’avons point haste,

40Prenons à loisir nostre chemin,[+1]

Car tel poyera nostre giste

Qui n’y pense pas, mon cousin.

BARAT

C’est bien exprimé, mon voysin.

Vecy besongne qui nous vient,

45Et pourtant il nous convient[-1]

Aufort penser sur la pratique.


 [[ Print Edition Page No. 88 ]] 
CAUTELLEUX

Ne te chaille [de] la pratique,

Laisse le venir seulement.

LE VILLAIN

Avant, Baudet tout bellement,

50Dieu te gart de mal, je l’en prie,

Descendre vueil, je le t’afie,

Car je te sens estre grevé,

Je te tiens si bien esprouvé

Que tu ne faulx, s’il n’y a cause.

    Alors descent de dessus l’asne et dit:

55Allons donques sans faire pause

Maintenant, quant je suis à terre.

Hay, hay, baudet, allons grant erre,

Car j’é au marché bien affaire.

CAUTELLEUX

Vecy nostre emprinse, mon frère,

60Voy-tu cest homme, il est sourd.[-1]

BARAT

Je le croy bien, ho! qu’il est lourd,

Il n’a guère qu’il fut frappé.

LE VILLAIN

Ha! mon martinet regrappé,

Tu m’as très bien servi longtemps.

65Je cuide qu’il a huy sept ans

Que t’achettay hay à Anthay.

CAUTELLEUX

Vien ça! par mon âme, je sçay

A mon advis bonne cautelle,

Nous yrons par ceste sentelle

70Le suivant pas à pas tout beau

Puis deschevestreray le museau

De son asne par bonne guise,

Et après luy tout en chemise

66 ro]Chemineray enchevestré.

BARAT

75Ho! qui sera bien empestré?

CAUTELLEUX

Voire que tu enmeneras son asne

Et je te diray que suis âme

Qui suis parti de Purgatoire.†[[78]]

BARAT

Tu le luy feras bien accroire

80Or avant, qu’on se delivre!

LE VILLAIN

Il fauldra bien que je te livre

A diner, allons tost baudet,

Tu me mordis tres bien le doy

Hier matin quant je le regarde,

85Hay avant, hay, tu n’as garde[-1]

Que je t’en fasse pis, Martin!

BARAT

Je ne vis onc homme plus fin

Que mon compagnon, par mon âme,

Au fort je voy mus[s]er cest asne

90Dedens ce boys qu’il ne revoye.

LE VILLAIN

Nous n’avons plus guère de voye,

Hay, hay, Martin, tost avant,

Hay avant, bodet, ho! Jésus,

Benedicite dominus

95Et credo ave Maria

Agimus tibi gratias,

Dieu me gart de tentation

De par la saincte Passion,

De Jesucrist je te conjure

100Et que tu me dies ton estre.

CAUTELLEUX

Je suis vostre Martin, maistre,

Qui vous ay servy des ans sept.

Or ay ma penitence fait

Qu’on m’avait ordonné affaire,

105Sortant du feu de Purgatoire,

Suis devenu asne sept ans,

Mais maintenant fine mon temps.

Si m’en vois droit en paradis,

Là prieray Dieu pour mes amis,

110Si vous vouldroye bien requerir

Que, pour mon voyage finir,

Pour ce [que] bien vous ay servy,

Si bien qu’oncques ne failly,[-1]

Que vous me donnés de vos biens.

LE VILLAIN

115Tu ne faillis jamais en riens,

Si te donneray en charité[+1]

Demy escu pour merité

Pour passer chemin jusque sa.

66 vo]Or tien, mon Martin, et t’en va!

120Adieu soyes qui te conduie,

Celluy cheveste si t’ennuye,

Baille-moy, mon bon Martin!


 [[ Print Edition Page No. 89 ]] 
CAUTELLEUX

Il m’en fault ung à celle fin

Que je ne menge pas l’avaine

125Des autres, car je faulx de peine

Dont suis afamé comme ung chien.

LE VILLAIN

Or l’emporte, je le vueil bien,

Dieu te rende par sa puissance

De ta peine grant allegence,

130Recommande-moy à tous les sains,[+1]

Je t’en requiers à joinctes mains,

Mon bon Martin, or va, adieu!

CAUTELLEUX

Plus n’aresteray en ce lieu,

Adieu vous dis, mon tres doulx maistre,

135Se je ne l’ay assez fait paistre,

Je vueil qu’on le face pour moy.

LE VILLAIN

O doulx Jesus en qui je croy,

C’est grant fait que de mon pouvoir,

Car je voy à l’ueil cler pour veoir

140Que ta vertu n’est pas menue,

Quant tu fais d’une beste mue,

Devenir âme, c’est grant fait.

CAUTELLEUX

Il n’y a au monde si parfait,[+1]

Comme moy vouldriés vous Dieu estre?

145Nous avons l’asne et la chevestre

Et de l’argent encore avec.

BARAT

Et tu as ton senglant gibet.

CAUTELLEUX

Ouy, par mon serment assés.

BARAT

Tu as contreffait les trespacés,[+1]

150Or vrayment je meurs de rire.[-1]

LE VILLAIN

Je ne sçay quelle part je tire

A la ville ou à l’ostel,

Par mon serment il y a tel,

Je vois à la ville grant erre,

155Là je vendray mes potz de terre

Que g’i laissay à l’autre fois.

BARAT

Mon compaignon, se tu me crois,

Nous irons jouer à la ville

Et mangerons ung tronc d’anguille

160En faisant quelque autre fatras.

CAUTELLEUX

Je iray là où tu me menras,

67 ro]Je me gouverne par ton dit.

BARAT

La fine peau, il ne mordit

Oncques deux cinges ou je le cuide.

LE VILLAIN

165Je voy la place toute vuide,

Il me fault apprester mes potz,

J’auray marchandé à deux motz

Tant seullement, mais qu’argent faille.

BARAT

Mais que besongne ne nous faille,

170Nous parferons nostre journée.

CAUTELLEUX

Nous ne fauldrons, jà ne te chaille,

Mais que besongne ne nous faille,

BARAT

Nous en prendrons encor en taille,

Jusques il en aura admené.

CAUTELLEUX

175Mais que besongne ne nous faille,

Nous parferons nostre journée.

BARAT

Je voy nostre barbe pelée,

L’homme, dont nous avons eu l’asne.

CAUTELLEUX

Tu dis verité, par mon âme,

180Il vend des potz que il a fait,

C’est ung Genin tout parfait.

Encor luy en fault bailler une.

BARAT

Mais de quoy? il n’a chose aucune

Dont il nous peust sortir prouffit.

CAUTELLEUX

185Mais que nous trompons il souffit.

Je te diray que je feray:

Deux potz marchander droit yray,

Et tu vindras comme incongneu

Me faire ung grant bien venu,[-1]

190Me disant, quant viendra au fort,

Nouvelles que mon père est mort,

Et tu verras bonne risée.


 [[ Print Edition Page No. 90 ]] 
BARAT

Tu l’as eu bien tost advisée,

Or va, je viendray sans attendre.

LE VILLAIN

195Ce marché ne vault riens pour vendre,

Je ne fis croix de ce jour-cy.

CAUTELLEUX

Combien me coustera cecy?

Ces deux, dictes-moy à deux motz.

    Il marchande et en doit prendre deux.

LE VILLAIN

67 vo]Or ça, voulés-vous ces deux potz?

200Vous n’en paerés que six tournois.

CAUTELLEUX

Six, dea, en voulez-vous troys?

Je n’y mettroye pas ung niquet.

LE VILLAIN

Par ma foy, avant demouroit

L’ouvraige d’icy à Caresme.

CAUTELLEUX

205Vous estes trop plus cher que cresme,

Advisez, voulez-vous argent?

BARAT

Dieu gard le compaignon gallant!

Comme vous va de la santé?

CAUTELLEUX

Très bien, et vous? Où a été

210Si longuement le compaignon?

Ilz s’embrassent, puis Cauteleux reprent
ses potz.

BARAT

J’ay demouré en Avignon

Par tout le pays de là-bas,

Où j’ay veu certes maintz esbatz

En Arragon et en Espaigne,

215J’ay esté partout en Castellonne[+1]

En Auvergne, Forrez, Languedoc,

Voire à l’isle de Medoz,[-1]

A Bordeaux et à La Rochelle;

De là m’en sus venu par deça.[+1]

CAUTELLEUX

220C’est bien trippé, mais puis or ça,

En nostre pays que dit-on?

BARAT

Ung nouveau qu’il n’est pas trop bon,

Aussi ne le diray-je mye.

CAUTELLEUX

Barat le gueux, je vous supplie,

225Dictes-le-moy ou je mourroye.

BARAT

Par mon serment, je ne feroye.

CAUTELLEUX

Et vous le me pouvez bien dire.

BARAT

Je n’oseroye, par Dieu, beau sire.

LE VILLAIN

Pourquoy non, dictes-luy hardiment.

BARAT

230Je vous prometz par mon serment,

Amis, qu’il ne vous plaira mie:

Vostre père n’est plus en vie,

Il est trespassé puis septembre.

CAUTELLEUX

Il met les potz contre terre et en casse deux.

68 ro]Est-il mort? je n’ay sur moy membre

235Qui se puisse tenir en dresse.

LE VILLAIN

Ça, argent!

CAUTELLEUX

Ha! la grant detresse!

LE VILLAIN

Payés-moy, de ce ne me chault.

CAUTELLEUX

Il crie en plorant.

A! mon père Michault,[-2]

Dieu te face crie[r] mercy.

LE VILLAIN

240Paiez-moy, paiez, qu’esse cy?

CAUTELLEUX en criant et pleurant

Et Dieu j’enrage.†[[241]]

LE VILLAIN

Certes, vous le me paierés contant.

BARAT

Vous le mectez hors de son sans.


 [[ Print Edition Page No. 91 ]] 
LE VILLAIN

Dea, mon amy, je n’en puis mais,

245Se je l’avoye veu jamais,

Je ne doy point perdre le mien.

CAUTELLEUX

J’enraygeray, ce say-je bien,

Que n’ay-je ung cousteau tranchant!

LE VILLAIN

Baille-moy mon argent, marchant,

250Faisant semblant d’aller à la rivière.

CAUTELLEUX

Allez-vous-en, villa[i]n dempné,

Je suis de tout point condempné,

Noyer m’en vois de cestuy pas.

BARAT

Las! mon amy, non ferez pas,

255Vous le ferés tout frenetique,

Allez garder vostre botique,

Villain, que la fièvre vous tiengne!

LE VILLAIN

Celle prune-là sera mienne,

Je ne fais fors que perdre temps

260Yci ainsi comme j’entens.

Le grant dyable ou fort,†[[261]]

De cela qu’il est si tost mort,

J’aimasse mieux qu’il fust en vie.

BARAT

Par Dieu vecy bonne folie,

265Le bon homme comme je croy

A bien baisé le marmouset,

Je ne veis oncques mieux ouvrer.

Qui en pourroit encor trouver

68 vo]Ung aultre pour faire la fin,

270Je le tiendroye aussi fin

Comme droictement drap de soye.

CAUTELLEUX

Je requiers à Dieu, que je soye

Traisné, se ne luy en baille encor.

A! maistre, vous aurés ung tour,

275Or je bruleray tous mes livres;

Saint Mor, il n’en est pas delivre.

Je te diray que je feray:

Dedans ung sac je te mettray

Et je te lieray en plaine voye

280Et puis quand je l’apparceveray,

Je te siffleray que tu regardes,[+1]

Je luy diray qu’on te veult mettre

Abbé, mais tu ne le veult mettre,

Et luy prieray qu’il luy plaise

285L’estre, et il sera bien aise

Trestout le temps de son vivant.
CAUTELLEUX met Barat au sac

BARAT

Certes onc homme ne fist mieulx.

Avant, metz moy dedens, il est heure.

LE VILLAIN

Par mon âme, je demeure[-1]

290Trop, de m’en aller il est tard,

Or ça, que Dieu y ait bonne part.[+1]

Ce marché m’a peu prouffité,

C’est grant pitié en vérité

Que des denrées d’aujourd’huy,

295Ce n’est que peine et ennuy[-1]

Au temps qui court, par mon serment.

Crié je m’en vois hastivement,

Il ne fault jà attendre plus.
Cautelleux siffle.

BARAT

Saint Jehan j’en suis tout resolu,

300Il n’est ja besoing de siffler,

Il peut bien tout son pain riffler,

Car il boira cy ung tatin.

LE VILLAIN

Je voy illec en ce chemin

Ung sac tout rempli de bagaige.

305Qui l’a laissé n’est pas trop saige,

Car je ne le laisseray mie.
   Le Villain veult prendre le sac et Barat se
remue et parle et le Villain s’enfuit,
puis dit BARAT

Hélas! mes seigneurs, je vous prie

Que vous me laissez en ce point,

Car estre abbé je ne vueil point,

310Prenés ung aultre en bonne heure.

LE VILLAIN

Ha! Vierge sans nulle blessure,

69 ro]Ha! Jesus Christ et Saint Anthoine,

Vueillés-moy mettre hors de peine

Et hors de toute temptation,

315Gardez-moy de dampnation,

Doulx Jesus Christ, je t’en requier.

BARAT

Vostre office point ne requier,

Mettés ung autre qui mieux face.


 [[ Print Edition Page No. 92 ]] 
LE VILLAIN

Et qu’esse cy, royne de grace,

320Parle se tu es chose de bien[+1]

Et t’enfuis sans arrester rien

Se tu es chose de mal affaire.[+1]

BARAT

Hélas! n’ayés jà peur, mon frère,

Ouvrés-moy le sac seullement.

LE VILLAIN

325Je n’oseroyes par mon serment,

Hé! dea! je ne sçay qui vous estes.

BARAT

Du lignage suis des prophètes

Et suis ung crestien baptisé,

Pour ce que l’on veult que soye prisé

330Tant que on veult de moy abé faire,

Mais je vueil vie solitaire

Au bois mener comme ung hermite.

LE VILLAIN

Voire Saint Jehan, vous serés quitte,

Je vous desliray de ce pas,

335Mais pourquoi ne voulés-vous pas

Estre abé et estre à honneur?
Barat sault du sac.

BARAT

A grant mercis, mon chier seigneur,

Pourquoi? Car je seroie trop aise,

Mais à mon vray Dieu jà ne plaise

340Que je mengusse que racines.

LE VILLAIN

Se je sçavoye mes matines

Bien dire et tout mon office,

J’acepteroye mon benefice,

Et n’est-ce pas grant dignité?

BARAT

345Sire, si est, en verité,

Pourtant ne le veulx-je pas estre,

Mais si au sac vous voulés mettre,

Vous serez abbé tout de tire.

LE VILLAIN

Moy je ne sçay lire n’escripre,

350Et par Dieu je n’y vauldroye rien.

BARAT

Il ne vous fault sçavoir nul bien

Sans plus que faire bonne chière

Et vous tenir sur une chaire,

69 vo]Disant cecy, faisant cela.

355Tu t’en yras cy et toy là

Et vous fera-l’en grant honneur,

Disant voulentiers: “Monseigneur,

Advisez si voullez l’office,”

Car l’en viendra à grant service

360Icy vous querir de ce pas.

LE VILLAIN

Or me dictes donc par quel cas

L’en vous a dedans ce sac mis.

BARAT

Le voulez-vous sçavoir, amis,

Affin que quant illec seroye,

365Que se retourner m’en vouloye

Que ne sceüsse le chemin.

LE VILLAIN

Escripvez moy en perchemin

Autant de bien que leur doy dire.

BARAT

Voulentiers se vous sçavez lire!

370Il ne fault tant seullement

Dire: “Baillez m’en largement.”

Entrés, mon amy, il est temps.

LE VILLAIN

Ha! par mon âme, je m’attens

A bien faire du domine prior[[374-377]]

375Ilz viennent.[[375]]
   Le Villain doit entrer dedans le sac, puis
vient Barat qui le lie et dit.

BARAT

Ne font pas.

Mais je croy qu’ilz sont en chemin,

Je priy à Dieu qu’il vous doint joye,

J’emporte vostre chappeau noir.

LE VILLAIN

Dieu vous doint Paradis avoir,

380Ouy dea, ouy, emportez-l’en!

BARAT

Cautelleux, approche, vien-t’en,

Je l’ay dedans le sac bouté!

CAUTELLEUX

Or, or il fault qu’il soit frotté.
   Adonc Barat et Cautelleux vont au Villain.

BARAT

Gardons qu’il ne nous saiche entendre,

385Or ça, estes-vous advisé?


 [[ Print Edition Page No. 93 ]] 
LE VILLAIN

Ouy, je vueil estre prisé,

Baillé-m’en sans plus, largement.

CAUTELLEUX

Cela ferons-nous baudement,

Tien cecy, happe celle noix.

70 ro] Ils le batent.

LE VILLAIN

390J’en vueil avoir à ceste fois,

Baillés-m’en sans plus, ne vous chaille!

BARAT

Si fais-je d’estoc et de taille,

Tien, tien, tien icelle male mure.[+1]

LE VILLAIN

A la mort, je le veulx en l’eure!

395Baillez, je ne quiers autre chose!

CAUTELLEUX

Attens, va, car je me repose,

Croque cecy, garde moy cela,[+1]

Ord Villain puant et baude[-1]

Tire à toy ceste quinquenaude.

LE VILLAIN

400A la mort, Monsieur Saint Claude,[-1]

A l’arme, à l’arme, au feu, au feu!

BARAT

Oncques de l’heure que ne g[e]u,

Je ne veiz si bonne fredaine,

Fuyons-nous en bonne estraine,[-1]

405Affin qu’on ne nous treuve en faulte.

CAUTELLEUX

Cautelleux reffait

Cy que Barat fait,

Vous le pouvez voir.

Il n’est si parfait

410Ne si contreffait

Qu’il ne feist devoir.

BARAT

Il n’est autre vie

Que baraterie,

Vous le voyés bien,

415Mais la fin n’est mye

Bonne, quoy qu’on die,

Aussi les moyens.

CAUTELLEUX

Qui sert en son temps

Ainsi que j’entens

420De faulce cautelle,

Dieu n’est mal contens,

S’il paye contens

Punition telle.

BARAT

Seigneurs, je vous prie,

425Que nul ne se fie

En si mauvais art,

N’aussi en envie

Qui gaste la vie,

Feu le brusle et art.

LE VILLAIN70 vo]

430He! que Dieu gart en bonne part.

Il me souffit que dehors je aille,

Ilz m’ont gasté de ceste part,

Or ça, il fault que je m’en aille,

Mais je vous pry que s’il y a faulte[+1]

435Du deffault en aultre apparence

Que grandement ne vous en chaille,

Mais supportés nostre ingnorance.

EXPLICIT.

NOTES

 [XII.] Farce de CAUTELLEUX, BARAT, et VILLAIN. En fait: Moralité entre personnages allégoriques.

 [11] voulant a le sens de: volant, dérobant.

 [16] que: qui.

 [19] plain champt: plain chant.
L’Asne, un homme couvert d’une peau d’âne et marchant à quatre pattes comme celui d’Habacuc dans le drame liturgique. Après le v. 1000 c’est Cautelleux qui a revêtu une peau d’âne.

 [66] Anthay. Anthé (Lot-et-Garonne)?

 [205] plus cher que cresme, l’expression vient-elle du Pathelin ou est-elle d’usage courant?

 [215] Castellonne: Catalogne, qui rime cependant mal avec Espaigne.

 [217] Medoz: Médoc, encore célèbre par son vin.

 [375] Cette scène du sac annonce celle des Fourberies de Scapin que Molière n’a pas jugée indigne de son génie.

 [402] gu: geus, passé défini de gésir.

Endnotes

 [28,] O: garce: (la faute est plaisante; cependant la rime impose une correction).

 [78,] O: parri.

 [241,] amputé de la fin.

 [261:] manquent plusieurs mots.

 [374-377] ne riment pas;

 [375] est tronqué.


 [[ Print Edition Page No. 94 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 95 ]] 

XIII
71 ro] FARCE NOUVELLE
à III PERSONNAGES FORT JOYEUSE
*

[vignette]71 vo]

TARABIN, femme de Tarabas, commence

Qui vieult veoir la male mariéee

La triboullée, la hariée,

Trop pis que on est en Enfer,

C’est moy qui suis apariée

5A une telle mal eurée,

Pire que fut oncques Lucifer.

O mauldite teste de fer,

Teste testue, teste verte,

Teste posée en faulx test,

10Teste qui jamais ne se taist,

Teste hongnant, teste hargneuse,

Teste lunaticque et fumeuse,

Teste à doze paire de tocques,

Teste plaine de friquenoques,

15Teste cliquant à tous propos,

Me donneras-tu jamais repos.

TARABAS

Qui vieult veoir le mal marié,

Le triboullé, le mal harié,

Vel[e]cy prest à estre infame,

20Empunaisi, mal copié

Et de toute joye difiné

Et tout par le cul de ma femme.

Bon gré en ait Dieu et mon âme

Du cul et de la culerie,

25Du trou de la baculerie

Et suis-je en tel point baculé,

Parclus, infait, las, aculé,

Fendasse puante et punaise,

Cul rond à très orde mesure,

30Crevasse plaine d’ordure,[-1]

Trou breneux dont tant de bren sort,

Le cul de tous les culz plus ort,

Me donneras-tu jà pacience?

TARABIN

Teste plaine d’impatience,

35Vuide de cerveau et de sens,

Teste qui à tous propos tence,

Par la teste trop de mal sens.

TARABAS

Hél cul qui porte la semence

Où se prent le puant enfant,

40De quoy je sçay bien qu’on m’ensence,

La nuyt, des fois plus de trois cens.

TARABIN

Faulce teste escervellée,[-1]

Pour toy me fault souvent fremir.

TARABAS72 ro]

Crevasse orde grivellée,

45Tu me fais perdre le dormir.

TARABIN

Le dyable si puisse emporter

Teste tousjours ainsi huiant.

TARAB[AS]

Feu Sa[i]nt Anthoine arde le truant

Qui porte le bas si puant!†[[49]]

TARABIN

50Ha! teste!

TARABAS

Ha! cul!

TARABIN

Rongne.

Ha! noise.

TARABAS

Vens!


 [[ Print Edition Page No. 96 ]] 
TARABIN

Teste qui hongne!

TARABAS

Ha! marastre de paix![-2]

TRIBOULLE

Or paix, de par le dyable, paix.

Et qu’est cecy? Estes-vous yvres?

TARABIN

55En seray-je jamais delivre

De cecy? si seray.[-2]

TARABAS

J’ay encore deux ans à vivre,

Je cuyde que je y pourvoyré.

TRIBOULLE

Qu’i a-t’il? D’ont vient ce haroy?

60Vecy de très bonnes aubades,

Vous esveillerés les malades,

Si vous jouez tousjours si hault.

TARABIN

Ha! teste!

TRIBOULLE

Qu’esse qui vous fault?

TARABAS

Hé! cul!

TRIBOULLE

Que dyable voulez-vous?

65J’appointeray vostre couroux,

Dictes-moy chascun sa querelle!

TARABIN

Hé, ruffien!

TARABAS

Hé, maquerelle!

TARABIN

Villain? pourquoy?

TARABAS

Hé! vieux cabas!

TRIBOULLE

Comment, Tarabin,[-3]

70Dont procède ceste meslée?

TARABIN

Quel tresor!

TARABAS

Dragée parlée.

TARABIN

A quoi tient-il que ne te bas!

TRIBOULLE

Tarabin.

TARABAS

Haa!

TRIBOULLE

Tarabas, mon maistre mot!

Mais qui?†

75J’en suis le plus fort esbahy

Que je fus en ma vie de chose.

Comment le mary et l’espouse,

Tarabin, aussi Tarabas,

Mais dont sont venus vos debatz,

80Dictes-le-moy, je vous en prie?

TARABIN

La teste au dyable tousjours crie

Et à chascun propos se fume.

TARABAS

Le cul qui tousjours pete et chie

Le feu Sainct Anthoine l’alume!

TRIBOULLE

85La plainte doncques qu’avés faicte

Vous vient du cul et de la teste,

Je entreprens l’appointement

Et paix doncques!

TARABIN

Le ribault ment

Et le debat vient de la teste.

TRIBOULLE

90Tarabas, voyés-vous, je proteste

Que ne criés plus si souvent.

TARABAS

Je n’oseroye pour le vent

Qu’i me fault boyre par embas,

Par ma foy.

TRIBOULLE

Avoy! Tarabas,

95Je vous accorderay très bien.

TARABAS

Je le veux.

TARABIN

73 ro]Je n’en feray rien.

S’i le veult, je ne le vueil pas.


 [[ Print Edition Page No. 97 ]] 
TRIBOULLE

Avant respondés, Tarabas,

Me laissés-vous pour seul arbitre?

TARABAS

100J’en suis content.

TRIBOULLE

Et sur ce tiltre

Voulés-vous que donne sentence?

TARABIN

Que sa teste à tous poins tance.[-1]

TARABAS

Que son cul à toute heure cule.

TRIBOULLE

Refraignez ung peu vostre goulle,

105Mon maistre.

TARABIN

Teste dyablesse!

TRIBOULLE

Pour Dieu, filete, ma maistresse,

Mettés vostre cas par escript.

TARABAS

Ja dy que son cul.[[108-110]]

TARAB[IN]

Je dy . . .

TRIBOULLE

Mais

Attendés qu’il achève tout.

TARABIN

110Je dy que sa teste luy volle.†

TARAB[AS]

Et je dy que son cul barbote.

TRIBOULLE73 vo]

Quoy, estes-vous fol et vous sotte?

Mais laissés dire à Tarabas

Autrement sur tous vos debas

115Ne sçay quel appointement faire!

Avant!

TARABAS

Je . . .

TARABIN

Je . . .

TRIBOULLE

Il te fault taire.

TARABIN

C’est de toutes testes princesse.†[[117-118]]

TRIBOULLE

Dea, trop bien laisse-luy dire

Et puis vous parlerés après,

120Or dictes!

TARABAS

Du vent de ses brays

Sort une puante [s]enteur.

TARABIN

Mais.

TRIBOULLE

Or parlés la première,[-1]

Autremen[t] n’aurons huy paix.[-1]

Or ça.

TARABIN

Son cerveau.

TARABAS

Mais ses petz.

TRIBOULLE

125Sur cela je ne sçay que mordre.

Je vous requiers, tenez belle ordre,

Tenez, je vous deffens la paix,

Je tiens vos appointement[s] fais,

Au mains se vous me voulez croire.

130Quant il est chault, il le fault boyre,

C’est le pis encore que y voye.

TARABIN

Quant ung coup sa teste s’avoye,

C’est ung droit cliquet de moulin.

TRIBOULLE

Je vous requier, Tarabin,[-1]

135Ma maistresse, ayés patience,

Amendés vostre conscience.

TARABAS

Triboulle-Mesnaige t’aime

Et t’en donne tous les debas.

TRIBOULLE

Or l’acolles donc, Tarabas,

140Et en la paine d’ung escu,

Puisque la paix a esté faicte,

Ne vous plaignés plus de son cul,

Ne vous de sa teste.†[[143]]


 [[ Print Edition Page No. 98 ]] 

De Tarabas scavés pourquoy

145Il a sa teste comme ung roy

Et vous ung cul comme ung pape.[-1]

Pourtant de ce debat eschappe

Entre vous deux comme qu’il soit.

TARABIN

Je ne tence plus.

TARABAS

Qu’elle ne pette,

150Velà de quoy je me combas.

TRIBOULLE

D’accord Tarabin, Tarabas,

Il se doit en ce point entendre.

Maistresse, il fault de la cendre

Pour escurrer noz chandeliers.

TARAB[AS]

155Serre bien tout.[[155-156]]

TARABIN74 ro]

Se je casse ung pot,

Mon fait sera hydeulx.

TARABAS

Tu seras quicte pour deux,

Entens-tu?

TRIBOULLE

Hélas! hélas! je proteste

160Que vous m’avés rompu la teste.

Qui veult de potz ung plain cabas?

TARABIN

Et à quoy?

TRIBOULLE

A quoy, Tarabas?

Saint Jehan, à vous mettre d’acord,

Vecy le mesnage plus ort

165Que passé a ung an j’ay veu,

Vrayment mon père Bouteffu

Et ma mère Tiremelle,[-1]

Qui mengirent en une escuelle

Comment font les chatz et les chiens,

170Eurent beaucoup de povres biens

Mal acoustrez bon sus, bon jus,

Mais vecy encore oultre plus,

Il n’y a ne forme ne ordre.

TARABIN

A moy escure et destordre,

175Racler, fourbir et nestoyer!

TRIBOULLE

Cependant garde le foyer,

Je voys cercher ce vielz bagaige.

TARABAS

Lave tout, Triboulle-Mesnaige,

Car il sent par trop le reclus.

TRIBOULLE

180N’en parlez plus![[180,192]]

TARABIN

Va-t-en avant à la rivière,

En l’eau coulant fort et clere.[-1]

Despesche-toy, il est conclu,

Que muses-tu?

TRIBOULLE

Rien au surplus.

185Ne faictes que querir la cendre,

Sa je sceusse à quel bon me prendre,

J’eusse dejà cy presque fait.

Tarabin, Tarabas en effect,

Je vueil avoir une escriptoire.

TARABAS

190Pourquoy?

TRIBOULLE

Pour faire inventoire

Du mesnaige que on me baille.

TARABIN74 vo]

Va, ne te chaille!

TRIBOULLE

Je ne vueil point vous prendre.†

TARABAS

Ne te soucie, non.

TRIBOULLE

Dy-je bien,

195C’est affin que amont ou aval

Ne soit dit.

TARABIN

Va tost!

TRIBOULLE

Dis-je mal?

Et dictes encore une fois

Comme j’auray trestout au pois

A la livre ou à la balance,

200S’il m’avenait par ignorance

Laisser pot ou official.


 [[ Print Edition Page No. 99 ]] 
TARABAS

Si compte tout.

TRIBOULLE

Mais dy-je mal?

TARABIN

Ha! despesche-toy.†[[203-204]]

TRIBOULLE

Il y a tout premierement

205Ung quoy, mais que dyable esse?

Vostre mouchecul, ma maistresse,

Ventre bieu qu’il sent sa migraine.

TARABIN

Et c’est vostre fièvre quartaine

Qui vous puisse serrer les dens!

TRIBOULLE

210Qu’esse donc?

TARABIN

Celluy des enfans.

Or sus, avant, tirés, marchés!

TRIBOUILLE

Ilz sont d’orde merque merqués.

Pardonnés-moy, je le cuydoye.

Item ung chandelier de mesnage,

215Et qu’esse icy, par embas?

Les vieilles brayes de Tarabas

Et son mouchouer des dymenches,

Item chemises à deux manches,

Et le coissin de Tarabin.

TARABIN

220Et vous mentés, paillard coquin,

Car ce sont les petis draps langes.

TRIBOUILLE

Cecy, ventre bieu, qu’ilz sont grandes!

Je croy que c’est la poche au saffran.[+1]

TARABIN75 ro]

Non est, par mon serment, c’est bren,

225Approchés ung peu la narrine.

TRIBOULLE

Ce bren ne vint onc de farine.

Bren quoy? non est ou je le perde.

Tarabas, c’est saffren ou merde,

Mais le me cuidés-vous aprendre?

TARABAS

230C’est mon, par Dieu!

TRIBOULLE

On me puist pendre,

Se je sçay que cecy peult estre,

Ha! c’est l’orillier de mon maistre

Ou son petit torchon de cul,

N’est pas, ma maistresse?

TARABIN

Hé! fol,

235Non est, c’est son devanteau

Des festes.

TRIBOULLE

Tenés-vous estau,

Je l’avoye seur oublié.

Item qu’esse cy, desployé?

Il sent mal à la narine,

240Fy! sire, fy!

TARABAS

C’est l’estamine.

TRIBOULLE

Et là?

TARABIN

C’est la selle persée.

TRIBOULLE

Et cecy?

TARABAS

Le pot aux choux gras.

TRIBOULLE

Et là?

TARABAS

La chausse d’Ypocras.

TRIBOULLE

Et cecy?

TARABAS

C’est nostre mortier.

TRIBOULLE

245Et cecy quoy?

TARABAS

La ceillier.[-1]

TRIBOLLE

Et qu’esse cy?


 [[ Print Edition Page No. 100 ]] 
TARABAS

La poille à frire.

Despesche-toy, haro! tu hongnes!

TRIBOULLE

75 vo]Vertu sainct gris, que de besongnes!

Comment fault-il qu’ilz soyent fourbis?

TARABAS

250Et bona dies sit vobis!

Pour quoy ne seront, dy, follet?

TRIBOULLE

Et tous les potz qui sont au let,

Ces cueillières et ces escuelles,

Ces platz et ces aultres vaisselles,

255Les me fault-il laver trestous?

TARABIN

Oui, dea, tout seul.

TRIBOUILLE

Mais dictes-vous?

TARABAS

Sces-tu qu’il est? Depesche-toy

Diligemment!

TRIBOULLE

Par ma foy,[-1]

Mon maistre entendés au compte,

260Je veil scavoir que tout se monte.

TARABAS

Il souffist, va-t-en!

TRIBOULLE

Il y a tout premier. Item

Je vueil tout nommer et par ordre:

Ces drappeaux qu’i me fault destordre

265Et ces petites cuillières

Et ces essuiaulx deliés,

Le foret à percer le vin,

Le devantau de Tarabin,

Les petis draps de Tarabas.

270Item icy en ce cabas,

Qui i a-il? Ce sont des trenchouers,

Item quatre petis mouchouers,

Le salouer et autres vaisseaux

Et le mengouer aux pourceaux

275Item et la passe-purée,

Item les cuveaux à buée

Et le barillet au vinaigre,

Item ce qui put si aigre,

Sy sang bieu, que dyable peult estre?

280Ha, je sçay bien, c’est où mon maistre

Tarabas va à son retraict,

Le pot à chier, l’orinal.

Maistre, il me fault ung cheval

Pour porter tout ce cariage.

TARABIN

285Vous aurés vostre forte raige

Et ung sanglant estront de chien.

TRIBOUILLE

76 ro]Pensés-vous que je porte bien

Au col tout ce menu fatras?

TARABIN

Ouy, Dieux!

TRIBOUILLE

Chargés-moy les bras,

290Je m’en iray à la rivière.

Aufort, querés-moy la civière,

Je croy que tout y pourra bien.

TARABAS

Non, rien, rien,

Empongne ces potz à deux mains

295Et ces cruches.

TRIBOUILLE

C’est bien du moins.

Mais où logerons-nous ce linge?

TARABIN

Sur ta teste.

TRIBOULLE

Je l’ay villaine.

TARABIN

Par la croix! s’il te meschiet

De perdre rien. . . .

TRIBOUILLE

Haro! tout chet!

300La charge m’est par trop diverse.

TARABAS

Tiens-toi droict!

TRIBOUILLE

Corps bieu! tout verse!

Envoy-la là plus par en bas.

TARABAS

Or pren cecy!

TRIBOUILLE

Sa Tarabin!


 [[ Print Edition Page No. 101 ]] 
TARABAS

L’ung prens et l’autre tu abas.

TRIBOUILLE

305Ça, Tarabas!

TARABIN

Haa! gros yvrongne plain de vin,

Cecy est hault.

TRIBOULLE

Ça, Tarabas!

TARABIN

Tenez, advisez, il se joue,

310Sainct Jehan, tu auras sur ta joue,

Sa, meschef, tu laisse[s] aussi

Cecy tumber.†[[312]]

TARABAS en frappant

Tenez, tenez, villain ordoux,

Allez, allez, paillart infame,

315Tirez avant!

TRIBOULLE

76 vo]Sa, Nostre Dame!

Or tenez, le dyable m’emporte

Se meshuy je trayne [à] la porte

Ne les cuilliers ne les cabas,†

Les potz, les panceaulx et la cendre!

320Tenez, portez au marché vendre,

Plus ne seray vostre servant!

Velà tout. A Dieu vous comment!

Pardonnez-nous si nostre farce

A esté ung bien petit grace

325Et prenés en gré je vous prie.

Adieu toute la compaignie!

EXPLICIT.

NOTES

 [XIII.] Farce de Tarabin Tarabas. Les mots se retrouvent dans Pantagruel (xii) de Rabelais et sont à ajouter à mon Rabelais et le théâtre, 1911.

 [324] ung bien petit grace; grasse cette farce ne l’est que trop et l’esprit en est absent. Pardonnons-lui au nom de Rabelais.

Endnotes

 [49:] Appartient à Tarabas. Vers précédent manque.

 [74,] O: mais qui ail.

 [108-110:] Ne riment pas. Manque un vers.

 [117-118:] Ne riment pas.

 [143:] Vers incomplet.

 [149:] Ne rime avec aucun autre.

 [155-156:] Incertitude du mètre et de la rime.

 [180, 192,] quatre syllabes.

 [193:] Ne rime pas.

 [203-204:] Ne riment pas.

 [312:] Ces vers courts semblent ne pas rimer.

 [318,] O: ne len cabas.


 [[ Print Edition Page No. 102 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 103 ]] 

XIV
77 ro] FARCE NOUVELLE
TRES BONNE ET FORT JOYEUSE DES DEUX FRANS ARCHIERS QUI VONT A NAPLES
A DEUX PERSONNAIGES
*

[vignette]

Les Frans Archiers qui vont à Naples

LE PREMIER FRANC commence77 vo]

Escherra-il point à ma chance

Par ma promesse et vaillance[-1]

Que je soye ung coup chevalier,

Il n’est point meilleur poullaillier

5Sur la terre que ma personne.

Que dy-je, moy? Je ne vous sonne

Mot de mes faitz du temps passé.

Par le sang bieu, j’ay cabassé

Et raulday villages et champs.

10Vous eussiez veu les plus meschans

Venir vers moy plus dru que paille,

Ha! je ne crains pas une maille

Homme, s’il n’a plus de dix ans.

LE SECOND

Bouter fault armes sur les rens

15Et prendre bastons et guisarmes,†

Je ne crains rien, fors les gendarmes!

Hardy tousjours me maintiendray,

Mais touteffois je me tiendray

Tousjours au derrière de l’ost,

20A celle fin que soye(s) plustost[+1]

Près de fouir, si mestier est.

Or sus, je seray tantost près,

Vecy tous mes bastons ensemble,

Je voy desjà Naples qui tremble

25De peur, par Saincte Katherine.

Or sus, vecy ma javeline,

El en pourra faire pourfendre

Et servira bien à estendre

S(i) ung coup je perdoys la journée,

30A quelque femme la buée,

Car el y est toute droit digne.

LE PREMIER

Pensez que feray bonne mine,

Mais que soye(s) sur mes adversaires,

Le sang bieu! je ne les crains guères!

35Ha! se Naples me congnoissoit,

Je cuide moy qu’il trembleroit,

Tant ay ung merveilleux couraige!

Ha! brief et court, je ne crains paige,

Ne houspaillier en quelque place,

40Mais que de fouir j’ayes espace.

Qui courre plus viste que moy?

Iray, ouy, certes, je iray,

Puis qu’à sermonner sermonner.

LE SECOND

Il est temps de m’acheminer

45Que je ne soye cassay aux gaiges.

Je m’envoyes parmi ces villages

Pour menger poulles et chappons,

Lièvres, connilz, brebis, moutons

Et tout autelle sauvagine.

50Vecy une grant javeline

Qui m’aidera à les prendre,[-1]

78 ro]Pensez qu’el en fist plusieurs rendre

La journée Mont-le-Hery.

Vrayement je suis encor marry,

55Quant il me souvient du martire

Qu’el y fist, je ne l’ose dire,

En paradis en soyent les âmes!

LE PREMIER

Ha! vrayement gardent soy les femmes

De Naples de venir vers moy,

60Par la mort bieu je n’en prendray

Une à mercy que je ne tue,


 [[ Print Edition Page No. 104 ]] 

Croyez que de plaine venue

Je les mettray toutes en fruite.

Encore ne seront point quicte

65Que n’en face . . . , je n’en dis rien!

Se Dieu plaist, trestout ira bien,

Sinon les bossus et les tors,

Si fault-il esprouver mon corps,

Pour veoir comme je seray vaillant,[+1]

70Je prens le cas que maintenant

Bataille contre quelque paige,

Velà mon gantelet pour gaige.

A qui gaignera la victoire,

Demeure! “Non feray encoire,

75Pas ne suis si anienty.”

— Si feras, tu auras menty. —

“Mais toy, laisse-moy, laisse-moy.”

— Ha! non feray, par ma foy! —

“Ha! si feras, tu mentiras.”

80— Jamais tu n’en eschapperas,

Rens-toy à moy ou tu es mort. —

Par mon serment je suis plus fort,

Je ne crains homme qui soit nay.

LE SECOND

Je m’en vay, c’est trop demouray,

85Car on a de moy grant deffaulte,

Il n’y a muraille si haulte

Que je ne abbate et foulle,[-1]

Et si ne laisseray jà poulle

A qui je n’oste la pepie.

90Adieu! toute la seigneurie,

A tous ceulx de nostre quartier,

Vecy aller le Franc Archier

Qui va bouter Naples par terre.

LE PREMIER

Touttefois iray-je en guerre?[-1]

95Ouy, nenny, ha! si feray[-1]

Et par ma foy, jà je n’iray,

Puis qu’une fois l’ay entreprins,

Je ne crains sinon d’estre prins

Et attrapé à quelque braiche

100Et puis avoir ung trait de flesche

Passé au travers de la cuisse.

Je n’iray point, non que je puisse,

Pour estre prins à ung passaige.

Si ay-je merveilleux couraige

78 vo]105Je ne m’en puis tenir sans doubte.

LE II ARCHIER

S’il y en a ung qui me boute

En quelque lieu par quelque oultrance,

Il n’aura point de delivrance

Qu’il ne soit à pié ou à cheval

110Haché comme chair sur l’estal!

Ne s’i joue homme, s’il me croit!

LE PREMIER

Ha! g’iray certes en effect,

Puis que ma teste est esmue.[-1]

J’enrage jà que je ne tue

115Et que ne bas ung capitaine.

Sang bieu! je donray mal estraine

Au premier qui viendra vers moy.

Se je meurs, il est fait de moy,

Ce sera beau reconfort,

120Ce sera ung franc archier mort.

On n’aura pas gramment perdu,

Si ne seray-je pas rendu

Du premier co[u]p que n’en despesche.

LE SECOND

Sus! tant que la chose est fresche,[-1]

125Vienne qui s’en vouldra venir!

Je les feray bien esquarrir,

S’ils portent bastons ou guisarmes,

N’y passera jà nul gensdarmes.

Il me semble que meurs de deul,

130Sang bieu! je combatray tout seul,

Qui ne viendra bien vistement.

Je suis aspre, Dieu scet comment!

Quant me treuve en tel destour.[-1]

LE PREMIER

Je m’en vois, tandis qu’il est jour,

135Plus ne sçauroies icy songier.

Ha! j’auray quelque prisonnier,

De cela je suis tout certain,

Aussi en ay-je bon besoing

Pour avoir pourpoint et jacquete.

140Qu’esse-là? C’est ung eschaug[u]ette

Qui est là pour guetter le pas.

Ha! vrayment vous ne m’avez pas,

Vous n’avez garde que je passe,

Mais que de fouir j’aye espace,

145Vous ne m’avez pas, par Saint Gille!

Le sang bieu! ilz sont plus de mille,

Je n’en vy oncques tel troppeau.

LE SECOND

Qui vive là! qui vive! hau!

Qui est là? Qui vive! qui vive!


 [[ Print Edition Page No. 105 ]] 
LE PREMIER

150Jesus! quel besongne hastive,

Or est tout fait de ma vie!

Je n’en vis onc tel compaignie

Assemblée en ung monceau.[-1]

LE SECOND

79 ro]Qui vive là! qui vive! hau!

155Qui vive! qui vive! qui vive!

LE PREMIER

Vi, vi, vi, vi, vive Saint Yve,

Dy-je le, le. . . .

LE SECOND

     Vive le quoy?

LE PREMIER

Dictes et puis je le diray

Incontinant tout maintenant.

LE SECOND

160Non feray, tu diras devant,

Pense tost de te despescher!

LE PREMIER

Or vive! dictes le premier,

Vous direz devant que je dye.

LE SECOND

Sang bieu! il est fait de ta vie.

165Jamais tu n’en seras delivre

Et ne sçauras jamais plus vivre

Se ne dis qui vive! soudain.

LE PREMIER

Attendez jusques à demain,

Et je le vous diray sans faille.

LE SECOND

170Tu n’y gaignes pas une maille,

Puis qu’ung coup le te signifie,

Car brief il est fait de ta vie,

Jamais ne mengeras de lièvres.

LE PREMIER

Or trèves doncques, trèves, trèves!

175Aymez toute paix et concorde.

LE SECOND

Je le veulx et je le t(e) accorde

D’icy jusqu’à la Saint Remy.

LE PREMIER

Vrayement vous estes mon amy.

Se estes de Naples, j’en suis

180Et vous prometz et signifis

Que je seray tousjours loyal

Envers le Roy, soit bien, soit mal,

Je n’y contrediray en rien!

LE SECOND

Il te fera beaucoup de bien

185Se veulx tenir sa banière.[-1]

LE PREMIER

Allemant, garde de derrière,

Pour l’afaire n’en crains personne,

Car soudainement j’abandonne

Mon corps et jambes pour fuyr.

LE SECOND

190Et moy pour bien le poursuivir

G’y vaulx tousjours autant que quatre.

LE PREMIER

Sur ma foy, il nous fault combatre

Pour voir qui sera le plus fort.

LE SECOND79 vo]

Je le veulx bien, j’en suis d’acord!

195Arme-toy tout presentement,

Car tu verras, par mon serment,

Icy ung très beau jeu jouer.

LE PREMIER

Ne te joue pas à me tuer,

Car jamais je n’aurois santé.

LE SECOND

200Or sus! acoup, despesche-toy!

Comme ung houeur en une vigne,

Ung mercier tuerois pour ung pigne,

Tant suis eschauffé maintenant.

LE PREMIER

Le sang bieu! je suis bien meschant

205De m’aller contre luy jouer,

Il m’yra tout droit tuer[-1]

Et n’en craindra sa conscience.

Ha! Notre Dame de Lience,

Aydez-moy icy s’il vous plaist!

210Au moins je requier s(e) ainsi est

Que demeure en tel arroy.[-1]

Chascun de vous prie pour moy

Et qu’en boute dessus ma tombe:

“Ci-gist sire Jehan de la Combe,

215Franc Archier et passé aux gaiges,

Lequel de peur de maulx passaiges

Trespassa de grant deul et yre

Qu’il ent pour ce qu’il ne p(e)ut fuire

Quant il fut surprins tout soudain.”


 [[ Print Edition Page No. 106 ]] 
LE SECOND

220Trut avant! trut! c’est à demain,

Mettez soudain vostre sallade!

LE PREMIER

Par mon serment, je suis malade!

Beau sire, puis qu’il le fault faire,

Je vous suply que on diffère

225La bataille à autre jour,[-1]

Car pour bien besongner entour

Je ne sçaurois pour aujourd’huy.

LE SECOND

Vive le Franc Archier hardy

Qui en emporte la victoire!

230Sang bieu! je jousteray encoire

Et deussé-je jouster seullet!

LE PREMIER

Saincte Marie, en effect,[-1]

Je te devois mourir martire,

Si ne me convient-il point fuire,

235Ce me seroit ung grant dommage

Et j’ay ung si vaillant couraige,

Mais qu’un fois je le desplye!

Venez-vous, je vous deffie,

Je ne vous crains pas une maille,

240Soudain mettez-vous en bataille,

Je suis tout prest de me deffendre!

LE SECOND80 ro]

J’aimeroyes mieulx qu’on me vist pendre

Que je fouisse pour toy.[-2]

LE PREMIER

Or sus donc, viste, deffens-toy!

245Mort es. A l’arme! à l’assault!

LE SECOND

Mort bieu! je vous auray, ribault,

Rens-toy tost, car tu es perdu!

LE PREMIER

J’aimeroyes mieulx estre pendu

Puis qu’il fault que je le te dye.

LE SECOND

250Il convient donc que je m’enfuye

Ou ma vie sera finée.

LE PREMIER

Mort bieu! je gaigne la journée,

Le ribault il est confondu.

Qui me tient que ne l’ay fendu

255Jusqu’au pommeau de mon espée?

J’en ay la teste affolée[-1]

De dueil et de marissement.

Oncques Rolland, par mon serment,

Ne jousta en telle vaillance.

260Donray-je point ung coup de lance

A quelqu’un, avant que je parte?

Si convient-il que je combate

Encontre quelque bon follastre.

Estes-vous point deux contre quatre,

265Ou six contre demy(e) douzaine?

Le cueur me fremist en la vaine,

Quant me souvient de la bataille.

Il convient bien que je m’en aille,

Napples a de moy grant besoing.

270Adieu trestous, vaille que vaille,

Petis et grans jusqu’à demain.

EXPLICIT.

NOTES

 [XIV.] Farce des deux Francs Archers. Cf. Introduction.

 [53] journee Mont-le-Héry, la bataille de Montlhéry, 16 juillet 1465, cf. Introduction.

 [208] Notre Dame de Lience. Je pense à Notre Dame de Liesse, mais la rime avec conscience semble contredire cette identification.

Endnotes

 [15,] O: bastans.


 [[ Print Edition Page No. 107 ]] 

XV
[80 verso blanc]
81 ro]
FARCE NOUVELLE
TRES BONNE ET FORT JOYEUSE DES FEMMES QUI
FONT ACCROIRE A LEURS MARIS DE VECIES QUE CE SONT LANTERNES
A V PERSONNAGES
*

81 vo]
LA PREMIERE POISSONNIERE

Ilz sont tous vifz, tous vifz, tous vifz,[[1-2]]

Je l’ay, je l’ay la marée fresche.

LA SEGONDE

Je l’ay, je l’ay la grande seche,

La grant, la grant, c’est la grant roye,

5Je fais marché pour la monnoye,

Je donne cinq pour ung grant blanc.

Là! là! auray-je nul chalans

Pour expedie[r] mon panier?

LA PREMIERE

Cà, çà, çà, elle n’est que de hier,

10Ilz sont tous vifs, tous vifs, tous vifz.

LA SEGONDE

J’ay bon merlus, à mon advis,

Venés prendre ma marchandise.

LA PREMIERE

La mienne vault mieulx qu’el devise,

La mienne est plus fresche dix foys.

15Va, va aux halles, vielz harnois!

Ta marée-si ne vault rien,

Mon poisson vault mieulx que le tien.

Voy-tu, sanglante harengière?

LA SEGONDE

Va, vieille, va à la rivière

20Laver ton baquet, il put.[-1]

LA PREMIERE

Enne, il ne sent que le fust,

Seurement il est plus honneste

Que le tien.

LA SEGONDE

Orde deshonneste,

La croix bieu! vous avés menti.

25Va, paillarde!

LA PREMIERE

Et toy aussi,

Ne sçay-je pas bien tout ton cas?

Va truende! va, vielz cabas,

J’é meilleure marée que toy![+1]

LA SEGONDE

Que tu l’as plus fresche que moy,

30Je fairé marchandise de marée[+2]

Et diray où tu es allée,

Par Dieu! se tu ne dis huy mot.

[LA PREMIÈRE]

Mais toy, se descouvres le pot,

Par Dieu, ton mari le sçaura!

LA SEGONDE

35Que diras-tu?

LA PREMIERE82 ro]

On le voirra;

Fus-tu pas devant hier au[x] Carmes?


 [[ Print Edition Page No. 108 ]] 
LA SEGONDE

Et toy avec les gens d’armes.

LA PREMIERE

Et je fus tes fièvres quartes,

Me vien-tu dire ces brocardes,†[[39]]

40Très orde vieille loudière?

LA SEGONDE

Vous avés menty commère,[-1]

Les coquins de Saint-Innocent

N’auroint ce de ton harenc,

Tout put et villain et ord.

LA VIEILLE

45No[s] commères, vous avés tort,

Vous fault-il ainsy entrebatre?

LA PREMIERE

Je la batré plus que vieulz plastre;

La croix bieu! s’elle me dit mot.

Ne sçay-je pas tout le tripot

50Et là où tu prens challandise?

LA VIEILLE

Et vendés vostre marchandise

Sans vous debastre nullement.

LA PREMIERE

S’elle dit mot, par mon serment,

Je decliqueray le cliquet.

LA SECONDE

55Tu feras ton sanglant gibet.

Ne suis-je mye preude femme?

LA PREMIERE

Tu en as rmenty, par mon âme.

LA SEGONDE

Et me dis-tu icelle injure?

Je te defferay la figure,

60Se me prens à toy, maquerelle.

LA PREMIERE

T’y prendras-tu?

LA VIEILLE

Baillez-luy belle,

Par Dieu, voicy trop combatu,†[[62]]

Mais ne cesserez-vous meshuit?

LA PREMIERE

Tu auras des coups plus de huit,

65Truande, paillarde, mastine,

Je te chanteray ta matine,

Par Dieu! Grant Gosier le sçaura.

LA VIEILLE

Et taisez-vous, taisés hen, dea!

Ne craignez-vous point vos maris?

[LA SECONDE]82 vo]

70Je suis marchande de Paris

Et tu me viens dire injure?[-1]

LA VIEILLE

N’en parlés plus à l’aventure!

GRANT GOSIER en chantant

Comment le buvroys-je

Ce vin qui est si bon, don, don?

75Plus boire ne pourroye.

JEHAN

Hé! franc pion, plus franc qu’une oye,

Buvras-tu point à ce matin?

Se ne boy jamais, n’auray toye

De vin de Beaulne ou de Rin.

80Grant Gosier, prenons le chemin,

Beau sire, pour aller pier.

GRANT GOSIER

Il me fault avant façonner

Mes souliers pour avoir aubert.

JEHAN

San bieu! je buvray au boire,

85Mais que ma lenterne soit faicte.

Ha! je te prie, plus n’arrestons,

Despeschons-nous sans plus tarder,

Je ne m’en pourroye plus garder.

GRANT GOSIER

Où yrons-nous?

JEHAN

Aux Pourcelectz,

90Il y a, je te le promectz,

Du vin qui est le plus friant

Qu’on a crié tout maintenant.

GRANT GOSIER

Laisser fault donc savaterie

Et si prendrons, n’oublie mie,

95Chacun ung haren à sa femme.

JEHAN

C’est bien dit.[[96]]


 [[ Print Edition Page No. 109 ]] 
LA PREMIERE

Orde vieille paillarde infame,

Par Dieu, je te torcheray bien!

LA SECONDE

Sainct Jehan, aussy feray-je bien

100Et m’as-tu appellée ribaude.

JEHAN

Le sang bieu! nous l’avons bien chaude,

Escoutés ung petit nos femmes.

GRANT GOSIER

Je cuide que ces vieilles infames[+1]

83 ro]S’entreturont, n’est-il pas vray?

LA PREMIERE

105Par la croix bieu, le luy diray

Que as été aux Cordeliers

Et qu’il y eust deux cousturiers

Qui t’ont donné ton chaperon.

LA SEGONDE

De quy euz-tu ce cotillon?

110N’a-ce pas esté ung vieulz moyne

Qui te l’a donné?

JEHAN MARION

Sainct Anthoine,

Nous en avons au long des rains.

[GRANT] GOSIER

Je te requiers à joinctes mains,

Beau sire, oyons la quirielle.

LA PREMIERE

115Ceste orde vieille maquerelle

Me vient tousjours injurier.

LA SEGONDE

Mais toy, ne fus-tu pas hier

Porter du harenc dedans le cloistre?[+1]

LA VIEILLE

Tanserez-vous huy en cest estre?

120Vos maris viennent, assotis.

LA PREMIERE

Sans faulte, je croy qu’il nous ont ouys.[+1]

JEHAN MARION

Sans bieu! vecy bonnes vies,[-1]

Et par Dieu! il les fault bien batre.

[GRANT] GOSIER

Saint Jehan il n’en fault point debatre,

125Ilz seront touchés à l’ostel.

JEHAN MARION

Jamais je ne vis cas ytel,

C’est grant chose que d’escouter.

Allons-nous-en, sans caqueter

Et ne disons mot maintenant.

LA PREMIERE

130Hélas! ma bonne mère grant,

Donnez-moy quelque bon conseil.

Le cas est advenu ytel

Par toy, orde vieille paillarde.

LA SEGONDE

Le feu Sainct Anthoine vous arde,

135C’est par vous!

LA PREMIERE

Vous avez menty!

83 vo]Par vous est venu tout cecy,

Paillarde, coquine, truande!

LA VIEILLE

Taisés-vous, je vous le commande,

Je vous en donneré bon remède:

140Avant que plus loing on procède,

Prenez chacunne sa vessie.

LA PREMIERE

Hellas! que ferons-nous, m’amie?

LA VIEILLE

Faictes leur tresbien accroire

Qu’ilz venront de si bien voire[-1]

145Et leurs faictz avés escoutez

Et puis après vous leur direz

Que ce sont isy deux lantarnes

Et leur monstrés les lucarnes

Par où on boute la chandelle.

LA PREMIERE

150C’est bien dit, la façon est belle.

LA VIEILLE

Et puis pour confirmacion

Leur diray mon opinion

En afferment ce que direz.

LA SEGONDE

Certes, m’amie, hélas! feriez

155Et vous seriez tresbonne femme.

LA VIEILLE

Ouy, foy que doy à Saincte Anne.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 110 ]] 
LA PREMIERE

Je m’en voys à nostre hostel.[-1]

Dieu gard J[e]han!

J[E]HAN

Ha! vieille paillarde,

Le feu Sainct Anthorne vous arde,

160Me faictes-vous telles menées?

GRANT GOSIER

Sommes-nous ainsy gouvernés?

LA PREMIERE

Quoy, qu’esse?†[[162]]

JEHAN MARION

Vous et Jehanne L’anglesse

Qu’avés-vous dit à ce matin?

LA PREMIERE

165Qu’avons-nous dit?

JEHAN MARION

Sainct Martin,

Vous en aurés ung passe-avant.

LA PREMIERE

84 ro]Estes-vous ivres maintenant?

Comment sommes-nous arivés?

JEHAN

N’avés-vous pas estées rivées,

170Ne luy as-tu pas reprouché?

GRANT GOSIER

Sans bieu! on vous a encochés;

Ha! je le vois bien, seurement.

LA PREMIERE

Vous estes yvres vrayment,[-1]

Dea, voire que voullés-vous dire?

175Regarde-moy ce vaillent sire,

Il est tant beau que plus ne peult.

LA SEGONDE

Il ne voit pas le point qui seult

Et si ne scet-il que fatroulle.

JEHAN

Que dictes-vous, estes-vous folle?

180Je ne beuz ennuit.

LA PREMIERE

C’est bien dit,

Dictes-moy icy vostre dit,

Qu’esse là?

JEHAN

C’est une vessie.

LA SEGONDE

Une vessie? Vierge Marie!

Et là qu’esse?

GRANT GOSIER

Et s’en est une.

LA SEGONDE

185Un vessie, quelle fortune!

Regardés, c’est une lanterne.

JEHAN

Sans bieu! comment on me gouverne?

Une lanterne, vertu bieu!

Voicy beau jeu.†

190Nous voullés-vous faire telz termm[e]s

Que de vessie ce sont lanternes?[+1]

LA SEGONDE

Dea! ilz viennent des tavernes,[-1]

Ilz ont encores les yeulx rouges.

JEHAN MARION

Belle dame, plus ne me troubles,

195Mes lanternes sont-elles telles?

LA PREMIERE

Voicy où on met les chandelles,

84 vo]Demandé-le à ma voisine.

JEHAN

Venés, ce dit[es], ma cousine,

Qu’esse-cy, par voire serment?

LA VIEILLE

200Que c’est? il est bien évident,

Ce sont lanternes.†[[201]]

JEHAN

Lanternes, c’est bien dit,

Que accroire on me fist

Que de lanternes fussent vessies.

LA PREMIERE

205Par la croix bieu, quoy que tu dies,

On congnoist bien que tu es yvré.[+1]

LA VIEILLE

Voisin, qui voullés-vous pour juré?[+1]

Sont-ce pas lanternes icy?


 [[ Print Edition Page No. 111 ]] 
JEHAN

Maulgré en ait bieu, qu’esse cy?

210Sommes-nous ainsy gouvernez,

Nous en sommes bien lanternez,

Nous sert-on de telles parolles?†

LA PREMIERE

Voysi de bonnes parabolles,

Dea! il ne scevent où ilz sont.

215Allons, laissons-les telz qu’ilz sont,

Le grant diable nous en delivre.

LA SEGONDE

Ort, vieil paillart, tant tu es yvre,

Tu ne me verras de sepmaine.

LA PREMIERE

La sanglante fièvre quartaine

220Relie qui leur en sauldra.

[LA SEGONDE]

Jehan Marion si ne gaigna

Denié il y a plus d’ung moys.

LA PREMIERE

Non fit Grant Gosier, par la croix

De Dieu, dea, j’en puis bien jurer,

225Nous leur querons boire, menger

Sur le gain que nous pouvons faire.

LA PREMIERE

Ma voisine, il nous fault taire,[-1]

Mais se une fois y a juré,

Jà ne demanderons congé

230D’aller où bon nous semblera.

JEHAN

85 ro]Dictes, voisine, venés sa,

Ce ne sont pas lanternes-cy.

LA VIEILLE

Et si sont par la Dieu mercy

Voicy merveilleuse fortune,

235Regardés, vez en cy une,

Voicy où on met la chandelle.

JEHAN

Ma lanterne est-elle telle?

Ho! je le croy, puis que le dictes,

Et pour Dieu que vous soyés quictes

240Et, noz femmes, faictes la paix.

GRANT GOSIER

Et nous n’en parlerons jamais,

J’avons mal dit, pardonnez-nous!

LA VIE[I]LLE

Et cuidez-vous estre cou,

Vous n’avez garde.

JEHAN

245Or, par Dieu, quant bien je regarde,

Ceci me semble une vessie;

N’y pensons plus, non c’est folie,

Je croy bien, c’est une lanterne.

LA VIEILLE

Or me dictes icy quelz terme

250Voullez-vous à vos femmes tenir?

JEHAN

Je ne sçay où puisse mourir,

Conseillez-nous que nous ferons

Et comment nous en chevirons

Pour les apaiser entre nous.

[GRANT] GOSIER

255Escoute, mon fin coeur doulx,

Nous deux leur cri[e]rons mercy

A deulx genoulx en ce lieu cy

Sans jamais sur elles parler.

LA VIEILLE

Or sa, je m’en veuille donc aller[+1]

260Pour faire ung appointement.[-1]

Je voys à elles à present,

Attendez-moy cy, je revien.

Cà, mes commères, je fais bien

De voz maris ce que je veulx!

LA PREMIERE

265Qu’avés-vous fait?

LA VIEILLE

Se m’aid Dieu,

Prestz sont de vous crier mercy.

LA SECONDE

Dictes-vous vray?

LA VIEILLE85 vo]

N’aiés soucy,

Ilz feront ce que [vous] vouldrés:

De rien avant vous en irés

270Par tout où bon vous semblera,

Portés voz raies çà et là,

Jamais ilz ne vous en diront parolle.[+2]

LA SEGONDE

Vous voullez ung maistre d’escolle

Pour bien monstrer une leçon.


 [[ Print Edition Page No. 112 ]] 

275Conseillez-nous que nous ferons

Pour les tenir tousjours en serre.

LA VIEILLE

Ne vous chaille, venez grant erre,

Je leur diray, je vous assure

Que vous estes si tresmarries,

280Qu’à peine vous apaiserez.

Venés-vous-en, sans demourés,

Ilz sont gluez, je vous affye.

LA SEGONDE

Si ferons-nous, ma doulce amye,

Allez devant incontinent.

LA VIEILLE

285Grant Gosier je fais, je me vant

Pour vous et Jehan Marion,

Venez avant; par Saint Symon,

Vous me donnez beaucoup de peine.

GRANT GOSIER

Bien venez, commère Thyphaine

290Et vous aussy semblablement,

Ma mye. Se j’ay nullement

Dit quant vous chose qui touche,

Pardon vous requiers humblement,

Car je menti parmi ma bouche.

JEHAN MARION

295Aussi ay-je fait somme toute,

Je me repens, par mon serment.

Jamais en jour de mon vivant

Ne vous diray telles parolles.

LA PREMIERE

Cuidez que nous soyons folles

300Que vous pensez à vostre advis,

Par Dieu, il n’y a en Paris

Plus preudes femmes que nous sommes.

GRANT GOSIER

Sainct Jehan, vous dictes vray,

Nous sommes sur ce cas-cy bien abusez,[+3]

305Pour ce, veillez nous pardonner,

Ceste fois, je vous supplie.

LA SEGONDE86 ro]

Sommes-nous aises qu’on s’en rie

Des parolles que dit avés.

Vrayment il n’en fault plus parler.

310Laissons tout cecy maintenant,

Allez et derrière et devant,

Par Dieu, nous en sommes d’acord.

LA PREMIERE

Se jamais en faictes effort,

Par Dieu, nous nous rebellons,

315Vous scavés bien que nous avons

Des challans en beaucoup de lieux

Qui nous mandent voire ce maindieux

Pour leur porter de noz harens.

JEHAN MARION

C’est bien fait de faire voz rans

320Plaisir à ceulx que vous aymez,

Ilz vous font tous les jours gaigner

Et feront au temps advenir

Pour tant je ne vueil plus tenir

Parolles jamais nullement.

LA SEGONDE

325C’est très bien dit, par mon serment,

Tout cecy nous vous pardonnons

Et sur ce point nous concluons

Que plusieurs femmes de Paris

Font acroire telles façons

330Le plus souvent à leurs maris.

EXPLICIT.

NOTES

 [XV.] Farce . . . des Femmes, etc. . . . du type “proverbe,” qui n’a pas attendu Carmontelle et Musset pour occuper la scène et la salle.

 [1-2] Ces vers rappellent les Cris de Paris, qui ont survécu depuis le XVe siècle.

 [30] Difficile à comprendre, même si l’on ajoute: Je veus.

 [36] aux Carmes, au couvent des Carmes, entre la rue des Carmes et la rue de la Montagne Sainte Geneviève, cf. Pierre Champion, Villon, t. I, pp. 204-207. Ils avaient mauvaise réputation.

 [80] GRANT GOSIER, saluons l’entrée en scène et l’entrée dans l’histoire du fameux héros rabelaisien. Cf. Introduction.

 [89] Aux Pourcelectz, je n’ai pu identifier cette auberge qui doit être parisienne.

 [125] Je ne comprends pas ce jeu de mots.

 [234] O: foutrine.

Endnotes

 [39,] O: procardes.

 [62,] O: Il manque un vers, pour rimer avec celui-ci.

 [96:] Ce vers tronqué ne rime avec aucun autre.

 [101,] O: chalde.

 [162:] Encore un vers tronqué.

 [188-9,] O les met sur une ligne.

 [201:] Encore un vers tronqué, qui ne rime point.

 [212,] O: Nous saint-on.


 [[ Print Edition Page No. 113 ]] 

XVI
[86 verso blanc]
87 ro]
FARCE NOUVELLE
DES FEMMES QUI SE FONT PASSER MAISTRESSES
A CINQ PERSONNAIGES
*

[vignette]87 vo]

MAISTRE REGNAULT commence

Dieu benye ses damoiselles

Et aussi ses belles bourgoises.

Je suis venu pour l’amour d’elles,

Dieu benye ses damoyselles.

LE FOL

5Et les hommes?

MAISTRE REGNAULT

Ilz sont rebelles

Et font tousjours aux femmes noyses.

Dieu benye ces damoyselles

Et aussi ces belles bourgoises.

Pour ce que ces femmes sont courtoyses

10Et benignes et gracieuses

Et nullement malicieuses,

A Paris especiallement,[[12, 20]]

Chacun si met son pensement

A les tromper et decepvoir.

15Pourtant le pape y veult pourvoir,

Esmeu de grant charité

Et m’a donné auctorité

Et commandé expressement

Que je veins [s]e diligemment

20A Paris pour l’amour des dames

Et que je voulsisse les femmes

A toutes choses supporter.

ALISON

Dieu vous gart, sire magister,

Saincte Marie dont venés-vous?

25Tousjours nous venés conforter,

Dieu vous gart, sire magister.

MAISTRE REGNAULT

Je suis venu pour rebouter

Ceulx qui vous font tant de courroux.

ALISON

Dieu vous gart, sire magister,

30Saincte Marie dont venés-vous?

Et serons-nous tousjours raffardées[+1]

Pour nous oster le parlement

Et tout par le consentement

De nos maris qui l’ont fait faire.

LE FOL

35Et vous veullent-il faire taire?

Par Dieu vien sont jhenin[s] cornés

Et bejaunes et sotinés,

C’est trestoute nourriture,

Il leur puisse mesadvenir;

40Veulent-ilz voz langues tenir?

Par Dieu ilz ont perdu leur peine.

LA COMMERE

Aussi au Cardinal Le Moyne,

Magister, on nous a fait tort,

Il dit qu’on nous batte fort

45D’un gros baston faitis et court

Et qu’en nous tienne bien de court

88 ro]De parler et de quaqueter;

Aussi qu’on nous face tourner

En ung voysseau, se mestier est.

ALISON

50Vrayment je ne sçay pas que c’est

Que tousjours ceulx du Cardinal

Dient des femmes tant de mal,

Par ma foy, c’est mal dit à eulx.


 [[ Print Edition Page No. 114 ]] 

S’ilz fussent doulx et gracieux,

55L’homme des femmes fust gardé

S’ilz avoient bien tout regardé,

Jamais ilz ne nous farceroient,

Mais loyaument nous serviroient

Et nous garderoient nostre honneur.

LA COMMERE

60Pour Dieu, magister monsieur,

Vueillez-nous, s’il vous plaist, donner

Provision pour gouverner

Nos maris et trestous ces hommes,

Car chascun voit bien que nous sommes

65Par eulx tous le[s] jours ravalées.

MAISTRE REGNAULT

Veez cy unes bulles seelées

Que j’ay maintenant apportées

De Court de Romme et impetrées

Pour vous faire toutes maistresses,

70Car vous estes grandes clargesses

Et avez si parfondement

Estudié et si longuement

Mise vostre intencion

A mettre en subjection

75Et suppediter vos maris,

Specialement à Paris,

Qu’il est bien temps que vous soyés

Graduées et que ayés

Sur la teste le bonnet ront.

LE FOL

80Les femmes ragassotiront,

Puis qu’elles seront auctorisées[+1]

Par bulle ainsi que vous verrés.

Par mon serment, vous ne pourrés,

L’Université s’i opp[o]se.

85Car certes à Paris on n’ose

Graduer nulles gens par bulle.

Par Dieu, sire, votre cédulle

S’entent des clers, non pas des femmes.

MAISTRE REGNAULT

Le pape veult qu’elles soient dames.

LE FOL

90Yront-elles ès assemblées

Qu’on fait en l’Université?

MAISTRE REGNAULT

Par Dieu, tu es bien rassotté,

Elles yront encorporées.

ALISON

88 vo]Nous serons bien honoré[e]s,

95Et jou[i]rons des privileges

Nous saurons bien tenir nos sièges

Et nos lieux, comme il appartient.

LE FOL

Touteffoys quant il me souvient,

A ung point vous fault labourer,

100Yront-elles deliberer

En la Faculté des Ars?[-1]

MAISTRE REGNAULT

Demandés-leur!

ALISON

En toutes pars,

Magister, [nous] voullons aller,

Certes nous sçavons bien parler

105En toutes les Facultés.[-1]

LA COMMERE

Toutes les difficultés[-1]

Si ne sont de nulle valleur.

ALISON

Certes nous avons grant couleur

D’estre avecques theologiens.

LA COMMERE

110Medecins si sont bonnes gens,

Brief nous serons de tous requises.

MAISTRE REGNAULT

Vous avés toutes vos franchises

Ainsi qu’un maistre doit avoir.

ALISON

Nous ferons bien nostre debvoir

115De regenter en la maison.

LA COMMERE

Magister, faictes-nous raison,

Puis que le pape le commande.

MAISTRE REGNAULT

Or sa, dame, je vous demande

Se vous avés du temps assés.

ALISON

120Il y a jà deux ans passés

Que je deusse estre mestrisée

Depuis que je suis espousée,

Je ne finay d’estudier.

MAISTRE REGNAULT

Je n’y sçauroye remedier

125Par Dieu, que n’eussés la maistrise.


 [[ Print Edition Page No. 115 ]] 
ALISON

Nous l’avons de pieça requise,

Maistre, au Cardinal Lemoyne

Et en avons prins tresgrant paine,

Mais il nous font tousjours grevance.

LA COMMERE

130Nous avons tousjours grant fiance

En vous, magister, par mon âme.

MAISTRE REGNAULT

Vous me semblés bien jeune femme

89 ro]Pour estre si tost graduée.

LA COMMERE

Comment serai-ge reffusée?

135Par Dieu, j’ay bonne voulenté.

MAISTRE REGNAULT

Combien y a-il, en verité,

Que vous estes en mariage?

LA COMMERE

C’est une question sauvaige,

C’est assés, puis que je le suis.

MAISTRE REGNAULT

140Ha dea, m’amye, je ne puis

Vous graduer, se n’avés temps.

LA COMMERE

Il y a environ deux ans,

Maistre, que je suis en mesnage.

MAISTRE REGNAULT

Et scavés-vous bien tout l’usaige

145Comment on gouverne ces marys?[+1]

LA COMMERE

Il n’y a femme à Paris[-1]

Qui le saiche mieulx que je fais,

Car tous les jours deux ou trois foys

Mon mary est tresbien batu,

150Puis il me dit: “Et que fais-tu,

M’amye? ce n’est pas bien fait.”

Puis je dis: “Villain contrefait,

Je te tueray trestout de coups!”

Brief, il n’a point en moy repos,

155Par Dieu, il n’oseroit groncer.

LE MAISTRE REGNAULT

Vous scavés assés pour passer

Et pour avoir vostre degré.

LA COMMERE

Maistre, je vous en sçay bon gré,

Aultre chose ne demandoye.

160Par Dieu, magister, j’atendoye

Trestous les jours que venissés

Affin que vous nous baillissés

Ung bonnet ront dessus la teste.

ALISON

Par Dieu, je maine telle feste

165A celuy de nostre maison;

Je luy fais de paine à foyson

A celuy que j’ay espousé.

Il ne seroit pas si osé

De faire ung pas sans mon congé

170Et s’avient qu’il n’a point mangé

Ne soupé, je le fais coucher

Et si ne me oseroit toucher

Dedans le lit, se ne le vueil.

Il n’oseroit pas lever l’ueil,

175De peur qu’il a, quant il me voit.

Brief, magister, il n’oseroit

Faire chose sans le me dire.

MAISTRE REGNAULT89 vo]

Heel vous faictes rage de dire.

Saincte Marie, quelles escollières,

180Vous avés bien seu vos matières,

Sous qui avés-vous prins cedules?

ALISON

A! ha! magister, (nous) n’en avons nulles,

Vous nous croirés en nos sermens,

Car j’avons esté longuement

185Estudier aux Jacobins,

Aux Carmes et aux Augustins,

Es Mathurins et ès Cordeliers

Et dessoubz plusieurs seculiers,

Je le vous prometz, par ma foy.

MAISTRE REGNAULT

190Par Dieu, m’amye, je vous croy,

Vous en portez tresbien la chère

Et bien pert à vostre manière

Quel est le livre que (vous) portez

Au maistre lequel vous hantez,

195Quand il vous dit vostre leçon?

ALISON

Certes nostre maistre il a nom

Le livre que on dit des prestres.


 [[ Print Edition Page No. 116 ]] 
LA COMMERE

Touteffois dient nos beaux maistres

Que c’est le livre de precum.

LE FOL

200Vous avés eu supra culum,

Quant la leçon vous ne scavés?

ALISON

Par Nostre Dame, vous bavés,

Allés, allés, esse bien dit?

MAISTRE REGNAULT

Or me dictes sans contredit,

205Mistes-vous guères à l’aprendre?

ALISON

Quant mon maistre y vouloit entendre

Je l’avoye tantost apris.

MAISTRE REGNAULT

Par Nostre Dame, j’ay mespris

De vous examiner si fort,

210Par Nostre Dame, j’ay grant tort,

Monstrez voz cedulles, m’amye.

LA COMMERE

Magister, je vous certifie

Qu’on les m’a voulentiers seelé[e]s.

MAISTRE REGNAULT

Quel maistre les vous a baillées,

215Vous sçavez qu’il vous fault tout dire.

LA COMMERE

Plusieurs les m’ont baillé[e]s, sire,

Il ne fault jà les racompter.

MAISTRE REGNAULT

Vous estes dignes de regenter[+1]

90 ro]Tout partout là où vous yrés,

220Par Nostre Dame vous aurés

Le bonnet rond tout presentement.

LES FEMMES parlent ensemble et respondent

Nous vous mercions humblement,

Magister, jusqu’au deservir.

MAISTRE REGNAULT

Je vous vueil loyaulment servir.

225La maistrise je vous l’ottroy.

LE FOL

Holà! holà! attendés-moy,

Il y a opposition,

Voicy ung mandement de Roy,

Holà! holà! attendez-moy.

MAISTRE REGNAULT

230Et qu’est cela? Quoy?[-3]

ALISON

Faictes vostre commission.

LE FOL

Holà! holà! attendés-moy,

Il y a opposition,

Je vous fais inhibition

235De par le Roy et (je) vous deffens,

Sur peine de payer despens,

Et de par le Roy fais deffense

Que ne donnés point la li[c]ence

A ces femmes ne la maistrise.

MAISTRE REGNAULT

240Le pape si la m’a commise

Par les bulles que vous veés.

LE FOL

Le Roy vous mande que ne soyés

Si hardy de le vouloir faire.

Voicy lettres tout au contraire

245Que j’apporte toutes propices.

ALISON

Ces lettres sont subretices,

Vostre mandement ne vault rien.

LE FOL

Or sa, maistre, vous scavés bien

Comment les marys s’i opposent.

MAISTRE REGNAULT

250Or leur dictes qu’ilz se reposent,

Car on n’en fera rien par eulx

Et comment sont-ilz envieux,

Si ces povres femmes ont bien.

Au regard de moy, je me tien

255Et le pape de leur costé.

ALISON

Et aussi l’Université,

Les maistres et les escoliers

S’ajoindront à nous voulentiers,

Faictes ce que mande le pape.

LA COMMERE

90 vo]260Et nous fauldra-il une chape

Comme à ung maistre magister?

MAISTRE REGNAULT

Pourquoy non? Vous pourrez porter

Ce qu’il appartient à une maistre.[+1]


 [[ Print Edition Page No. 117 ]] 
ALISON

Et pourrons-nous doncques aistre

265Aucuneffois sur une mulle?

MAISTRE REGNAULT

Je ne scay se ceste bulle

En fait point de mention.

LA COMMERE

Ne faictes point dilation,

Baillez-nous ce que demandons.

MAISTRE REGNAULT

270Or çà doncques, or attendons,

Il vous fault faire les sermens,

Vous jurez que tous les tourmens,

Tout le travail, toute la peine

Nuyt et jour toute la sepmaine

275Que vous pourrés et que scaurés

A voz maris procurerés,

Et cela vous voulés jurer?

LES FEMMES ensemble

Ouy, par Dieu, et procurer

De les mettre à confusion.

280C’est certes la conclusion

Et la fin à quoy nous tendons.

MAISTRE REGNAULT

Aussi vous yrés aux pardons

Et là où bon vous semblera

Et pour maris on ne fera

285Rien qui soit, mais très bien combatre

Et si veullent à vous debatre,

Vous commencerés à tencer,

Vous parlerés sans point cesser

Si fort que vous les ferés taire.

LES DEUX FEMMES ensemble

290Magister, nous sçaurons bien faire

Et ferons tant que nous aurons,

Par Dieu, ce que demanderons;

Plus ne nous en fault sermonner.

MAISTRE REGNAULT

Il vous fault à genoulx bouter

295Pour avoir absolution

En signe de perfection.

De ce bonnet ront vous couronne

Et auctorité je vous donne

Sur tous les maris et puissance

300De les gouverner et licence

Et auctorité de tout dire,

Regenter de present et dire

Et ma[i]striser les aultres femmes,

Affin qu’elles soyent toutes dames

305A Paris par especial.

91 ro]Et d’autre part en general

Le pape si le veult aussi

In nomine patris et filii.

LA COMMERE

Nous sommes en tresgrant soucy,

310Magister, de sçavoir ung point,

La bulle porte-elle point

Le povés-vous passer[-2]

Que puissions nos maris laisser

Quant bon et beau nous sembleroit?

ALISON

315Hélas! maistre, qui le pourroit,

On nous feroit une grant grace.

MAISTRE REGNAULT

Je suis bien content qu’on le face

Ainsi qu’avez acoustumé.

ALISON

Le pape nous a bien amé

320De nous pourvoir si grandement.

Vous serés partout reclamé,

Le pape nous a bien amé.

LA COMMERE

Vous ne serés jamais blasmé,

Nous vous mercions grandement.

ALISON

325Le pape nous a bien amé

De nous pourvoir si grandement.

Magister, à Dieu vous comment,

Certes nous allons commencer.

MAISTRE REGNAULT

Dieu vous doint bon commencement.

LA COMMERE

330Magister, à Dieu vous comment.

MAISTRE REGNAULT

Regentez fort et fermement

Et ne faillez pas à tencer.

LA COMMERE

Magister, à Dieu vous comment,

Certes nous allons commencer.

MAISTRE REGNAULT

335Or vous allés donc avancer

Et pensez de tromper ces hommes.


 [[ Print Edition Page No. 118 ]] 
ALISON

Nostre maistresse, par Dieu, nous sommes

A ceste fois levées sus,

Nous sommes venus au dessus

340De ce que nous avons devisé.

MARTIN

Il me fault estre bien tiré

Et habillé mignotement

Pour recepvoir joyeusement

Notre maistresse que je voy.

345Il me fauldra tenir tout quoy

Et faire son commandement,

Car la bulle dit qu’autrement

Elles ont pouvoir de nous changer.

Quel habit pourray-ge songer

91 vo]350A prendre pour luy faire honneur

En faisant ung peu du seigneur?

Je feray le dymencheret

Pour mieulx faire le dameret,

Affin que je luy puisse plaire.

355Je la voy venir à son aise,

Sur la teste ung beau bonnet,[-1]

Il me fault estre sadinet

Et frisque comme ung amoureux

Et jouliet et gracieux

360Affin que de moy soit contente.

Ceste robe si n’est point gente,

Elle est toute racaillefatrée,

J’en prendray une autre sentrée

Devant, par Dieu, que je m’en voise

365Et une piece portingalloise

Pour mettre devant ma forcelle.

LE FOL [à part]

Il contrefait la damoyselle

Comme ces mignons de Paris

Qui sont si songneusement nourris

370Et sont si douilletz que c’est raige.

Il ressemblent à une caille

Tant sont beaulx, faitis et tretis.

MARTIN

Il fault ung chaperon faitis

Qui soit de nouvelle façon.

LE FOL [à part]

375Vous serés ung mauvais garçon

Et ce n’est pas ce qu’il vous fault.

MARTIN

Cecy doit aller plus haut,[-1]

C’est la façon de maintenant.

Ne suis-je pas bien duenant,

380Il ne me fault que une dague

Et je ne sçay quel autre bague

Qu’on appelle une gibecière.

Mettray-je ma dague derrière?

Ha! par Sainct Mor, vecy comment

385La portent ses dimancherés.

LE FOL [à part]

S’esorchent-il point les jarrés?

Ceste manière est bien sauvage.

ALISON

Nous ne ferons plus le mesnage,

Puis que le degré nous avons,

390Or je vous prie que nous soyons

Ententives et diligentes,

Puis qu’aussi nous sommes regentes,

De faire aujourd’huy ung chief-d’euvre

A celle fin qu’on se recuevre

395De la perte qu’on nous a fait.

MARTIN

Par mon âme, je suis bien fait

Et mes soulliers bien en gallant.

LE FOL [à part]

Se il treuve ung estron voulant,

Par bieu, il luy crevera l’ueil.

ALISON

92 ro]400Par ma conscience, je vueil

Que mon mary soit attrapé.

LE FOL [à part]

Fait-il bien le veau eschappé

Et je vous prie, faictes luy place.

MARTIN

Je ne sçay pas qu’on luy face,[-1]

405Je ne l’ay pas bien en memoire.

LE FOL [à part]

Comment peut-il tant braire?

Vecy ung esperit d’amours,

Scet-il pas bien faire ces tours?

Jamais ne se doit soussier.

ALISON

410Saincte Marie, quel escuier

Esse là que je voy venir?

Par bieu, il me fait souvenir

De ces gorriers de ville.[-1]

Il est moult legier et habille,

415Est-ce point ung Clerc du Palais?


 [[ Print Edition Page No. 119 ]] 
LA COMMERE

Il est moult gentil galloys,[-1]

Je cuide que c’est ung changeur.

ALISON

Il doit estre petit mangeur,

Puis que sa pance est estroite.[-1]

LA COMMERE

420Il semble estre homme de crainte,

Comment il est fort embridé.

ALISON

Par Nostre Dame, il est bridé

Affin que le froit ne le taste.

LA COMMERE

C’est ung escuier fait à haste,

425Comme il est gent parmy le corps.

On voit les talons par dehors,

C’est une chose acoustumée.

ALISON

Ha! c’est affin que la fumée

Qui leur vient à cause de chault,

430Qui ne peult issir par le hault,

Viengne par là, car autrement

Ne pourroit issir bonnement.

Puis leurs pourpoins si fort estreignent,

Aussi leurs chausses s’entretiennent

435Attachées si roide si fort[+1]

Que quant ung de leur poulx les mort,

Il ne sçavent par où le prendre

Et aussi pour faire descendre

La fumée qui est en eulx;

440Pour ce qu’ilz sont tant chaleureux,

Ilz ont les talons descouvers.

LA COMMERE

Ilz ont pris leurs habitz divers

Et toutes choses sadinetes,

92 vo]Pourquoy leurs façons sont honnestes

445En la pointe de leurs soulliers?

ALISON

C’est pour ce que les bourreliers

Veullent vendre trop cher leur bourre,

Car vous voyés que on fourre[-2]

A Paris ces bourreletz[-1]

450De chaperons qui sont si lais

Que la façon si n’en vault guerre.

LE FOL

Par mon serment, une chauldière

De deux seaulx y seroit assise.

ALISON

Mais d’où est venu[e] la guyse

455Que ès penthoufles on mette[-1]

En lieu du liège une buchette,

C’est le prouffit des savetiers.

LE FOL

Par Sainct Jehan, mais de charpentiers,

C’est oeuvre de charpenterie.

LA COMMERE

460Et n’est-ce pas grant tromperie

S’enz esperons de chevaulcher?†[[461]]

ALISON

Vous scavés qu’un cheval est cher

A Paris, n’en a pas qui veult

Et pour ce que le cueur leur deult

465De voir les aultres à cheval,

Pour appaiser ung peu leur mal

Ont pris ceste chevaulcherie.

LA COMMERE

Dictes-moy que ce signifie,

Qu’ilz ont leurs habis si cueillis.

ALISON

470Ilz ont grant peur d’estre assaillis

Des pourceaulx, comme la pasture

Qui chet ès boys pour nourriture,

Pourtant se sont-ilz fait cueillir.

LA COMMERE

Et qu’ilz devroient bien hault faillir

475Puis que la robe est escoltée.

ALISON

Par bieu, si est-elle crotée,

Nonobstant qu’elle doit estre bien courte.

LA COMMERE

Il n’y a celuy qui ne porte

Quant je m’avise la vesture[[479-484]]

480Comme ung pourceau, c’est grant ordure,

Cest habit n’est point honneste.

ALISON

Et pourtant on seroit bien beste

D’aller prendre en mariage

Ung court vestu comme ton langaige,[+1]

485Mais on doit aymer loyaument

Et recepvoir joyeusement

Ceulx qui portent longue vesture.


 [[ Print Edition Page No. 120 ]] 
LA COMMERE

Aussi vault mieulx la couverture,

93 ro]Quant il fait froit, d’ung long habit

490Que d’ung qui est si très petit,

Ne que de robe decoupée.

ALISON

Il me souvient d’une espousée

De ce galant qui se promaine.

Par mon serment, il met grant peine

495A ce tenir cointement[-1]

Et vecy bon appointement,

C’est mon mary, par Nostre Dame.

MARTIN

Ayés pitié de moy, ma femme,

Pour ce que estes si grant maistresse.

ALISON

500Vous ne povés ployer les fesses,

Vous estes trop roide attaché.

MARTIN

Par bieu, je suis si empesché

De me tenir joliement,

Que je ne puis, par mon serment,

505Faire tout ce qu’il appartient,

Mais dictes-moy ce qu’il convient

A faire et je le feray.[-1]

ALISON

J’ay conclud que je vous lairay

Puis que je suis si haultement.

510Une bulle avons maintenant

De Court de Romme, qui enseigne

Comment le pape veult qu’on preigne,

Quant les marys sont inutilles,

Autres qu’ilz soient habilles

515Et qu’il sachent aux dames plaire.

MARTIN

Pourtant j’ay voulu contrefaire

Le mignon et le gracieux.

LA COMMERE

Et vous n’avés pas les cheveulx

En allemant: tout ne vault rien.

ALISON

520Aussi est-il dur comme ung chien

Et sec, il ne se peult ployer.

LA COMMERE

S’il estoit verd comme ung osier,

Il seroit doux comme ung gand[-1]

Et ung tres gracieux fringant

525Et les genoulx bien ployeroit

Et quant par les rues yroit,

Il marcheroit si bellement

Qu’il ne toucheroit du pied en terre

Et qu’il eust des pastins de voirre,

530Ce ne seroit que toute joye.

MARTIN

Ha! saincte dame, pour que j’aye

Provision de refroidir.

ALISON

Planter vous fault pour reverdir

Comme ung osier pour cest yver,

535En ce nouveau temps pour veoir

Se (vous) serés verd et bien ployent.

MARTIN93 vo]

Dictes-vous à bon escient?

Pour Dieu, donc, que je le soye!

Mais, par Dieu, se je ne pensoye

540Avoir la teste et la queue verd

Et que ne fusse plus gaillard,

Je ne seroye jà planté.

LA COMMERE

Mais que vous soyés bien enté,

Par Dieu, tantost reverdirés

545Et belle queue vous aurés,

Je le vous dis à escient,

Delivrés-vous appertement,

Il fait tres bon temps pour enter.

MARTIN

Comment me voulez-vous planter,

550Affin que je soye plus beau?

ALISON

La teste en bas comme ung poureau,†

On verra plustost la verdure.

MARTIN

Il convient doncques que j’endure

Et que je soye en terre mis;

555Or sa donc, puisque vous m’avés promis[+2]

Que je seray vert cest esté,

Je suis d’acord d’estre bouté

En la terre presentement,

Or me couvrez bien doulcement

560Et gardez bien de me blesser.


 [[ Print Edition Page No. 121 ]] 
LA COMMERE

Il fault ceste teste baisser

Pour estre bien enraciné,

Nous avons cy trop sejourné,

Sus, il est temps de la couvrir.

MARTIN

565Quant me fauldra-il descouvrir?

Seray-je en terre longuement?

ALISON

Tant que soyés notablement

Comme arbre reverdy.[-2]

MARTIN

En seray-je bien desgourdy

570Et tout vert en ce moys de may?

LA COMMERE

Ouy, par Dieu, et aussy gay

Que pourroit estre ung papegault.

Vous n’estez q’un loquebault,

Mais par Dieu, quiconques je vueil,

575Vous porterez semblable feuille

Et telle fleur comme la rose.

ALISON

Il fault bien que on l’arose,

Le chault se pourroit bien secher.

LA COMMERE

Il s’en fault doncques despescher,

580Je vois querir la chantepleure.

MARTIN

Par Nostre Dame, je n’ay cure

94 ro]D’estre arosé, il fait trop froit.

ALISON

Vous scavés bien que c’est le droit

D’un arbre sec et la nature.

MARTIN

585Voire, mais vous me moulerés,

Vrayement je crains bien la froidure.

LA COMMERE

Pour ce que vostre queue est dure,

Il la fault arroser souvent.

ALISON

Par Dieu, j’ay grant paour que le vent

590Ne luy soit aujourd’huy contraire.

Arosés-le bien, ma commère,

On devient vert pour aroser.

LA COMMERE

Cecy le fera disposer

A reverdir plustost ung moys.

ALISON

595Arosés-le deux ou trois fois,

N’espargnés pas l’eaue de Seine.

LA COMMERE

Il a jà une verte vayne,

Veés cy terre vertueuse.

MARTIN

Au moyns serés-vous bien joyeuse

600Quant ma queue verte sentirés.

ALISON

Par ma foy, vous reverdirés,

Puis que la terre est labourée.

LA COMMERE

L’esté qui vient, vous fleurirés.

ALISON

Par ma foy, vous reverdirés.

LA COMMERE

605Quant de terre vous partirés,

Vous serés vert comme porrés.

ALISON

Par ma foy, vous reverdirés,

Puis que la terre est labourée.

Je fais trop longue demeurée,

610Par Nostre Dame, je m’en vois.

MARTIN

Adieu ma dame honorée![-1]

ALISON

Je suis trop longue demeurée.

LA COMMERE

Verdure est trop prisée[-2]

Puis que les marys sont de boys.

ALISON

615Tandres seront comme poulletz,

Puis qu’ilz sont mis à la gellée.

LE FOL

Ilz ont la queue si mouchée

Qu’à peine la peuvent lever,

Je croy qu’on les a mis couver,

620Ilz sont tous couvers davantaige,

Par Dieu, veez cy bon personnage.


 [[ Print Edition Page No. 122 ]] 

94 vo]Quant les maris sont bien covers,

On en va querir de plus vers,

Cependant qu’il reverdiront.

ALISON

625Quant vos maris decherront[-1]

Entre vous, femmes sadinettes,

Et aussi qu’ilz commenceront

A delaisser les amourettes,

Pour avoir queues verdelettes,

630Plantés-les tost à la rousée,

Puis alés aux jardins seulettes,

La queue verte est bien prisée.

LA COMMERE

Quant vous verrés qu’ilz laidiront

Et seront secz comme espinettes

635Et que chose ne vous feront

Qui soient bonnes et doulcettes,

Prenés toutes vos chosettes[-1]

Pour faire la chose advisée

Et si vous tenés joliettes,

640La queue verte est bien prisée.

MARTIN

Je croy que mes dois fleuriront,

Je sens bien venir les fleurettes,

Mes genoulx si assouppliront,

Aussi seront mes esguillettes,

645J’auray les jambes bien doulcettes,

Ma femme sera rapaisée,

Quant on a belles tetinettes,

La queue est bien prisée.[-2]

ALISON

Adieu ceste belle assemblée,

650Je m’en voys au jolis bocquet.

LA COMMERE

Je seray de verd affublée.

ALISON

Adieu ceste belle assemblée.

LE FOL

Gardez que ne soyez emblée.

LA COMMERE

Il ne m’en chault pas d’ung niquet.

655Adieu ceste belle assemblée,

Je m’en vois au jolis bocquet.

MARTIN

Comment, seray-je tousjours sec?

Par ma foy, je croy que ouy.

Certes je suis prins par le bec,

660On m’a comme arbre enfouy,[-1]

Les maris si sont aujourd’huy

Trestous pour reverdir plantez.

Et nos femmes vont le pirdouy

Dancer par bieu de tous costez.

665Femmes n’en tiennent plus de compte,

Les maris sont en brief farcez,

Je m’en voys o ma courte honte.†[[667]]

EXPLICIT.

NOTES

 [XVI.] Farce des femmes qus se font passer pour maistresses.

 [12, 20] précisent dès le début, l’origine et, plus encore, la destination parisienne de la pièce.

 [42] au Cardinal Le Moyne, au collège de ce nom. Cf. Introduction.

 [78] graduées. Les profeseurs et étudiants américains retrouveront avec plaisir en ce mot l’origine de graduate.

 [80] ragassotiront, je ne connais que rassoter, radoter.

 [115] regenter, crée, comme maistre du v. 113, une spirituelle confusion de termes entre le ménage et l’université.

 [185-7] Cf. Introduction.

 [199] precum, de prières, mais la prononciation de um en on prête à une équivoque grossière.

 [315] qui: si on.

 [362] racaillefatrée m’est inconnu.

 [379] duenant j’hésite à corriger en duement à cause de la rime.

 [449] bourrelet, bord court et roulé du chapeau du XIIIe au XVe siècle (Cf. Quicherat, Histoire du Costume en France, pp. 300-334).

 [455] Pantoufles, mules légères de velours ou satin arrondies au bout (cf. v. 445 et Quicherat ibid. qui cite Olivier de la Marche).

 [479-484] Le conflit du vêtement court et de la robe longue date du milieu du XIVe siècle et se prolongera sous François Ier, cette dernière étant réservée aux cérémonies. Au XVe siècle, les Rois mêmes adopteront le vêtement court. Cf. Quicherat, Histoire du Costume en France.

 [519] en allemant, longs et embroussaillés (cf. Quicherat, Histoire . . . p. 299).

 [629] queues, inutile de souligner l’équivoque de ce passage qui est de nouveau la matérialisation d’une expression “plantez-le là et ce sera pour reverdir”, usage courant dans l’ancienne farce et dans Rabelais.

 [663] pirdouy, air mélancolique (Godefroy).

 [667] ou, corrigé par moi en o (avec).

Endnotes

 [67,] O: j’aay.

 [145,] O: ses.

 [170,] O: Et souvient.

 [461,] O: sans . . .

 [551,] O: ung pourceau . . .

 [667,] O: ou.


 [[ Print Edition Page No. 123 ]] 

XVII
95 ro] FARCE NOUVELLE
DES FEMMES QUI APRENNENT A PARLER LATIN A SIX PERSONNAGES
*

[vignette]

LE PRINCIPAL commence95 vo]

Robin, vien çà, mon amy,[-1]

Va-t-en vistement attacher

Au Palais et là environ

Et aux eglises ce papier

5Et n’oublie pas à decliner

En plus de cent lieux en Paris

Que le Provincial dès hier

Est descendu en son logis

Et au[x] Parisiennes dis

10Que j’ayme de tout mon couraige

Que j’ay voué et entreprins

Leur apprendre ung nouveau langaige.

ROBINET

Ha! mon seigneur, se seroit dommaige,

On ne les pourroit maistriser.

LE PROVINCIAL

15Allez, mastin et villain paige,

Je le vueil, fault-il repliquer?

ROBINET

Je vois donc aux Carmes premier

Attacher le petit brevet.

LE PROVINCIAL

Acoup de là, sans tarder,[-1]

20A la Montaigne.

ROBINET

Il sera fait,

Je ne cesseray en effait

Tant que j’auray point en main.[-1]

LE PROVINCIAL

Parisiennes, il me plaist

Que vous saichiez ung nouveau tra[it]

25Je ne saiche rien plus humain

Que vous, mes mignonnes doulcet[tes].

ROBINET

Par Dieu, Provincial humain,

Vous regardez mal que vous faictes.

LE PROVINCIAL

Sa, sa, sa, [ça] mes doulcinettes,

30Mes parisiennes gorgettes,

Viendrez-vous pas à la lesson?

Ouy, mes petites riglettes,[-1]

Soyés subtilles, mignonnettes,

Venez tost, il en est saison!

GUILLEMETTE

35Johannès, sire, mon mignon,

Qu’esse là que vous seurvice?[-1]

ROBINET

Se je vueil servir? nennin non,

Suis-je Johannès, vielle lisse?

GUILLIMETTE

Vous avez tort.

ROBINET

On m’en punisse!

40Lisez les motz, ilz sont escripz,

96 ro]Mais fault-il que je vous les disse?

GUILLEMETTE

Ouy, s’il vous plaist, jeune filz.


 [[ Print Edition Page No. 124 ]] 
ROBINET

Or bien de par Dieu, je vous dis

Que toutes femmes en general,

45Qui vouldront mettre leurs esperitz

Parler latin orné, exquis,

Viengne[nt] veoir le Provincial

Adez le plus especial

Maistre qui soit jusques à Romme.

GUILLEMETTE

50Latin, c’est ung bien principal,

Latin, monseigneur Saint Denis,

Il fault donc qu’il soit vaillant homme.

ROBINET

Vaillant, puissant, triomphant comme

Fut jamais Hector et Paris.

GUILLEMETTE

55Latin aux femmes de Paris?

ROBINET

Aussi vray comme je le devise.

GUILLEMETTE

Chascun en doit estre esjouys.

ROBINET

Ce sera bien nouvelle guise.

GUILLEMETTE

C’est bien donc raison qu’on le prise

60Quant aux dames ainsi s’aquitte.

Par Dieu, autre ordre sera mise

Au monde et meilleure conduite,

Ma commère, venez çà, dictes,

Quelles nouvelles?

ALISON

Han! je ne sçay moy.[[64]]

GUILLEMETTE

65Comment? c’est des biens l’eliste?

ALISON

Dictes-moy, qu’esse?

GUILLEMETTE

C’est.

ALISON

Quoy?

Vous me mettés en grant esmoy

Que je n’entens ceste parolle.

GUILLEMETTE

C’est je vous prometz, par ma foy,

70Ung si saige maistre d’escolle

Et est vray, ce n’est pas frivolle,

Qui arriva hier au matin,

Qui veult que vif on le descolle

S’il ne nous fait parler latin,

75Arguër par façon legière,

Lire en papier ou (en) parchemin

Et entendre toute matière.

ALISON

96 vo]Parler latin?

GUILLEMETTE

Vray est, par Saint Père,

Ne pensés point que je me faigne.

ALISON

80Vous semble-il point qu’il nous affière?

Le sçavoir, esse chose estrange?

Latin, esse chose qu’on craigne?

BARBETTE

Et qu’esse benedicite?

GUILLEMETTE

Dont venés-vous?

BARBETTE

De la Montaigne.

ALISON

85Mais venés çà.

GUILLEMETTE

Et à coup.[-1]

BARBETTE

Ouy da! mais qu’esse?

GUILLEMETTE

N’avés-vous

Pas ouy parler de ce maistre?†

BARBETTE

Nenny, de voir!

ALISON

Son engin penètre[+1]

Tout aultre; riens n’est plus begnin.

90Il a dit que confus veult estre

S’il ne nous fait parler latin.


 [[ Print Edition Page No. 125 ]] 
BARBETTE

Nous viendrons donc à nostre fin.

Je ne sçay moy par quel chemin

Il nous est cellé si longtemps.

ALISON

95Sont estés ces hommes, affin

Qu’ilz ayent auditoire plus grans.

GUILLEMETTE

Ha! les villains!

BARBETTE

Mais les meschans!

ALISON

Riglés seront.

GUILLEMETTE

Je m’y consens.

BARBETTE

Ilz sont orguilleux comme paons.

ALISON

100Nous les chasserons comme enfans

Par fine force d’argumens.

GUILLEMETTE

Il fault qu’ilz en soient innocens

Que estudions ce langaige.

ALISON

Aultrement ne seront contens.

BARBETTE97 ro]

105Quant je vois hors, le mien enrage.

GUILLEMETTE

Soubz l’ombre de pelerinage

Jusque à Nostre-Dame-des-Champs

Nous yrons.

BARBETTE

C’est le voir.

ALISON

Quel saige,

Ces moians sont fort souffisans.

BARBETTE

110Devant qu’il soit jamais deux ans

On verra nos maris changer.

GUILLEMETTE

Nous yrons à la ville, aux champs.

ALISON

Publicquement.

GUILLEMETTE

Sans nul dangier.

BARBETTE

Porteront-ilz point le pannier?

ALISON

115Ouy dea!

GUILLEMETTE

Et les petis gars?

BARBETTE

Et nous yrons estudier.

ALISON

Clergesses serons.

GUILLEMETTE

Et eux coquars.[+1]

BARBETTE

Serons-nous Maistresses-aux-Ars

Aussi bien qu’eux?

ALISON

Et pourquoy non?

GUILLEMETTE

120Et regnerons en toutes pars.

BARBETTE

Ha! ma seur, ce sera raison.

ALISON

Alons m’en querir Marion,

Puis nous yrons veoir mon seigneur.

GUILLEMETTE

Nostre voisine?

BARBETTE

Et comment donc?

ALISON

125Elle a engin de grant ardeur.

ROBINET

Provincial, soyez tout seur

Que j’ay fait voz besongnes bonnes.

LE PROVINCIAL

Vient-il riens?

ROBINET

Riens? Vecy la fleur

Des Parisiennes mignonnes.


 [[ Print Edition Page No. 126 ]] 
LE PROVINCIAL

130Te semble-il qu’elles sont ydoines

A comprendre ce qu’on lira?

ROBINET

Vous y ferez si grant aulmosne

97 vo]Que jamais tel bien n’aviendra.

GUILLEMETTE

Marion!

MARION

Et qu’esse là?[-1]

GUILLEMETTE

135Et escoutez ça, ma voisine!

MARION

Hé, ma voisine, comment va,

Comment se porte ma cousine?

GUILLEMETTE

Bien.

ALISON

Viendrez-vous?

MARION

Où?

BARBETTE

Quelle myne!

Veoir ce maistre de grant proesse,

140Il fait merveille.

ALISON

Il termine

Ce que ne fist jamais De[e]sse

Et de fait, il a fait promesse

De vouloir merveilles enseigner.[+1]

ROBINET

Monseigneur, regardez cy!

LE PROVINCIAL

Qu’esse?

ROBINET

145Vecy des femmes ung millier.

LE PROVINCIAL

Elles ont grant faim d’estudier,

Je le voy bien, fay leur grant feste.

ROBINET

Vous les verrés tantost plaidier,

Ce semblera une tempeste.

150Recevoir les fault.

LE PROVINCIAL

Tais-toy, beste,

Elles ne diront plus que ce mot.[+1]

ROBINET

Mais raige,[[152-3]]

Elles mettent chascun amette

De plaider à ung seul langaige.

GUILLEMETTE

155Allons-nous veoir l’heritage

De nostre maistre?

ALISON

Le velà.

BARBETTE

Guillemette, comme la plus saige,

Parlez devant!

GUILLEMETTE

Mais vous?

BARBETTE

Moy? Dea!

Marion, sus!

MARION

Pourquoy cela?

160C’est à faire aux plus anciennes.

LE PROVINCIAL

Or çà, çà, mes Parisiennes,

Vous regente[re]z bas et hault.

ROBINET98 ro]

Chascune fera bien des siennes.

ALISON

Il dit d’or.

GUILLEMETTE

C’est ce qu’i nous fault.

BARBETTE

165Alons près!

GUILLEMETTE

Devant.

MARION

Ne m’en chault.

LE PROVINCIAL

Se la memoire ne me fault,

Vous aurez science plaine.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 127 ]] 
ALISON

Dieu gard, Monseigneur!

LE PROVINCIAL

Ma mye chiere,[+1]

Bien vegniez gracieux attendre.

ALISON

170Nous montrerez-vous la matière

Du latin?

LE PROVINCIAL

Ouy et manière

Comment vous le pourrez comprendre.

BARBETTE

Nous le voulons tresbien entendre

Montrer à nous, parler aussi.

LE PROVINCIAL

175N’avez-vous point bon cueur d’aprendre?

MARION

Ouy, sire.

LE PROVINCIAL

Or n’aiez soucy.[-1]

Il me convient sçavoir cecy:

Quelle Faculté (vous) voulez suyvre.

GUILLEMETTE

Nous voulons sçavoir.

LE PROVINCIAL

Quoy?[-2]

[GUILLEMETTE]

180Et pratique de sçavoir suyvre.†

LE PROVINCIAL

Voulez-vous ces volumes ensuyvre?[+1]

ALISON

Et qu’esse?

LE PROVINCIAL

Matière de droit.

ALISON

Le droit, dea, c’est ung bon livre,[-1]

Mieulx l’ayme que chose qui soit.

LE PROVINCIAL

185A grant peine ung homme croira

Quel gaing en vient.

ROBINET

A plaine paulme.

ALISON1

Le droit! et on nous le celoit

Et si duist si bien à la femme.

LE PROVINCIAL

Ha! dea, je vous diray, ma dame,

190Il y a deux droits.

ALISON

Ça, le bon!

LE PROVINCIAL

98 vo]Ilz sont tous deux bons, sur mon âme,

L’ung est civil, l’autre est canon,

Le droit civil est par raison

Aux escoliers, l’autre à l’Eglise.

ALISON

195Qui les veult tous deux, ne peut-on

Les entretenir?

LE PROVINCIAL

Pour quoy non?

Si fait, dea!

ALISON

Ha! c’est bonne guise,

Au moins se je trouve faintise

Aucunes fois au droit civil,

200Je recourrai au fait d’Eglise,

Car j’entens bien qu’il est gentil.

LE PROVINCIAL

Acoutez, quant quelque soubtil

Clerc consel vous en demandera

En disant: “Que vous en semble-il?”

205Ma dame, quel responce là?

ALISON

Je diray ouy.

LE PROVINCIAL

Mais en latin ita.

ALISON

Bien le sçauray dire.[[207]]

LE PROVINCIAL

S’il dit mal, non dire fauldra.

ALISON

Et laissez m’en faire, beau sire.


 [[ Print Edition Page No. 128 ]] 
LE PROVINCIAL

210Or sus, donc je m’en vois produire

Devant vous, ma dame l’advocate,[+1]

En parlant latin.

ROBINET

Or sans rire.

LE PROVINCIAL

Et gardez que je ne vous matte,

Seez-vous en mon lieu en haste,

215Il fault les autres expedier.

Ung cas advint, ce fut la datte

Du XV jour de fevrier

Qu’il eust ung jeune escuier,[-1]

Puissant de nom et de linage,

220Qui print fille de chevalier,

Ainsi qu’on fait, en mariage.

Quant ce dont, après espousage

Et au mariage acomplir

Il n’avait pas.

ALISON

Quid?

LE PROVINCIAL

Ce bagage.

ALISON

225Benedicite.

LE PROVINCIAL

Soyés sage!

Et brief il n’y peut fournir.

La dame se veult repentir

99 ro]Et disoit: “Rien ne me fera!”

Se devoit-elle consentir

230A soy demarier?

ALISON

Ita.

LE PROVINCIAL

C’est bien respondu sus cetera,[+1]

Vous estes femme de façon,

Vecy ung autre cas.

ALISON

Or ça!

LE PROVINCIAL

Naguères il y eut ung mignon,

235Qui trouva ung gentil garson

Avec sa femme en son lit,[-1]

Le deust-il tuer?

ALISON

Certes non!

LE PROVINCIAL

Et il faisoit . . .

ALISON

Sufficit.

LE PROVINCIAL

Non? pourquoy?

ALISON

Natura dedit.

LE PROVINCIAL

240Par le sanc que Dieu me fist,[-1]

Je vous ay bien endoctriné,

Dame legiste, faictes bruit.

ALISON

Argentum tene.[[243]]

LE PROVINCIAL

C’est bien dit, vostre suis.

ALISON

Grates.

ROBINET

245Saint Jaques, c’est bien latine

Et ad dominum Roberte.

BARBETTE

Monseigneur, apprendrons-nous riens?

LE PROVINCIAL

Demandez, car j’ay tous moyens

Pour vous aprendre sans soucy.

BARBETTE

250Nous avons le droit sur tous biens

Comme Alison.

LE PROVINCIAL

Il m’est failly.

BARBETTE

Failly iste fui.

LE PROVINCIAL

Raige vecy,

J’ay bien pour vous aultre doctrine.

BARBETTE

Le droit est bien bon.


 [[ Print Edition Page No. 129 ]] 
LE PROVINCIAL

J’ay icy

255Pour vous tout l’art de medicine.

BARBETTE

Medecine.

LE PROVINCIAL

Ha! c’est la plus digne

Entre les sciences qui soient,

Car ce qui est sain et delivre

Par donnés ung peu de racine

260On la fait relever tout droit,

Mais il fault sçavoir sur le droit

Ypocras et aussi Galien.

BARBETTE

99 vo]Certes j’estudieray en droit.

LE PROVINCIAL

Regardés, voicy le moyen

265Par lequel on fait le couraige

Revenir, vous m’entendés bien,

Qui le pert.

BARBETTE

Comment?

LE PROVINCIAL

Par oultraige

S’il avoit beu de bruvaige

D’ung recipe fait à demy,

270Vous luy verriés faire feu et raige,[+1]

On ne pourroit durer à luy.

BARBETTE

Il me fault finer ce fueillet-cy.[+1]

LE PROVINCIAL

Voyés-en ung aultre plus roide:

Item pour faire son mary

275Devenir fol ou fort malade.”

BARBETTE

Mon Dieu! s’en auront une aubade!

Nous sont ces livres deffendus?

LE PROVINCIAL

“Pour une vieille orde et fort sade

Recouvrer de ving ans ou plus.”

BARBETTE

280Vecy livres de grant vertus,

Il n’est nul plus puissant tresor.

LE PROVINCIAL

Ha! dea, latin ne parlés plus.

BARBETTE

Quoy donc?

LE PROVINCIAL

Latin.

BARBETTE

C’est mon vouloir.

LE PROVINCIAL

Quant vous irés matin ou soir

285Pour mettre quelqu’ung en santé,

Distes aux clercs nomini dolor![+1]

O quantum commotus vite!

Tenez luy le pouls in fronte,

Touchez s’il n’a point grant chaleur

290Et s’il est ainsi eschoffé,

Faictes-le couchier.

BARBETTE

Soyez seur!

Si congnoistre puis la douleur

En estudiant en l’orine,

Je le remettray en vigueur.

LE PROVINCIAL

295Que je vous appreigne en ung signe,

Regardez-moy quel medecine

Vous donrez icy.

BARBETTE

Sancte Deus.

LE PROVINCIAL

Il est en dangier qu’il ne fine.

BARBETTE

Ipse est multum commotus.

LE PROVINCIAL

300Velà bien speculé.

BARBETTE

Vecine et multum nocui.

LE PROVINCIAL100 ro]

C’est vray, car deux enfans ont plus,

Ung homme cause de tel fruit

Doit-il point recouvrer santé,

305Belle Barbette?

BARBETTE

Ita certe.


 [[ Print Edition Page No. 130 ]] 
LE PROVINCIAL

A Monpellier où j’ay esté,

Vous pourrez regenter sans blame,

Faictes-vous vaillant, ma beauté,[[308]]

Hardiement, vous ne tuez âme.[+1]

BARBETTE

310Ad dominum.

LE PROVINCIAL

Adieu, ma dame!

ROBINET

Tuer ame, j’en suis certain,

Medecine est doulce de femme,

Medeciner c’est bien leur train,

Elles ont beau parler doulce main,

315La science leur est bien ydoyne.

LE PROVINCIAL

Esse tout?

ROBINET

Ouy dea! [à] demain!

Et c’est tout le mal sainct Anthoine.

GUILLEMETTE

Hélas! monseigneur, qu’on me donne

Ung petit d’introduction.

LE PROVINCIAL

320Quel est vostre nom, ma mignonne?

GUILLEMETTE

Guillemette.

LE PROVINCIAL

Et vous?

MARION

Marion.

LE PROVINCIAL

Avez-vous Guillemette à nom?

GUILLEMETTE

Ouy.

LE PROVINCIAL

Estes-vous Parisienne?

Guillemette, il me semble bon

325Que vous deveniez Arcienne,

Car vous estes assez ancienne

Et saigne pour estre Regente.

GUILLEMETTE

C’est ma voulenté.

LE PROVINCIAL

Et la mienne.

Joyeux suis que je vous contente,

330Mais qui n’y met toute son entente,

Cest labeur est inutille[-1]

Et se ung coup estes prudente,

Vous prouverez par raison patente[+1]

De cent escus que ce sont mille.

335Affin que soiés plus habille,

Je vous monstr[er]ay doble voye.

GUILLEMETTE

Ne monstrez que la plus subtille.

LE PROVINCIAL

Je le vueil.

GUILLEMETTE

100 vo]Et que je les voye!

LE PROVINCIAL

Regardez, dame simple et coye,

340Vecy la Voye des Royaulx.

GUILLEMETTE

Il n’est besoing qu’on les desploye.

LE PROVINCIAL

Voyez donc celle aux nouveaux,

Tenés les plus especiaulx

Que homme verra dedans ung an.

GUILLEMETTE

345Certes les livres sont fort beaux.

LE PROVINCIAL

Vecy la Logique d’Occam,[[346]]

Aristote et de Buridan,[[347]]

Lisez-la et notez ces motz

Et puis vous tenrez ung propos

350Subtil contre tout argument

Et incorporez ces argotz,

Concedez peu, nyés souvent,

Equivoqué moy hardiement

Par les cautelles d’Aristote

355Desquelles on fait plainement

Entendre qu’ung mary radote

Et qu’il a la teste plus sotte

Cent mille fois que une brebis

Et convient bien que tout on note.

GUILLEMETTE

360Materia defficientis.


 [[ Print Edition Page No. 131 ]] 
MARION

Monseigneur, je n’ay rien aprins,

Faictes-moy Theologienne.

LE PROVINCIAL

M’amye, j’en seroye reprins,

Vous n’estes pas assés encienne.[+1]

365Je vous feray grant Retoricienne

Et aurez des bonnes leçons.

Robinet, fay qu’elle convienne

Avec toy à desclinaisons.

ROBINET

Ça, m’amye que nous lisons

370Quelque chose de bon.

MARION

Or sus.

ROBINET

Vecy declinaisons de noms, qu’esse là?[+3]

MARION

Ceteris abus sociabitur ut dominabus.[[372]]

LE PROVINCIAL

Passez oultre, ce sont abus

De demourer en ce point là,

375Regardez tout et sus et jus

Sans estre guères en cela

Et ce que Robinet dira

Faictes tout ung et retenez bien:

Sic fit personna seconda,

380Aultrement tout ne vouldroit rien.

MARION

Mais mon amy et maistre certain,

101 ro]Je n’entens point bien ce sens.

LE PROVINCIAL

Non.

Ha! je trouveray bon moyen,

Tenez là mon Catholicon,

385Il n’y a mot, tant soit-il bon,

Que exposé ne soit par compas.

Or lisez-moy là, Marion,

Qu’esse là au premier?

MARION

Sibbas.

LE PROVINCIAL

Après.

MARION

Abbatis abbati.

390Monseigneur, j’entens bien le cas,

Car quant la fille fut abas,

Ma foy, le galant l’abaty.

LE PROVINCIAL

C’est cela, est tout ainsi;[-1]

L’autre feuillet.

MARION

Ha! je l’entens:

395Bacus.

LE PROVINCIAL

Et son genitif?

MARION

Bachy.[-1]

Baco, Bacom, j’entens le sens,

Ceste matière je comprens

Facillement et les proverbes.

LE PROVINCIAL

Regardez ung peu plus dedens

400Pour veoir la nature des verbes.

MARION

Da ortandy.

LE PROVINCIAL

Ce sont adverbes.

Regardez ung peu plus bas,

Qu’esse cy, Marion?

MARION

C’est amo, amas.

LE PROVINCIAL

Et son preterit?

MARION

Amavit.

LE PROVINCIAL

405Qu’esse à dire?

MARION

La femme ama vit.

LE PROVINCIAL

Mais comment?

MARION

Nescio.


 [[ Print Edition Page No. 132 ]] 
GUILLEMETTE

Dicam.

Vecy la raison en escript,

Ut materia appetit formam,

Car pour ce faire nous fourmanan,

410Vecy Aristote le dit.

LE PROVINCIAL

Puis.

MARION

Ciba, cibar, cibam.[-1]

LE PROVINCIAL

Et son preterit?

MARION

Ci ba vit.

LE PROVINCIAL

Or ça, faictes-nous ung petit

De françois en latin deux motz.

415Comme Dieu les pourrés assavoir.

MARION

Deus cibavit agros.[-1]

LE PROVINCIAL101 vo]

C’est bien respondu à propos,

Vous estes une vaillant femme,

Il a forgé en une nuit.

MARION

420A Dieu, Monseigneur.

LE PROVINCIAL

A Dieu, ma dame.[+1]

MARION

Velà deux escus pour vo paine.

LE PROVINCIAL

Je n’en prendray rien, par mon âme,

J’aymeroye mieulx estre en Sayne.

Or ca, Arsienne humaine,

425Posé que soyes vostre mary,

Tenir vueil que ceste sepmaine

Prins avez encore ung amy.

GUILLEMETTE

Ego nego et prouve ainsi

Que deux amans ne peux avoir

430Sed probatum assimily,

Je gaige à vous decevoir,

Impossible est sçavoir[-2]

Mettre icy en ce chandelier

Deux chandelles,

LE PROVINCIAL

Il est tout voir.

GUILLEMETTE

435Ergo vray et sans varier

Femme mariée d’huy ou d’hier

Ne sçauroit par nulles cautelles

Avoir deux maris de legier

Non plus comme au chandellier

440Que vecy, mettre deux chandelles.

LE PROVINCIAL

Velà raisons fort naturelles

Venans d’ung engin magnifique,

Mais touteffois, la fleur des belles,

Je vous feray une replique,

445Vous avez dit, dame autentique,

Non povoir deux chandelles.

GUILLEMETTE

Concedo, verum est.

LE PROVINCIAL

Ainsi

En velà une le feu sailly,

Pourquoy n’y peut après la mienne

450Et après ex consequenti

Ung autre y mettre la sienne?

GUILLEMETTE

A moy comme Parisienne,

Ceste matière n’est point haulte.

LE PROVINCIAL

Et pourquoy?

GUILLEMETTE

C’est par vostre faulte,

455Sy fournisse[z] le chandelier

Songneusement sans le laisser,

Il n’est clerc, je vous vueil bien dire,

102 ro]Tant sceust-il bien estudier

Qui y peut la chandelle induire.

LE PROVINCIAL

460Maris ne sçaront contredire,

Ce sont argumens in salus.

GUILLEMETTE

Non dea! ilz n’en feront que rire

Disans ego sum contentus.


 [[ Print Edition Page No. 133 ]] 
LE PROVINCIAL

Mes Dieux, ilz seront tous confus.

GUILLEMETTE

465Et estonnés comme Johannès.[+1]

LE PROVINCIAL

Dame, je vueil que desormais

Vous vous disiés estre clergesse.

BARBETTE, MARION, GUILLEMETTE, ALISON

Bone magister noster!

LE PROVINCIAL

Mais je vueil que tenez promesse

470Et que en toute ma jeunesse

Vous soiés doulces en mon nom,

Respondez, Barbette, Alison,

Seriés-vous mes gens?

GUILLEMETTE et MARION

Ita.

LE PROVINCIAL

Leur donnerés-vous pain et vin bon?

GUILLEMETTE

475Respondés, Barbette, Alison.

LE PROVINCIAL

Aux grans?

ALISON

Ita.

LE PROVINCIAL

Et aux petits?

BARBETTE

Non.[-1]

ALISON

Vous verrés bien qu’à ce sera.

LE PROVINCIAL

Respondez, Barbette, Alison.

BARBETTE et ALISON

Ita.

LE PROVINCIAL

Or adieu donc.

MARION

Bona vita.

GUILLEMETTE

480O Maria!

MARION

O Barbeta!

Or sçavons-nous parler latin.

ALISON

Je traicte le droit de causa.

102 vo]O Maria!

GUILLEMETTE

O Barbara!

MARION

Je tiens le droit medicina.

GUILLEMETTE

485Je le soutien par art begnin.

BARBETTE

O Maria!

MARION

O Barbata!

Nous scavons bien parler latin.

BARBETTE

Aller pourrez en tout chemin.

BARBETTE

Parler à tous.

GUILLEMETTE

Et par clergie.

ALISON

490Par le Provincial begnin.

BARBETTE

Dieu lui doint faire bonne fin!

ALISON

Ainsi soit-il!

GUILLEMETTE

Amen!

EXPLICIT


 [[ Print Edition Page No. 134 ]] 

NOTES

 [XVII.] Farce des Femmes qui apprennent a parler latin. Encore une production universitaire parisienne destinée aux étudiants des collèges de la Montagne Sainte Geneviève, désignée au v. 20.

 [17] aux Carmes cf. la pièce précédente v. 185-7.

 [36] texte corrompu. Entendez: Qu’est ce là qu’avez pour service.

 [64] on retrouve cette Alison, dont l’emploi survivra, même dans la premiere moitié du XVIIe siècle.

 [107] Nostre-Dame-des-Champs, église de Paris. Cf. Introduction.

 [141] Deesse le sens n’est pas satisfaisant.

 [152-3] texte corrompu que je ne vois pas comment corriger. Je suppose amette diminutif de âme.

 [226] peut (passé défini).

 [269] a demy corr.: à devis.

 [306] Monpellier (Hérault) encore célèbre aujourd’hui par la Faculté de Médecine, où enseigna Rabelais en 1532.

 [325] Arcienne, membre de la Faculté des Arts (que nous appelons aujourd’hui des Lettres).

 [346] d’Occam, Guillaume d’Occam (1348) auteur de la Summa totius logicae cf. Emile Bréhier, La Philosophie du Moyen Age, Paris, Albin Michel, 1937, in-8, pp. 400-404; la logique de Buridan ne se distingue pas foncièrement de la sienne (ibid., pp. 419-421).

 [351] argots, ergos prononcé à la parisienne (où er = ar).

 [354.] Aristote, c’est la première fois je pense que ce grand philosophe grec tient à la scène l’emploi que lui donnera Molière.

 [372] Marion remplace L’ESCUMEUR DE LATIN, “emploi,” du Recueil Trepperel.

 [401] ortandy: hortandi.

 [409] fourmanan, ce charabia cache une équivoque grossière.

Endnotes

 [42,] O: filze.

 [87,] O: N’avés vous pas ouy parler

De ce maistre?

BARBETTE

Nenny de voir.

 [96,] O: audiut.

 [152-3:] texte corrompu.

 [1] O: ROBINET.

 [200,] O: recouvreré.

 [206,] O: Mais ita en latin.

 [207,] vers tronqué.

 [243:] Les mots latins plus ou moins corrects centrent difficilement dans la mesure du vers.

 [288,] O: pouy.

 [300:] vers tronqué.

 [308,] O: Faieces.

 [346,] O: dacan.

 [347,] O: A. dor B.

 [365,] O: rectoricienne.

 [367,] O: connienne.

 [433,] O: chondelier.

 [437,] O: noulles.


 [[ Print Edition Page No. 135 ]] 

[XVIII]
103 ro] FARCE NOUVELLE
ET FORT JOYEUSE DE RESJOUY D’AMOURS QUI REVELE SON SECRET A GAULTIER GUILLOME DONT IL EST MIS OU SAC AUX LETTRES DE PEUR D’ESTRE BRUSLAY
A III PERSONNAGES
*

Resjouy d’Amours commence

[vignette][103 verso 2 vignettes]
104 ro].

RESJOUY D’AMOURS commence

Je suis bien en amour parfaicte[[1-15]]

Parfaictement mis et assis,

Assis en doulceur tresparfaicte,

Fais faitz par balades et ditz,

5Contredit je ne m’en iroye,

Je m’en iroye moult envis

Se ennuieux venoient en voye.

GAULTIER GUILLAUME

Plaisir est bien bon au premier.

Premierement quant j’euz ma femme,

10Femme me sembloit ung rousier

Arousay de si noble femme,

Affamé comme ung vieulx limier,

Lymant tousjours en basse game,

Gamais seray jusqu’au dernier

15Derrenier va mal, sur mon âme.

RESJOUY

Fait-elle ung petit de la dame?

GAULTIER

Mais assés, de ce ne fais doubte.

RESJOUY

Fait-elle bien le passeroute?

GAULTIER

Mais trop, de par le dyable, trop.

RESJOUY

20Fait-elle bien le sault ung cop?

GAULTIER

Aussi pesant comme beau frische.

RESJOUY

Mais habille comme une bische.

GAULTIER

Mais large com ung vieil houzeau.

RESJOUY

Sçait-el bien faire le beaubeau?

GAULTIER

25Tant que c’est chose increable.

RESJOUY

Fait-elle bien de la notable?

GAULTIER

C’est rouge feu.

RESJOUY

Quel embrasséel

GAULTIER

El a la gorgecte frazée,

Ung corps faictis comme de cire.

RESJOUY

30Aultre chose je ne desire.


 [[ Print Edition Page No. 136 ]] 
GAULTIER

A passer temps toute saison

Ne vueil qu’estre en ma maison,

Ma vie sera là finée,

104 vo]C’est rouge feu.

RESJOUY

Quel embrasséel

GAULTIER

35Touteffois j’ay ung peu affaire.

Contre elle souvent me fault taire,

C’est la condicion pire.

RESJOUY

Aultre chose je ne desire,

Ung corps traictifs, long, assez plain,

40Tetins rond[s], menuecte main,

Une chair blanche comme naige,

Pour belle femme je la plaige,

Femme comme prou desirée.

GAULTIER

C’est rouge feu.

RESJOUY

Quel embrassée!

GAULTIER

45C’est ung soulas.

RESJOUY

Quelle plaisance!

GAULTIER

C’est ung sorcier.

RESJOUY

Quelle substance!

GAULTIER

C’est ung desir.

RESJOUY

Quel vray recours!

GAULTIER

Ung tresor de bien.

RESJOUY

Quel secours!

TENDRECTE, femme de Gaultier commence

Femme qui est de bon estat

50Et qui a mary gracieux,

Qui ayme bien le doulx esbat,

C’est ung tresor fort gracieux,

Car il n’est point dessous les cieulx

De si grant doulceur, quoy qu’on die,

55Jamais on ne doibt querir mieulx.

RESJOUY

Velà feu sans nul mocquerie.

TENDRECTE

Nul n’a rien qui ne se marie.

RESJOUY

Quel beau mirouer à gallans[-1]

Et a les yeulx [e]tincellans

60Comme la raye du soleil,

Je n’en pourroyes oster mon oeil.

TENDRECTE

Ung plaisir assis en raison,

Une excellente doulceur[-1]

105 ro]Qui fait avoir riche maison,

65Ce fait amours, joyeux cueur,

Car pour obvier à douleur

Femme doibt estre gracieuse.

RESJOUY

Velà, par mon doulx Createur,

Une chose moult precieuse.

TENDRECTE

70Pour avoir femme à souhait,[-1]

Suis-je bien?

RESJOUY

Bien? vertus sainct gris,

Quel joliet musequinet!

TENDRECTE

Suis-je point pour gaigner le pris?

Suis-je grossecte? suis-je gresle?

75Suis-je bien faicte? suis-je belle?

Suis-je bien en cueur pour devis?

Qu’en dit-on?

RESJOUY

Bien? vertu sainct gris!

Je meurs.

TENDRECTE

Et mon chapperonnet,

Est-il fait dessoubz le soufflet,

80Suis-je bien?

RESJOUY

Bien! vertu sainct gris!

En point comme ung cheval sellay.


 [[ Print Edition Page No. 137 ]] 

Helas! que se j’avoyes meslay[[83]]

Mes membrectes en ces factras,

Aujourd’huy noz deux, bras à bras.

85Tout deduyt.

TENDRECTE

Couleur de pommecte,

Qui est ung bien peu vermeillecte,

Assise en une blancheur![-1]

RESJOUY

Et par mon tresdoulx createur,

Prenez que son fait ne me touche,

90Pourtant l’eau m’en vient à la bouche

Pour ung seul regard, quel visaige!

TENDRECTE

Suis-je bien gencte de corpsaige?

RESJOUY

Cy tresgente qu’il n’y fault rien.

TENDRECTE

Mes habitz me sie [e]nt-ilz bien?

RESJOUY

95Si tresbien que c’est ung plaisir.

TENDRECTE

Suis-je femme pour bien servir?

RESJOUY

105 vo]Servir? que fusse vostre servant.

TENDRECTE

Suis-je bien derrière et devant?[[98-100]]

RESJOUY

Devant toutes suppellative.

TENDRECTE

100Et vive telle femme, vive!

RESJOUY

Vive cueur! je meurs de douleur.

Iray-je, par mon Redempteur?

Il n’a rien qu’il ne s’aventure.

Hé! sang bieu! quelle creature!

105Je m’y en voys bon gré ma vie,

Jà couchard n’aura bel amye.

Vers la deesse d’amours,

Qui est des amoureux secours,

Vueille garder la noble dame!

TENDRECTE

110Et vous, sire!

RESJOUY

Et sur mon âme,

Palas a mis tout son pouvoir

De vous de saigesse pourvoir,

Espoir de noble secourance.

TENDRECTE

Ha! quel raillard!

RESJOUY

Toute plaisance

115Et richesse dame [Juno]

Sans m’arrester ne dire ho!

Vous vueille en bien maintenir![-1]

TENDRECTE

Dieu vous vueille bien soustenir

Et si vous gard!

RESJOUY

Helas! m’amye,

120Aletho, nourrice d’Envie,

Est mise à mort, [si] com on dit:

Tressuppellatif appetit,

Tout honneur.

TENDRECTE

Voz motz sont haultains.

RESJOUY

Ilz sont trestous de plaisir taints,

125Mais par leur droit ilz sont infames,

Je ne sçay saluer les dames,

Excusez l’imperfection.

TENDRECTE

Quel est vostre intention?

RESJOUY

Seullement tout vostre gré faire.

TENDRECTE

130De cela vous povez bien taire.

RESJOUY

106 ro]J’ay tousjours sur vous mon regard.

TENDRECTE

Vous venez ung petit bien tard.

RESJOUY

Je me tiens vostre serviteur.

TENDRECTE

Mectez en aultre vostre cueur.

RESJOUY

135Auray-je point de vous secours?


 [[ Print Edition Page No. 138 ]] 
TENDRECTE

Faictes ailleurs aultres amours!

RESJOUY

Seray-je de vous esconduit?

TENDRECTE

Encore n’estes-vous pas duyt.

RESJOUY

Ayez pitié du compaignon!

TENDRECTE

140Je ne veulx point d’amoureux, non!

RESJOUY

Vostre regard seul est ma joye.

TENDRECTE

Advisez bientost aultre voye,

Becjaulne, où cuidez-vous estre?

Advisez l’huis ou la fenestre,

145Transsi d’Amours, ligierement.

RESJOUY

Ha! ventre bieu, quel parlement,

On m’a baillié d’ung plat reffus,

Je ne fus onc aussi camus.

Se cuyday-je en mon vivant,

150Je m’en ira[i] tout de ce vent

Le dire à Gaultier Guillaume:

C’est la plus belle du royaume.

GAULTIER

Raige.

RESJOUY

Raige.

GAULTIER

Plaisir.

RESJOUY

Plaisir.

Ung grant desir.

GAULTIER

Ung grant desir.

RESJOUY

155Triumphe.

GAULTIER

Tu me dis merveilles.

Dy tout.

RESJOUY

Unes joues vermeilles,

C’est ung fait trestout supernal.

GAULTIER

106 vo]Tant dea?

RESJOUY

Tresor especial.

GAULTIER

Comment?

RESJOUY

Ung tronc de vertus sur mon âme.

GAULTIER

160Qu’as-tu?

RESJOUY

Quoy, la plus belle femme

Qui fut oncques depuis Helainne,

Une myne de beaulté plaine,

Source de parfaicte nature,

C’est la plus belle creature

165Que mon parler n’y peut souffire.

Escripvain ne pourroit escripre

Sa beaulté en quatre cens livres,

Elle poise plus trente livres

Que femme qui fut oncques veue.

GAULTIER

170Comment l’as-tu si bien congneue?

RESJOUY

Congneue d’ung seul regarder.

GAULTIER

Tu es ung hoste sans tarder.

RESJOUY

Tarder je ne sçay, que je dis,

Elle vous a ung si doulx rids,

175Ung nez traictifs, ung oeil riant,

Les doys tous plains de beaulx rubis,

Le plus gentil museau friant,

Elle est femme pour avoir pris,

Je suis de son amour surpris

180Si treffort, qu’aller m’y convient.

GAULTIER

Mais [le] dis-tu à bon escient?

RESJOUY

Jamais ne puisse de vin boire,

S’el[e] n’est toute en ma memoire

Au plus parfond de ma cervelle.

GAULTIER

185Resjouy d’Amours, qui est-elle?


 [[ Print Edition Page No. 139 ]] 
RESJOUY

Que je le die pour mourir,

Il m’y fault encore courir,

Son regard estint tous mes maulx.

Mais velà certes, se je fault,

190Je croys qu’il est fait de mon fait!

Dieu gard ce tresor tant parfait

Que nully ne le peut sçavoir!

TENDRECTE

Qui vous amaine cy?

RESJOUY107 ro]

Vous veoir.

TENDRECTE

Esse la cause?

RESJOUY

Pour certain.

TENDRECTE

195Que querez-vous?

RESJOUY

Ung cueur humain.

RESJOUY

Pourquoy faire?

RESJOUY

Pour me deduyre.

TENDRECTE

Que sçavez-vous?

RESJOUY

A nous conduyre.

TENDRECTE

Aultre chose.

RESJOUY

Tant seullement.

TENDRECTE

Vuidez bien tost d’icy!

RESJOUY

Comment?

200Sans avoir?

TENDRECTE

Quel avoir?

RESJOUY

Deduyt.

Vostre amour me suyt,

De jour et de nuyt,

Consommez le cas.

TENDRECTE

Comment tel feu cuist?

205Trop hault parler nuyt,

Pour Dieu, parlez bas!

RESJOUY

Et on dit tousjours

Des propos d’amours,

Que femme est piteuse.

TENDRECTE

210Chacun a son cours,

Voz motz sont trop cours

A bouche venimeuse.[+1]

RESJOUY

Iray-je ainsi[-1]

D’amours tout transsy

215Sans secours avoir?

TENDRECTE107 vo]

C’est peu de soucy.

RESJOUY

Je vous cry mercy.

TENDRECTE

C’est bon à sçavoir,

Vous faictes debvoir,

220Mais je ne sçay pas du salaire.

RESJOUY

Ha! fortune, tu m’es contraire,

Seray-je tousjours langoureux?

TENDRECTE

Helas! entre vous amoureux,

Vous estes si tresbeaulx parlans,

225Monstrans chieres et beaulx semblans

Et en derrière vous raillés.

RESJOUY

Ha! quelz fins metz vous me baillez!

Railler, c’est afaire à raillars,

Railleurs remplis de raillerie.

230Quelz raillars? Sont-ce pas paillars?

Ouy, et qui fait la raillerie?

Jamais, quelque chose qu’on crie,

Bien n’en viendra, c’est fait notaire.

Secourez-moy, je vous en prie,

235Maintenant il est necessaire!

TENDRETTE

Or sa doncques, sans plus distraire,

Se mon cueur à vous s’adonnait,

Certes tout chascun le sçauroit,

Dont je seroyes trespouvre lasse.


 [[ Print Edition Page No. 140 ]] 
RESJOUY

240Ha! m’amye que je dangnasse

En dire mot, la mort, la mort

Vouldroyes avoir.

TENDRETTE

Aussi grant tort

Aurés de faire aultrement[-1]

Et de cest heure proprement

245Ma seul amour je vous octroye.

RESJOUY

Grant mercis, le tresor de joye.

De joye tout le cueur me serre,

Serray suis en noble montjoye,

Montjoye de tresnoble pierre[[249]]

250Pierre precieuse sans terre,

Terre que nul n’a peu requerre.

TENDRETTE

Au surplus dictes, mon amy,

Mis ay en vous tout mon espoir,

Mais pensez que si mon mary

255Le sçavoit. . .

RESJOUY

Oustez ce sçavoir,

Jamais ung seul mot n’en sçaura.

Tout aussi tost qu’il demoura

Venir, adieu Turelupin,

Je hay, tant qu’est à moy, hutin,108 ro]

260Que ne penseriez jamais,

Croyez.

TENDRETTE

Aussi n’est-il que paix.

RESJOUY

Mais de l’eure il fault pourvoir.[-1]

TENDRETTE

A quatre [eure] venez pour veoir,

Entendez-vous, soit tort ou droit.

RESJOUY

265Je m’en vois comment que ce soit

A Gaultier Guillaume le dire.

J’ay. . . .

GAULTIER

Quoy?

RESJOUY

Joye.

GAULTIER

Tu me fais rire.

RESJOUY

Nect, nect.

GAULTIER

Dieulx! que tu es joy[e]ux!

RESJOUY

Plaisamment.

GAULTIER

Mais qu’as-tu dea?

RESJOUY

Mieulx.

270Elle m’a desjà baillé l’eure!

Il ne fault pas que je demeure,

Ce seroit pour gaster mon fait.

GAULTIER

Beau sire, dy moy, s’il te plaist

Qui elle est.

RESJOUY

De cela rien.[-1]

275C’est une tresfemme de bien,

Toute en beaulté compassée.[-1]

GAULTIER

Esse point?

RESJOUY

Qui?

GAULTIER

J’ay en pensée

La chose.

RESJOUY

N’est pas la chosecte.

On la nomme par nom Tendrette,

280Qu’il n’en soit mot ou sur mon âme. . . .

GAULTIER [à part]

Ha! par le corps bieu, c’est ma femme.

RESJOUY

Sa maison est de bas estage.

108 vo]Et si est de tresbel ouvraige,

Tresplaisante, Gaultier Guillome.

GAULTIER [à part]

285Ha! par le corps bieu, c’est ma femme,

Vous y demourez seurement.


 [[ Print Edition Page No. 141 ]] 
RESJOUY

A quatre heures justement

Si s’en va Resjouy d’amours.

GAULTIER

On vous baillera d’aultres tours!

290Quel fin parler!

RESJOUY

Je m’en vois.[-1]

GAULTIER

Vous aurez visayge de bois,

Par Saint Jacques, maistre putier.

RESJOUY

Où est-il?

TENDRETTE

Il fait son mestier.

Faisons grant chière, je vous prie.

RESJOUY

295Je vous requier, chière amye,[-1]

Ung baiser pour commencement.

TENDRETTE

Trois pour ung.

RESJOUY

De l’odorement

Seullement, c’est feu, sur mon âme.

GAULTIER

Ouvrez l’huys!

TENDRETTE

Hélas! Nostre-Dame!

RESJOUY

300Qui esse?

TENDRETTE

Helas! Resjouy,[-1]

C’est mon mary.

GAULTIER

Sus! tost.

RESJOUY

Est?

TENDRETTE

Ouy,

Que ferez-vous?

RESJOUY

Je suis perdu,

Mais pourquoy y suis-je venu?

C’est ma fin, aussi devoit estre.

GAULTIER

305Qu’esse cy, seray-je point maistre?

Viendra-on point?

TENDRETTE

Tant que je puis!

GAULTIER109 ro]

Par le sang bieu, je rompray l’huis.

RESJOUY

Las! que je fusse en ung lac.[-1]

TENDRETTE

Tenez, mectés-vous en ce sac,

310Acoup, il ne vous verra point.

RESJOUY

Il me viendra tresbien à point,

Ostés les lettres.

TENDRETTE

Tout est hors.

RESJOUY

Mettre y fault teste et corps.[-2]
[dans le sac]

Adieu, Resjouy, il est mort.

TENDRETTE

315Taisez-vous.

GAULTIER

Ça!

TENDRETTE

Vous avez tort.

Sçavez-vous ung petit attendre?

GAULTIER

Je pry à Dieu qu’on me puist pendre,

S’il n’y a ung gallant ceans.

Je bouteray le feu dedens,

320S’il y est, je le sçauray bien,

Mort bieu!

TENDRETTE

Certes il n’en est rien.

GAULTIER

Par le sang bieu, je l’ay ouy.


 [[ Print Edition Page No. 142 ]] 
RESJOUY

Or à Dieu comment Resjouy,

Je suis bien cy tenu de plat.

GAULTIER

325Qu’esse que j’os?

TENDRETTE

C’est nostre chat.

GAULTIER

J’ay bien fait dessus vous escout.

TENDRETTE

Et laissés!

GAULTIER

Je bruleray tout:

Bancs, huches, coffre et fenestres.[-1]

TENDRETTE

Pour Dieu gardez le sac aux lettres!

GAULTIER

330Me fera-on chauffer les guestres

Jaques Bonhomme?

TENDRETTE

Nostre Dame!

Pour Dieu, gardez le sac aux lettres,

109 vo]Mon amy, c’est nostre che[v]ance.

GAULTIER

Et je feray tout une dance,

335C’est tout certain, il n’y a tel.

TENDRECTE

Jhesus!

GAULTIER

Ostez-le de l’othel

Ou certes tout je brusleray!

TENDRECTE

Atendez, je le osteray,

Mon amy, et pensez à vous.

GAULTIER

340Je cuidoye bien estre coux,

Touteffois je n’y vois personne,

Le grant courroux que tu me donne

Me fait pis.

TENDRECTE

Allez-vous en tost!

RESJOUY [dans le sac]

Je sents desjà ung peu le rost,

345A Dieu, je n’y reviendray plus,

Et par mon âme, je concluds

D’aller veoir femme en mesnaige,

A Dieu, Resjouy, pour jamais.

GAULTIER

Certes je ne suis point en paix,

350Je ne cuidoyes point, sur ma foy,

Qu’il n’y eust quelqu’un avec toy,

Se le grant dyable ne t’emportes.

TENDRECTE

J’aymeroyes plus cher estre morte,

Gaultier, qu’il ne fust advenu.

GAULTIER

355Que homme ne fut mieulx tenu

Tout seurement qu’il eust estay.

TENDRECTE [à part]

Le meschant, il c’est bien gastay,

Quant il a eu la belle dame,

Il l’a dit à Gaultier Guillaume.

360Tenez quel noble serviteur,

Il ne sçauroit garder l’honneur

A une femme de fasçon.

RESJOUY [sortant du sac]

A Dieu command le compaignon,

Je suis tresbien à point party,

365Sur ma foy, j’estoyes aroussy,

Se Tendrecte ne m’eust ostay

Et eusse estay bien frotay.

Aussi ay-je fait meschamment,

C’estoit la femme proprement

370Ad cil à qui mon cas disoye.

GAULTIER

Ce n’est pas ce que je cuidoye,

110 ro]Sus avant, allons m’en disgner!

Aussi le grant dyable d’enfer

M’a bien fait faire cest ouvrage.

TENDRETTE

375Vous avés brulay le mesnaige,

N’esse pas grande meschance?


 [[ Print Edition Page No. 143 ]] 
GAULTIER

Velà j’estoie en doubtance

De faire maulvaise besongne,

Mais velà, qui qu’en grongne,

380Nous en allons sans plus d’eslongne.

Mes seigneurs, pour laquelle chose,

Nous vous en prions tendrement

Que vostre vouloir se dispose

A nous pardonner plainement.

385Jalousye certainement

Fait parfaire maincte follie.

TENDRETTE

J’ay jouyé assés finement,

Adieu toute la compaingnie!

EXPLICIT

[vignette]

NOTES

 [XVIII.] Farce de Resjouy d’Amours.

 [1-15] ne sont nullement clairs; ce sont jeux de rhétoriqueurs.

 [14] Lire: gamé.

 [21] frische; j’ignore ce mot.

 [24] beaubeau, id.

 [28] frazée, id.

 [75] suis je belle, emprunté sans doute au refrain de la pièce bien connue d’Eustache Deschamps: “Suis-je, suis-je, suis-je belle,” mais on pense aussi à une influence des scènes de la Mondanité de Marie-Madeleine, telle qu’elle est présentée par J. Michel (1486).

 [85] La phrase paraît inachevée et cependant le vers, bien qu’obéissant à la règle de l’enchaînement des répliques par la rime, est complet.

 [98-100] Imitation probable de J. Michel (texte inédit), de même dans les invocations mythologiques qui suivent.

 [257-8] Je ne comprends pas la phrase.

 [263] A quatre, suppléez: heure.

 [356] estay, corr.: esté.

Endnotes

 [66,] O: obayer.

 [83,] O: brmbrectes.

 [248,] O: monlt joye.

 [249,] O: id.


 [[ Print Edition Page No. 144 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 145 ]] 

XIX
[110 verso blanc]
111 ro]
FARCE NOUVELLE
TRES BONNE ET FORT JOYEUSE DU PASTÉ ET EST
A TROIS PERSONNAIGES
*

[vignette]

L’HOMME commence111 vo]

Or devinez que je demande

Et je vous diray que je quiers

Sans que nully le vous commande,

Or devinez que je demande.

5Puis que ma cervelle m’y mande

Pour mieulx sçavoir de quoy m’enquiers,

Or devinez que je demande

Et je vous diray que je quiers.

C’est ma femme que je requiers

10A Dieu que le deable l’emporte;

Elle s’en va de porte en porte

Comme le pourceau Sainct Anthoine

Avec une vieille matrone

Qui la promène çà et là.

15Dea je ne sçay où elle va,

Mais par le saint sang ho! non plus,

Laissez-nous estre revenuz

Ensemble jusques en ce lieu.

A Sainct Jehan je fois veu à Dieu,

20Se je ne la vas comment batre.

A chacun coup la veulx abatre

Et gecter en terre la veulx

Et la trainer par les cheveulx,

J’enraige que je ne la bas!

25Ha! je luy donray bon sallaire,

Il n’y a femme deçà Loire

Qui oncques fust si bien batue.

Battre, mais quoy! se je la tue,

Je pourroye bien estre pendu!

30Dea, quant j’auray son corpz batu

Et receu cent coups pour l’amende

Et pensez-vous qu’elle n’amende?

Nenny, je ne la batray point

Et si elle fait rien mal à point

35Ou qu’elle laisse son mesnaige

Et pour cela ne la batray-je?

Et pour la chair bieu si feray,

Je la batray et traineray

A mon ayse de lieu en lieu,

40Combien je prens de par Dieu

Que je devise à mon voisin:

“A qui tencez-vous, Jehan-Jehennin?”

— Je tence ma meschante femme,

La plus orde et la plus infame,

45Qui ne fait qu’aller et venir

Et ne la puis faire tenir

A son mesnaige ne hault ne bas.—

Je prens qu’il dira: “si la bas!”

— Si la bas, quant je la batray,

50Plus mauvaise je la feray

Et empirera à la fin. —

“Si ne la bas point, Jehan-Jehennin,”

— Si ne la bas point et pourquoy

N’est-elle à chastier à moy?

55Si la chastiez chastier

Et si les gens m’oyent tencer,

112 ro]On s’en mocquera, c’est le point. —

“Jehan-Jehan, si ne la bas point,

Si ne la bas point, Jehan-Jehan!”

60— Et si je la chastie affin

Qu’elle se tienne en sa maison,

N’esse bien fait et pourquoy non?

Ce n’est ung homme infame[-2]

Qui s’espargne à batre sa femme —

65“Et si est, par Sainct Nicolas.

Jehan-Jehan, si ne la bas pas!”

— Si ne la bas pas, comment batre?

Si feray, et la deussé-je abatre[+1]

Toute morte, car il me plaist.


 [[ Print Edition Page No. 146 ]] 

70Si la bas, batre c’est mal fait.

Si ne bas point, c’est le cas,

Elle ne fera jà bien, si la bas,[+2]

S’elle s’amande, si la laisse,

Et si elle veult estre maistresse,

75Si la bas bien soir et matin,

Et s’elle laisse Jehan-Jehan

Estre maistre de la maison?

Si ne la bas point, batre non;

Par le ventre bieu, si feray.

80Or aller et je la battray

Et de costé et de travers

Et à l’endroit et à l’envers,

Droit à reviron, Marion,

Et fault-il que nous marion[s]?

85Que bon gré bieu du mariage!

Mais où grant diable peut-elle estre?

Je gaige qu’elle est chés le prestre

Ou le prestre est dessus,[-2]

Je me doubte d’estre deceuz,

90Mais aufort je croy que non suis,

J’enrage presque je ne puis

Veoir le tour de nostre bourgeoise

Et aufort je prens qu’elle y voyse.

Plusieurs femmes de bien y vont,

95Mais qui sauroit qu’elles y font;

Aufort ce n’est qu’esbatement.

La nostre y va si souvent

Que je me doubte en la matière,

Mais aufort elle est sa commère,

100Penser ne fault à tel ouvrage,

Mais dont nous vient ce comperage?

Ma femme n’a eu nulz enfans,

Or ça et si je luy deffens

Qu’elle n’y voise plus, elle yra

105Comme devant on eslira

Une autre place à l’aventure.

Dea! cecy a duré et dure

Bien vien[dra] saison et demye;

Saint Anthoine je ne croy mye,

110S’il y doit prendre son repas

Qu’elle n’ayt jà passé le pas,

Si luy pretend oeuvre de fait,

Je me doubte que c’est jà fait

112 vo]Qu’i fut le tiers filz de novel,

115Or brief, par le sacrement de l’autel,

Elle en aura son payement,

Car je l’ordiray tellement

Que l’allée luy sera dure.

LA FEMME ou tout ung pasté . .

Et dont vous vient ceste murmure,

120Ferez-vous jamais que tanser?

Que dyable avez-vous à crier?

Hau! Jehan-Jehan, vous faut-il rien?

L’HOMME

Mais ne le disoye pas bien

Que vostre corps seroit venu

125Avant que j’eusse esprins le feu.

Or vous venez chauffer ma mye!

LA FEMME

Hélas! hélas!

L’HOMME

Saincte Marie!

Dea, je ne me guemente point

Si rien avez fait mal à point,

130Tousjours suis de tous bons acords.

LA FEMME

Mescheoir puisse à l’âme et au corps

Qu’ennuyt entra en meschant estre.

L’HOMME [à part]

Et je soye ravy et mort

S’elle ne vient de chés le prestre.†[[134]]

LA FEMME

135Que dis-tu?

L’HOMME

Je dis que pour estre

Une heure ou deux à son esbat,

Ce n’est que bien.

LA FEMME

Hee! nostre maistre!

L’HOMME

Or qu’i n’y ait plus de debat!

LA FEMME

Si ne tanse, fiert ou abat

140S’il ne menasse, crie ou bat,

Jamais n’y a rien qu’il luy plaise.

L’HOMME

Si autour de vous ne s’ebat

Le curé ou ne vous abat

Dessoubz luy, jamais n’estes aise.


 [[ Print Edition Page No. 147 ]] 
LA FEMME

145Par mon âme, ne vous desplaise,

Mainteffois suis bien à mal aise

Que pensez que soye bien aise.

L’HOMME

Pleust à Dieu et saincte Me[s]aise

Que fussez en une fournaise

150Pour veoir si vous en osteroye.

LA FEMME

Or devinez où j’estoye[-1]

Devant que ceans venisse?[-1]

L’HOMME

Vous estiez devant Saint-Maurice

A genoulx ou à Nostre-Dame.

LA FEMME

155Non estoye. 113 ro]

L’HOMME

Et où donc, ma femme?

Je te pry, dy la verité.

LA FEMME

Vrayment nous fais[i]ons ung pasté

Moy et Jehannette, ma commère,

Et le curé, nostre compère,

160Et la fille de sa voisine

Et le nepveu de ma marraine

Et l’oncle de mes deux cousins;

Le curé paye les poussins

Et Jehannette met la farine.

L’HOMME [à part]

165Ha! ventre bieu! c’est la plus fine

Macquerelle qui soit jusques à Romme.[+2]

LA FEMME

Quoy?

L’HOMME

Mais n’esse pas ung homme,[-1]

Nostre curé, maistre Guillaume?

LA FEMME

Par Dieu, mon mary.

L’HOMME

Hé, ma femme,

170Sans courroucer, s’il se peut faire.

LA FEMME

Jamais ne vois au prestre[-2]

Qu’il ne soit en devotion

Ou s’en va en procession

Ou aucune oraison il dit.

L’HOMME [à part]

175Ouy, tout à l’entour du lit,

Voire entre vous deux et non plus

Et à la fin montez dessus

Pour la procession parfaire.

LA FEMME

Que dis-tu?

L’HOMME

Qu’ainsi doit-il faire

180Pour la salvation de l’âme.

LA FEMME

Jehan-Jhenin.

L’HOMME

Que vous plaist, ma femme?

Par mon âme, je t’ayme trop.

LA FEMME

Or je vous diray à ce coup

Ce que je vueil que vous faciez:

185Ce pasté, que vous le sachiez,

Fait faire l’avons par ung si

Que vous diray.

L’HOMME

C’est bien, vecy,

Et que me chault-il qu’il le donne?

LA FEMME

A tous le[s] gibetz m’abandonne,

190Qui me puissent vive emporter,

Se le curé. . . .

L’HOMME

Ho! sans jurer

113 vo]Et qu’esse? vous vous courroucez?

LA FEMME

Dea! mon amy, vous penserez

A l’aventure ce qui n’est.

L’HOMME

195Par bieu, je suis ton coquinet,

Ton amy, ton mary, ton tout.


 [[ Print Edition Page No. 148 ]] 
LA FEMME

Par bieu, trestout le sang me boust,

Quant vous courocez tout en haste.

L’HOMME

Par ma foy, ce pasté se gaste,

200Mectre le fault sur le charbon.

LA FEMME

Si le curé ne fust si bon,

Par ma foy, nous le mengission

Sans luy.

L’HOMME

Jamais ne luy mussons.

Qu’il en menge sur toute rien!

LA FEMME

205A vrayment je vous ayme bien

Dont vous aymez vostre compère.

L’HOMME

Hé, suis-je pas son paroissien?

LA FEMME

A vrayment je vous ayme bien.

L’HOMME

Ha! que bon gré Sainct Julien

210Du compère et de la commère,

Bien croy que puis dire compère,

Ha! mon filz, Dieu gard mon enfant!

Par bieu je m’en doubte.

LA FEMME

Or avant,

Puisque convier le voulez,

215Je vous requier que tost l’allez

Querir et que souppons ensemble.

L’HOMME

Vecy le febe qui s’asemble

Bon gré Saint Pol et Saint Remy.

LA FEMME

Que dis-tu?

L’HOMME

Qu’il viendra cy[-1]

220Par bieu et l’eussez vous juré.

[à part]De fièvres soit-il espousé

Et qui l’amaine en la maison.

LA FEMME

Qu’esse que tu dis?

L’HOMME

Que c’est mon patron,

Mon confesseur et mon amy.

225Allez le querir, je vous pry,

Et le pasté je garderay.

LA FEMME

Par Saint Anthoine, non feray,

Mais vous irez, je vous emprie

Et luy dictes.

L’HOMME

Saincte Marie,

230Il ne fault jà que le diez.

LA FEMME114 ro]

Mais luy direz, Saincte Marie.

L’HOMME

Que vous le priez.[[232]]

LA FEMME

Mais vous, de par Nostre Seigneur.

L’HOMME

A vrayment, vous aurez l’honneur

235Et la louenge du convy

Ceste licence commencée.

LA FEMME, en pleurant

J’en seray mille fois tansée

Pour la venue du preudhomme.

L’HOMME

Comment cela?

LA FEMME

J’entens bien comment

240Vous vous doubtez, mais c’est à tort.

Morte soye de male mort

Se ce n’est ung vray catholicque.

L’HOMME [à part]

Sa renommée est plus publicque

D’estre ribault et putinier,

245D’estre menteur et bourdelier,

Ypocrite, bigot et infame,

Qu’il n’est que vous estez ma femme

De par bieu ou de par le diable.

LA FEMME

Que dis-tu?

L’HOMME

Qu’on mecte la table

250Et qu’on aguise les cousteaux.


 [[ Print Edition Page No. 149 ]] 
LA FEMME

Levez doncques les tretteaux![-1]

L’HOMME

Actendez, je desuies ma robe,[[252-271]]

J’ay si grant paour qu’on la me robe

Que je ne sçay où la bouter.

255Qui se vente de la garder?

Ha! elle sera icy bien,

Hé! velà ung pi[s]sat de chien,

Elle seroit toute gastée.

Je la misse en la cheminée,

260Mais on la bruleroit aux boutz.

LA FEMME

Sire, mettez-la dessoubz vous

Ou entre vous et la boutte,

Mais venez çà![[263]]

L’HOMME

Gardez-la, je la vous aporte.

LA FEMME

265Hé! il est auprès de la porte,

Bien s’en pourroit fouir atout.

Je la mectray icy à ce bout[+1]

Et qu’âme ne marche dessus,

Ostez la torche de dessus.

L’HOMME

270Veez me cy près d’aller or sus,

Ne dictes pas qu’à moy il tienne.

LA FEMME

Allez-luy tost dire qu’il vienne.

L’HOMME

Je voys.

LA FEMME

Dresser la table.[[273-276]]

L’HOMME114 vo]

Tantost.†

LA FEMME

Allez à luy.

L’HOMME

Saincte Marie, il souffist,

275Pensez d’avoir de la chandelle.

LA FEMME

Revenez mettre la table,[-1]

Ha! Dieu! que vous estes bonhomme!

L’HOMME

Ha! bon gré Saint Pierre de Romme

Et du curé et de la femme.†[[279]]

LA FEMME

280Allez à luy.†[[280]]

L’HOMME

Mais ne cessera meshuy,[-1]

Le diable la mène à l’hostel.

LA FEMME

Venez ça!

L’HOMME

Que voulez?

LA FEMME

Portez ce sel[+2]

Et ces chandelles à la table.

L’HOMME

285Et ça doncques, de par le deable,

Qui emporte prestre et prestresse!

LA FEMME

Allez luy dire qu’il s’adresse

Et que excuse n’y ait nulle.

L’HOMME

Par ma foy, ce pasté se brusle.

LA FEMME

290Allez ces deux tasses laver!

L’HOMME

G’y vois, le diable vous fait tant baver.[+2]

LA FEMME

Allez le faire tost haster

Et tandis, j’aporteray tout.

L’HOMME

Ce pasté se brusle à ce bout,

295Entendez.

LA FEMME

Allez, allez![-1]

L’HOMME

Je le vois querir.


 [[ Print Edition Page No. 150 ]] 
LA FEMME

Retournez,

Advisez s’il y a du vin!

L’HOMME

Et bon gré en ait Saint Martin

De table et du curé,[-2]

300Du vin, du pain et du pasté

Et du feu et [de] la chandelle,

Des tresteaux et de la selle,

Vecy ung estrange propos.

LA FEMME

Allez luy dire qu’il viengne tost,[+1]

305Car sur ma foy, je meurs de fain.

L’HOMME

Je vois à luy.

LA FEMME

Portez ce pain,

Affin que on ne l’oubliast.[-1]

L’HOMME

115 ro]Il seroit temps qu’on retournast

Ce pasté, allez-y, ma fille!

LA FEMME

310Hélas! qu’il a la langue abille

A caqueter de ce pasté.

Allez avancer le curé,

On le vous a mille fois dict.

L’HOMME

Si le pasté se refroidist,

315Par mon serment, il est perdu.

LA FEMME

Il deust ores estre revenu,

Que faictes-vous? Allez-vous y en![+1]

L’HOMME

Tournez ce pasté bien souvent,

Le mectray-je sur la table?[-1]

LA FEMME

320Despeschez-vous, de par le diable,

N’esse pas assez caquetté?

Par ma foy, ce povre pasté

Est bien en sa sanglante grace.

L’HOMME

Et adviser comment la grace

325Se brulle au bout et environ.

Ha! Nost[r]e Dame, qu’il est bon,

Pleust à Dieu qu’en eusse tasté!

LA FEMME

Jehan!

L’HOMME

Je tourne le pasté,[-1]

Par mon serment, il se gastoit.

LA FEMME

330Par bieu, qui son droit feroit,

On t’en donroit parmy les dens.

L’HOMME

Pleust à Dieu qu’il fust jà dedans

Et le curé eusses ou ventre!
[Devant la maison du Curé]

Hau, domine, fault-il que j’entre

335En l’hostel? Holà!

LE CURÉ

Qui esse là?[+1]

Hé! Jehan-Jehan, bona vita[-1]

Vobis bene veneritis

Quomodo.

L’HOMME

Bene et vobis.

LE CURÉ

Çà, qui a-il?

L’HOMME

Veez cy dequoy.

340Moy et ma femme vous prions

Humblement et vous supplions

Que venez pour ces bonnes nuytz

Soupper avecques nous.

LE CURÉ

Ha! je ne puis,[+2]

Par ma foy, et me pardonnez.

L’HOMME

345Hé! si vous plaist, vous y vendrez,

Je vous emprie, maistre Guillaume,

Au moins pour l’amour de ma femme,

115 vo]Si pour moy ne voullez rien faire.

LE CURÉ

Mais demourez au presbitaire

350Et soupperez avecques moy[-1]

Et n’iray point.


 [[ Print Edition Page No. 151 ]] 
L’HOMME

Las et pourquoy?

Et, pour l’amour de la commère.

Y a-il aucune matière

Entre vous deux ou quelque courroux?[+1]

LE CURÉ

355A le dire entre moy et vous,

C’est une preude femme,[-2]

J’ay eu la charge de son âme

Longtemps, mais je l’ay trouvée

Saige, coye et amoderée,

360Sans aucun mal, il est ainsi.

Je ne sçay en elle qu’ung si

De quoy je l’ay souvent reprise

Et elle n’a point la voye prise

Dont par courroux fault entendre.[-1]

L’HOMME

365Ha! curé que Dieu le vous rende,

Je suis trop tenu à vous.[-1]

LE CURÉ

Qu’elle ne soit nette devant vous

Et de son corps femme de bien,

Si est.

L’HOMME

Je n’ay doubté de rien,

370Dieu mercy, et vostre doctrine.

Pourroye savoir la racine

Du debat entre vous et elle?

LE CURÉ

Je le vous diray, mais tenez-le

Seur et secret.

L’HOMME

Aussi feray-je.

LE CURÉ

375Elle tient ung peu son courage

Contre moy, mais je m’en descharge.

L’HOMME

Pourquoy?

LE CURÉ

Pour ce que souvent luy encharge[+2]

De faire quelque penitance

Pour ce que trop souvent vous tanse,

380Mal m’en veult et fault que le face.

L’HOMME

Par ma foy, sauf vostre grace.

LE CURÉ

Je sçay bien qu’il est en ce point.

L’HOMME

Sur mon âme, elle ne vous hait point.[+1]
          [à part]

Mais suys-je bien filz de putain?

385Je cuidoye à pur et à plain

Qu’il l’aymast pour la decepvoir

Et il s’aquicte et fait devoir

Comme bon patron et loyal.[[388]]

LE CURÉ

116 ro]Si jamais elle me dit mal,

390Je luy pardonne, sur mon âme.

Remerciez-moy vostre femme

Et dictes que je n’iray point.

L’HOMME

Et comment ne sçauray-je point

Où vous avez souper promis?

LE CURÉ

395Par ma foy, moy et mes amys

Nous somme trouvez ce matin,

L’ung met le pain, l’autre le vin,

L’autre la chair, l’autre la crouste,

Ainsi en tout bien on se boute

400Pour plus grant amitié acquerre

Et avons fait ung pasté faire

Pour ung discord que je savoye

Entre femmes que je pensoye

Et j’ay promis de là soupper.

L’HOMME

405Et où l’avez-vous fait porter,

Dictes, hau! messire Guillaume?

LE CURÉ

On l’a baillé à vostre femme,

Elle a du pasté la garde.[-1]

L’HOMME

Par le corps bieu a-elle le garde?[+1]

410Il est au feu en ma maison.

LE CURÉ

Et dea! vecy bonne raison,

Quoy dea! qui luy auroit porté?

Que dictes-vous?


 [[ Print Edition Page No. 152 ]] 
L’HOMME

C’est ung pasté

Que Jehannete, vostre commère

415Et la cousine de son père

Et le curé messire Guillaume

Et ses deux cousins et ma femme

Ont fait faire, sçay-je trestout?

LE CURÉ

Ha! il est vray, je iray.

L’HOMME

Atout,

420Allons, ma femme nous attend!

LE CURÉ

S’elle me tance nullement,[[421]]

Content suis d’avoir pacience.

L’HOMME

Par la chair bieu, s’elle vous tance,

S’elle vous grosse ou se rebelle,

425Je la metz en voz mains baton[e]le,

Chastiez-la à vostre guise.

LA FEMME [à L’HOMME]

Le deable vous y a porté, sire,

Pour si longuement demourer,

Il n’y a eaue pour laver

430Une main, quel sodoyer![-1]

Tenez, emportez ce cuvier

Et l’emplissez d’eau vistement!

L’HOMME

116 vo]Je ne suis guère longuement

En repos, Dieu en soit loué!

LA FEMME

435Allez à l’eaue!

L’HOMME

Et le pasté,

Est-il temps de le mettre à table?

LA FEMME

Allez à l’eaue, de par le dyable!

LE CURÉ

Et ma commère, esse bien dit?

L’HOMME [à part]

De Dieu puissé-je estre mauldit

440Se ne vouldroye estre pendu!

LA FEMME l’embrasse1

Vous, soyez le tresbien venu!

A’vous celle que vous aymez?

L’HOMME [à part]

Comment il s’aprouche de près!

Je ne suis guères resjouy.

LE CURÉ [à LA FEMME]

445Par Dieu, si vous eussiez ouy

Les mensonges et les junchées,

Les adverbes, les barbestées

Que j’ay fait à Jehan entendre;

Vous vous feussiez plustost fait pendre

450Que vous avoir tenu de rire,

Commère.

LA FEMME

De quoy?

LE CURÉ

Il fault dire.

LA FEMME

Je ne sçay point de commerage,

Laissez ester cest comperage,

Puis que nous sommes que nous deux.

L’HOMME [au public]

455Que deable esse cy, beaulx seigneurs,

Ventre bieu! comment il [l’]a tenue[+1]

De près!

LA FEMME

Estes-vous revenu?

Çà, de l’eau et lavons les mains!

L’HOMME

Par ma foy, il fust ores plains,

460Ce ne fust que j’ay entendu,

Pour la cause qu’il est fendu

Vostre cuvier, veez les pertuis.

LA FEMME

Si l’estoupez.

L’HOMME

Et je ne puis.

LE CURÉ

Ung peu de cire.

L’HOMME

Et qui en a?

465Tout se respendra devant le puis.[+1]


 [[ Print Edition Page No. 153 ]] 
LA FEMME

Si l’estoupez.

L’HOMME

Et je ne puis.

Il est fendu.

LA FEMME117 ro]

Où?

L’HOMME

Cy.

LA FEMME

Et puis?

L’HOMME

Goutte d’eaue n’y demourra.

LA FEMME

Si l’estoupez.

L’HOMME

Et je ne puis.

LE CURÉ

470Ung peu de cire.

L’HOMME

Et qui en a?

Voyez la fente, il est fendu.

Si souvent a esté feru,

Bouté, rebouté et pressé

Qu’il est trestout despetassé.

475Bon gré Saint Pierre du cuvier

Et de la roye et de la fente

Et de la cire et de la tente

Et du pertuis et du foulon,

De la cheville et du bourdon,

480La chair bieu, je n’en sçay que dire!

LE CURÉ

Voicy deux chandelles de cire

Que dame Jehannette ma commère[+1]

Me donna hyer.

LA FEMME

Helas! beau sire,

Esse peché de s’en ayder?

LE CURÉ

485Restoupez vostre cuvier,[-1]

N’ayez peur, je vous en asseure.

L’HOMME

Et comment ceste cire est dure.

LA FEMME

Il fault ung peu frotter.

L’HOMME

Cella qui les vint presenter,

490C’est une bonne femmelette.

LA FEMME

Esse ma commère Jehannete?

LE CURÉ

Ouy, c’est une bonne personne.

LA FEMME

Pleust à Dieu que je fusse aussi bonne,[+1]

Car je cuyde qu’elle soit telle.

L’HOMME [à part]

495C’est la plus forte macquerelle,

Par la chair bieu, que je congnoisse.

LA FEMME

Qu’esse que vous dictes?

L’HOMME

J’esperce

117 vo]Ceste cire et m’y romps les mains,

Ostez ce pasté au moins,

500Qu’on le mange tant qu’il est chault!

LA FEMME

Ceste cire chauffer vous fault.

L’HOMME

Faictes le seoir, seez-vous, beau sire!

LA FEMME

Allez-vous en chauffer la cire

Entendis que moy et le curé

505Soupperons.

L’HOMME

Et du pasté[-1]

N’en mengeray-je point, qu’esse à dire?[+1]

LA FEMME

Allez-vous en chauffer la cire

Acoup et n’en parlez plus![-1]

LE CURÉ

Benedicite.

L’HOMME

Dominus.


 [[ Print Edition Page No. 154 ]] 
LA FEMME

510Allez au feu, de par le deable!

L’HOMME

Je viens à begneïr la table,

Je l’ay tousjours acoustumé,

Prou vous face, sire curé!

LE CURE

Jehan-Jhenin, vous me faictes rire!

L’HOMME

515En bonne santé le pasté.

LA FEMME

Allez au feu sans tant le dire!

L’HOMME

Je l’ay bien souvent retourné.

LE CURE

Manger le fault, car il empire.

L’HOMME

Ma femme le vous [a] donné.

LA FEMME

520Allez-vous en chauffer la cire!

L’HOMME

Et n’esse pas ung droit martire

De veoir manger et ne mangüe?

Par mon âme, je suis bien grue,

Bon gré Sainct Pierre du cuvier

525Et du cuver et du manger,

Nul ne m’en sçauroit faire rire.

LA FEMME

Que fais-tu?

L’HOMME

Je chauffe la cire

Et pense à vous festier,[-1]

Bon gré Saint Pierre du cuvier

530De la fente et de la crevace.

A tout le moins si je mangeasse

Ung morceau, la chose allast bien.

LA FEMME

Je bois à vous.

L’HOMME vient à table

118 ro]Vous fault-il rien?

LE CURÉ

Nenny.

L’HOMME

Ne le faictes que dire.

LA FEMME

535Allez-vous-en chauffer la cire,

Nous entendrons bien à la table.

L’HOMME

Or y faictes, de par le diable,

Et de par sa sanglante mère!

LE CURÉ bibit

Jehan, mon compère,

540Veez cy, ma commère

A qui d’autant tire.

L’HOMME

Or buvez, beau sire!

LE CURÉ

Que fait mon compère?

L’HOMME

Je chauffe la cire.

LA FEMME

545Voicy tresbon vin.

LE CURÉ

Voicy bon poussin,

Nul mal n’en fault dire.

LA FEMME

Veez le babouyn!

LE CURÉ

Que fait Jehan — Jehan[nin]?

L’HOMME

550Je chauffe la cire,

A par moy me fume,

Me brulle et me enfume

Et n’ose mot dire,

C’est belle coustume,

555L’ung boit, l’autre hume,

Je chauffe la cire.

LA FEMME

Par mon serment, c’est bien pour rire

D’ung homme qui folie maine,

Veez Jehan-Jehan[nin] qui prent peine,

560Tant qu’il ayt la cire chauffée.

L’HOMME

Que de forte fièvre quartaine

Puissez-vous estre rechauffée

Et la venue et l’assemblée

Et vous et luy et luy et vous

565Et que de la première gorgée

Crever en puissez-vous trestous!


 [[ Print Edition Page No. 155 ]] 
LA FEMME

De quel chose caquettés-vous,

Jehan-Jehan?[[568]]

L’HOMME

Je chauffe la cire là, voiez-vous,[+2]

570Pour radouber vostre fendasse.

LE CURÉ

Jehan-Jehan, il fault qu’on le face,

Qui est en mariage bouté.

L’HOMME118 vo]

Comment il fourre sa besasse!

Que estrangler puist-il du pasté!

LA FEMME

575Or nous raconte verité,

Qu’esse que tu dis, par ton âme?

L’HOMME

Par bieu je comptoye, ma femme,

A par moy, en chauffant la cire,

Une exemple que j’ouy dire

580A nostre curé dimenche au soir,[+1]

Mais ce n’est pas à mon povoir

Que je le sceusse retrouver.

LA FEMME

Vous plairoit-il de nous compter

Quelque compte honneste pour rire?

L’HOMME

585Entant que je chauffe la cire,

Grant plaisir prens de le savoir.

LE CURÉ

J’ay fait huyt ans devoir,[-2]

En la paroisse, du martir

Sainct Arnoul de moy enquerir,

590Des miracles que j’ay congneuz

De luy, mais n’en ay nulz veuz.

Si aprisez que troys que j’ay,

L’ung advint que je vous diray

Si vous plaist de les escouter.

L’HOMME

595Et me fault-il tousjours chauffer

La cire entre les brasiers?

LE CURÉ

Pacience.

L’HOMME

Très voulentiers.

LE CURÉ

Comme l’Escripture m’aprint,

Ung homme fut qui femme print

600Et le jour qu’il se maria

A son aide reclama[-1]

Sainct Arnoul estre à son ayde

Et fut mis en la confrarie

De par sa femme l’andemain,

605Mais il eut, il est tout certain,

Quatorze enfans en mariage

Desquelz ne fist oncques l’ouvraige,

Ouyez quel miracle velà!

L’HOMME

A Jesus mea quilipa

610Vecy des motz melodieux,

Dieu et le corps saint glorieux

Vous en doint autant à trestou[s],

A! le preud’homme!

LA FEMME

Taisez-vous.

Mon amy, laissez tout dire.[-1]

L’HOMME

615Si fais-je, je chauffe la cire

119 ro]Peu à peu, le mieulx que je puis.

LE CURÉ

Ung autre miracle depuis

A l’ung de ses voisins advint

Que j’ay compté à plus de vingt

620Qui dient que c’est verité.

Le premier enfant que donné

Luy fut par la voix de sa femme,

Du plaisir Dieu et Nostre Dame

Fut quant il eut quinze ans noury.

625D’une autre femme qu’il eut luy

Devant ceste-cy je suis filz

Et cest enfant que luy donna

Elle à qui se maria

Fut une belle fille et gente,

630Mais pour entretenir la rente

Il fut trouvé par raison bonne

Qu’on n’en povoit le matrimoigne

Faire et les mectre en mariage

Sans concevoir point de lignage

635Et ainsi furent assemblez

Pour ce que sa femme vouée

L’avoit au Tressaint Glorieux.


 [[ Print Edition Page No. 156 ]] 
L’HOMME

A! povre pecheur malheureux!

Que n’as-tu telle conscience

640Et aussi parfonde science

Que ce tresnotable curé!

LE CURÉ

Le tiers miracle fut prouvé

Par ung homme qui espousa

Sa femme, jeudy qui passa,

645Y a eu troys ans justement,

Mais la nuytée proprement

Qu’au matin eurent espousé,

Sa femme si l’avoit voué

A estre de la confrarie

650Saint Arnoul, mais je vous affie

Qu’au septiesme moys de ce jour,

Estant en peine puis ce jour

Comme par mal la peau ce fent,

Sa femme enfanta ung enfant

655Tout formé de bouche et de nés

Et de ses membres ordonnez,

Aussi parfaict en tous endroitz

Que c’elle l’eust porté neuf moys,

Veez ce sont deux moys d’avantaige.

L’HOMME

660C’est grant faict que de mariaige:

A jamais homme n’en desbate!

LA FEMME

Par ma foy, j’ay veu nostre chatte

Faire des petis grant mesnage

En sept sepmaines.

L’HOMME

Dea! m’amye,

665Dieu doit de tout estre loué,

119 vo]Mais qui scet s’elle avoit voué

Son fruit au Glorieux Corps saint?

LE CURÉ

Il a faict des miracles mains

Dont l’on fait peu de mencion.

L’HOMME

670Vostre pasté estoit-il bon,

Monsieur le curé? Helas!

Hé Dieu! il ne vous souvient pas

Que quant vous adviez dit l’espitre,

Je chantoys avec vous au poupitre[+1]

675Et disoye ou vous les agnus,

Jamais vous n’eustes des ans nulz

Aussi bon clerc qu’à vous estoye

Du temps qu’aveques vous chantoie:

Je y ay mainteffois chanté,

680Mais touteffois nostre pasté

Est allé, plus n’y a que frire,

Je suis Jehan qui chauffe la cire,

C’est mon nom, or sus, de par Dieu!

LE CURÉ

Qui seroit tousjours en ce lieu,

685Ce seroit trop.

LA FEMME

Vuidons les places!

LE CURÉ

Et me baiser en lieu de graces

Et adieu m’amour, m’amye!

L’HOMME

Ceste cire s’est refroidie

Entant que j’ay cy caqueté.

690Vous autres qui avez souppé

Et comment me doy-je aller coucher

Et me departir sans menger

Qui a ses jeux acoustumé?

LA FEMME

Comment n’avez-vous pas esté

695Servy en chauffent la cire?[-1]

L’HOMME

Et quelle chose m’a’vous donné?

LE CURÉ

Comment n’avez-vous pas esté

Servy du vin et du pasté?

L’HOMME

Ouy, dea, il dit vray.

LA FEMME

Velà pour rire,[+1]

700Comment n’avez-vous pas esté

Servy en chauffent la cire?

L’HOMME

Et bon gré en ait nostre sire,

Me tient-on pour fol et infame?

LA FEMME

N’avez-vous pas souppé?


 [[ Print Edition Page No. 157 ]] 
L’HOMME

705Nenny certes, ma femme.

LA FEMME

Que t’a-t-on donné?

L’HOMME

120 ro]Rien,

De fain je me pasme.

LE CURÉ

O! c’est pitié!

L’HOMME

C’est mon, qui sceust dire.

LA FEMME

710Est-il verité?

L’HOMME

Il n’y a que redire.[[711-726]]

LE CURÉ

Tu es chiffré.

L’HOMME

A Nostre-Dame.

LA FEMME

As-tu riens eu?

L’HOMME

715Nenny, bon gré Saint Jame.

LE CURÉ

N’as-tu point beu?

L’HOMME

Et nenny, sus mon âme!

LA FEMME

Et où estois-tu?

L’HOMME

Cy passe mon martire.

LE CURÉ

720Et qui y fais-tu?

L’HOMME

Je chauffe la cire.

Là où j’ay congneu

Des mariez la game,

Bon gré bieu!

725De fain je me pasme

Et me fait-on cy enfumer

Et à nostre cuvier fumer

A la fumée où je m’enfume?

La chair bieu! puis que je me fume,

730Il n’y [a] ne cuvier ne fente

Qui ne soit rompu or sus deffente,[+1]

Mauldit soit qui ne le desire

Et me fait-on chauffer la cire

Que tant que le pasté on mange.

LA FEMME

735Et que fais-tu?

L’HOMME

Je chauffe la cire

Et je la romps et la dessire,

Advisez comme elle despi[e]ce.

LA FEMME

Si j’en puis tenir une pièce,

Si bien vous en espiceray

740Que la chair vous despeceray.

LE CURÉ

Et commère!

LA FEMME

Il la despèce,[-1]

Mais, par Dieu, il en sera outry.[+1]

120 vo]Or approche.

LA FEMME

Vuyde d’icy

Ou tu mourras à destresse,[-1]

745Villain mastin.

L’HOMME

Mais toy, prestresse?

LE CURÉ

Vous mentez, paillard maleureux.

L’HOMME

Vous avez menty tous deux

Par les dens.

LE CURÉ et LA FEMME ensemble

Mais vous par la gorge,

Vive le Roy!

L’HOMME

Vive Sainct George!

750A ly! a ly! a! maistre prestre,

Vuyder vous feray de cest estre,

Vous en aurés, tenez, tenez,

Nostre pasté mangé avez,

Mais il vous sera chier vendu,

755A force vous verray vaincu,

Or sus, or sus à ly! à ly!


 [[ Print Edition Page No. 158 ]] 
LA FEMME

A ly! curé!

L’HOMME

Je vous vy

A! vous estes trop contre moy,

A! par le corps bieu, je m’en voys

760Et y garde ce qui vouldra.

LA FEMME

Par où s’en va-il?

LE CURÉ

Par delà!

Je vous pry, suyvons- le de près.

L’homme revient par derrière

atout ung sac plain de pain.

Après curé, après, après.

A! vous me gastés le pasté,

765Après, curé, après, curé,

A ly! à ly! à ly! à ly!

Or, Messeigneurs, adieu vous dy!

EXPLICIT.

NOTES

 [XIX.] Farce du Pasté. sans rapport avec Le Pâté et la Tarte (Répertoire, p. 190).

 [20] comment corriger?

 [55] corrompu.

 [114] Je ne comprends pas ce vers. Renard le Novel?

 [118] Rubrique, ou tout: atout, avec.

 [217] le febe quid? Faut-il corriger: la fable ou la febve (feve).

 [249] on mect la table, on montait la table sur des tréteaux (v. 251) d’où l’expression mettre la table pour “mettre le couvert.”

 [421] batonn[e]le, bâtonnez-la?

 [609] quilipa, altération de culpa.

 [613] Ale: corr. et entendez: Qu’à ce.

 [613-4,] O:

LA FEMME

Taisez-vous, mon amy,

Laissez tout dire

Endnotes

 [77,] O: maistresse.

 [134,] O: Celle.

 [232:] Ce vers semble amputé du début.

 [252-271,] attribués par O à L’HOMME, ce qui est impossible, mais ma propre distribution est hypothétique.

 [263,] la fin du vers manque pour rimer avec boutte (botte?).

 [273-276,] corrompus.

 [279,] manque un vers pour rimer avec celui-ci.

 [280,] amputé du début.

 [1] Il s’agit du Curé.

 [568,] manque la fin du vers.

 [652,] O: suis.

 [711-726:] L’isométrie de ces vers courts et très approximative.

 [736,] O: Et je ma.


 [[ Print Edition Page No. 159 ]] 

XX
121 ro] FARCE NOUVELLE
TRES BONNE DES DROIS DE LA PORTE BODÈS ET DE FERMER L’HUIS
A TROIS PERSONNAGES
*

[vignette]

LE SAVETIER commence121 vo]

Dieu gard tous ceulx de nostre office

Et les autres pareillement,

C’est ung mestier bon et propice,

Mais c’on y gainast de l’argent.

5J’ay telle soif, par mon serment,

Que je n’ose boire servoise,

Quant j’en boy, elle me fait tel noise[+1]

En mon ventre que c’est merveille.

S’une fois le vin se reveille,

10Sav[e]tiers seront riches gens.

Il me fault estre diligens,

Devers mon hostel me retraire,

Il me semble que j’os jà braire

Ma femme et en suis bien loing,

15Dieu sçait comme j’auray du groing,

Mais que venir elle me voye,

Elle dira: “Bien froide joye

Puissiés-vous avoir des genoux!”

Et je diray: “Saint Jehan, mais vous!”

20Mais ce sera tout bellement

Qu’elle ne m’oye, car vrayment,

Se une foiz m’avoit ouy,

Mieulx me vauldroit estre enfouy,

Elle est si malle que c’est raige.

25Sa, il fault faire mon ouvr[a]ige

Affin de gaigner ma journée.

Que nostre feu fait de fumée!

Je m’enfume toute la teste,

Mais qu’a-il à fumer?[[29]]

LA FEMME

Hé, beste!

30Que vous estes si à couvert!

C’est pour cest huis qui est ouvert

De derrière par telle guise

Que le froit vent qui vient de bise

Souffle ceans de tous costés.

LE SAVETIER

35Allés le fermer!

LA FEMME

Escoutés,

J’ay bien autre besongne à faire,

Mais vous, c’est vostre droit affaire.

LE SAVETIER

Allez le farmer, je vous prie.

LA FEMME

Non feray, par Saincte Marie,

40Je ne suis pas encore si ferue,[+2]

Et cuidez-vous que je vous serve

Comme ung prince? Vous n’avés garde.

LE SAVETIER122 ro]

Faictes donques que le feu arde,

Je ne puis laisser ma besongne.

LA FEMME

45Et j’ay à filer ma quenouille,

Qui me touche bien d’aussi près

Que vostre ouvrage.

LE SAVETIER

Or sus! après!

Il fault que l’ung de nous y voise,

Ou certes, il y aura noyse,

50Je le vous dy à ung mot ront.

LA FEMME

Il ne m’en chault pas d’ung estront,

Et me cuide-tu faire craindre?

Quel hoste qui me veult contraindre

Qu’aille fermer l’huis de derrière!

55Louez varlet ou chamberière,

De par Dieu ou de par le dyable.

Je suis assez femme notable

Pour tenir varlet ou servante.


 [[ Print Edition Page No. 160 ]] 
LE SAVETIER

Se ne le fermés, je me vante

60Que vous vous en repentirés.

LA FEMME

Par la croix bieu, vous mentirés.

Qui? moy? que je fermasse l’uys?

Ainsi meschante que je suis,

J’aymeroye mieulx estre assommée.

LE SAVETIER

65Que bon gré bieu de la fumée,

Je me gate tous les deulx yeulx.

Allez fermer l’uys pour le mieulx

Ains qu’il y ayt plus orde feste.

LA FEMME

Puis qu’i m’est monté à la teste,

70Se les yeulx vous devoient crever,

Si ne me pourroye lever,

Ne vous attendez pas qu’i voise.

LE SAVETIER

Par ma foy, le cul trop vous poise

Ou c’est paresse qui vous tient!

LA FEMME

75Et à vous coy?

LE SAVETIER

Pas n’apartient

Qu’ung homme s’abesse à sa femme.

On me reputeroit infame

Devant Dieu et devant le monde!

122 vo]Vas le fermer!

LA FEMME

On me confonde

80Se g’y voys ne se je le ferme,

Mais allez-y!

LE SAVETIER

Je vous afferme

Que, se plus m’en faictes parler,

Je vous y feray bien aller.

Vas fermer cest huis!

LA FEMME

Non feray!

LE SAVETIER

85Non feras?

LA FEMME

Non.

LE SAVETIER

Dont tu verras

Se tu seras mestresse ou non.

Sui-ge point homme de renom?

Va tost fermer cest huis!

LA FEMME

Mais toy!

LE SAVETIER

En grant peine vit, par ma foy,

90Qui ne peut jouir de sa femme,

Va tost fermer cest huis.

LA FEMME

Mais toy

Tu yras, se tu veulx, toy-mesme.

LE SAVETIER

Esse tout?

LA FEMME

Ouy, par mon âme,

Je le vous dis sans point de faille.[[94-5, 100-1]]

LE SAVETIER frappe

95Farmés cest huis, de par le diable,

Je le vous ay tant de fois dit.

LA FEMME

Ha! que de Dieu soyés mauldit!

Mais tu frappe, villain![-2]

Foy que je doy à Saint Martin,

100Mieulx te vaulsist estre à Boulongne,

Tu sentiras se ma quenoulle

Porte bon son pour toi esbatre.

LE SAVETIER

Haro! ma femme me veult batre,

Au meurdrier, à l’aide, bonnes gens!

LA FEMME123 ro]

105Et me batras-tu?

LE SAVETIER

Je me rends,

Par ma foy et mercys vous crie,

Mais d’une chose je vous prie

Pour garder l’onneur de nous deux

Que cries ung cry treshideux

110Et les voisins qui vous orront

Si hault crier, ilz cuideront

Que je vous bate, entendez-vous?

Mais quoy, j’endureray les coups

Paciamment, soit droit ou tort.


 [[ Print Edition Page No. 161 ]] 
LA FEMME

115Je vous entens bien: A la mort!

Au meurdre! mon mary me tue,

S’on ne m’aide, je suis perdue.

Ha! le mauvais, ha! le truant!

Me turas-tu, dy, chien puant!

120Helas! la teste il m’a assommée.[+1]

LE SAVETIER

Dyable y ait part à la fumée,

Par Dieu le cueur me disoit bien

Qu’il n’en povoit venir nul bien

Et tresbien m’en suis apperceu

125Par les horions qu’ay receu

Dessus la teste et sur le dos.

LA FEMME

C’est pour nostre huis qui n’est pas clos,

Vous en fault-il tant sermonner?

Jamais n’en deussiés mot sonner,

130Vous dictes bien qu’entre nous femmes

Caquetons tousjours, mes vous-mesmes

Ne vous en povés pas tenir.

LE SAVETIER

L’espaulle m’en fait souvenir,

Je ne l’ay pas en oubly mis.

135Sal je feray ung comprom[i]s:

Quiconques premier parlera

D’entre nous deulx l’uys fermera,

En estes-vous bien contente?

LA FEMME

Jehennin, ouy.

LE SAVETIER

Et mon entente[[139]]

140Est que vous le fermerez donques.

LA FEMME

La cause?

LE SAVETIER

123 vo]Car je ne viz onques[-1]

La femme qui se peust passer

De caqueter ou de tencer.

Leur langue, par Saint Matelin,

145Est comme le claquet du moulin,[+1]

Jamais nul tour n’est à repos.

LA FEMME

N’esse pas à nostre propos

Vous-mesmes qui l’avés conclus

Et preposé; vous parlez plus

150Que je ne fois de la moitié.

LE SAVETIER

Or je vous pry par amitié

Que le premier qui dira mot

Qu’il ferme l’huis tout aussi tost

Sans plus dire ne si ne quoy.

LA FEMME

155Je le veulx bien.

LE SAVETIER

Et moy.[-2]

Or nous taison donc au surplus

Ne me dictes mot.

LA FEMME

Il est conclus.[+1]

Que male mort vous puisse abatre!

LE JUGE

Il me convient aller esbatre

160A Saint Lorens, il est mestier.

Je voy droit là ung savetier,

Demander luy vois à court plet

Par où g’iray, pour le plus net,

A Saint Lorenz, dictes, beau sire!

165Respondez-vous point? qu’esse à dire?

Hau! mon amy, estes-vous sourt?

Par ma foy, il fait bien le sourt.

De malle fièvre soit-il oingt,

Je cuide qu’i ne m’entent point!
Le savetier luy fait des signes du doy.

LE JUGE dit

170Et vecy pour estre esbahis!

Il fait des signes V ou VI

De ses dois, pas n’entens cela.

Je ne sçay parler hault huet.

Ha! je voy bien qu’il est muet,

175J’ay sans cause trop estrivé.

124 ro]In Jehan, je suis bien arrivé!

Et vous ma doulce famelete,[+1]

Estes-vous comme luy muecte

Ou se vous ne daignés parler.

180Venés çà! il nous fault aller

Parler d’une chose secrète,

Car je vous sens assez discrète,

Si sage, plaine de soing,

Que pas ne fauldroit au besoing.

185Venez après moy, s’il vous plaist!


 [[ Print Edition Page No. 162 ]] 
LA FEMME [au Savetier]

Ton corps soit mené au gibet,

Fol malostru, meschant coquart,

Il part bien que (tu) n’es qu’ung paillart

Et n’a mye tenu à toy

190Que n’a fait son plaisir de moy

Cest homme, maiz il n’avoit garde.

Par ma foy, quant je te regarde,

Tu ayme mieulx estre infame[-1]

Que d’avoir secouru ta fame

195Aulcunement pour la deffendre.

On te deveroit la teste fendre

Ou gecter dedens ung puis.[-1]

LE SAVETIER

Par Saint Jehan, vous ferm[e]rés l’uys,

Car vous aves parlé première.

LA FEMME

200Puis que je suis sur mon fumier,

La croix bieu, je seray maistresse.

LE SAVETIER

Comment? vous avés fait promesse

Que le premier qui parleroit

D’entre nous deulx l’uys fermeroit,

205Je n’y entens ne fons ne rive.

LA FEMME

Estrive hardiment, estrive,

Tu n’y gaigneras jà à moy.

LE SAVETIER

Hé! dame, tenez vostre foy

Et faictes ce qu’avés promis

210Et obeissez à mes diz;

L’uys devés fermer, c’est raison.

LA FEMME

Non feray, n’en nulle saison

N’obeiray à ton affaire.

LE SAVETIER

Par Saint Jehan, si pourrés bien faire

215Hé, belle dame, je vous prie

124 vo]Ou nom de la Vierge Marie

Que vous fermés nostre huys de derrière,[+1]

Cela ne vous coustera guères,

C’est de droit, vous le savés bien.

LA FEMME

220Par ma foy, je n’en feray rien,

Ne jà n’obeiray à toy,

Ainçoys obeiras à moy

Et feray pire que devant.

LE SAVETIER

Bien vous feray passer avant

225Et devant le juge venir,

Car je puis dire et maintenir

Que fermer devés l’uys par droit,

Si le fermerés orendroit

Et deustes cent escus despendre.

LA FEMME

230Hé! meschant, tu te deveroies pendre

Tu ne saur[o]ies finer d’ung blanc.

LE SAVETIER

J’ay bon droit.

LA FEMME

Il te sera franc,

On en verra l’experience.

LE SAVETIER

Et par Dieu, Dame, en presence,[-1]

235Je vous cyte devant le juge,

Car à luy doit autre refuge,

Chacun par droit luy amende.

LA FEMME

La cro[i]x bieu, tu payras l’amende

Et si endureras de moy,

240Entens-tu bien?

LE SAVETIER

En bonne foy

Tu auras don[c] bon procureur.

LA FEMME

Cuides-tu, meschant maleureux,

Que te craignes ne ta puissance

Et je foiz la malle meschance

245Qu’afubler te puist et abatre

Et rompre le col!

LE SAVETIER

Quel emplaistre!

Venez-vous en avecques moy!

LA FEMME

G’y seray aussitost que toy,

Cuides-tu que je aye paour?


 [[ Print Edition Page No. 163 ]] 
LE SAVETIER [arrivé auprès du Juge]125 ro]

250Dieu vous doint moult bon jour,

Je vien icy plus que le cours

Devers vous pour avoir secours,

Se c’estoit vostre bon pl[a]isir.

LE JUGE

Dire povés bien à loisir,

255Voulentiers vous escouteray.

LE SAVETIER

Monsieur, je le vous diray,[-1]

Il est vray que j’ay fait fermaille

Avecques ma femme sans faille[-1]

Que le premier qui parleroit,

260D’elle ou de moy, l’huys fermeroit

Sans penser mal ne villennie.

LE JUGE

Est-il vray?

LA FEMME

Pas je ne le nie.

LE SAVETIER

Je vous requiers qu’on la condampne.

LE JUGE

Se seroit trop fait en bejaune

265A moy de juger quelque chose,

Se je n’entens et teste et glose.

Esse tout ce que tu veulx dire?

LE SAVETIER

Elle ne me fait que maudire

En disant: “la fievre cartaine

270Vous tiengne en male sepmainne!”

Monsieur plus de XII foiz.[-1]

LE JUGE

Cella n’est pas bon toutes foiz,

A bien trestout considerer.

LE SAVETIER

Quant je luy dis: “Vas l’uys fermer!”

275Elle dit que rien n’en sera,

De mauldire ne cessera,

De maleur et de mal encontre

De malle rage à l’encontre,[-1]

— De vous, monsieur ne soit dit —[-1]

280Et veult par son caquet mesdit

Estre mestresse comme moy.

LE JUGE

Elle est malle fame pour toy,

J’entens bien, puis qu’il est ainsi.

Avant qu’elle parte de cy,

285Il convient qu’elle soit pugnie,

125 vo]Or sa! que dicte-vous m’amye?

C’est raison que je vous escoute.

LA FEMME

Sire, ne faictes nulle doubte

Que je n’aye premier parlé

290Et mon mary bien ravallé

Pour luy remonstrer la falace.

Force m’estoit que je parlasse,

Selon nostre droit et raison.

Les hommes en toute saison

295Doivent estre juges à nous.

LE JUGE

Et dea! desquelz droitz usés-vous?

Dictes-le-moy pour abreger,

Affin que je puisse juger.

Car ung homme, tant soit meschant,

300Ne doit point estre obaillant

A sa femme, se non en bien.

LA FEMME

Monsieur, je vous diray bien[-1]

Quelz privileges nous avons,

Sachés de vray, que nous devons

305Tresbien chastier et reprendre

Noz mariz s’il veulent mesprendre

En riens qui soit qu’il no[u]s desplaise.

Nous les debvons tout à nostre aise

Chastier et bastre tresbien

310Et oultre plus, s’il y a rien

A besongner en la maison,

Selon nostre droit et raison.

L’homme est tenu de faire tout

Et s’il en veulx venir à bout,

315Il n’y doit jamaiz contredire

Ne nulle chose nous mesdire,

Mais l’acomplir tresvoulentiers,

Velà les estatus entiers

Que les femmes doivent avoir.

LE JUGE

320Vraiement je vouldroye bien sçavoir

Dont sont venus les ordonnances

Que vous m’avez cy recité.

LA FEMME

D’ung des lieux de ceste cité

Viennent sens point faire relâche.[[324]]


 [[ Print Edition Page No. 164 ]] 
LE JUGE

325Et dea! il convient que je sache

Qui est le hault Provincial

126 ro]Qui a esté si liberal

De vous donner telle franchise.

LA FEMME

C’est ung Prevost que chacun prise

330C’on dit de la Porte Bodès,

Dont nous sommes à tousjours maiz

Sur noz piez et d’ancienneté

Nous en avons l’auctorité,

Lisés là tout le contenu.

Le JUGE regarde la lettre et puis dit:

335Vecy pour vous tresbien venu,

Je treuve en escript cy devant

Que l’homme doit estre servant

De sa femme en toutes manières

Pour escurer poilles, chaudières,

340Faires lis, houser la maison

Et s’il fault que toute saison

Il soit levé tout le premier

Et qu’il se couche le dernier

Et qu’il destaigne la chandelle

345Et de ce ne soit point rebelle,

Les escuelles aussi laver

Et si ne doit jamais baver

De chose que face sa femme

Ou on le tiendra pour infâme.

350La farine luy fault sasser

Et si luy convient sans cesser

Filler et faire la lessive

Sans que jamais il en estrive,

Aller au moulin et au four

355Et puis quant viendra ou retour,

S’il n’a tresbien fait la besongne,

Il doit avoir de la quenoulle

Deulx ou trois coups sans contredire.

Je ne sçay plus icy que lire,

360Oncques ne vis si beaulx chapitres

Pour les femmes et plus beaulx tiltres

Il n’en fault plus tenir procès.

Les droits de la Porte Bouldès

Doresnavent veulx maintenir.

365Or sa! il vous fault chevir[-1]

Aux estatus, comme dit est,

Et veulx, sans faire plus lons plès,

Que incontinent que serés

En vostre hostel, l’huis fermerés

370Et ainsi je le vous commande

Sur peine de très grosse amende

126 vo]Par nostre sentence et par droit.

LE SAVETIER

Assavoir, qui appelleroit,

S’on y seroit jamais reçu,

375Par ma foy, je suis bien deçu,

Je n’y voy point de bon moyen.

LE JUGE

On doit prendre en gré mal et bien,

Qui ne le veult faire, le lesse!

LE SAVETIER

Chères dames, par ma simplesse,

380Il me conviendra fermer l’uys

Et ma femme sera mestresse.

LA FEMME

Se vous dictes chose qui blesse

Je vous jett[e]ré en ung puis.

LE SAVETIER

Chères dames, par ma simplesse

385Il me conviendra fermer l’uys.

Adieu vous dis, tant que je puis,

Vous supliant hault et bas,[-1]

Recevés en gré nos esbas!

EXPLICIT.

NOTES

 [XX.] Farce des Droits de la Porte Bodès. Ou Porte Baudoyer ou Baudeer ou Baudet, dans l’enceinte du XIe siècle, cf. Rochegude, Les Rues de Paris, Paris, Hachette, pp. 112, 147, 149 et mon Introduction.

 [94-5, 100-1] simples assonances.

 [135] Cette gageure du silence entre mari et femme paraît empruntée à la Farce du Chaudronnier (Répertoire, p. 118), un des succès des modernes Comédiens routiers de Chancerel.1 L’effet sur le public est sûr et se pratique encore dans le vaudeville.

 [144] Saint Matelin doit venir du Pathelin.

 [160] Saint Lorens, église Saint Laurent à Paris (cf. P. Champion, François Villon, t. II, p. 383).

 [173] Hault huet, cette expression m’est inconnue.
(I) Cf. Jean Cusson, Léon Chancerel, thèse Université de Montréal, 1942.

 [266] teste est la prononciation exacte de texte. Un Français, même d’aujourd’hui transforme facilement en s l’x devant consonne (esplication, etc. . . .).

 [300] obaillant, à corriger sans doute en: obedient.

 [330] voir plus haut.

 [336-360] les devoirs de l’homme en ménage peuvent être inspirés de la Farce du Cuvier (Répertoire, p. 130-131).

 [388] finale habituelle d’un épilogue adressé au public dans la farce. Elle équivaut au Nunc plaudite cives, des Latins.

Endnotes

 [29,] Dans O: “Hé beste” conclut la réplique du Savetier.

 [139,] O: Jnihen. Cf. cependant plus loin v. 176.

 [194,] O: secourou de ta f.

 [200,] O: il faut changer fumier en? pour rimer avec le v. précédent.

 [205,] O: sons.

 [243,] O: Que tu.

 [250,] O: bon jour moult.

 [301,] O: ne non.

 [324,] O: de lache.


 [[ Print Edition Page No. 165 ]] 

XXI
127 ro] FARCE NOUVELLE
DE CELUY QUI GARDE LES PATINS
A TROIS PERSONNAGES
*

LE PATINIER en chantant

M’amour et ma parfaicte joye,

Dieu (vous) doint que brefvement vous revoye,

Autre chose ne vous requier

Pour moy oster hors de dangier

5Que pour vous souvent me guerroye.

J’ay le cueur droictement en joye

Quant je pense à ma desirée,

Elle est tresbonne cariée.

Voulentiers certes me degoise,

10Avecques luy fault que je voise

Et puis comment va?

LA SAVETIERE

Comment?

Vous le sçavez bien meschamment

Et, qui plus est, ne vous en chault.

LE PATINIER

Si fait, par le Dieu de là-hault.

LA SAVETIERE

15Je vous en croy pour sains jurer.

LE PATINIER

Vueillez vous doncques appaiser,

Je crois que vous querez debat.

LA SAVETIERE

Ce que j’en dis, c’est par esbat

Je vous asseure, mon amy.

LE PATINIER

20Par Saint Jehan, la vostre mercy,

J’en suis joyeulx et tout haicté.

LA SAVETIERE

Vrayement en bonne santé,

Mais comment vous va-il bien?[-1]

LE PATINIER

Il va bien, mais il ne vient rien,

25Vostre mary n’y est-il mye?

LA SAVETIERE

Nenny que malle epidemie

Le hape et jamais ne reviengne!

LE PATINIER

De vostre parler vous souviengne,

Je vueil ung peu estre accollé,

30Ma doulcete.

LA SAVETIERE

Mon affollé!

LE PATINIER

Mon seul plaisir.

LA SAVETIERE

Ma doulce joye,

Mon bien, mon espoir, mon amy.

LE PATINIER

Par le Dieu qui en croix pendy

127 vo]Je ne sache ou monde femme

35Que j’aymasse mieulx par mon âme[-1]

Que vis depuis trois ans en çà.

LA SAVETIERE

Ce n’est pas d’huy, mais de pieça

Que vous sçavez femmes flater,

C’est pour m’en bailler à taster,

40N’a pas ung an, non pas demy,

Que vous fustes bien son amy.[[41]]

LE PATINIER

De qui?

LA SAVETIERE

D’une mienne cousine.


 [[ Print Edition Page No. 166 ]] 
LE PATINIER

Ne le croyez pas, ma voisine,

Qu’à ma femme je l’eusse sceu faire[+1]

45Et vous sçavez bien le contraire,

Mais si dictes pour moy larder,

Car je vueil en tous temps garder

Vostre amour, se n’eusse daigné.[[48]]

LA SAVETIERE

A! vous n’estes pas engigné,

50Car certes je vous ayme aussi.

LE PATINIER

Je le sçay bien, votre mercy,

Quant je vous voy, je suis bien aise,

Maintenant fault que je vous baise

En despit de tous envieux.

LE SAVETIER

55Soulliers vieulx, soulliers vieulx,

Houseaulx vieulx, çà, mes chalans, çà!

LA SAVETIERE

Hélas! destournez-vous deçà,

C’est mon mary, allez arriere.

LE PATINIER

Je m’en vois musser çà derrière,

60Il est jà à l’huis de devant.

LE SAVETIER

Mesnagière estes-vous ceans?

Dieu gard! hau! parler à ce mur

Et dea, je croy qu’elle oyt dur,

Comment ne daigne l’en respondre?

LA SAVETIERE

65Que vous fault-il, sire? Que fondre

Vous puisse Jhesu-Christ corps et âme![+1]

LE SAVETIER

Hé dea! taisez-vous, belle dame,

J’ayme beaucoup mieulx qu’on se taise

Que l’on me mène telle noise.

70Mais ne suis-je pas bien, m’amye?

Pas ne suis excommunié,

On parle bien à mon visaige,

Aufort vous estes bonne et saige,

Taisez-vous et je me tairay.

LA SAVETIERE

75Pour toy meschant et je feray

Tes sanglantes fievres quartaines.

LE SAVETIER

Quant elle a sa malle sepmaine,

Il se fault garder du marrien.

LA SAVETIERE

128 ro]Qu’esse qui te fault?

LE SAVETIER

Je ne dis rien,[+1]

80Pour ce, laissez-moy besongner.

LA SAVETIERE

Par bieu, se je t’os huy hongner,

Je te besseroy ton caquet.

LE SAVETIER [à part]

Hen! dea! et qu’esse cy Jacquet,

Te fault-il cel mal endurer?

85Se ne fust honte de plourer,

Par mon sacrement je plourasse,

Car je crains par trop sa menasse,

Mais velà, honte me remort.

Je requiers Dieu que malle mort

90Te doint et malle epydimie,

La mort bieu ne sçay que je die,

La chair bieu, tu auras ton gros.

LA SAVETIERE

Qu’esse?

LE SAVETIER

Je demande du chief gros

[à part][+1]

Et je fais tes fièvres quartaines

95Qui te puissent serrer les vaines

Et recommencer tous les moys

Et qu’elle les ait des ans troys,

Je dis des ans les fièvres quartes,

Pas ne me chaudroit deux quartes,[-1]

100Par mon serment, je le vouldroie.

LA SAVETIERE

Et qu’esse là?

LE SAVETIER

Je souhaictoye

Que eussez autant d’escuz vieulx

Que fis oncques de souliers tieux.

Depuis que je fu apprentiz

105A nostre maistre.


 [[ Print Edition Page No. 167 ]] 
LA SAVETIERE

Qu’esse que tu dis?[+2]

LE SAVETIER

Je souhaicte or et avoir

Affin que vous puissiez avoir

Une très belle houppelende.
[à part]

J’aimeroys plus cher que la truande[+1]

110Eust espousé sanglante estraine

Et la malle fièvre quartaine,

Qu’elle eust ce que je vous dy.

LA SAVETIERE

Qu’esse?

LE SAVETIER

Je dy qu’il en payera dix[+2]

Des blancs, qui ses soulliers aura,

115Car en nul lieu on n’en saura

Nulz plus prouffitables trouver.

LA SAVETIERE

Sces-tu bien le bec retourner,

Sire Jehan, je vous retourneray,

A ce coup vous atourneray

120Que je ne suis pas preude femme.

LE SAVETIER

Hola! dea! craignez le diffame

Du voisinage, pour Dieu, ma mye.

LA SAVETIERE

Il n’y a amour ne demye

A ceste fois vous pugniray.

LE SAVETIER

125Par mon serment dont je criray 128 vo]

A la mort, croyez-moy à ce coup,

Mais que dira l’on se on m’oyt?

Laissez cela.

LA SAVETIERE [le bat]

Par la croix bieu,

Non feray.

LE SAVETIER

Dea! ce n’est pas jeu!

130A la mort, ma femme m’a[s]somme,

J’en ay assez, faisons la somme.

LA SAVETIERE

Dea! il fault que je vous manye.

LE SAVETIER

Par bieu, je feray villennye.

LA SAVETIERE

Feras? Va-t-en hors de cest aistre.

LE SAVETIER

135Elle m’a tout rompu la teste,

Par ma foy, je suis estourdy!

LE PATINIER

Qu’esse que j’ay ici ouy,

Voysin, comment il y a noyse?

LE SAVETIER

Nenny, non, c’est nostre bourgeoise

140Qui estoit ung peu eschauffée,

Dieu scet se je l’ay bien coiffée,

Croiez qu’elle n’est pas à son aise,

Elle a la teste tant mauvaise,

Bref endurer ne la pourroye.

LE PATINIER

145Et dont, je m’en departiroye

Et la rendroye à ses amys.

LE SAVETIER

Jamais nous n’en serions desmys,

Si n’y a apparence ou cause.

LE PATINIER

Et je trouveray bien tel clause

150Et ne sauroit le fait nyer.

LE SAVETIER

Hélas! mon voisin patinier,

S’il vous plaist moy conseiller

En ce qui me sera mestier,

Je luy en bailleroye ung trait.

LE PATINIER

155Par Sainct Jehan le cas sera tel:

Quant vous serés en mon hostel

Et ma marchandise vandrés,[[157]]

Sependant vous en vendrés[-1]

Si tost que je vous siffleray,

160Car lors sera que je seray

Près d’elle contre son giron,

Car jà ne nous eslongneron.

Pour veoir, lors tout en paix viendrez

Et ainsi vous nous prendrez

165En la reputtant ribaulde

Et vendrez frapper à la chaulde,

Mais frappez sur moy bellement.


 [[ Print Edition Page No. 168 ]] 
LE SAVETIER

Ouy, compère vraiement[-1]

De tant suis-je vostre tenu.

LE PATINIER129 ro]

170Quant vous serez sur nous venu

Par bieu je me soucye, beau sire,

Comment je me tiendray de rire

Quant sur moy viendrez descharger.

LE SAVETIER

Rire? dea! il n’y a dangier,

175Pour Dieu, faictes semblant de braire.

LE PATINIER

Taisez-vous, je sauray bien faire,

Je m’y en voys sans plus tarder.

LE SAVETIER

Et je voys les patins garder

Je vous asseure par mon âme.

LE PATINIER [chez la Savetière]

180Comment en va-il, belle dame,

Ma voisine? Bon preu vous face!

Où est-il?

LA SAVETIERE

Il n’arreste en place,

Dieu scet se je l’ay empoigné!

LE PATINIER

Il s’en va trestout en grongne[-1]

185Boire je ne sçay quel butin,

Je croy qu’il y a eu hutin.

LA SAVETIERE

Et non a, non, ce n’est qu’esbat,

Ne tenez noz ditz en debat.

Dictes-vous que s’en va pier?

LE PATINIER

190Ouy je le vien d’espier,[-1]

Ilz s’en vont, ce croy, sept ou huyt

Boire, c’est jusques à la nuyt

Avant qu’ilz en facent depart.

LA SAVETIERE

Faisons grant chère d’autre part,

195Mon amy, je vous en requiers.

LE PATINIER

M’amye, c’est tout ce que je quiers,[+1]

Baisez-moy une fois.

LA SAVETIERE

Mais quatre,
Ilz chantent

Grant mercis.

LE PATINIER

Il nous fault esbatre

Cependant qu’avons temps et heure.

LE SAVETIER [à part]

200Corps bieu que cestuy-là demeure!

Dea! il ne ciffle ne ne tousse.

LE PATINIER

Dictes une chanson, ma doulce,

Je vous oy voulentiers chanter.

LE SAVETIER [à part]

Je croy que je iray escouter

205Qu’ilz font, tandis qu’ilz sont ensemble.

LA SAVETIERE

Je vueil chanter dueil angoisseux.

LE SAVETIER [à part]

Vous puisse serrer le cueur du ventre![+1]

[LE PATINIER]

Chantez-vous?

LA SAVETIERE

129 vo]Je suis bonne chantre.

LE PATINIER

Corps bieu, cestez mon, se me semble,

210Si j’eusse voix, mais elle tremble.

La vostre est bonne et asseurée

Et puis. . . .

LE SAVETIER [à part]

Rage demesurée!1[[212-8]]

Pour vous deux et pour vostre teste

Je doubte qu’il y aura feste

215A baton, vous y chanterez.

LE PATINIER

Après, toujours chantez, ferez,

Mectes la chanson à deffin!

LA SAVETIERE

“Si vieulx-je pas languir sans fin.”


 [[ Print Edition Page No. 169 ]] 
LE SAVETIER [à part]

Vous envoye la Vierge honorée

220Bien brief. . . .

LA SAVETIERE

En vie malheurée!

LE SAVETIER

Par Sainct Jehan, par sa grâce!

LE PATINIER

M’amye, que je vous embrasse

Pour l’amour, qu’avez bien chanté.

Que Dieu vous do[i]nt bonne santé!

LA SAVETIERE

225Ainsi soit!

LE PATINIER

Hélas! ma doulcete;

Par ma foy, il convient qu’à ceste

Fois ung tantet vous manye.[-1]

LE SAVETIER [à part]

Par le corps bieu! je le vous nye,

Ha! ha! quel hoste j’ay ouÿ!

230Le mot.

LA SAVETIERE

J’ay le cueur tout esjouÿ

D’oÿr vos motz si amiables.

LE SAVETIER [à part]

A! voire de par tous les diables,

Esse donc à bon escient?

LE PATINIER

Vous portez ung oeil et friant

235Qui fait signe de deffience.

LE SAVETIER [à part]

Quel signe? Je pers pacience,

J’eusse besoing d’estre lyé,

Le corps bieu il a oublié

A cifler, j’oseraye gaiger.

LA SAVETIERE

240Mais comment peussai-ge changer

Mon mary ung de ses matins?

LE SAVETIER [à part]

Et garderay-je les patins

Longuement? A! voisin! voisin!

Tu n’es pas trop bien mon cousin.

245Cifler, bon gré en ait Sainct George!

LE PATINIER

Je vous requier, ma doulce gorge

Que fasson ce mary coux.[-1]

LE SAVETIER [à part]130 ro]

A! voire à mes propres coustz[-1]

Et despens voulez-vous giber,

250Je vous feray bien regiber!

Et non feray! Haro! j’enraige,

C’est pour essayer son couraige,

Ce croy-je, qu’il a dit ces motz.

LA SAVETIERE

Vous avez de beaulx dorelotz.

LE PATINIER

255Sçay mon, cestuy je vous donray,

Mais par mon serment j’en auray

Mon saoul, ains que j’en deffine.

LE SAVETIER [à part]

Foy que doy Saincte Katharine,

Sçaurez mon, vous n’y fauldrez mye,

260Hen dea! ce n’est pas mocquerie,

Je ne me faindray pas aussi.

LA SAVETIERE

Hélas! que ne vous scet icy

Mon mary, tant il seroit aise!

LE SAVETIER

Et qu’esse cy, nostre bourgeoise,

265Esse l’estat?

LA SAVETIERE

A! a! Nostre-Dame!

LE SAVETIER

Par la passion de mon âme,

Putain, vous aurez vostre part!

LA SAVETIERE

Putain, lasse!

LE SAVETIER

Voire il appert,

Tenez, tenez! [Il la bat]

LA SAVETIERE

Pour Dieu mercy!

LE PATINIER

270Voisin, frappez sur moy aussi

Pour mieulx faire le personnage!


 [[ Print Edition Page No. 170 ]] 
LE SAVETIER

Ha! par la croix bieu, si feray-je,

Et comment vous m’avez trahy!

LE PATINIER

A la mort, m’avez-vous ouy?

275Frappez plus bas ou me laissez.

LE SAVETIER

Quel bas?

LE PATINIER

Vous me blessez,

Hélas! hay! tirez-vous arrière,

Ne frappe plus de tel manière

Quant ta femme s’en est allée.

LE SAVETIER

280Vous me l’avez belle baillée,

Mais aussi. . . .
[Il le bat]

LE PATINIER

Ostez ce! ostez!

Hen! dieux! les rains et les costez,

Dictes ce jeu point ne m’agrée.

130 vo]Qui me tient que je ne maugrée

285Toute la court, et holà! sire.

LE SAVETIER

Au moins vous tenez-vous de rire!

Allez que malle epidimye

Vous doint Dieu!

LE PATINIER

Je n’en dis mye,

Par Dieu, trestout ce que j’en pence.

LE SAVETIER

290Or te souviengne de l’offence!

Dea! vous n’en aurez meshuy mains,

J’estoye cheu en bonnes mains

De me fier en tel marchant,

Mais comment alloit-il cerchant

295Ma femme, il m’estoit trop fins.[-1]

LE PATINIER

Au moins gardoit-il les patins

Cependant que je m’esbatoye.

LE SAVETIER

Pousse d’icy, va-t-en ta voye,

Bientost et, hors ma maison, vuyde!

LE PATINIER

300Aussi feray-je, mais je cuyde

Qu’il t’en sera restitué.

Par le sang bieu, il m’eust tué,

Je ne sçay que j’eusse peu dire

Et neantmoins j’ay eu du pire.

305On dit et n’est pas tromperie

Qu’à trompeurs vient la tromperie.

Pour ce, Seigneurs, je vous suplye

Que nostre esbat prenez en gré,

Adieu toute la compaignie

310Trestous de degré en degré!

EXPLICIT

NOTES

 [XXI.] Farce de Celui qui garde les Patins.

 [8] cariée. Quid?

 [48] texte corrompu.

 [56] Houseaulx vieux est un des Cris de Paris lancés par le Sot dans la farce portant ce titre (Anc. théâtre fr. t. II, p. 310).

 [78] marrien, prononciation parisienne de merrien; decovrir le m. d’aucun, découvrir le jeu de quelqu’un; cf. H. van Daele, Petit Dictionnaire de l’Ancien Français, Paris, Garnier, [1940], in-12, v: merrien (lat. materiamen).

 [105] Le procédé du Qu’esse que tu dis? où l’incriminé, qui a grommelé des injures, les rectifie par une rime s’est déjà rencontré dans la farce XIX; je l’ai retrouvé dans la Scène des Pélerins d’Emmaüs (cf. mon article dans Mélanges Wilmotte, Paris, Champion, 1910, t.I).

 [209] cestez mon, à corriger sans doute en: C’est mon, bien que cela rompe la mesure du vers.

 [212-8] Le dialogue est difficile à suivre; l’attribution de répliques par l’imprimeur, incertaine et suspecte. Il se peut que certaines appartiennent à la chanson de la Savetière, mais on ne voit pas bien lesquelles.

 [234] et friant. Faut-il corriger: effriant (effrayant)?

 [255] Sçay mon, entendez: C’est mon, cf. v. 209.

 [310] de degré en degré semble se rapporter aux gradins de la salle de spectacle et doit être noté.

Endnotes

 [15,] O: p. mains j.

 [41,] O: mon.

 [116,] O: trouvé.

 [157,] O: baudrés.

 [1] O attribue ces deux mots à la Savetière.

 [220,] O: Et v. m.

 [249,] O: Et.


 [[ Print Edition Page No. 171 ]] 

XXII
131 ro] FARCE NOUVELLE
DU MINCE DE QUAIRE
A TROIS PERSONNAGES
*

BIETRIX commence en chantant:

La tricoton, coton, la tricotée,

La belle et jolie tricotée” . . .

Dieu mercy, puis que je suis levée,[+1]

Je m’en voys laver mon visaige.

5Ne m’en chault se ne suis fardée,

J’ay le visage à l’aventage,

Chacun scet bien que c’est l’usaige

Qu’entre nous, filles à marier,

Devant que partir de la salle,

10Il fault le visaige laver.

MINCE DE QUAIRE

Ha! sang bieu, quel trasse,†[[11]]

Chanter je veulx à ce matin:

Entre Peronne et Saint Quentin,

Trouvé pastourette nommée.

15Ceste gorge est mal abuvrée,

Je beusse tresvoulentiers.

Je verroye cheoir voulentiers

Quelque peine sur ce gallant[[18-22]]

Ou quelque chauldeau flamment

20Pour festier le compaignon.

FRICQUETTE [à part]

Je suis propre comme ung ongnon,

La queue ne passe pas le germe.

Ha! par Dieu, se quelque gendarme

Me voit, il me vouldra avoir.

MINCE

25En gros bis je m’en voys†

Et m’en iray de grosse alaine.

BIETRIX

Je veulx aller à la fontaine,

Au caquet d’entre nous, filles,[-1]

Foy que doy (à) mon seigneur Saint Gille,

30Vecy Friquette qui si vient

En bel estat et se maintient.

Je vois à elle si je puis:

Dieu gard! Friquette.

FRIQUETTE

Hay! Bietrix.

BIETRIX

Le mignon, il sera mignon,

35Il fault qu’il ait belle perrucque,

Quelque mignon qui soit jà duppe

Ne me fera envers luy.[-1]

Chia, chia!

FRICQUETTE

Et fy, fy, fy!

Fault-il endurer de ces hommes!

BIETRIX

40Ilz ont l’argent, et les yvrongnes

Veullent qu’on endure d’eulx,

Et bren, bren!

FRICQUETTE

Pour ce, velà pour eulx!

131 vo]S’ilz ne m’en donnent, j’en prendray.

BIETRIX

Par bieu! aussi de mon cousté,

45Aussi fera-ge bien, Fricquette.

S’ilz veullent que tu soyes subgecte,

Je parleray à leur visage.


 [[ Print Edition Page No. 172 ]] 
FRICQUETTE

Je leur feray acroire raige,

S’il n’est beau, je n’en vouldray point,

50Panthoufles et beaux brodequins,

Quant il sentira ces tetins

Si douillez, si durs, si bien fais,

Il ne fauldra jà qu’on m’aide.[-1]

BIETRIX

Mais ragardez quelle guide[-1]

55Qui vient icy vers nous,[-2]

Car il tire vers cest endroit.

FRICQUETTE

Je sais bien, quant à mon endroit,

Regarder.

BIETRIX

Si bien que c’est rage.

MINCE [à part]

Il ne reste que le plumage

60Que ne soye en point et gorier,

Que je suis ung maistre senssier,

Ung maistre bailleur de bons jours.

Se quelque dame, par amours[[63]]

Povoye acquerir en cest estre,

65Je la mectroye à la fenestre

Et la lerroye quelque matin.

FRICQUETTE

Vecy ung gorier certes affin.

BIETRIX

Pour bien la parolle celer

Laissons-le le premier parler.

MINCE

70Dieu gard! gorières!

FRICQUETTE

Et vous gorier!

MINCE

Comment vous va?

BIETRIX

Tresbien.

MINCE

Et vous?

FRICQUETTE

A vo command!

MINCE

Trestous.

BIETRIX

Voire monsieur ane mané. [sic]

MINCE

Je suis bien arrivé[-2]

75De trouver si gentes mignonnes,

Tenez, velà chacun deux pommes

En signe d’amouretes franches

Que vous estes belles et gentes,

Que chacune de vous je baise!

FRICQUETTE

80Ha! monsieur ne vous desplaise,[-1]

Sauf vostre honneur.

BIETRIX

Sauf vostre grâce.

MINCE

132 ro]Baisez-moy face à face,

Hé! quel pourginée pour la nuyt;[-2]

Sang bieu seroit ung beau deduyt

85Qui vous tiendroit entre ses bras.

FRICQUETTE

Vous vous mocquez.

MINCE

Tant de fatras.

Ne fault point faire telz dadez,

Sang bieu ou trois acollez

A vous deux vous seriez bien aise,

90Ça, m’amye, ne vous desplaise,

Se vous requiers aucune chose

Et vous aussi, car je suppose

Que vous ne m’escondirez pas.

BIETRIX

Laissez-nous aller nos bons pas,

95Ne parlez point de telles parolles![+1]

FRIC[QUETTE]

Tant de plais ne sont que frivolles,

Laissez-nous aller no chemin!

MINCE

Dea, velà ung escu d’or fin

Pour vous payer avant la main.

FRIC[QUETTE]

100Qui a-il?


 [[ Print Edition Page No. 173 ]] 
MINCE

Veez-le là tout sain,

Il n’est ne cassé ne rompu.

BIETRIX

Vous soyez le tresbien venu

Puisque argent vous aportez.

MINCE

Il fault doncques que me baisez,

105Acollez-moy, bon preu vous face,

Vous Fricquete pareillement!

Ung doulx baiser, par mon serment,

Vous fait grant bien, je l’aperçoy.

FRIC[QUETTE]

Tenez-vous à requoy[-2]

110Tant que noz seaulx soient puisez!

MINCE

Je vous prie, ne me trompez.

BIETRIX

Nenny, nenny, n’en ayé doubte.

FRIC[QUETTE]

Vien ça, dy, Bietrix, escoute,

De cest escu g’y ay ma part.

BIETRIX

115Mon serment, il est bien coquart,

Il en sera tout du long ceint.[[116]]

FRIC[QUETTE]

C’est pour avoir ung demy saint

Ou ung chaperon de couleur.

BIETRIX

Il se tient seurement tout seur

120Que nous retournons devers luy.

FRIC[QUETTE]

Je n’y entens ne fa ne my,

Et aray-ge pas la moytié?

BIETRIX

L’autre jour j’avoye songé

132 vo]Que mon cul si croquoit noisettes

125Ou arcenicles rondelettes

Et que en cassiez les noyaulx.

FRICQUETE

Bietrix, tu fais cy tes aveaux,

Je partiray à ce butin.

BIETRIX

L’autre jour, demain au matin,

130Veulx-tu point venir au registre?

FRIC[QUETE]

Tu me bailles bien de ton tiltre,

Je te prie, laisse-m’en paix!

BIETRIX

Veulx-tu point venir au Palais

Et puis sur le Pont Notre-Dame

135Ou en quelque bonne tavernée

Et puis nous en reverrons cy?

FRICQUETE

Avant que nous partions d’icy,

J’auray la moytié de l’escu.

BIETRIX

Fricquete, que tu as gros cu!

140Tu as ung maistre porte-hors,

Tu t’en dois bien aller dehors

Sans faire à l’hostel ton ordure.

FRIC[QUETE]

Entandis que l’autre dure,[-1]

Saint Jehan, j’en auray ma part.

MINCE

145Saint Jacques, je suis bien coquart,

Je ne sais où ilz sont allez,

Ilz s’en seroient trop bien brouez,†[[147]]

Puis je perdray mon escu,

J’en seroye ceint sur le cu

150Tout du long, comme frère Pierre.

FRIC[QUETE]

Dy, Bietrix, foy que doy Saint Pierre,[+1]

Ne te joue point icy de moy,

J’aray la moytié, par ma foy,

Ou je te baudray sur ta joue.

BIETRIX

155Il n’est pas temps que je me joue,

Las, que la teste me fait mal!

FRIC[QUETE]

Tu puisses choir du hault mal,[-1]

De la maladie saint Fremin,[+1]

Affin que je parte au butin,

160Tu dis que malade tu es.


 [[ Print Edition Page No. 174 ]] 
BIETRIX

Veulx-tu avoir ung bona dies,[+1]

Ou ung bon salut de sergent?

Tu te mocques icy des gens,

Va t’en mocquer où tu vouldras.

FRICQUE[TE]

165Foy que doy Saint Germain d’Arras,

Loudière, j’en auray ma part,

Tu veulx cy jouer d’ung art,[-1]

Affin que l’escu soit à toy.

BIETRIX

C’est loing du cul, la beste est longue,133 ro][[169]]

170Le cueur me fait mal, par ma foy,

Et la teste par icy hault.

FRICQUETE

Que tu le bailles, froit Thibault,

Ce que tu dis n’est que mensonge,

Baille ma part, loudière![-2]

BIETRIX

175Comme tu tires par derrière,

Laisse-moy aller, dy, feras?

FRIC[QUETE]

Non feray, ou tu me bauldras

Mon beau demy escu content.

MINCE DE QUAIRE

Par Dieu je suis bien mal content

180Qu’ilz ne retournent icy à moy,

Je m’en vois à eulx, par ma foy

Affin que ne perde mes erres.

FRIC[QUETE]

Par Dieu, avant qu’il (ne) soit deux heures,

Je descouvreray le beau pot,

185Je t’encuseray quant Guiot

Te coucha soubz la mengouere.

BIETRIX

Je te monstreray la manière

Que tu as faulcement menty.

Guillaume du Port de Nully

190Te donna-il pas quatre solz

Pour le faire dans des choulx,

Qui estoient en vostre jardin?

Je te bailleray du fil de lin

Pour faire faire de la toille.

MINCE [à part]

195Sang bieu, ilz me la baillent belle,

Ce sont motz après le huart,

Je me tiendray cy à l’escart

Et si j’escouteray leurs ditz.

FRIC[QUETE]

Paillarde, qu’esse que tu dis?

BIETRIX

200Paillarde comme toy ribaulde,

Va, va, le plus souvent tu raude

Plus commune qu’ung pillery!

FRIC[QUETE]

L’ymage bieu, tu as menty

Par la gorge et par les dens.[-1]

MINCE

205Quoy je cuydoie avoir les gans,

Mais à ce que je voy j’en suis veufve.

FRIC[QUETE]

Tu fus dedans la maison neufve,

Quant Colinet te vint querir,

Il te le fist à beau loisir,

210Ce m’a-il recongneu depuis.

BIETRIX

Et si m’y a mené et puis,

Coquine, qu’en as-tu affaire?

MINCE [à part]

Ha! sang bieu! Je les lairray faire,

133 vo]Je n’ay garde d’en aproucher.

FRICQUETE frappe

215Tu es rusée comme ung meurtrier,[+1]

Tien!

BIETRIX

Loudière, ta vie auray!

MINCE [à part]

Plus faire je ne les lairray,

Je m’en vois querir mon escu.

[à elles]

Artez-vous, artez!

BIETRIX

Que dis-tu?

220Qu’as-tu affaire de noz noyses?


 [[ Print Edition Page No. 175 ]] 
MINCE

Sang bieu, je veulx avoir mes erres,

C’est ce qui m’amaine vers vous.

FRIC[QUETE]

Quelz erres, vous mocquez-vous,

Loudier, infâme ruffien?[-1]

MINCE

225Les sang bieu, j’en suis maistre Jehan

Et estes pas ce que je dis?

Haro! pour ung villain pertuis

Me coustera-il ung escu?

Saint Jehan, je mangus du cu,

230Par le sang bieu, vous le baudrez.

BIETRIX

L’ymage bieu! vous me lairrez

Ou vous aurez dessus la joue,

Ne cuydez pas que je me joue,

Tenez ceste buffe au visage!

MINCE

235Sang bieu! il fault que j’en soye plege

Maugré mon visage et mes dens.

BIE[TRIX]

Vous mocquez-vous icy des gens?

MINCE

Quel mocquer me ferez-vous, beste?

Je vous donray dessus la teste,

240Se ne me baillez mon argent!

FRIC[QUETE]

Quel argent? tu es bien truant,

Par Dieu, tu es bien arrivé!

MINCE

Sang bieu! je suis icy gellé,

Je ne m’en saroy où fuir,

245Ne de ce lieu-cy departir

Sans avoir des horions cent.

BIETRIX

Et faictes-vous cy le caymant?

Vous ferez vos fièvres cartaines!

MINCE

Qui vous serre vostre bedaine,

250Orde loudière que tu es!

Par Dieu, l’escu vous me baillerez[+1]

En despit de ce que vous dictes.

FRIC[QUETE]

Vous faictes-cy la chattemitte,

Sus acoup! brouez à l’esquart!

255Se ne vuidez ceste part,[-1]

134 ro]Vous aurez de l’eaue sur la teste.

MINCE

Suis-je venu en ceste feste

Pour avoir ma part si trestost?

BIETRIX

Ce ne vuidez d’icy bientost,

260Vous vous ferez batre à moy.[-1]

MINCE

La vertu bieu, je le rauray

Avant que eschapper de mes mains.

FRICQUETTE

Au meurdre du filz de putains!

Lerras-tu aller, Bietrix?

265Tu auras d’ung seau d’eau.

MINCE

Et puis,

Que ne me baille-elle ma pièce?

BIETRIX

Sainct Jehan! tu ne l’aras mais en pièce[+1]

Pour l’amour de la baterie.

MINCE

Dy, Bietrix, tu seras m’amye,

270Rebaille-moy mon escu d’or!

BIETRIX

J’aymeroy mieulx, par Saint Mor,

Que tu fusses au gibet pendu.

MINCE

Bietrix, me le donras-tu?

Par bieu! je ne te feray rien.

FRICQUETTE

275Quel escu? il est jà bien loing,

Jamais n’en ouy parler.[-1]

MINCE

Tu me feras agenouller

Devant toy avant que je l’aye,

Haro! je cuide que je n’aye

280Vertu bieu, comme je degoute!

BIETRIX

Il n’a garde de sentir la goute,[+1]

Il est fourré bien chauldement.


 [[ Print Edition Page No. 176 ]] 
MINCE

Je ne sçauray aller avant,

J’en ay les chausses toutes plaines.

285De sanglantes fièvres quartaines

Soient-ilz actaintes aujourd’huy!

Il me failloit avoir cecy,

Autre chose ne demandoye,

Je n’aye plus ne or ne monnoye,

290Tout mon argent est demouré.

FRICQUETTE

Vraiement il est bien tost broué

Depuis qu’il a eu l’eau au dos.

BIETRIX

Au moins c’est ung de noz suppostz,

Il luy en souviendra de loing.

MINCE

295Par le sang bieu! j’ay bien besoing

De m’aler chauffer à mon aise

Et bailler là de quelque soye

134 vo]Et eschapper cahu caha!

Ha! sang bieu! il m’en souviendra,

300Se les rencontre en quelque lieu.

FRICQUETTE

Nous avons joué ung beau jeu

Et bien fait tout nostre mistère.

BIETRIX

Il deveroit bien porter la haire,

Il a le dos bien frais, je pense.

MINCE [à part]

305Ilz m’ont bien baillé de leur chance,

Je n’ay mestier que d’endurer,

Si me fault-il aller disner,

Si le puis trouver daventaige.

BIETRIX

Dy, Fricquette, se tu es saige,

310Allons-m’en, tandis qu’il est heure!

FRIQUETTE

Mon maistre dira que demeure

Trop, à venir de la fontaine.

BIETRIX

Aussi ma maistresse Germaine

Dira que m’en seray allée.

FRICQUETTE

315Allons-nous endroit sans pensée

A l’hostel le mesnage faire,

Baille-moy, sans plus procès faire,

Mon beau demy escu.

BIETRIX

Tu l’auras, que dis-tu?

FRICQUETE

320Et puis que t’en diray-je?

BIETRIX

Grant mercis.

FRIQUETTE

Esse [à] toy qui le doy dire?

BIETRIX

Je m’en voys sur le chauffe-cire

Faire sceller tresbien ma lectre.

FRICQUETTE

Et moy je m’en voys sur mon maistre,

325Comme ce ne pensoye à rien.

S’il y venoit des gens de bien,

Je les serviraye par honneur.

BIETRIX

Friquette, adieu! du meilleur cueur

Que j’aye en toute ma pensée!

FRICQUETTE

330Allons-nous-en sans demourée,

Adieu Bietrix!

BIETRIX

Adieu Fricquette!

Se j’ay rien chose qui te haicte,

Ne le fais que à moy mander.

FRICQUETTE

Si vient rien, ne fais que mander,

335Je feray le commandement.

BIETRIX

Vous qui estez si en present,

Dieu vous mecte en bonne sepmaine

Et vous doint toujours de l’argent

Tant que vostre bourse soit plaine.

EXPLICIT


 [[ Print Edition Page No. 177 ]] 

NOTES

 [XXII.] Farce du Mince de Quaire. Le nom signifie: Peu d’argent (mince de nib, dit-on encore en argot). Cf. Sainéan. Les sources de l’argot ancien, t.I, p. 22.

 [18-22] Le sens m’échappe.

 [25] Gros bis, trancher du g.b., c’est faire l’important. Cf. Recueil Trepperel au glossaire, Vo trencher.

 [37] fera faut-il corriger ferira?

 [73] ane mané, peut-être coquille à corriger, mais comment?

 [83] pourginée m’est inconnu, mais appartient sans doute à la langue des gorriers ou élégants du XVe siècle.

 [87] dadez, même observation.

 [117] saint pour sain, ceinture (cf. van Daele, Dict. de l’a. fr.).

 [125] arcenicles, j’ignore ce mot et n’ai pas de correction à proposer.

 [127] les aveaux plur, de avel, plaisir (cf. ibid. in vo).

 [147] brouez, cf. v. 254. Hallés. Ilz désignent les deux filles; ce pluriel féminin est encore fréquent dans le parler populaire parisien et a été étudié par mon cousin Marcel Cohen, le linguiste.

 [203] pillery; corr.: pilori.

 [219] artez (bis), pour: arrêtez?

 [221] erres, arrhes.

 [254] brouez, cf. 147. ébrouer: plongler dans l’eau, attesté XIVe s. (cf. Dauzat, Dict. étymologique).

 [291] broué. E. Droz traduit brouer par disputer, qui ne va pas ici. Cf. 254.

Endnotes

 [11:] vers incomplet, manque le mot qui rimerait avec laver. Je ne sais d’ailleurs que faire de trasse.

 [25,] O, manque la rime.

 [40,] O: et le y.

 [51,] O: ses.

 [53-55:] ne riment pas; le texte est visiblement corrompu.

 [57,] O: Je suis.

 [63,] O: Ce.

 [116,] O: saint.

 [147,] O: broveez.

 [169:] ne rime pas.

 [210,] O: Se.

 [320:] ne rime pas.


 [[ Print Edition Page No. 178 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 179 ]] 

XXIII
135 ro] FARCE DE LA FEMME QUI FUT DESROBEE A SON
MARI EN SA HOTE ET MISE UNE PIERRE EN SON LIEU
A QUATRE PERSONNAGES
*

[vignette]

LE LABOUREUR jaloux commence en disant:135 vo]

Ma femme et ma menagière,

Il est le temps et la saison

Qu’on doit labourer chenevière.

Qui en veult avoir par raison

5Grande planté et grant foison,

Cultiver le fault de bonne heure

Ou aultrement sans achoison

On perdroit temps, je vous aseure,

Pour ce allons-y sans demeure,

10Je vous en prie, belle dame!

LA FEMME faignant estre impotente et ne povoir soustenir sur ses piedz:

Las! mon amy, c’est chose seure

Qu’aler n’y pourrois, par mon âme.

LE LABOUREUR

Et pourquoy non, ma gente femme,

Quel accident vous est venu?

LA FEMME

15Las! Dieu vous gard (e) de tout diffame,

Maistre, tresgrant mal m’est advenu.[+1]

LE LABOUREUR

Vecy ung cas mal advenu,

Or me dictes le pas menu

Où vous tient vostre maladie.

LA FEMME

20Puis qu’il convient que je le die,

Il me tient aux jambes et aux piedz.[+1]

LE LABOUREUR

Il fault bien qu’on y remedie

Par fine force de pier.

LA FEMME

De tout cela suis estourdie.

25Congnoissance que me coppiez.

LE LABOUREUR

Il fault aller chez le frippier

De bons chaussons pour vous chausser

Affin que soyez chauldement.

Ung de ses jours sans vous faulcer

30G’iray pour en avoir vrayment.

Pourtant il nous convient haster

De labourer premierement

Le chanvre, il en fault penser.

Saison en est certainement,

35Faire le fault sans demourance

Ne si faire plus grant libelle.

De prendre ma houe m’avance,

Tous mes oustilz et allumelle,

Mettre ne vueil en oubliance,

40Par Saincte Marie la belle

Ma grant boutaille d’acointance

Plaine de liqueur nompareille,

Avec elle ferons bonne chère,

136 ro]En labourant, je vous affie.

45Partirons-nous, m’amye chière?

LA FEMME

Par celuy en qui je me fye,

Aller ne puis n’avant n’arrière.


 [[ Print Edition Page No. 180 ]] 
LE LABOUREUR

M’amye, je vous certiffie

Que compaign[i]e sans renchière

50Vous me tendrez au labouraige,

J’en auray trop meilleur courage

De besongner quant vous verray.

LA FEMME

C’est à propos! Comment iray-je?

LE LABOUREUR

Ha! certes je le vous diray.

55J’ay advisé en ce passaige,

Pour mieux faire vous porteray

Et vous mettray dedans ma hotte

Ainsi tout bien se portera.

LA FEMME

Posay que la façon est sotte,

60Faictes tout ce qu’il vous plaira.

LE LABOUREUR

Que je vous embrasse, ma sotte,

Pour veoir comment il en yra,

Estes-vous bien ma dorelotte?

LA FEMME

Chascun de vous se mocquera

65De me porter aux champs ainsi.

LE LABOUREUR

Laissez leur en faire le gal.

LA FEMME

D’autre part il y a ung si

Que s’il m’en prenoit aulcun mal,

Vous en serez presque transi,

70Desprisay et mis au raval.

LE LABOUREUR en chargant la hotte

Non feray, charger fault cecy

Et m’en iray par cy aval

Pour besongner bien vistement.

FRERE FRAPPART, le chasseur Cordelier, advise le laboureur portant sa femme.

Ha! frère Jehan le transporteur!

75Vela ung sot, par mon serment,

Ung villain jaloux qui se portent

De sa femme tout seurement

En une hotte, j’en suis seur,

Pour la garder plus vivement

80Et en estre trop plus asseur,

C’est le laboureur de cy près:

Sa femme contrefaict la morte.

LE CLERC

Qui est-il, esse Jehan des Prés?

FRERE FRAPPART

136 vo]Et ouy, que le dyable l’emporte!

85Sa femme vers moy bien se porte,

Je le vous prometz par expretz.

Quant son mary passe la porte,

Nous entresentons comme cyprès,

C’est femme de bien pour cela.

LE CLERC

90Dictes-vous vray?

FRERE FRAPPART

Ouy, sans nul(le) doubte.

Quant je huche: “Holà! qui est là?”

Incontinent sus je me boute

Tout à deux coups, c’est fait, velà!

Aultre chose il ne me couste

95Ne nul chante ne sol ne fa,

G’y ay plaisance infinie.[-1]

LE CLERC

Y allés-vous souvent?

FRERE FRAPPART

Nenny!

LE CLERC

Si faictes si!

FRERE FRAPPART

Je le vous nye.

LE CLERC

Pourquoy?

FRERE FRAPPART

De peur d’estre pugny

100Et trouve malle compaignie.

LE CLERC

En avez-vous esté bany

Puis peu de temps? Je croy que non.

FRERE FRAPPART

Non, mais je crains d’avoir fornye

Mon eschine, ou je regnye,

105De tresmauvais coups de batons.

Il fault affiner ce galant

Frere Jehan, il fault que mettons

Diligence tout batant,[-1]

Sans que plus icy escoutons

110D’avoir ceste femme errant

Pour en jouyr à mon souhait.


 [[ Print Edition Page No. 181 ]] 
LE CLERC

Par quelle façon pourra-il estre?[+1]

[FRERE] FRAPPART

Nous ferons tresbien nostre fait,

Se m’en croyez, par Sainct Silvestre.

115Je m’en iray sans faire plait

Par ce chemin à dextre

Au devant de luy tout attrait,

Affin de mieux le faire paistre

Et après luy yrés le pas.

LE CLERC137 ro]

120Et puis que fauldra-il faire?

FRERE FRAPPART

Il fault que vous n’oubliez

Une aultre chose.

LE CLERC

Sainct Hylaire,

Et quoy?

FRERE FRAPPART

Une pierre dans voz bras

Très grosse, il est necessaire,

125Et le suivez tout par compas.

LE CLERC

Et puis?

FRERE FRAPPART

A son viaire[-2]

M’aparoistré tresbien et beau,

Le blasonnant le mieux du monde.

LE CLERC

Et cependant.

FRERE FRAPPART

Par Sainct Marceau,

130Sans sonner mot, ou qu’on vous tonde,

Prendrés la femme au lourdeau[-1]

Et [en] son lieu, parolle ronde,

La pierre mettrés pour fardeau,

Puis la portés comme une aronde

135Et en ce point il sera prins.

LE CLERC

Seullement allez l’amuser,

Pour le surplus je suis aprins.

FRERE FRAPPART

Se je ne le sçay abuser,

D’ygnorance seray surprins,

140Je say assés de bien ruser,

Jamais de ce ne suis reprins,

On ne me doit point refuser

Pour ung bon bailleur de bons jours.

LE CLERC

Or allés tost, sans nul sejours,

145Affin d’avancer nostre cas.

FRERE FRAPPART

Je prie à Dieu que cent ducatz

Vous doint et tresbonne amitié.

LE LABOUREUR

A vous aussi, par Saint Lucas!

FRERE FRAPPART

Vous vueil donner sans rebecas!

LE LABOUREUR

150Dieu vous tienne en equité.[-1]

FRERE FRAPPART

Je prie à Dieu que cent ducatz

Vous doint Dieu et bonne sancté.

Or ça sire en cest esté,

137 vo]Le temps s’est-il porté deuement?

LE LABOUREUR

155Il a terriblement venté.

FRERE FRAPPART

Or ça, sire, en cest esté

A-il esté rien tempesté?

LE LABOUREUR

Rien ne sçay veritablement.

FRERE FRAPPART

Or ça, sire, en cest esté

160Le temps s’est-il porté deuement?

LE LABOUREUR

La mercy Dieu passablement,

Besoing n’y a que de pecune.

FRERE FRAPPART

La reigle en est tout commune,[-1]

Le remède c’est pacience.

LE LABOUREUR

165Il est vray, ce n’est pas science

D’en murmurer, et tant en sçay-je.

FRERE FRAPPART

Present allez au labouraige

Ainsi que j’ay presupposé.


 [[ Print Edition Page No. 182 ]] 
LE LABOUREUR

Ouy, sire!

FRERE FRAPPART

C’est tresbien advisé.[+1]

170Fait-il bon cultiver la terre?

LE LABOUREUR

Ouy dea! monsieur.

FRERE FRAPPART

Par Sainct Pierre,

C’est donc tresbien fait d’y entendre,

Aller m’en fault sans plus attendre

Pour disner à nostre couvent.

LE LABOUREUR

175Saige serez, à tout comprendre.

FRERE FRAPPART

Aller m’en fault, sans plus attendre

Et vous, laboureur, sans mesprendre,

Combien qu’ayés au cul le vent,

Aller m’en fault sans plus attendre

180Pour disner à nostre couvent.

Adieu vous dy pour le present,

Une autre fois nous vous verrons.

LE LABOUREUR

Allez à Dieu qui est decent

Pour nous pourvoir, quant nous mourrons.

FRERE FRAPPART

185Or ça, m’amours, nous jouyrons

Maintenant d’amours à plaisir.

LA FEMME

Accolerons et baiserons.

[FRERE FRAPPART]138 ro]

Or ça m’amours nous jouyrons,[[188]]

L’ung contre l’autre jouxterons.

LA FEMME

190D’autre chose je n’ay desir.

FRERE FRAPPART

Or sa, m’amour nous jouyrons

Maintenant d’amour à plaisir.

LE LABOUREUR

Il me fault icy par loysir

Poser et mettre ma hotté[e].

195De travail, pourrois bien basir,

Il me fault icy par lovsir

Descharger puis, après, choisir

Lieu pour commencer ma journée,

Il me fault icy par loysir

200Poser et mettre ma hottée.

Ha! Jehannette, mon assotée,

Ma mye, estes-vous perdue?

Vous a l’en d’icy emportée,

Ha! Jehannette, mon assottée,

205Vous a point quelqu’un transportée

Ou s’en pierre vous estes rendue?

Ha! Jehannette, mon assottée,

M’amye, estes-vous perdue?

FRERE FRAPPART

Aller me fault sans attendue

210A vostre mary veoir (ce) qu’il fait.

LA FEMME

Advis luy est que (je) suis fondue.

FRERE FRAPPART

Aller me fault sans attendue

Par devers luy la main tendue

Luy demandant qu’il a forfait,

215Aller me fault sans attendue

A vostre mary veoir qu’il fait.

LA FEMME

Allez donc tout à ung trait[-1]

Et le parachevez de paindre.

FRERE FRAPPART

Je le feray, je vous promet,

220Tantost plourer, sans plus s’en faindre.

LA FEMME

Ne vueillez plus icy remaindre,

Allés-vous-en sans sejourner!

FRERE FRAPPART

Je le feray si vif attaindre

Qu’à vous obeir vouldra pener.[+1]
     [au Laboureur]

225Mon voisin, Dieu vous vueil donner

Longue, saincte et bonne vie![-1]

LE LABOUREUR

Las! monseigneur, je me desvie,

Ou peu s’en fault, je vous prometz.

FRERE FRAPPART

Avez-vous sur quelqu’ung envie?


 [[ Print Edition Page No. 183 ]] 
LE LABOUREUR138 vo]

230Las! monseigneur je me desvie

Pour ma femme, je vous pleuvie,

Que j’ay perdue pour tous metz,

Las! monseigneur, je me desvie,

Ou peu s’en fault, je vous prometz.

FRERE FRAPPART

235Voicy ung piteux entremetz:

Est perdue, mais à quel lieu?

LE LABOUREUR

D’aultre espoir je [ne] me desmetz.

FRERE FRAPPART

Voicy ung piteux entremetz:

Tel chose, je croy, n’avint jamais.[+1]

LE LABOUREUR monstrant sa hotte

240Je l’ay perdue en ce lieu.

FRERE FRAPPART

Voicy ung piteux entremetz:

Est perdue, mais à quel lieu?

LE LABOUREUR

En celle hotte, par le sang bieu,[+1]

L’ay perdue et non ailleurs.[-1]

FRERE FRAPPART

245En celle hotte, par Saint Mathieu![+1]

LE LABOUREUR

En celle hotte, par le sang bieu,

Je la portoye, mais j’advoue Dieu,

Celle pierre est pour ses valleurs.

En celle hotte par le sang bieu

250L’ay perdue et non ailleurs.

FRERE FRAPPART

Ha! mon amy ce sont couleurs

Que gramment avez offencé.

LE LABOUREUR

Peult-estre que ce sont railleurs.

FRERE FRAPPART

Ha! mon amy ce sont couleurs

255Que vous avez pour voz folleurs

Quelque peché fait ou pensay.

Ha! mon amy, ce sont couleurs

Que gramment avez offensay.

LE LABOUREUR

Et par mon âme je ne sçay

260Se c’est point par ma jalousie.

FRERE FRAPPART

De ce seriés incensay.

LE LABOUREUR

Et par mon âme je ne sçay.

Trestout pensay et pourpensay

J’en avoys.

FRERE FRAPPART

Et quoy fantasie?

LE LABOUREUR

265Et par mon âme je ne sçay

Se c’est(oit) point par ma jalousie.

FRERE FRAPPART139 ro]

Or me dictes par courtoisie

Pour quel[e] cause la portiés.

LE LABOUREUR

Je le diray par advisez:

270Cheminer elle ne povoit

Sur les piedz, ainsi qu’elle disoit[+1]

Par accident survenu brief.

FRERE FRAPPART

Velà dont vient tout le meschief

Et donc vous dampnez vostre âme,

275Mescroyant vostre preude femme

D’estre paillarde adultaire,[-1]

Qui ne l’est pas, mais debonnaire

Et loyalle à sa partie.[-1]

Pour cela Dieu l’a convertie

280Et reduyte en celle pierre.[-1]

Par peché tressouvent on erre

De quoy on a pugnition

En quelque temps sans fiction,

C’est une reigle bien commune.

285En Bible avons histoire d’une

Et d’un quidem à qui Dieu dist

Que brief d’une cité sortist

Et que après luy ne regardast,

Mais sans sejourner s’en allast.

290Le commandement Dieu trespassa

Mais plus avant el ne passa

Qu’en pierre Dieu la transmua

Et d’ainsi longtemps ne mua.

Maintenant m’en est souvenu.

295Ce malheur cy est advenu

Pour vostre enorme peché[-1]

Dont avez esté entaché

En pensant mal où point n’y est.

LE LABOUREUR

Et quel remède?


 [[ Print Edition Page No. 184 ]] 
FRERE FRAPPART

Sans arrest

300Il vous fault du tout disposer

Sans reffuser ne opposer

A requerir grâce et mercy

A Dieu, lequel vous face ainsi

Et luy plaise vous pardonner

305Par ainsi que habandonner

Au grant jamais vous ne vouldrez

D’aultruy mesdire, ne touldrez

A nul sa bonne renommée

Et luy plaise que transmuée

310Soit vostre femme et remise

Au premier estat sans demise.

Or priez bien Dieu, sainctz et sainctes

Et je m’en vois sans nulles fainctes

139 vo]A nostre couvent le prier,

315Or vous verrés sans detrier

Bien briefvement vive et saine

Vostre femme en chair humaine[-1]

Bien formée et restablie.[-1]
[Il rejoint la Femme]

LE LABOUREUR à genoulx

Saincte Trinité anoblye,

320Père et Filz et Sainct Esperit,

Je te prie, pas ne m’oublye,

Deffends-moy contre l’Antecrist,

Qui doit venir com dist l’escript.

Je te pry que par ton edit

325Ma femme me soit retournée

Tantost en son premier estat

Qu’ainsi m’a esté destournée!

Il te plaise la m’adresser

Et jamais ne sera journée

330Que ne t’ayme sans varier.

J’ay bien failly en cest année

A te servir dont mercy quier

Et te supply, pardonne-moy!

FRERE FRAPPART

Je l’ay bouté en grant esmoy

335D’avoir peché et en grant doubte.

LA FEMME

Et comment?

FRERE FRAPPART

A genoulx se boutte

Et prie Dieu devotement

Qu’i vous retourne briefvement

Et jamais ne vous mescroira.

LA FEMME

340C’est bien besongné.

FRERE FRAPPART

Il fauldra

Que frère Jehan si vous retourne

Et sans tenir le pied à borne

S’en revienne, si pris, si mis.

LE CLERC

Je ne suis fondu ne remis

345Que ne le face à deux coups.

FRERE FRAPPART [à son clerc]

O frère Jehan, mon amy doulx,

Apportez-la, je voys devant

Pour la(s) musser, de ce me vant,

Et venez après moy bonne erre

350Et n’oubliez pas vostre pierre

A raporter, qu’il ne l’advise!

LE CLERC

Allez, j’entens bien la devise.

Ne vous chaille, laissez-moy faire!

FRERE FRAPPART

Or sa, mon amy debonnaire,

355Avez-vous bien Jesus prié?

LE LABOUREUR

Oncques puis ne cessay de braire.

FRERE FRAPPART

Or sa mon amy debonnaire,

Une oraison vous fault refaire.

LE LABOUREUR140 ro]

J’ay bien à Dieu mercy criay.

FRERE FRAPPART

360Or sa, mon amy debonnaire,

Avez-vous bien Jesus priay?

LE LABOUREUR

Je l’ay priay et depriay

Autant que m’a esté possible,

Mais aucune chose visible

365Je n’ay veue de ma femme

Ne ouye aulcune nouvelle,

Je ne sçay moy que ce peult estre.


 [[ Print Edition Page No. 185 ]] 
LA FEMME retournée

Dieu vous benie le roy celestre[+1]

Mon mary et la compaignie!

LE LABOUREUR

370Tresbien venez vous en cest estre.

LA FEMME

Dieu vous benie le roy celestre

Par ce qu’avez voulu promettre

A Dieu, il m’a à vous unie.

Dieu vous benie le roy celestre

375Mon mary et la compaignie!

LE LABOUREUR

Ha! ma femme, Dieu vous benye!

Mercy vous requier et pardon,

Je vous ay fait grant villenie.

Ha! ma femme, Dieu vous benye!

380Vous estes de bonté garnye,

Du vray Dieu en avez le don,

Ha! ma femme, Dieu vous benye!

Mercy vous requiers et pardon.

LA FEMME

En nostre amour nous concordon

385Par nos ditz, vous tous le(s) voyez.

LE LABOUREUR

Mais que point ne nous discordon!

LA FEMME

En nostre amour nous concordon.

LE LABOUREUR

Se aultrement nous discordon

Nous pourrons estre desvoyez.

LA FEMME

390En nostre amour nous concordon

Par nos ditz, vous tous le voyez.

FRERE FRAPPART

Bien faisant soyez avoyez,[[392-399]]

Adieu vous dy pour le present.

Je ne vous puis pas convoyer

395Bien faisant soyez advoyez.

Se d’honneur vous vous p[o]urvoyez

Prouffit aurez bel et decent,

Bien faisant soyez advoyez,

Adieu vous dy pour le present.

EXPLICIT

[140 verso blanc]

NOTES

 [XXIII.] Farce de la Femme qui fut desrobée à son mari en sa hotte. L’alternance des rimes pratiquée ici est bien rare dans le théâtre comique en dehors des rondels.

 [76] se portent, faut-il corriger se portant, mais la phrase n’en est pas meilleure?

 [392-399] L’auteur abuse de la forme du rondel que j’ai marquée en imprimant les refrains en caractères espacés, ce que l’original ne fait point. Conclusion morale d’une farce qui ne l’est pas.

Endnotes

 [154,] O: cest-il.

 [188,] O: sa.

 [226,] O: Bonne, dittographie.


 [[ Print Edition Page No. 186 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 187 ]] 

XXIV
141 ro] FARCE NOUVELLE
TRES BONNE ET FORT JOYEUSE DU DORELLOT AUX FEMMES QUI EN A LA CHEMISE BERTRAND
A QUATRE PERSONNAIGES
*

BERTRAND commence

Mon tecton!

SADINETTE femme Bertrand

Et hay, avant hay!

BERTRAND

Sans me faire plus de delay,

Seray-je point baisé en l’oeil?

SADINETTE

Haro! et d’où vient cest orgueil?

BERTRAND

5Ma poupée!

SADINETTE

Tant de fatras!

BERTRAND

Le vous feray-je?

SADINETTE

Ouy dea, trois,

Encore beaucoup, par Saint Pierre.

BERTRAND

M’amye!

SADINETTE

Quoy?

BERTRAND

Dont vient tel guerre,

Qu’avez-vous, ma doulce rousée?

SADINETTE

10Et rien, rien.

BERTRAND

Estez-vous coursée

Contre moy, que vous ay-je fait?

SADINETTE

Tant dire!

BERTRAND

Mon cueur!

SADINETTE

Tant de plait!

Ha! que vous estez ennuyeulx,

Laissez-m(oy) en paix!

BERTRAND

Bien je le veulx,

15Mais belle dame dictez-moy

141 vo]Ung bon mot.

SADINETTE

Aye! laissez-moy!

BERTRAND

Qu’avez-vous, estez-vous malade?

SADINETTE

Nenny, que vous estez maussade!

BERTRAND

Acollez-moy, ma doulce conn[e]!

20Ferez-vous?

SADINETTE

Encor(e)?

BERTRAND

Ma mignonne!

SADINETTE

Cecy!

BERTRAND

Mon tout, mon entretant,

Baisez-moy!


 [[ Print Edition Page No. 188 ]] 
SADINETTE

Et trut! trut avant!

Fouet à l’huys, ilz sont passez . . .

Tant de mines!

BERTRAND

Vous vous farsez,

25Et d’où viennent ces petits motz?

SADINETTE

Mon Dieu qu’il en y a de sotz,

Quant tout le monde est levay.[-1]

Est-il?

BERTRAND

Suis-je bien arrivay?

Tournez-vous deça mon trestout

30Et d’ung beau baston à ung bout

Aurez, avant que je repose,

Doze fois.

SADINETTE

Helas! doulce chose!

Vueillez m’acoller ce pousteau!

BERTRAND

Ma femme!

SADINETTE

Tenez, quel joyau!

35Hélas! et qu’ilz ne le me font!

BERTRAND

Qu’esse si? comment on respond?

Auffort, il n’est que d’endurer.

SADINETTE

Vous deveriez beaucop durer.

BERTRAND

Comme quoy?

SADINETTE

Vous estez bien neuf.

BERTRAND

40Atache.

SADINETTE

Avez-vous point seuf?

Il vous fault boire ceste honte.

BERTRAND

142 ro]Ha! dea! vous avez vostre compte!

Nous sommes bien, ma dame sue.

SADINETTE

Tenez cy, suis-je bien pourveue,

45Ne suis-je pas bien endouée?

BERTRAND

Allons!

SADINETTE

Je suis ailleurs douée,

C’est bien du moins de mon soucy;

Tant de prières!

BERTRAND

Qu’esse cy?

Et dictes-moy, se vous voulez,

50Qu’il y a!

SADINETTE

Quoy? ilz sont couchez.

Mon amy, le logis est plain,

Nous sommes bien, c’est à demain!

Je n’ay rien encor une fois,

Vecy grant hideur!

BERTRAND

Je m’en vois,

55Par le ventre bieu, par despit.

SADINETTE

Par Nostre Dame, c’est bien dit,

Vous me pugnirez par ce point.

BERTRAND

Ventre bieu! me baillez de l’oingt,†[[58]]

Je suis fort en sa malle grace.

60Quel remède? ho! je m’en passe[-1]

Pour le present d’en plus parler.

Se ne luy laisse bien ronger

Son frain, que je n’en aye rien!

FAICTE AU MESTIER, maquerelle

Qui est ceans! y puis-je bien,

65Tant doulcette?

SADINETTE

Hay! ma commère,

Comment vous portez-vous quil cherre?

Qui vous maine en ce quartier?[-1]

S’il y a rien sur le mestier,

Je te prie qu’on le m’entame.

FAICTE [AU MESTIER]

70Et je vous viens veoir, belle dame.

Il est grant maistre, qui vous voit.

SADI[NETTE]

Dieu le scet!

FAICTE [AU MESTIER]

J’ay veu qu’on souloit

T’entretenir au moins aux festes.


 [[ Print Edition Page No. 189 ]] 
SADI[NETTE]

Ha! que c’est bien dit, que vous estes

75Grant baveuse, quant vous voullez!

FAICTE [AU MESTIER]142 vo]

Je croy que vous mescongnoissez . . .

Et bien, bien?

SADI[NETTE]

Dieux, où sommes-nous?

FAICTE [AU MESTIER]

142 vo]Et puis comment en estes-vous?

SADINETTE

De qui?

FAICTE AU MESTIER

De vostre beau mary.

SADI[NETTE]

80Comment? je l’ay bien fait marry,

Je l’ay bien mys en fièvres blanches.

FAICTE [AU MESTIER]

Je me fais fort que tu luy trenches,

Ne fais pas de la precieuse.

SADI[NETTE]

Non, guère!

FAICTE [AU MESTIER]

Quel religieuse!

SADI[NETTE]

85Il ne scet comment me complaire,

Car par Dieu je le vous fais taire

Et bouter dedans ung minot,

Se je veulx.

FAICTE [AU MESTIER]

Hé! povre Jehannot!

SADI[NETTE]

Oultre plus je le fais lever

90Pour me bailler l’eau à laver

Ou pour m’aller querir le pot

A l’orine.

FAICTE [AU MESTIER]

Povre Jehannot!

Tu es vray martir en ce monde!

SADI[NETTE]

Vous n’avez garde qu’il responde

95Pour injure que je luy disse.

FAICTE [AU MESTIER]

Non?

SADI[NETTE]

Non, non, que je luy fisse[-1]

Tantost rabaisser son caquet.

FAICTE [AU MESTIER]

En effet je voy bien que c’est,

Il n’oseroit sonner ung mot

100Contre toy.

SADI[NETTE]

Et ouy dea, tantost

Par Nostre-Dame si hardy.

FAICTE [AU MESTIER]

Je t’en croy, mais laissons cecy,

Vien ça, depuis quant ne vis-tu —

Je l’ay bien aultreffois congneu —

105Cestuy-là?

SADI[NETTE]

Qui?

FAICTE [AU MESTIER]

Ton dorelot,

Ton mignon, ton petit fallot,

Que sçay-je? ton gouvernement.

SADI[NETTE]

Je le vy l’aultre jour vrayement

Au moustier en oyant la messe.

FAICTE AU MESTIER143 ro]

110Y eut-il point quelque promesse

Ne heure signée nullement?[+1]

SADINETTE

Nenny, par bieu!

FAICTE [AU MESTIER]

Non?

SADI[NETTE]

Seurement,

Car je faignois de le veoir point.

FAICTE [AU MESTIER]

Ton dorelot est en tel point

115Qu’il ne scet s’est homme ou femme.[-1]

SADI[NETTE]

Mais par bieu!

FAICTE [AU MESTIER]

Voire sur mon âme,

Bref il n’en dort ne jour ne nuyt,

Il en pert les piedz.


 [[ Print Edition Page No. 190 ]] 
SADI[NETTE]

J’ay grant paour

Qu’il y laisse ung jour sa plume.[-1]

FAICTE [AU MESTIER]

120Il fault ensuivre la coustume,

Croyez qu’il en est bien feru.

SADI[NETTE]

Mais par bieu!

FAICTE [AU MESTIER]

Je n’eusse pas creu

Qu’il en eust bouté com il fait.

SADI[NETTE]

Mais de vray?

FAICTE [AU MESTIER]

Il est plus deffait

125Et blesme que n’est ung drappeau.

SADI[NETTE]

Et ne scet-il aller tout beau?

De quoy s’echauffe le jeune homme?

Il pert sa peine, c’est la somme;

Il fault qu’aultre face son cours.

FAICTE [AU MESTIER]

130Que voullez-vous? ce sont amours.

Par bieu! il fist hier bien cent tours

Par cy devant pour te trouver.

SADI[NETTE]

Il ne vault rien, non, pour foncer.

FAICTE [AU MESTIER]

Pourquoy?

SADI[NETTE]

Il est trop bas de poil,

135Je croy qu’il fut né à Nouel

Ou qu’il a esté pelé.[-1]

FAICTE [AU MESTIER]

Je m’en doubte, il est gelé,[-1]

Il est defferay tout à plat.

SADI[NETTE]

Vous le voyez eschac et mat

140Ainsi est le gallant galé.

FAICTE AU MESTIER

143 vo]C’est cela, il a tant fillé

Et foncé qu’il n’a plus que frire.

SADI[NETTE]

Et s’il revient?

FAICTE [AU MESTIER]

Il luy fault dire

Que les fourriers y ont esté,

145Qui y ont ung autre bouté

Et que tout le logis est plain.

SADI[NETTE]

Et qu’il revienne quant?

FAICTE [AU MESTIER]

Demain;

Par ce point sera debouté.

SADI[NETTE]

Il sera de moy bien traicté

150Pourveu que tout premierement

Il fournisse l’appointement.

FAICTE [AU MESTIER]

Et sans cela?

SADI[NETTE]

Fouet à l’huis.

Ha! il foncera, se je puis,

Ou il y laissera l’endosse:

155Velà tout!

FAICTE [AU MESTIER]

C’est com on escosse

Les galans qui n’ont point de pluc

Aufort.

SADI[NETTE]

Frappé-je pas au but?

Velà le cas! velà la guise!

FAICTE [AU MESTIER]

Ha! s’il n’en a doncques?

SADI[NETTE]

Degrise,

160Fouet, advise le pelé,[-2]

Fy, fy!

FAICTE [AU MESTIER]

La crois bieu, c’est parlé

Proprement et de main de maistre.

SADI[NETTE]

N’est pas donc?

FAICTE [AU MESTIER]

Tu es digne d’estre

La mignonne d’ung petit roy,

165Par Dieu!

SADI[NETTE]

Suis pas?


 [[ Print Edition Page No. 191 ]] 
FAICTE [AU MESTIER]

Ouy, par ma foy,

Tu scez tout ce qu’il en peut estre,

Tu es faicte.

SADI[NETTE]

C’est bien dit, maistre,

Je ne suis que ton escollière.

FAICTE [AU MESTIER]

Par mon serment tu es ouvrière

170Liève quant tu veulx ta bouticle.

SADI[NETTE]

Mais sces-tu bien par quel moyen?

C’est trop parlé de la manicle.

Faicte au Mestier, par serment,

Vidz-tu mon gouvernement?[-1]

175Pieça je cuide qu’il est mort.

FAICTE AU MESTIER

Ha! par le corps bieu, il a tort

Qu’il ne s’acquite autrement

De te venir veoir.

SADI[NETTE]

Voirement,

J’ay peur qu’il n’ait empeschement,

180Car j’ay veu qu’il ne passoit jour

Qu’il ne vint faire cy ung tour,

J’ay peur qu’il ne prenne moustarde.

Autre part, certes il me tarde

Merveilleusement de le veoir.

LE DORELOT

185Est-il possible de faire son debvoir[+1]

Plus loyaument ne mieulx soy aquiter?

N’est-il possible à engin concepvoir

Les maulx qu’on a pour loyaument avoir?[[188]]

Par Dieu nenny, car je m’ose vanter

190Que, pour servir amours de loial cueur,

Je suis celuy qui y veulx employer

Corps et âme, mais touteffois j’é peur

Que celle en qui est mon tout seul refuge

Ne me congnoisse, veu le piteux deluge

195Là où Fortune m’a mis tout desnué.

Mais quel remede est de moy sué?[-1]

Je ne desire autre chose ne vueil

Tant seulement que d’elle un doux acueil.

Or ne fault-il qu’ung bon hazart[[199]]

200Et par Dieu jà homme couart

N’acquerra jamais belle dame.

Iray je? et ouy sur mon âme,

Il n’a rien qui ne s’adventure.

Qui est ceans?

SADI[NETTE]

Je vous asseure

205Que vecy mon gouvernement

Qui vient.

FAICTE [AU MESTIER]

Mais par Dieu.

SADI[NETTE]

Ouy, vrayement.

Belle dame, Faicte au Mestier,

Va y veoir.

FAICTE [AU MESTIER]

Feray-je l’entrer?

SADI[NETTE]

Ouy, mais se c’est mon dorelot,[[209]]

210Dy luy que tu reviens tantost

Et que je suis ung tantinet

Empeschée. S’il n’est mye nect,

Hardiment que je n’en aye(s) rien.

FAICTE [AU MESTIER]

Tu te deschargeras de luy.

SADINETTE144 vo]

215Se je sçay bien, et ouy ouy,

Va veoir qui c’est seullement.

FAICTE [AU MESTIER]

Qui esse là?

LE DORELOT

C’est ung gallant.

FAICTE [AU MESTIER]

Que demandez-vous, mon amy?

LE DORELOT

Or escoutez! avez-vous ouy?

220Je vous demande en mariage,

M’amye.

FAICTE [AU MESTIER]

Dieux! quel avantage!

Vostre amye n’est pas si noire;

Qui a-il, de par Dieu?

LE DOR[ELOT]

Quoy?


 [[ Print Edition Page No. 192 ]] 
FAICTE [AU MESTIER]

Voire.

LE DOR[ELOT]

Sadinette est el[le]ceans?

FAICTE [AU MESTIER]

225S’elle y est? ouy dea! Riens, riens!

A l’autre huys allez, mon frère!

LE DOR[ELOT]

Et dea! ne soyez pas si fière

Qu’ayes audience ung seul mot,

Dictes-luy (que) c’est son dorelot,

230Qui l’a autreffois gouvernée.

FAICTE [AU MESTIER]

Elle est ailleurs embesongnée,

Mon amy, Dieu vous face bien!

LE DOR[ELOT]

Et pour Dieu soyez mon moyen,

Je vous donray ung chapperon,

235Par le ventre bieu!

FAICTE [AU MESTIER]

Nenny non!

En alen[t] ainsi pour des prunes,

Eschez! allez à ses communes.

Noz amys, vous vous abusez.

SADINETTE

Qui esse, comment vous musez,

240Luy fault-il tenir tant de plait?

FAICTE [AU MESTIER]

C’est vostre dorelot.

SADI[NETTE]

Non est.

Et que veult-il, le bon seigneur?

En a-il?

FAICTE [AU MESTIER]

Par bieu! j’ay grant peur

Qu’il ne soit des plus bas persez.

SADI[NETTE]

245Il y en aura donc de farsez[+1]

Bien au vif. Fay, fay le venir!

FAICTE AU MESTIER

145 ro]Et s’il n’en veult compte tenir,

Quel pars?

SADINETTE

Ung beau congié de court;

Vidimus sans queue.

FAICTE AU MESTIER

Tout court!

SADI[NETTE]

250Que veulx-tu? n’esse pas assez?

Fay le venir sans plus.

FAICTE [AU MESTIER]

Passez.

SADI[NETTE]

S’il en a, on me puist estaindre!

S’il n’est bien achevay de paindre,

Hardiment que je n’en ayes rien!

FAICTE [AU MESTIER]

255Ça, où estes vous? Je revien.

Saint Jaques, je l’ay tant preschée

Qu’en la fin si est accordée

Moyennant aussi par tel si,

En tout bien.

LE DORELOT

La sienne mercy

260Et le vostre, Faicte au Mestier.

FAICTE [AU MESTIER]

Il n’y a de quoy; ça entrer.

LE DORELOT

Ma seulle pensée,

Mon tout, mon plaisir

Et ma mieulx aymée

265Que je veulx servir,

Comment va?

SADI[NETTE]

A vostre plaisir,

Mon dorelot, mon assoté,

Où a’vous si long temps esté,

Beau sire, sans me venir veoir?

LE DORELOT

270Je n’ay pas bien fait mon devoir,

Mais je recompenseray tout.

SADI[NETTE]

Croyez que (je) vous ayme beauco[u]p,

Mais vous estes si grans baveux

Entre vous hommes et joncheux.


 [[ Print Edition Page No. 193 ]] 
LE DORELOT

275Quoy? cela ce n’est que pour rire.

SADI[NETTE]

Je sçay que vous sçavez dire[-1]

Voire d’entre nous povres femmes.

Brief, nous en avons tous les blasmes

Quant en avez fait voz choulx gras.

LE DORELOT

280Et comment cela?

SADI[NETTE]

A plain bras

Chascun en dit sa rastellée

Et fault qu’on soit deshonnourée

Sans plus pour vous faire plaisir.

LE DORELOT145 vo]

A! mort.

SADINETTE

Vous me faictes mourir.

LE DORELOT

285Par la mort je ne saiche point

Qu’oncques . . .

SADI[NETTE]

Pour Dieu! n’en jurez point!

Pour cest heure, il n’est ja mestier;

On nous tient bien sur le mestier

Mainteffois que n’y pensons pas.

LE DORELOT

290Vous le dictes.

SADI[NETTE]

Helas! helas!

FAICTE AU MESTIER

Ha! par ma foy, il n’oseroit!

SADI[NETTE]

Non, je croy on le batroit![-1]

LE DO[RELOT]

Ceulx qui le font sont bien infames;

On list bien plainement des femmes

295Sans en rien charger leur honneur.

SADI[NETTE]

Venez ça aussi, Monseigneur.

M’aviez-vous pas pieça promis

Une robe?

FAICTE [AU MESTIER]

Encor vault pis.

SADI[NETTE]

Une chose promise est deue.

LE DO[RELOT]

300Et par Dieu! j’en ay une vestue[+1]

Qui est bien vostre, s’il vous plaist,

Et le corps avec.

SADI[NETTE]

On nous paist

Assez souvent de tel promesse.

LE DO[RELOT]

Par le sacrement de la messe

305J’en ay en mon logis deux coupples,

Deux fourrées de martes, deux dobles[+1]

Bien à vostre commandement.

SADI[NETTE]

Ha! la vostre mercy vrayement,

Pas ne vous vouldroies tant charger.

LE DO[RELOT]

310Or en effect, pour abreger,

Ne le faictes sans plus que dire.

SADI[NETTE]

En avez-vous point une pire

Que celle que avez vestue?

LE DO[RELOT]

Pourquoy?

SADI[NETTE]

Ma fille est tant nue,

315Je luy en feroie(s) une robe.

LE DO[RELOT]146 ro]

Par Saint Jehan, avant que hobe

D’icy, dame, el[e l’] aura.

SADINETTE

Sauf vostre grâce.

LE DORELOT

Si aura,

Par le ventre bieu, belle dame.

SADINETE

320Ouy, mais vous seriez infame[-1]

De vous en aller en pourpoint,

De par Dieu.

LE DORELOT

Ne m’en parlez point.


 [[ Print Edition Page No. 194 ]] 
SADINETTE

Grant mercis, jusqu’au desservir.

La pourray-je faire servir

325A me faire une simple cote

Ceste-cy?

FAICTE AU MESTIER

Tant vous estez sotte.

SADINETE

Ce sont erres de revenir.

LE DOR[ELOT]

Par bieu je suis presqu’au mourir

De la naturelle amictié

330Que j’ay en vous.

SADI[NETTE]

Velà grant pitié[+1]

LE DOR[ELOT]

Ma douleur est si tresterrible,

En effect, il n’est pas possible

D’aimer tant. J’en meurs sur le pié

Seurement.

SADI[NETTE]

Et velà grant pitié.

LE DORELOT

335Venez ça! m’en croyez-vous point?

La mort bieu! j’en suis en tel point

Et plus encore de la moictié

Que je ne dy.

SADI[NETTE]

Velà grant pitié[+1]

De si mortelle maladie.

LE DOR[ELOT]

340Il n’est nul qui y remedie

Que vous, pour en bref m’aleger.

SADI[NETTE]

Vous estez en ung grant danger,

S’il est vray ce que vous me dictes.

LE DOR[ELOT]

Entre vous femmes estes duictes

345De nous guerir incontinant.

SADI[NETTE]

Helas! pour Dieu allez-vous-en,

J’ay ouy mon mary cracher.[[347]]

LE DOR[ELOT]

Las où me pourray-je cacher?[[348]]

Par le sang bieu, je suis perdu!

SADINETTE 146 vo]

350Allez tost! il vous est mescheu,

Par ma foy, se ceans vous treuve.[[351]]

LE DORELOT

Que j’aye(s) ung manteau! qu’il ne pleuve!

Sang bieu iray-je ce point?[-1]

Quelque robe!

SADINETTE

Je n’en ay point,

355Se ne voulez une chemise.

LE DORELOT

Ha! par le corps bieu, c’est la guise,

Baillez ça! est-elle à Bertran,

Vostre mary?

SADINE[TTE]

Ouy, par Sainct Jehan!

Ne vous chaille, je vous la donne,

360Tenez, regardez, est-el bonne?

Pour Dieu, courrez tost, mon mygnon!

LE DORELOT

Par le ventre bieu! c’est raison,

J’ay donc la chemise Bertran,

Comment? et esse la façon?

365Par le ventre bieu, c’est raison,

Ainsi s’en va le compaignon.

Dieu le vueil[le] mectre en mal an,

Par le ventre bieu! c’est raison,

J’ay donc la chemise Bertran.

SADI[NETTE]

370Or s’en va le povre Jouhan,

L’ay-je bien affinay au moins?

FAICTE AU MESTIER

Il a la chemise Bertran.

SADI[NETTE]

Or s’en va le povre Jouhan.

FAICTE A MESTIER

Autre foiz le vy ung droit paon

375Entre femmes.


 [[ Print Edition Page No. 195 ]] 
SADINETTE

Ne plus ne moins,

Or s’en va le povre Jouhan,

L’ay-je bien affinay au moins?

Croyez que quant je y metz les mains,

Fault qu’il soit maistre affineur[-1]

380Se de moy est deffineur[-1]

Et se par moy n’est affinay,

Les plus fins n’en ont pas finay

Ne ne fineront par leur finesse,[+1]

Car d’affiner je suis maistresse

385Comme ung maistre domine.[-1]

Se de moy a bien dominé,

Je le dorlote et poupine[-1]

Et lors en la fin je l’afine,

Ainsi net que quant il fut né.†[[389]]

390Prenez en gré, car c’est finé.

EXPLICIT

NOTES

 [XXIV.] Farce du Dorelot aux femmes qui en a la chemise Bertrand. Dorelot est un mignon, un précieux, un élégant. Michel Menot parle des Dorelots. Nous avons de nouveau affaire à un proverbe dramatisé. (Cf. Sermons choisis éd. par F. Nève, p. 26 et 49, cité dans Recueil Trepperel, Glossaire in verbo.)

 [58] Je ne saisis pas le sens du vers.

 [87] minot, le mot m’est inconnu; on peut corriger en: mignot.

 [136] il a esté pelé, il a eu la pelade la vérole.

 [172] manicle: large manche? mais cette traduction ne donne pas de sens satisfaisant.

 [199] abandonne le décasyllabe pour l’octosyllabe ordinaire.

Endnotes

 [58,] O: baillon. . . .

 [115,] O: cest.

 [188,] O: p. l. ay.

 [209,] O: ce.

 [347,] O: crachez.

 [348,] O: crachez.

 [351,] O: ce.

 [389,] O: n’est.


 [[ Print Edition Page No. 196 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 197 ]] 

XXV
147 ro] FARCE NOUVELLE
DE LEGIER D’ARGENT
A QUATRE PERSONNAIGES
*

JAQUET commence

Arrière, arrière, arrière, arrière,

Monsieur est à present descendu,[+1]

Et sur peine d’estre pendu

Chascun desc[u]euvre sa testière.

5Chascun luy face bonne chière,

Et par Dieu luy sera rendu,

Arrière, arrière, arrière, arrière,

Monsieur est à present descendu.

Monsieur le Grant tout morfondu

10Vous vient veoir à sa grant banière,

Ung peu est demouré derrière,

Pourtant je vous dy en temps deu

Arrière, arrière, arrière, arrière,

Monsieur est à present descendu,[+1]

15Et sur paigne d’estre pendu,

Chascun desc[u]euvre sa testière.

LEGIER D’ARGENT

Je suis nommé Legier d’argent

Et si suis maistre de Jaquet,

Lequel me servoit d’ung naquet

20Encor me sert-il à present.

J’ay de l’honneur plus que n’ont cent,

Sans penser point à mon caquet

Et suis nommé Legier d’argent

Et suis le maistre de Jaquet,

25Je fuz premier povre bacquet,

Serviteur au pape Innocent

Et après je fuz President

Tant que, pour finer mon caquet,

Je suis nommé Legier d’argent

30Et suis le maistre de Jaquet,

Lequel me servoit d’ung nasquet

Et encor me sert à present.

JAQUET [à part]

Et par deffault d’une jument

Il va à pié le plus souvent.

LEGIER D’ARGENT

35J’ay veu moy dès mon enfance

Qu’i n’yy avoit que moy en France

Pour supperlatif et fringant.

JAQUET [à part]

Et j’ay veu moy sa meschance

Batre ce villain à puissance

40Pour ce qu’il avoit mangé le lard.[+1]

LEGIER D’ARGENT

Helas! où sont les damoyselles

Qu’estoient si cointes et si belles

147 vo]De qui j’estoie maistre d’autel?

JAQUET [à part]

Helas! où sont les coups de pelles

45Qu’il a porté soubz ses esselles

Depuis son dos jusque à l’hostel?

LEGIER D’ARGENT

C’est grant fait que d’ung gentil cueur

Lequel pour venir à l’honneur

A esté tant entreprenant.

JAQUET [à part]

50C’est grant fait que d’ung malheureux

Lequel a tousjours deshonneur

Et en la fin n’est qu’un truant.

LEGIER D’ARGENT

Que je fis à mon commencement

Pour qu’estoy beau garnement

55Chascun de moy avoit envie.


 [[ Print Edition Page No. 198 ]] 
JAQUET [à part]

Mallencontre envoy Dieu à qui ment,

Car chascun voit bien clerement

Qu’il est fait comme une truye.[-1]

LEGIER D’ARGENT

Je fuz premier au roy d’Escosse

60Et puis je donnay une endosse

Par quoy je fis departement.

JAQUET [à part]

Et maintenant porte la croce

En crossant une fosse[-2]

Illec dedens Saint-Innocent.

LEGIER D’ARGENT

65En après m’en allay à Romme

. . . . ung faisant,[[66]]

Ung lappereau ou ung lièvre.

JAQUET [à part]

Mais plutost la sanglante fi[è]vre,

Qui les puisse tenir tous deux.

70Les voyés-vous, les malheureux

Comment il font de la merdaille?

Ma dame, et de poullaille[-1]

En voulés-vous point ung petit?

LA VIEILLE

Je ne v[u]eil riens que d’appetit.

LEGIER D’ARGENT

75J’ay bien dequoy, chascun l’antende,

Et si puis bien avoir du bien.

JAQUET [à part]

Pour parler de sa prebende,[-1]

Par Saincte Marie, il n’a rien.

LEGIER D’ARGENT

J’ay des escus plus de cent mille.

JAQUET [à part]

80Il n’a, par Dieu, ne croix ne pille.

LEGIER D’ARGENT

Et si suis yssu de noblesse.

JAQUET [à part]

148 ro]Il est vray, il est le diable,

Il est villain de tous costés,

Dea! monsieur, dea! notés[-2]

85Qu’il est noble, dea! mon maistre,[-1]

Ne porte-il pas bien la guestre

D’estre ung vaillant gentilhomme?

Messieurs, il fault qu’on le nomme[-1]

Gentilhomme, c’est ung beau tiltre,

90Ne dictes pas qu’il est belistre,

Vous luy feriés grant desplaisir.

LEGIER D’ARGENT

Jaquet, tu me fais plaisir[-1]

Des biens que vas disant de moy.

JAQUET

Messieurs, il vault bien ung roy,[-1]

95C’est une chose toute certaine,[+1]

Il vault la forte fièvre quartaine.[+1]

LEGIER D’ARGENT

Et ma femme, que vault-elle?[-1]

JAQUET

Qui? elle? ma damoiselle?[-1]

Elle vault trop de bien.[-2]

100Et elle ne voult par Dieu rien

Pour breve resolution.

LEGIER D’ARGENT

Je te feray gentil garson.

JAQUET

J’aloys devant yer en la ville,

Mais on vous tiens le plus habille

105Que homme de ceste cité.

LEGIER D’ARGENT

Jaquet, Jaquet, tost bien dité,

Par Dieu! je te feray du bien!

JAQUET

Par mon âme, on n’en disoit rien.

LEGIER D’ARGENT

Mais bien çà au pis aller,[-1][[109]]

110N’as-tu point ouy parler[-1]

Que j’aye pardu au changement?

Car sces bien que hallebardes[-1]

Sont à present hors de mes gardes

Avec beaucoup d’autre monnoye

115Comme gras blancs de Savoye[-1]

Et ces grans blancz qui sont au feu.

JAQUET

Il les fault oster qu’i ne fondent.


 [[ Print Edition Page No. 199 ]] 
LEGIER D’ARGENT

Demeure Jaquet, tu es deceu![-1][[118]]

Servir en court ung gentilhomme

120Là où j’eus de l’honneur à flac.

JAQUET

Et portoit des bulles grant sommes

Dedans ce compaignon qu’on nomme

En ce temps le Colin bisac.

LEGIER D’ARGENT

148 vo]Mais quoy j’ay veu le temps passé,

125Sang bieu! mort bieu! j’ay cossé[-1]

Cent lances ceste année à Millan.[-1]

JAQUET

Vecy droictement le brasié

Jenin des Paulmes qu’est trespassé,

Orez-le cy le Povre Jouan.

LEGIER D’ARGENT

130Qu’esse que d’ung bon esperit

Qui par bon vouloir est conduit?

Au cueur vaillant riens impossible.

JAQUET

Qu’esse que d’ung Jenin Patin,

Lequel n’a beu que du papin

135Et maintenant fait du tressaige.

LEGIER [D’ARGENT]

Moy, dea! je porte mon credit:

“Monsieur l’a fait, monsieur l’a dit,”

Chascun me congnoist en ung mot.

JAQUET

Vecy par le sang Antecrist

140Encore plus meschant esprit

Que jamais si ne fut Thevot.

LEGIER [D’ARGENT]

Jaquet!

JAQUET

Qui est? dy-je, que vous plaist-il?

LEGIER [D’ARGENT]

Où est ma dame ma femme?[-1]

JAQUET

Elle est au Temple, elle est au Temple.

LEGIER [D’ARGENT]

145Quant toute sa beaulté contemple,

Je suis ravi de son amour.

JAQUET

Aussi elle porte les atour[-1]

Et si est de puissant renom. [à part]

Pensés c’est ung beau lorpidon

150Qu’ay sa femme, ma dame,

Ma dame ma femme,

C’est grant cas que de son fait,

Car tout le pays est refait

Comme est du tresor de Mascon.

155Elle est mignonne et luy mignon,

C’est une belle assemblée,[-1]

C’est une vieille garpelée,

Laquelle n’a mais dent devant,

En effet, c’est cabas puant,

160Qui est laide comme une truye.

Devant que façons departie,

On la verra cy devant tous.

LEGIER [D’ARGENT]

Qu’esse Jaquet, que dictes-vous?

Yrés-vous point querir ma femme?

JAQUET

165Ouy, mon maistre, par Nostre Dame,
[à la Vieille]

Je la voys querre incontinent.

149 ro]Venez-vous, vieille jument,
[à part]

Vous dis-je, venez en present

Parler à monsieur mon maistre.[-1]

LA VIELLE

170Que veult-il, veult-il repaistre?[-1]

Je ne sçay qu’il veult ne demande.

[JAQUET]

Tenés, à tel sainct tel offrende,

Vecy de qui vous ay parlé!

S’elle n’est bien laide et luy bien lait,

175Je vueil pardre mon office.[-1]

Avant, Monsieur de la justice,

Qu’a-il à disner de friant

Pour ma dame?†[[178]]

LEGIER [D’ARGENT]

Legier d’argent fait porter mainte guestre

180Et mainte chausse dessirée.

LA VIEILLE

Que dictes-vous?


 [[ Print Edition Page No. 200 ]] 
JAQUET

Que vous estes desirée

De tous les nobles de la Court.

LA VIEILLE

Encore en vis-je hier sur le gourd[+1]

Qui me faisoyent tresbonne chere,

185Dieu gar monsieur de la Paucadière[+1]

Et aussi Pasque de Sole!

Quant je le treuve, il me consolle,

Si fait bien monsieur de Sic Sac.

J’euz l’autre jour ung bon patart

190Qu’il me donna en ung mardy.

LEGIER [D’ARGENT]

Ce fut le jour que le mardy

Et me laissates descouvert.

LA VIEILLE

Dea! le feu si estoit couvert,

Comment advint ceste fortune?

JAQUET

195Elle jouoit dessus la brune

En passant par dessus la corde,

Mais mon maistre toujours s’acorde,

C’est le plus fort de la journée.

LE PAIGE commence en chantant

Il est en grant pencée

200Monsieur Legier d’argent,

Car n’a plus demourée.

Dieu gard Monsieur Legier d’argent!

Je viens à vous legierement,

Il y a ung homme de paraige

205Nommé Monsieur de Sic Sac

Lequel a des escutz à flac

Et faire veult ung petit banquet,

Mais il veult qu’il y ait paquet

D’aucunes femmes de ceste ville

210Et comme la plus habille

Veult que luy prestés vostre femme.[[211]]

LEGIER [D’ARGENT]149 vo]

Y voulez-vous aller, ma femme?

LA VIEILLE

Je ferai ce qu’il vous plaira.

LEGIER [D’ARGENT]

Dea! j’espoire qu’il vous donra

215Quelque chose pour vostre peine.

JAQUET

Pencez s’on frappe dans la plaine,

Il y aura quelque hutin.

LEGIER D’ARGENT

Partirai-je pas au butin

Puis que vous donne le congé?

LA VIELLE

220Rien ne vous sera eslongné,

Pencez que riens ne vous tiendray.

LEGIER [D’ARGENT]

Et reviendras?

LA VIELLE

Quant je vouldray,

Et ne m’attendés pas plus tost.

JAQUET

Envoyés-luy ung morceau de rost[+1]

225Et le bonhomme sera content,

C’est la façon de la gent[-1]

De prester à chascun sa femme.

LA VIELLE

Et s’il me prioit d’aucun blasme,

Mon amy, le lerray-je faire?

JAQUET

230Et faictes semblant de vous taire

Ou que vous soyez endormie.

LEGIER [D’ARGENT]

Dea! ne l’escondissés mye,

Ilz ne sont pas au feu proprement.[+1]

JAQUET

Je cuidoye certainement

235Qu’ilz fussent au feu embraséz;

A! vous y avez perdu assez

Sans tous voz aultres pièces d’or.

Messieurs, dictes, son tresor[-1]

En est gramment amenuisé,

240Il en est fort appetissé,

Mais, mon maistre, ne vous en chaille!

Se jamais il y perdit maille,

Si ont fait les chiens.[[243]]


 [[ Print Edition Page No. 201 ]] 
LEGIER [D’ARGENT]

Jaquet, on dit, par ung languaige,

245Qu’ung grant et puissant parsonnage

Qu’on appelle maistre Enfumé

Après tout comme a acoustumé[+1][[247]]

Que par Dieu je ne perdray rien.

Jaquet, tire ung peu mes brodequins![+1]

JAQUET

250Ilz sont de bon drap et bien fins

Et si sont de belle couleur.

150 ro]Tenez vous bien ferme, Monsieur,

Pendez ung peu sur le devant,

Velà ung peu gentil gallant,

255Messieurs n’est pas mon maistre

Di[g]ne de mener les asnes paistre

Ou de garder les pourceaulx?

LEGIER [D’ARGENT]

Qui a de l’argent à monceaux

Ne peult-il pas gaudir et rire,

260Bruire, seigner, dancer et rire,

Faire du sadinet mignon

En faisant les coquelles bruire,

Soy demonstrant bon compaignon.

JAQUET

Et qui n’a rien, c’est bien du pire

265Et ne peult on avoir regnon.

LEGIER D’ARGENT

Et qu’esse que d’ung franc couraige

Et ung homme de grant lignage

Et n’esse rien à vostre advis?

Le sang bieu, une foys je vis,

270Cependant qu’estoye à la court,

Mais il n’y avoit borgne ne sourd

Qui ne criast: “Vela Monsieur!”

Ne vault doncques riens tel honneur

Et n’esse pas chose honorable?

JAQUET [à part]

275Et ilz cryent le grant dyable!

Il met autrement en registre,

Ilz cryent sur luy au belistre,

Il y avoit bien des enfans cent

A le batre jusques Sainct-Innocent,[+2]

280N’esse pas doncques ung bel honneur?[+1]

LEGIER [D’ARGENT]

Qu’esse?

JAQUET

Ilz crient tous: “Monsieur, Monsieur.”[+1]

LEGIER [D’ARGENT]

Tu sces bien qu’en tout la province

Il n’y a que moy qui soit puissant.[+1]

JAQUET [à part]

Je sçay bien qu’il est ung meschant,

285Mais encore ne luy vueil dire.

LEGIER [D’ARGENT]

Que dis-tu?

JAQUET

Qu’à l’Empire,[-2]

Qu’il n’y a que vous pour tout potaige.

LEGIER [D’ARGENT]

Sang bieu! je feray encor raige,

Je le sçay bien, mon cueur le dit,

290Je n’ay point meschant esperit

Et je m’en croy bien à ma femme.

Qu’en dictes-vous de moy, ma dame,

Avez-vous point de mon honneur?

LA VIELLE

Ouy par ma foy, Monseigneur,[-1]

295Car chascun dit: Legier d’Argent

150 vo]Est puissant et est ung grant maistre.

JAQUET

Si vous parloit du secret.[-1]

LEGIER D’ARGENT

Vertu bieu! quel trait![-3]

Est-elle ainsi à l’abandon,

300Monsieur repaistra du jambon,

Après qu’il aura son formaige.

LA VIEILLE

Et quant je viendray, que feray-je?

JAQUET

Et faictes du sadinet groing,

Criés comme une beste morte!

LEGIER D’ARGENT

305Vous conduiray jusqu’à la porte,

Madame.

LA VIEILLE

Nenny pas,[-2]

Mais venés demain jusque en bas,

Entendés-vous, à la cuisine.


 [[ Print Edition Page No. 202 ]] 
LEGIER D’ARGENT

J’entens assés bien se signe,

310Assés de ce rusé je suis.

LA VIEILLE

Ne venés pas frapper à l’uys

De la chambre qui est en hault.

JAQUET [à part]

Il est assez loyal marault,

Ne pensés pas qu’il soit si sot.

LEGIER D’ARGENT

315Et se monsieur dort?

LA VIEILLE

Ne dictes mot![+1]

LE PAIGE

Qu’elle se despesche!

JAQUET

Elle met son gorgias,

Incontinent sera en point,

Pensés qu’elle frappera au joint,[+1]

320Mais Mo[n]sieur par foy luy pardonne.

LA VIEILLE

Adieu! Monsieur!

LEGIER D’ARGENT

Adieu! mignonne,

Besongnés pour vous et pour moy!

JAQUET [au public]

Vous voiés doncques clerement

Qu’à ung chascun Legier d’Argent[[324]]

325Preste sa femme se m’aist dieux,

Riens ne concluons aultrement.

Prenez en gré l’esbatement,

Car l’aultre année nous ferons mieulx.[+1][[328]]

EXPLICIT

NOTES

 [XXV.] Farce à quatre personnaiges de LEGIER D’ARGENT (cf. Mince du Quaire).

 [18] jaquet, habillement court et serré (ce mot a encore un double sens en matière de manque d’argent).

 [31] nasquet, coquille pour jaquet? J’ai préféré naquet.

 [40] il avoit mangé le lard. L’expression, on le voit, est antérieure au Marot de l’Epître à son ami Lyon.

 [43] autel est une coquille ou un jeu de mot; c’est pourquoi je n’ai pas corrigé.

 [64] Saint-Innocent, charnier des Innocents. Cf. Introduction.

 [118] la phrase est peu claire comme construction et comme sens.

 [120] à flac, comme à flat, à force.

 [125] cossé, faut-il corriger en cassé?

 [128] JENIN DES PAULMES allusion à la farce L de notre recueil, ce qui en montre la cohésion relative.

 [129] le povre Jouan, allusion à la farce de ce nom VII du Recueil Trepperel, ce qui atteste par ailleurs la parenté de celui-ci avec le nôtre.

 [133] patin, soulier à semelle épaisse de bois.

 [134] papin, bouillie, le mot est encore usité en Belgique; le vers veut dire: encore jeunet.

 [141] THEVOT. allusion à la farce V du présent recueil.

 [180] dessirée, déchirée.

 [181] Que dictes-vous? même procédé d’équivoque et rectification par la rime rencontré dans la farce XXI. Je renonce à signaler les vers faux, tant la métrique est ici fantaisiste.

 [183] sur le gourd, richement vêtu, comme on dit “sur son trente et un.”

 [185, 186, 188,] je crois, personnages de farces inconnues.

 [192] Et sans doute à corriger en “vous.” Beaucoup d’allusions obscures rendent d’ailleurs tout le passage difficile à entendre.

 [247] cf. note sur 185-6.

 [286] à l’Empire, auberge, sans doute, mais qui m’est inconnue.

 [324] O: Que u.

Endnotes

 [19,] O: jaquet.

 [65] sans rime.

 [66:] Vers dans doute amputé du début.

 [109,] O: ou per a.

 [118,] O: est.

 [120,] O: jeux.

 [142-3:] Passage que l’absence de rime trahit comme grossièrement altéré.

 [178,] Vers et texte tronqués, distribution incertaine.

 [208,] O: vaquet.

 [211,] O: répète ce vers en l’attribuant à LEGIER.

 [243,] O, il manque un mot final et un vers.

 [259,] O: gaudit.

 [315-317,] Texte corrompu, dépourvu de rythme et de rimes.

 [328,] O: serons.


 [[ Print Edition Page No. 203 ]] 

XXVI
151 ro] FARCE NOUVELLE
DU FAULCONNIER DE VILLE, QUI EMMAINE LA BESTE PRIVEE, TANDIS QUE LE FAULCONNIER CHAMPESTRE ET LE GENTILHOMME SONT BENDEZ POUR LA CUIDER PRENDRE A TASTONS
A IIII PERSONNAGES
*

LE FAULCONNIER DE VILLE
               commence en sifflant:

Huit, huit, huit, huit, huit, huit, huit,151 vo]

A coup! sus! au deduict!

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Pront, pront, pront, pront, pront, pront!

LE FAULCONNIER DE VILLE
                    en sifflant

Huit, huit, huit, huit, huit, huit, huit,

5Sus, acoup icy environ!

   En parlant à ung quidem de la Compaignie:
Escoutés, hay! mon compaignon,

Celluy que je vis avant hier,

Prestés-moy vostre grant furon

Pour aller chas[s]er au terrier.

10Avés-vous point de regardier

Lequel vous me puissiés prester?

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Est-il moyen de conquester

Ennuit quelque beste sauvaige?

Pour tracasser ne pour guetter

15Au boys n’est-il nulle avantaige?

En ung bois ramaige,

Soubz ung verd bocaige,

N’est-il nulle proye?

LE FAULCONNIER DE VILLE

Je say le passaige

20Tout à l’avantaige

D’en prendre montjoye.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Qui est celluy là? Qu’on le voye!

Qui estes-vous, hay! compaignon?

LE FAULCONNIER DE VILLE

Je suis vostre or et monnoye

25Par ma foy, mon gentil mignon.

N’avés-vous pas nom Peroton,

Celluy que je congneus ouan?

Esse vostre frere Jouhan

Qui mourut ou ce fut vous?[-1]

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

30Il mourut, dont j’euz grant couroux.

LE FAULCONNIER DE VILLE

N’en reschappa-il point?

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Nenny,

Mais par ma foy j’eus bien la toux

Et fus plus malade que luy.
   Adonc le Faulconnier champestre corne de son cornet.

LE FAULCONNIER DE VILLE

Et pourquoy corne-tu ainsi?

35Sang bieu, tu me romps bien la teste.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Ha! tu n’entens pas, mon amy,

C’est pour espouvanter la beste,

Aultrement je ne la conqueste

152 ro]Jamais se n’est par mon cornet.

LE FAULCONNIER DE VILLE

40Sang bieu! cela n’est point honneste,

Je n’y veulx qu’ung petit sifflet.


 [[ Print Edition Page No. 204 ]] 
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Ha! dea! dictes-moy, s’il vous plaist

Qui vous estes, si tresabille?

LE FAULCONNIER DE VILLE

Mignon dorelot et dehait,

45Ung gentil faulconnier de ville.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Sainct Jehan, je sçay bien le stille

De faulconnerie des champs.

LE FAULCONNIER DE VILLE

Nous sommes donc bien differens.

Se cornés pour espouvanter,

50Je siffle pour l’aprivoyser,

Mais dictes-moy, sans plus baver,

Que faictes-vous de cest espieu?

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Que j’en fais? c’est pour le senglier,

Quant le treuve en quelque lieu.[-1]

55Vous ne portés point de baston?

LE FAULCONNIER DE VILLE

Si fais, si fais, par le sang bieu,

J’en ay ung gorgias mignon.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Et que ne le portés-vous dont?

LE FAULCONNIER DE VILLE

Si fais tousjours quant et moy,[-1]

60Ma foy, c’est ung maistre baston,

Long de demy pié et ung doy,

Mais aucuneffoys, par ma foy,

Il ploye quant je baille une estoc,

Certes oncques creste de coq

65Ne fut plus rouge que le manche.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Où le portés-vous? En la manche?

LE FAULCONNIER DE VILLE

Nenny, non, il a ung estuy

Que j’ay tout proprement pour luy

Et jamais je ne le remue

70Sinon qu’ayez beste abatue.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Vertu bieu! vous me dictes raige,

Je suis en dangier qu’on me tue,

Quant le senglier vient au passaige,

Et j’ay baston long davantaige

75Ferré et pour frapper de loing.

LE FAULCONNIER DE VILLE

E! par Sainct Jehan, je sçay l’usaige

D’abatre beste en ung coing,[-1]

Lors prens mon baston en mon poing

Et frappe d’estoc et de taille.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

80Sang bieu! je cuide qu’il se raille.

LE FAULCONNIER DE VILLE152 vo]

J’advou Nostre Dame, non fais.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Je congnois les quartiers du boys

Et si suis souvent sans rien prendre,

Tousjours de bons chiens deux ou trois

85A chascun buisson pour actendre.

Aussi nul ne sçauroit comprendre

La joyeuseté qui y est,

La belle petite herbe y croist

Et le rossignol y chante.[-1]

LE FAULCONNIER DE VILLE

90Sainct Jehan, j’ay une autre forest,

Où tous les jours le cocu chante.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

J’ay belle hacquenée courante,

Le beau troctier s’il est besoing,

Tresbien monter et courir loing

95Par dessus le plain boys ramage,

Tousjours le bel espieu au poing

Pour prendre la beste sauvaige

Et, s’il est besoing, j’ay mon paige

Habillé gorgiasement,

100Menant levrier à l’avantaige,

Courir au boys legierement,

Tomber tout plat le plus souvent

En ung fossé homme et cheval,

Mais cela c’est deduit royal,

105Il n’est jamais rien si honneste.

Aulcuneffoys fendre la teste,

Rompre une jambe ou ung bras[-1]

Ce n’est rien, mais qu’on ayt la beste

Pour tresbucher du hault en bas.

LE FAULCONNIER DE VILLE

110Par ma foy, ce n’est pas mon cas.

Jà n’est si beau boys que Paris,

Mais danger y a des marys,

Qui font le plus souvent le guet.

Ce sont les plus grans ennemis

115Qui puissent nuyre en effect.


 [[ Print Edition Page No. 205 ]] 

Saillir par la fenestre nect

Le plus souvent nous le faisons,

Puis estre empigneés du guet,[[118]]

Veés-en là toute la façon.[+1]

120Mais bien souvent par tel blason

Et par une belle promesse

J’abatz le beau feron,[-2]

Quant je luy monstre ceste lesse

Et puis jamais je ne la blesse,

125Car mon baston n’est point ferray,

Lever le beau petit corset,

Beau petit teton sadinet,

Belle entredeux, belle poictrine,

Belle cropièr[e], belle eschine,

130Beau musequin, belles paupières,

Beaux petis yeulx, belle babine,

153 ro]Bel entretien, belles manières,

Donner le vin aux chamberières

Pour parvenir à son actaincte,

135Faire des choses singulières,

Mais que chandelle soit estaincte.

Je ay chassay nuytée mainte,

A telz chaces je me congnoys,

J’en suis ouvrier, sans faire feinte,[[139]]

140A la ville, non pas aux boys.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Cela n’est point chasse de roys,

De ducz, contes et gentilz hommes.

Entre nous mignons, quant nous sommes

A chasser après quelque cerf,

145Il n’y a bras, jambe ne nerf

Que tout ne soit remply de joye,

Quant ce vient à prendre la proye.

LE FAULCONNIER DE VILLE

C’est une grant joye

Quant on a monnoye

150De chasser en ville.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Pour prendre la proye

Aux champs par la voye

N’est riens si habille.

LE FAULCONNIER DE VILLE

Il est inutille

155De sçavoir le stille

De chasser aux bestes,

L’homme s’i debille

Et s’en adnichille,

On s’i rompt la teste.

160Nul ne face festes

De bestes muettes,

Ne m’en parlés point,

Mais bestes honnestes

Portant belles gestes

165Et le corps bien oint.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Quant on est à point,

Jamais on ne faint

De courir au boys.

G’y ay faulte maint

170Sans en faire plaint

En mon beau lourdoys

Pour en prendre troys

Tout à une foys,

Quant est le lever.

LE FAULCONNIER DE VILLE

175Quant je voy chanter

Sans trouver danger,

C’est une plaisance,

Mais au boys troter,

C’est pour enrager,

180Ce n’est que grevance.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

153 vo]Moy de ma naissance

J’ay la congnoissance

Que c’est de chasser,

Mais par ignorance

185Souvent on s’avance

Pour son col casser.

LE FAULCONNIER DE VILLE

Qui se peult lasser

Bestes pourchasser,

Qui sont si mignonnes,

190Et les embrasser

Et s’entrebaiser,

Telz chaces sont bonnes,

Es belles tetonnes,

Ces petites connes,

195Ces beaux musequins,

Bourgoises, nonnains,

Les beaux brodequins,

Veez-en là la vie,

Les beaus Pathelins

200Pour venir aux fins

De prendre sa mye.


 [[ Print Edition Page No. 206 ]] 
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Tant cela m’ennuye,

Tu dis resverie,

Il n’est que le boys.

LE FAULCONNIER DE VILLE

205Par Saincte Marie,

Je n’ay point d’envie

Qu’à ces beaux minoys.

LE GENTIL HOMME

Arrière! villains gentilloys,

Sont-ilz point gens pour avoir bruyt?

210Pour avoir bestes en leurs boys,

Pour chasser et faire deduyt

En toutes pars sont jour et nuyt,

On doit aux gentilz homs honneur,

Il appartient à gentil cueur

215Services, hommaiges, honneurs,

Que font icy ces deux seigneurs?

LE FAULCONNIER DE VILLE

Seigneur, seigneurs, ce sont barbiers,

Nous sommes simples faulconniers,

Il n’y a quelque seigneurie.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

220Je suis ung simple faulconnier,

Faulconnier me vueil nommer

Et le seray toute ma vie.

LE GENTIL HOMME

A-il quelque beste ravie?

Avés-vous riens prins en mon boys?

225Je suis homme de seigneurie,

Je vueil entretenir mes droitz,

Tribut me fault toutes les fois

Que on prens beste en ma terre.[-2]

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

154 ro]Et que mauldicte soit la guerre,

230Je ne cessay huy de chasser,

De tournoyer, de tracasser,

Ne de corner, ne de courir,

De me tuer, de me lasser

Et n’ay rien sceu faire mourir.

LE GENTIL HOMME

235Ha! dea! il me soufist d’obeir,[+1]

Je vous en crois bien, mon mignon.

Ce nonobstant que soyon[-1]

Gentilz hommes, si fault-il bien

Obeyr, et sur toute rien,

240Aux dames et aux damoyselles

Especiallement aux belles

Qui ont mynois mignon et doulx;

Quant nous nous trouvons devant elles,

Nous nous mettons bien à genous.

245Avés-vous riens prins aussy vous?

LE FAULCONNIER DE VILLE

Sang bieu, qu’en avés-vous affaire?

Cuidés-vous qu’il soit necessaire

Que saichés se je prens ou non?

Que vous sachés de mon affaire

250Sur mon âme le velà bon.

LE GENTIL HOMME

Si en sçauray-je, pourquoy non?

Certes vous en sçaurés à dire.

LE FAULCONNIER DE (LA) VILLE

Par le sang bieu, vueillés ou non

Vous n’en sçaurés rien, beau sire!

LE GENTIL HOMME

255Par le sang bieu, velà pour rire,

Il vueult contrefaire du maistre.

LE FAULCONNIER DE (LA) VILLE

Il n’y a rire ne desrire,

Point ne suis faulconnier champestre,

Vous n’avés sur moy que congnoistre,

260Je ne quiers point la sauvagine,

Je quiers la beste feminine

Portant robe et chaperon,[-1]

Gentil corps traicti(f)z et mignon,

Qui court tousjours sans nul arrest

265De çà, de là, à l’environ

De Paris à la grand(e) forest.

LE GENTIL HOMME

Sang bieu! si sçaurai-ge que c’est,

Se vous prenés riens sur ma terre,

Et sçauray, plaise ou non plaise,

270Que c’est, ou il y aura guerre.

LE FAULCONNIER DE VILLE

Or sus, sus acoup, qu’on ferre,[-1]

Par le sang bieu, je siffleray

Et vrayement après je verray

Se je prens quelque venoyson,

275Se vous aurés tribut ou non,

Sang bieu! on le verra ennuyt.
154 vo]Adonc il siffle

Huit, huit, huit, huit, huit, huit, huit,


 [[ Print Edition Page No. 207 ]] 

Seigneurs ne faictes point de bruit,

Je vous requier que chascun voye

280S’il nous viendra point quelque proye.
Icy vient une belle fille de dehors sans mot dire.

Or regardés si je mentoye,

Je ne suis pas si lourdinet,

Vecy le gent musequinet

Qui se vient offrir à mes mains,

285Tenés, quelz yeulx! sont-il bien painctz?

Icy prent la belle fille
Blondes paupières, blondz sourcilz,

Large fronc, petit nés traictifz,

Long bras, molle main, menus dois,

Regardés, à vostre advis,[-1]

290S’on prent telles bestes au boys,

Joues vermeilles, petit mynoys,

Corps court, ferme pié et petit,

Servie comme ung beau harnoys,

N’esse proye à l’appetit,[-1]

295Ceste proye pour chasser de nuyt?

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Puis que as proye et deduit,[-1]

Ne sçais-tu tirer ton baston?

Tu m’as dit qu’il est si mignon

Et qu’il est si bien emmanchié,

300Je te prie que nous le voyon

Avant qu’il en soit plus presché.

LE FAULCONNIER DE VILLE

Que le voyez, c’est bien chié,

La beste n’est pas abatue.

LE GENTIL HOMME

Dea! il en fault avoir la veue

305De ceste beste nouvelle prise.[+1]

LE FAULCONNIER DE VILLE

Et par la mort bieu, je la prise

Plus que tous ceulx de vostre boys,

Regardés-la bien au mynoys,

Ung chascun sa vue y fiche![-1]

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

310Sang bieu! c’est une belle biche.

LE GENTIL HOMME

Ha! par le sang bieu, c’est mon!

Sang bieu! quel petite genice!

Elle a le corps beau et mignon,

G’y ay tribut, vueilliés ou non,

315En effect, il n’y a remède.

LE FAULCONNIER DE VILLE

Il fault qu’aultrement on procède,

Par ma foy, vous n’y aurés rien,

Tant que vivés, soit belle ou laide

Gentilesse, m’entendés bien,

320Allés querir vostre grant chien

Et en allés chasser au bois.

155 ro]Que ayés ce gentilz minoys,

Mais, beau sire, de quel endroit?

Tel demande qui se deçoipt,

325Beste n’est point à departir.

LE GENTIL HOMME

Le sang bieu! avant que partir

D’icy, si en auray ma part!

LE FAULCONNIER DE VILLE

Beau sire, tirés-vous à part

Et gardés d’y mectre la pate,

330Car se vous estes si cocquart,

Danger y a que ne vous bate.

La mort bieu, fault-il qu’on departe

Une mignonne si pollye?

LE GENTIL HOMME

S’el estoit cent foys plus jolye,

335Et l’eussés-vous cent foys plus chère,

Mon mignon, je vous certifie,

J’auray du quartier de derrière.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

C’est une biche fort entière

Voyre qui n’est pas fort sauvaige

340Et vrayement ce seroit dommage

De faire mettre en quartiers,

Et a les yeulx si beau et clercs,

Si doulx et si benivollens,

Pleust à Dieu que moy et mes chiens

345A nostre boys l’eussions trouvée,

Saint Jehan, je l’eusse esprouvée

Et eusse sceu qu’elle sçayt faire.

LE FAULCONNIER DE VILLE

Ma foy, il n’est point necessaire

A telz gens de trouver telz bestes,

350C’est à entre nous, gens honnestes,

Qui sçavent les places et les lieux,

Là où nous trouvons nos conquestes

Et bestes qui portent telz yeulx.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Vous debvez bien estre joyeulx

355De congnoistre bien le trac.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 208 ]] 
LE FAULCONNIER DE VILLE

Je voys mon beau trique trac

Tout doulcement à ung sifflet

Et se ne vient, je torche sac

Sur la joue d’ung beau soufflet.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

360Vous en faictes ce qui vous plaist.

LE FAULCONNIER DE VILLE

Rien! rien! je ne m’en vueil qu’aler

Au matin à l’issue d’ung cloistre

Sans une seulle heure guetter,

Je suis homme pour les congnoistre.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

365La mort bieu! je vouldrois bien estre

Devenu faulconnier de ville

Et que j’eusse laissé mon maistre.

155 vo]Je prise bien ung tel stille,

Velà beste assez habille[-1]

370Pour me nourrir toute ma vie,[-1]

En effect j’en ay grant envie,

En somme je ne sçay que dire.

LE GENTILHOMME

Çà! çà! mignon, sans contredire,

Il est temps de prendre mon droit,

375Nous ne faisons icy que nuyre,

Qui meshuy attendre vouldroit.

LE FAULCONNIER DE VILLE en se mocquant

Que vous fault-il?

LE GENTIL HOMME

De quel endroit[[377]]

Contrefaictes-vous le mocqueux?

Je vueil avoir de l’entredeux

380Du millieu de la poictrine.

LE FAULCONNIER DE VILLE

Vous portez par trop lasche mine

Pour avoir ce que demandez.

Je cuide ce vous actendez

Que la beste soit departie:

385Vous n’estes pas assez rusay.

LE GENTIL HOMME

Qu’esse cy, suis-je abusay?[-1]

Vecy ung terrible cen[si]er.

LE FAULCONNIER DE VILLE

Dieu ait l’âme du devancier

De vostre premier père grant!

390S’il estoit icy maintenant,

Il vous seroit bien besoing.

De ce gentil sadinet groing,

Que vous en eussiez une pièce,

Garde n’avés qu’on la deppièce,

395Qu’en éussiez vos appetis.

Gentilz faulconniers de Paris,

Mignons, frasez et honnestes,

Entendus en faitz et en ditz,

Lairront-ilz departir leurs bestes?

400Nenny non! ilz ont bonnes testes,

Ilz sont pour deffendre leur proye,

Ilz ont de l’argent et monnoye,

Bagues, aneaulx et afficquetz,

Ce sont leurs chiens et leurs bracquetz

405De quoy ils chassent tous les jours,

Ilz sçavent les façons et tours

De chasser à beste privée.

LE GENTIL HOMME

Et sans plus faire d’estrivée,

Propose en conclusion,

410Puis que tu as intencion

Que n’en aye(s) rien aulcunement,

Jouons à quelque esbatement

A qui el sera toute entière.

LE FAULCONNIER [CHAMPESTRE]156 ro]

Sang bieu! vecy bonne manière,

415Oncques mais je ne vy mieulx dire!

Certes j’en suis content, beau sire,

Regardez quoy nous jouerons.

LE GENTILHOMME

Or ça, vecy que nous ferons,

Affin que bien l’entendez,

420Moy et vous nous serons bendez

Et serons en telle manière

Que on se tirera arrière

Et qui plustost dessus la teste

Les deux mains mettra la beste

425Il l’emmenera royaulment.

LE FAULCONNIER DE VILLE

Par le sang bieu, j’en suis content

Pourveu que l’autre joue pour moy.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Le voulés-vous?

LE GENTIL HOMME

Ouy, sur ma foy!


 [[ Print Edition Page No. 209 ]] 
LE FAULCONNIER DE VILLE

Or sa doncques que je vous bende!

430Aultre chose ne vous demande.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Ne moy aussi, je suis tout prest.

LE FAULCONNIER DE VILLE

Or sa doncques, sans plus d’arrest![[432]]

En les bendant

Vous estes bendés à ceste heure.[[434]]

LE GENTIL HOMME

Demeure.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Demeure.

LE GENTIL HOMME

Demeure,

435Par ma foy, elle sera mienne.

LE FAULCONNIER DE VILLE
               emmenant la Mignonne

Ce sera mon, mais qu’il la tienne,

Mais il n’a garde qu’il l’approche.

LE GENTIL HOMME

Ha! ha! sempres d’elle j’approuche,

Je l’empoigneray hault et bas.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

440Mon serment, il ne m’en chault pas

Gueres, se je n’y metz la main.

LE GENTIL HOMME

Elle est mienne pour tout certain

Puis que tu n’y pretens nul droit.

El debvroit estre cy endroit,

445Faire me fault encore ung pas.

LE FAULCONNIER CHAMPESTRE

Je prometz à Dieu qu’el n’y est pas,

En effect je n’y treuve rien.
     En se desbendant

156 vo]Certes le cueur me disoit bien

Qu’il vous joueroit de passe passe.

LE GENTIL HOMME

450Pleust à Dieu que je le tenisse

Tout au coupet de nos garniers,

Je le feroys saulter en bas.

Esse le fait de faulconniers

De me tromper par ung tel cas?

455Se je le tenois en mes las

Et sa beste en mon chasteau,

Ha! il ne m’eschapperoit pas

Que il ne beust tout son saoul d’eau.

Je vois après le ribaudeau,

460La morbieu! je le feray pandre!

Le sang bieu! j’estoye bien veau

De ce quoquart en entreprandre.[[462]]

Messeigneurs, se voulés attendre

Jusques à une autre fois[-1]

465Et nous essayerons à comprendre[+1]

Matiere de pr[i]s et de poix,

Prenés en gré, car je m’en voys.

EXPLICIT

NOTES

 [XXVI.] Farce du Faulconnier de Ville.

 [5] quidem, pron. kidan.

 [8] furon, furet.

 [27] ouan, hoc anno, cette année.

 [55] baston, épée, qui, par la suite, devient une équivoque grossière.

 [164] gestes, peut-être à corriger en testes.

 [199] pathelins a l’air de désigner la ruse plutôt que celui qui la pratique. Il se pourrait que le mot soit antérieur à la comédie célèbre de l’Avocat Pathelin (vers 1464).

 [260] sauvegine, corrigé en sauvagine, mot que j’ai entendu en France dans le sens de gibier.

 [397] frasex, beaux parleurs, cf. Littré.

 [451] coupet . . . garniers, les deux mots me sont inconnus.

Endnotes

 [20,] O: avanvaige.

 [118,] O: emppigneee.

 [139,] O: feste.

 [174,] O: levrier.

 [260,] O: sauvegine.

 [290,] O: Sont.

 [329,] O: pacte.

 [377,] O: ile.

 [395,] O: aussiez.

 [462,] O: jen e.


 [[ Print Edition Page No. 210 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 211 ]] 

XXVII
157 ro] FA[R]CE
DES ENFANS DE BORGNEUX
A DEUX PERSONNAGES
*

Thibault Chenevote commence

[vignette]

TIBAULT commence157 vo]

Hay! hay! hay! Guillot Tabouret.

GUILLOT

Hay! hay!

TIBAULT

Ventre sainct Canet, Guillot[+1]

Et que tu es mignon!

GUILLOT

Pour quoy?

TIBAULT

Tu as ung beau bonnet

5Tout fin pinpant.

GUILLOT

Michié, c’est mon,

Et puis?

TIBAULT

Tu fays du compaignon.

GUILLOT

Et toy tu trenches du gorrier,

Te marie-tu point?[-2]

TIBAULT

Nenny non! Me parle-tu de me marier?

GUILLOT[+3]

10Ha! que tu es ung fin ouvrier.[+1]

TIBAULT

Ma foy, tu es ung fin hoste.[-1]

GUILLOT

Tu es legier comme ung levrier,

Quant il fault piquer de la bocte.

TIBAULT

Sanc de moy, je n’y entens nocte

15En ton fait, Guillot Tabouret.

GUILLOT

Et pourquoy, Tibault Chevenote?

TIBAULT

Pour ce que tu es trop mignolet,[+1]

Que gibet il n’y a varlet,

Tant sache bien avoir de quoy,

20D’icy jusque à Bagnollet

Qui soit si bien au lignolet†

Ne si bien abille que toy.

GUILLOT

Va! va! tu te moucques de moy,

Mais toy, tu fringues comme raige.

TIBAULT

25Non fais, par la vertu goy,[-1]

Mes dy lay tousjours bon couraige!

GUILLOT

T(r)ibault.

TIBAULT

Et quoy?

GUILLOT

Je gaige

Que je devineray bien celle

Que tu auras en mariage.


 [[ Print Edition Page No. 212 ]] 
TIBAULT

30Je gaige que non: qui est-elle?

GUILLOT

N’esse pas dy?

TIBAULT

Nenny non!

GUILLOT

Et si est si[+3]

Quel mestier est-il qu’on la celle?

TIBAULT

Tru! tru! tu luy bailleras belle,

C’est tout le moins de mon souci.

GUILLOT

35Si l’ayme-tu bien?

TIBAULT

In! ian! aussi fais-tu les ti[e]nnes

Pour Michelette, Dieu merci,

Il fault bien que tu l’entretiennes.

GUILLOT

Voy là! chascun fait des siennes[-1]

40Le mieulx qu’il peult.

TIBAULT

C’est la façon.

Te tarde-il point que ne la tienne

En l’ombre de quelque buisson?

GUILLOT

Tu es ung terrible garson,

Il te semble que tu y es.

TIBAULT

45Fourby luy as son pelisson

Maintes fois.

GUILLOT

Hee! bona dies,

Te souvient-il que tu estiés

L’autre jour.

TIBAULT

Où?

GUILLOT

Benedicite,

Ce fut ce jour que tu saultiés

50Qu’il n’estoit plus d’orribleté.

TIBAULT

O! cela n’est qu’abilité.

GUILLOT

158 vo]Par ta foy, en as-tu jouy?

TIBAULT

Quoy jouy?

GUILLOT

Se tu as point joutté à elle.[[53-54]]

TIBAULT

In Jaques ouy!

55Mais Dieu scet sy j’ay bien rouy

Et rauldé premier qu’en avoir.

GUILLOT

Tu en es tout fin resjouy.

TIBAULT

Et quoy?

Aussy tu fais ton depvoir[-1]

60Par la fille Perrin Piquet.

GUILLOT

Je la fus encor au soir veoir

En mectant ces porceaux en tect.

TIBAULT

La baisas-tu point?

GUILLOT

Ung tantet.

TIBAULT

Et toy aise.

GUILLOT

Ha! Nostre Dame!

TIBAULT

65T’estraingnit-elle point le doy?

GUILLOT

Si fist, par la vertu mon âme,

Mes de fin maleur une femme

Cuida tout gaster.

TIBAULT

Mes le diable!

GUILLOT

Par le jour, j’estoys infame,[-1]

70Si je n’eusse trouvé l’estable.

TIBAULT

C’est une chose espouventable

Que d’estre pris en destour.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 213 ]] 
GUILLOT

C’est mon, et puis[[73-75]]

Je cuidoye estre prins

75Proprement.

TIBAULT

Je te prie, compte moy comment.

GUILLOT

J’entry là et me cache

En ung quignet, dessoubz ung four,

Tant qu’elle vint tirer la vache,

80Je la baise à l’estourdy.[-1]

TIBAULT159 ro]

Quant fut-ce?

GUILLOT

Ce fut mardy.[-1][[81-82]]

TIBAULT

En ce point?

GUILLOT

En ce point et voy là[+1]

Comment je m’i desgourdy:

Ung coup ou deux et puis haula!

TIBAULT

85Et là, de par le gibet là,

Tu fis le sanglant pochon.[-1]

GUILLOT

Tantoine nous fismes cela

En chantant l’amy Bauldichon,

Mais de fin maleur ung cochon

90Qui me cuida faire faillir.

Je luy baillay si grant tourchon

Du pied que je le fis saillir.

TIBAULT

C’estoit assés pour tre[s]aillir

De frayeur.

GUILLOT

Ventre sainct grys!

95Je cuidoye que tout fust prins

Fors que moy.

TIBAULT

Hay! hay! hay!

GUILLOT

Tu t’en ry?

TIBAULT

J’en ry, et puis que veulx-tu dire?

GUILLOT

Mauldy sois-je, sy j’en ry,[-1]

Ha! dea! ce n’est point pour rire.

TIBAULT

100Pour quoy cela? Pourquoy, bechire?

[GUILLOT]

Si j’eusse esté tenu à prime

On m’eust mis en prison de tire

Comme ung larron tout prouvé.[-1]

TIBAULT

Tu estois bien arrivé,[-1]

105Qui t’eust veu.

GUILLOT

Je regny mon serment,

Qui m’eust tenu,

J’eusse eu des coups largement.

TIBAULT

Je te pri, conte moy comment159 vo]

110Tu en eschapas.

GUILLOT

Par sainct Michié,[+1]

J’atendy que tout fut couché.

TIBAULT

Et puis?

GUILLOT

Je marche tout fin bellement,

Mais en passant par le marché,

115Je fus croté amerement.

TIBAULT

Tu en es bien et gentiment,

Puis qu’elle t’aime ainsi.

GUILLOT

J’é le cueur tout transi

Bechire, celle fille-là

120Ne m’aime point.

TIBAULT

Si fait, si.

GUILLOT

Je feue à Dieu, j’en suis tout sec,

Cuides-tu le faux traistre bec

De sa belle ante qui jura

Que toy ne moy ne aultre avec

125De ce village ne l’aura.


 [[ Print Edition Page No. 214 ]] 
TIBAULT

Le dyable d’enfer la forga,

Elle vit trop de la moitié.

GUILLOT

Jamais la vielle ne songa

Que tout mal.

TIBAULT

C’est pitié.

GUILLOT

130Si icy metz de l’ennée le pié,

Je vueil qu’on m’appelle huet,

Or va!

TIBAULT

J’en appelle!

GUILLOT

J’en auré bien une plus belle,

Quant je vouldray, voire plus riche.

TIBAULT

135Que gibet tu ne tiens riens d’elle.

GUILLOT

In Jaques non, s’il n’est rische,[-1]

Mais quelque chose qu’elle disse

Elle et tout le cariage,

160 ro]Sy fault qu’une foys je m’i fiche,

140Cy l’auray-je en mariage.

TIBAULT

Elle t’a donc promis?[[141-147]]

GUILLOT

Tay-toy, je gaige,

J’ay bien intencion,

Puisque je l’ay mis en ma teste

145D’avoir une citacion.

TIBAULT

As-tu fait consultacion

De cecy?

GUILLOT

J’ay passé procultacion

Pieça à la diversité.

TIBAULT

150Fu-tu pas l’autre jour cité

Pour ceste fille de Clamard?

GUILLOT

Que diable, benedicite

J’en euz ung coup de braquemart,

Mes je luy rendy gailart,

155Je n’euz pas couraige failly.

TIBAULT

Ne fusse pas contre ce paulart

Colin Guillon de Gentilly?

GUILLOT

Tout juste.

TIBAULT

Est-il fort?

GUILLOT

Qui? luy?

Nenny non! ce n’est qu’un[e]vache,

160Il n’oseroit estre assailli

Contre moy, je vueil qu’il le sache.

Cy fault que je m’y atache,[-1]

Je regni, sy je ne luy arrache[+1]

Le museau.

TIBAULT

N’en feras, non![-1]

GUILLOT

165Te souvient-il qu’à Meudon

Je bailly si belle orgemuse.

TIBAULT

A qui?

GUILLOT

A ce villain Goudon

Qui jouoyt de la cornemuse.

TIBAULT

C’est tout ainsi que j’en use,[-1]

170Pour ung coup, j’en baille sept.[-1]

GUILLOT160 vo]

Il ne fault point qu’on s’i amuse

A me dire chose qui soit.

THIBAULT

Mais di, hay! quant Jehan Gosset

Nous vint oster nostre may,[-1]

175Il en eut bien.

GUILLOT

Dieu le scet,

Il en eut à la bonne foy.

THIBAULT

Combien estiés-vous?


 [[ Print Edition Page No. 215 ]] 
GUILLOT

Jour de moy,

Il est[o]ient tout premierement

Jehan Peillon et maulvais garson[[179-188]]

180Odin Bidault et Robin Preudhomme,

Richart Coutet, Gillet Basset,

Michel Jestiés, six ou sept,

Et si s’en fuirent trestous.[-1]

THIBAULT

Mais qui estoit avecques vous?

GUILLOT

185Jestiés, moy et toy.

THIBAULT

Et qui encor?

GUILLOT

Et que sçay-je?

Tire Viret, Martin Couillart

Et aussi le grant Guillot.

THIBAULT

Et que c’est ung gentil fillault!

GUILLOT

190Quelque vent qui puisse venter,

Je ne dis pas pour me venter,

J’avois d’eux tousjours le bruit.[-1]

THIBAULT

Mais j’ay ung point qui me destruit.

GUILLOT

Et quel point?

THIBAULT

Je suis trop franc,[-1]

195Aga! se je n’avoye qu’ung blanc

Et tu voulois les deux deniers,

La vertu goy! tu les auroies.

GUILLOT

Autel te dis, il ne pert mie

Aussi à nostre filomie

200Que je n’avons gentil couraige.

TIBAULT161 ro]

Vis tu onc feste de village

Aussi belle que fut la nostre?

GUILLOT

Tantoine l’apostre[[203-6]]

Ce fut jusques dedens la ville

205De Paris, et si estoit habille

Assez.

TIBAULT

J’estiez bien en point?

GUILLOT

Avois-je point ung beau pourpoint?

TIBAULT

Nos livrées estiés gorrières.

GUILLOT

Au! que ces filles estiés fières

210Quant je les meniés dancer.

TIBAULT

C’estiés mon.

Aussi j’avés ung bon bedon,

Qui faisoit si bien don don.

GUILLOT

Dansay-je pas bien?

TIBAULT

Et moy, quoy?

GUILLOT

215Oncques, par la vertu goy,[-1]

Je ne cessay d’estre amoureux.

TIBAULT

Nous le sommes donques tous deux,

Car, par le jour qui nous luit,[-1]

Onques puis ne dormi nuit,[-1]

220Je ne fais tousjours que songer.

GUILLOT

Quant je suis au champ, cuide-tu,

J’ay le cueur aussi abatu,

C’est grant pitié que de mon fait.

TIBAULT

Sces-tu que ceste garce fait

225Quant je viens au soir et je clique

Mon fouet, elle s’en attricque

Et m’apporte ung bouquet gaillart.

GUILLOT

Et que mauldit soit le paillard!

Se je le veulz, que tu es aise

230Et que fais-tu?

TIBAULT

Je la baise ung bon horion.

GUILLOT

Je fay ainsi de Marion,

161 vo]Mais elle est si hastive.


 [[ Print Edition Page No. 216 ]] 
TIBAULT

Pourquoy cela?

GUILLOT

Elle est craintive

235Et puis on la tient trop subjecte.

Aulcuneffois elle me gecte

Par la fenestre ung petit brin

De lavende ou de rommarin.

Toute les fois qu’elle me regarde,[+1]

240Elle rit, sainct Anthoine t’arde!

Cuide-tu, j’en suis tout godin,

Mais son oncle Taille-boudin

S’en est bien aperceu.[-2]

TIBAULT

Vien çà! que luy as-tu donné?

GUILLOT

245Rien!

TIBAULT

Et dy-le-moy, je te requier![+1]

GUILLOT

Je luy donné ung espinglier

Qui m’avoit cousté six tournas.

TIBAULT

Mort d’homme, tu en as!

GUILLOT

J’ay tousjours à desjuner

250Mon petit demy cartier

Et demistier tout entier.

[TIBAULT]

Cueilly cueilly belle bille bau tas!

GUILLOT

J’en ay ung poinson et deux caques.

TIBAULT

Se tu les gardes jusqu’à Pasques

255Ilz te vauldront de bon argent.

GUILLOT

Mais ce sera, tu peuz bien croire

Pour me mettre sur le bon bout.

TIBAULT

Je fringuerons.

GUILLOT

Atout, atout!

Je ferons la feste nous deux.

TIBAULT

260Voire, et on dira partout

Voilà les enfans de Borgneux![[261]]

GUILLOT

Mais, beau sire, ces amoureux

De Paris ont-il plus beau temps?

THIBAULT162 ro]

Il sont plus maleureux que nous,

265Car je sommes contens

De ce que j’avons.

GUILLOT

Je m’atens à faire plus

D’ung quarteron d’espuilles

A mon intencion

270Qu’ilz ne feront d’ung chaperon.

TIBAULT

Sans fournir, ilz n’ont rien.

GUILLOT

In Jaques non cuide-tu?

Ces femmes de ville

Ne font riens s’il n’ont gros et bon,

275La croix devant, c’est le stille,

C’est bruit qu’ilz ont le corps habille.

THIBAULT

Michel, aussi ont-ilz la main,

Ilz prendront bien au jour d’uy mille[[278]]

Bons escus et autant demain.

GUILLOT

280Ilz ont si beau cul.

THIBAULT

Mais beau sain.

GUILOT

Je ne sçay moy dont vient l’usaige,

Je croy qu’il n’ont point cueur sain

D’estres si palles au visage.

TIBAULT

Par Dieu, femmes de village

285Sont aussi belles soubz les draps,

Tant pour tant et gaige pour gaige,

Que ceulx qui font tant de f(r)atras.

GUILLOT

Ilz ont menu corps, menu bras,

Il font si bien les sucrés,[-1]

290Mon Dieu, c’est fin ypocras.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 217 ]] 
TIBAULT

C’eles sont ainsi acoutrées

Il tient à ces façons nouvellez

Qu’il ont de ces robes fourées

Et fussent-ilz comme bourrées

295Si les font-il devenir belles.

GUILLOT

Je regni, sont fines fumellez,

Il ont ung yeuly si atirens.

TIBAULT

J’en voys au vilage de telles

Qui les ont presques aussy frians.

GUILLOT162 vo]

300L’autre jour vis en cheriant

Celle-là.

TIBAULT

Aga! pour parler d’amourettes

Il n’est tel plaisir recouvert

Que d’estre aux champs avec ses filletes.[+1]

GUILLOT

305Aux champs, aux champs! la ville put,

Faisons quelque beau vasselage

Et frappons au blanc et au but,

Il n’est amours que de village.

EXPLICIT

NOTES

 [XXVII.] Farce des Enfans de Borgneux.

 [5] michi, doit être latin: mihi. C’est mon, je le crois, certes, a survécu jusqu’au XVIIe.

 [20] Bagnolet, sous Paris. Cf. Introduction.

 [47-48] estiés, saultiés, paraissent appartenir au patois des environs de Paris.

 [86] pochon, poche, qui ne donne pas un sens satisfaisant.

 [100] bechire: béchier, frapper du bec, mais le mot qu’on retrouve au v. 119 a l’air d’une exclamation (cf. prov. pechère). J’entends: Beau sire.

 [148] procultacion, procuration? ce vers et le suivant sont incompréhensibles.

 [151] Clamard, environs de Paris. Cf. Introduction.

 [156] paulart m’est inconu.

 [157] Gentilly, banlieue Sud de Paris.

 [165] Meudon, au-delà de Clamart, cf. 151.

 [166] Orgemuse m’est inconnu. Le sens postulé par le contexte est “coups.

 [174] may, l’arbre qu’on plante le ler mai à la porte de s’amie et que les Basochiens dressaient dans la Cour du Palais.

 [179-188] Il se pourrait que ces personnages (cf. aussi 203) aient existé dans les environs de Paris entre 1480 et 1490. Si j’avais à ma disposition les Arch. Nat., ou celles de la Seine, je pourrais essayer de les identifier.

 [199] filomie, physionomie?

 [203-6] je ne saisis pas l’allusion.

 [204] ce: se.

 [245-252] il faut renoncer à rétablir une métrique correcte, si jamais elle exista.

 [265-73] Même observation. De plus 267-270 paraissent incompréhensibles. Il se pourrait que nous ayons affaire à un canevas d’une pièce jouée à l’improvisade comme dans la commedia dell’arte.

Endnotes

 [9,] O: patle-tu.

 [21,] O: au mignolet (dittographie de 17).

 [35,] O: le vers est incomplet. Il devait rimer en -ci.

 [53-54,] le texte semble corrompu et, en tout cas d’une prosodie irrégulière.

 [58,] Et quoy est en l’air et ne rime pas.

 [73-75,] le texte paraît altéré, tant pour le rythme que pour les rimes.

 [81-82] idem.

 [91,] O: tourdhon.

 [105-118,] de nouveau, métrique incertaine.

 [141-147,] impossibles à ramener à un canon métrique.

 [261,] O: Boigneur.

 [278,] O: mise.


 [[ Print Edition Page No. 218 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 219 ]] 

XXVIII
163 ro] FARCE NOUVELLE
TREZBONNE ET FORT JOYEUSE D’UNE FEMME A QUI SON VOISIN BAILLE UNG CLISTOIRE
A III PARSONNAGES
*

[vignette]

CHAGRINAS

DOUBLET medecin, commence:163 vo]

Eaue de vie qui soustient vie

Et ziques zaques au verd jus,

J’ay contre toute maladie

Eaue de vie qui soustient vie,

5Ça, ça, qui en veult, si le die,

Tandis que dure le surplus,

Eau de vie qui soustient vie

Et zicques zacques au verd jus.

Il me convient mettre cy jus,

10C’est le mieulx que je m’y esta[b]le,

Je dresseray icy ma table

Pour veoir s’il viendra point d’acquest.

Je tiendray icy mon bacquet,

Aussi esbahi qu’ung escouffle.

15Vecy pour guerir du poil souffle

Qui procède du mal des rains,

Avec des salutz gauldins

Et ung peu d’uille genitaine,

Qui donne la fièvre quartaine

20A ung homme transi d’amours,

Si feray qu’il sera trois jours

Tout saisi de la fantaisie

Avec ung peu de jalousie

Qui luy viendra soubdainement.

25J’ay encor d’ung aultre oignement

A ung baril mis à costé

Qui est de tel proprieté

Que la femme dit à tous coups

L’eure que son mary est coux,

30Aussi bien que sçait le devin.

Vez-en cy qui est fait de vin

Pour faire les visaiges frais.

Qui en vouldra se tire près,

Sa besongne sera toute faicte.

TRUBERT CHAGRINAS

35Estes-vous ceans, Frigallette?

FRIGALLETTE

Ha! je m’en voys à vous, Trubert.

TRUBERT

Viendrés-vous point?

FRIGALLETTE

Dieux je m’apreste.

TRUBERT

Estes-vous ceans, Frigallette?

Apportez-moy. . . .

FRIGALLETTE

Quoy?

TRUBERT

Ma sellette,

40Si tiendray mon ouvrouer ouvert,

Estes-vous ceans, Frigallette?

FRIGALLETTE

164 ro]Ha! je m’en voys à vous, Trubert.


 [[ Print Edition Page No. 220 ]] 
DOUBLET

Comment? Mon voisin est expert

D’entendre à faire son prouffit.

45Saint sang bieu que Dieu me fist,

Sa femme est mal assenée,[-1]

Qui à tel villain est donné[e],

Pour la mener si rudement

Sans fournir à l’appointement,

50C’est assés pour avoir la toux.

TRUBERT

Ça, Frigallette, viendrés-vous?

FRIGALETTE

Me vecy, Trubert, que vous fault?

TRUBERT

N’oyés-vous point le cry si hault?

FRIGALETTE

Et pour quoy criés-vous ainsi?

TRUBERT

55Je vueil que vous soyés icy

Encoste moy où je besongne

Et que fillés vostre quelongne,

Il vous fault penser à l’ouvraige!

FRIGALETTE

Esse le bien de mariage,

60Trubert, que vous m’avés promis?

Vous distes à tous mes amys

Que me feriés tant de bien.

Je ne m’en apperçoys de rien,

Je me lieve comme je couche.

DOUBLET

65Saint Anthoine, le cas luy touche,

J’entens à ce coup la traisnée,

Elle est nouvelle mariée

Et c’est dont viennent les debatz,

Elle veult qu’on besongne au bas

70Et il veult ouvrer à sa selle,

Par ce moyen son cas chancelle

Et est de choir en grant danger.

TRUBERT

Frigalette pour abreger,

Je ne vueil point qu’on se repose!

75S’il vous plaist, faictes quelque chose,

Le ferés-vous?

FRIGALETTE

Et que feray-je?

TRUBERT

Pensés.

FRIGALETTE

A quoy?

TRUBERT

Au mesnage,[-1]

Allés laver vos escuelles.

FRIGALETTE

164 vo]Elles sont la moitié trop belles.

TRUBERT

80Si nettoy[é]s vostre maison!

FRIGALLECTE

Il n’est pas maintenant sayson.

TRUBERT

Mettés donc les mains à la paste!

FRIGALLETTE

Attendez, vous n’avés pas haste.

TRUBERT

Allez faire bouillir le pot!

FRIGALLETTE

85Ne vous chaille, g’iray tantost.

TRUBERT

Allez à coup faire vouz litz.

FRIGALLETTE

Ha! que vous chargés de brouillis.

TRUBERT

Vous vous deussiés bien avancer.

FRIGALLETTE

Aussi deussiés-vous bien penser

90A aultre chose, Chagrinas.

TRUBERT

Et à quoy?

FRIGALLECTE

Dieulx, tant de harnas.

TRUBERT

Fais-je point ce qu’il appartient?

FRIGALLECTE

Je sçay bien où le mal me tient,

J’ay bien cause de m’en douloir.

TRUBERT

95Si faictes donc à mon vouloir,

Et puis nous serons à recoy.


 [[ Print Edition Page No. 221 ]] 
FRIGALLETTE

Et que ne faictes-vous à moy

Aussi bien ma voulenté,

En ung cas de necessité,

100Comme vous voulés que je tasche

A besongner pour vous à tâche.

DOUBLET [à part]

A! ventre saint gris! quel bracart!

Se vous tenoye à l’escart

En l’hotel de quelque cousin,

105Je secourroye mon voisin,

En ce cas-là, je vous asseure.

TRUBERT

Frigallette, tout de ceste heure

Allés nous querir à disner,

Car je suis las de tant jeuner

110Et faictes que je vous re[n]voye.

FRIGALLETTE [à part]

Si feray-je! Que f[r]oide joye

165 ro]Puis[se]-il avor de ses genoulx,

Qui nous assembla moy et vous,

Pour avoir tousjours tant de peine!

115Le villain toute la sepmaine

Ne cesse tousjours de hongner

Et jamais ne veult besongner,

Mais ung jour s’en repentira.

DOUBLET [à Frigalette]

Dieu vous gard! voisine, comment va?

120Chagrinas vous fait-il grant chère?

FRIGALLETTE

Pleust à Dieu qu’i fust en la rivière,[+1]

Six piez par dessus les esselles!

DOUBLET

Sainct Jehan! ce sont mauvaises nouv[e]lles[+1]

Et qui a-il? Dont vient le cas?

FRIGALLETTE

125Et coment ne voyez-vous pas

Comment Chagrinas me chagrinne?

DOUBLET

Ne vous chaille! c’est pour doctrine,

Il fault endurer, semaidieux!

FRIGALLETTE

Endurer? J’aymeroye mieulx

130Qu’il fust mort de senglante mort!

DOUBLET

Et certes vous n’avés pas tort,

J’ay bien tout le debat ouÿ:

Encor suis-je tout esbaÿ,

Tant que le jour si a duray,

135Commant vous avés enduray

La grande peine de son plait.

FRIGALLETTE

Cuidez-vous, mon voisin Doublet,

Qu’il me parle d’esbatement?

Nenny, tousjours incessammant

140Je suis en peine et traveil.[-1]

DOUBLET

Se voullez croire mon conseil,

Croyez que ferons par de coste

Bien noz besongnes.

FRIGALLETTE

Quel fin hoste!

DOUBLET

Ha! dea! entendez, ma voisine,

145Laissez Chagrinas chagriner

Et entendez à vous donner

Du bon temps à vostre entente.[-1]

FRIGALLETTE

Sur mon âme, je suis contente.

DOUBLET

Soit blanc, soit noir comme charbon,

150Pourtant que vous semblera bon,

165 vo]Prenés-le, tandis qu’estes jeune.

FRIGALLETTE

Mauldicte sois-je se j’en jeusn[e]!

DOUBLET

Se vous avés mestier de moy

Je suis tout vostre, par ma foy,

155Pour vous servir soir et matin.

FRIGALLETTE

Et certes, c’est dit de voisin.


 [[ Print Edition Page No. 222 ]] 
DOUBLET

Sçavés-vous comment vous ferés,

Quant vos viendrés à vostre hostel?

S’il veult entrer en son propos,

160Hardiment tournés luy le dos

Et luy dictes pour abreger

Que vous estes en grant danger,

Et qui brief n’y remediera

Que vous mourés de cela.[-1]

165Une maladie soubdaine,

Qui tient jeune femme si vaine

Qu’elle en chiet toute pasmée

Vingt et deux fois en la journée,

Qui n’y remedie à l’ostel.

FRIGALLETTE

170Le mey en sera hony tel

D’entendre au fait principal.[-1]

[DOUBLET]

Je luy diray que tout ce mal

Est dangereux en la saison,

Que luy-mesmes en ma maison

175Vous envoira tout eschappay

Pour vous bailler ung recipe

Et par ce moyen bien et beau

Le ferons franc malquereau,

Faisant grant chère au surplus.[-1]

FRIGALLETTE

180Ouy, il souffist, n’en parlés plus,

J’entens où vous voullés venir!

La fièvre le puisse tenir

Qui bien ne tiendra sa promesse,

Adieu! mon voisin, je vous laisse!

DOUBLET

185Adieu! ma voisine, ma mye,

Mais pour Dieu, ne m’oubliés [mie]!

Je suis vostre.

FRIGALLETTE

J’entens assés.

DOUBLET

Nous luy en baillerons.

FRIGALLETTE

Pensés!

DOUBLET

Tout au long du bras.

FRIGALLETTE166 ro]

N’en doubtés!

DOUBLET

190Que vous baise pour tout recors!

FRIGALLETTE

Je vous baille la foy du corps

Que jamais ne luy feray bien.

DOUBLET

Se vous voulés, par mon moyen,

Nous luy ferons menger de l’oue.

FRIGALLETTE

195Adieu, mon voisin, je m’en broue

Pour luy dresser son entremetz.

Ne vous doubtés, puis que m’y metz,

Je luy en bauldray bien avant.

TRUBERT

Quant je m’avise maintenant,

200Frigallette ne revient point

Et si est bien dessus le point

D’une heure qu’elle est partie.

L’homme est heureux qui a partie

Qui ne luy contredit de rien.

FRIGALLETTE

205Dieu y soit! Trubert, je revien!

Par mon serment, je suis bien matte,

Je fusse cheute toute plate

Se n’eust esté mon bon voisin

Que de son bien m’a secourue,

210Je fusse cheute enmy la rue

Tout soudainement sur les rencz.

TRUBERT

Je cuide que guaires de gens

Ne meurent de tel maladie,

Mais il souffist bien qu’on le die

215Pour faire ung peu la mignotte.[-1]

FRIGALLETTE

Velà de quoy tousjours riote

Vostre corps.

TRUBERT

Ayés pacience!

FRIGALLETTE

Ha! Nostre Dame de Lience,

Saincte Marie-Magdalene,

220Je meurs, je n’ay plus d’alaine,

Ma maladie si me vient!


 [[ Print Edition Page No. 223 ]] 
TRUBERT

Esse donc à bon escient?

FRIGALLETTE

A bon escient? Ha! Trubert,

Vous m’aymés bien peu, il y pert,

225Quant vous me voyés au mourir

Et ne me voulés secourir

En mon mal, qui est necessaire.

166 vo]Au moins, se ne le voulés faire,

Appelez-moy le medecin.

TRUBERT

230Je voys donc hucher mon voisin.

FRIGALLETTE

Allez, ou mourir me convient!

TRUBERT

Helas! mon voysin, ceste foys

Aydez-moy, ou je suis infame.

DOUBLET

Qui a-il?

TRUBERT

Qu’il y a que ma femme[+1]

235Taillée est qu’elle se mourra,

Qui bien brief ne la secourra.

Elle m’a dit que la peine[-1]

Est tant griefve et tant soubdaine

Qu’elle en est presque au mourir.[-1]

240Pour Dieu venez la secourir,

Mon voysin, je vous en requiers!

DOUBLET

G’y vois certes tresvoulentiers,

Pour vous feroye plus que tant.

TRUBERT

Pour Dieu, allons-y tout batant!

DOUBLET

245Hastons-nous!

TRUBERT

Mais je vous en prie.

DOUBLET

Or ça, ma voysine, m’amye,

Comment se porte la santé?

FRIGALLETTE

Laissez-moy.

DOUBLET

Benedicite,

Jhesucrist soit avecques vous,

250Que je taste ung peu son poux,

Elle a maladie grevaine.

TRUBERT

Comme quoy?

DOUBLET

Luy bate la vaine

Terriblement en plusieurs lieux.

TRUBERT

Comment le temps est dangereux!

255Vecy terrible adventure![-1]

DOUBLET

Le mal luy vient d’eschauffeture

Et luy procède de courroux.

TRUBERT

Ha! mon voisin, que dictes-vous?

DOUBLET

167 ro]C’est maladie vive

260Et autrement narative

D’abundans superfluités

Qui luy espraint tous les costés,

Elle en chet en grant litargie.

S’elle en veult estre allegée

265Il convient tout au long de l’an

Qu’el use du deadragon

Confit avec diaculun.

TRUBERT

Helas! mon voisin, calculun,

Quel maladie se peult estre?

DOUBLET

270Dieu ait l’âme de mon bon maistre

Qui trestous ses biens aprins m’a!

Brief elle ne meurt que de cela.[+1]

Se voulés qu’en santé la tienne,

Qu’avecques moy qu’elle s’en vienne

275Et je luy bauldray ung clistoire

Qu’on dit barbarin.

TRUBERT

Helas! voire,

Mon voisin, c’est dit de bon homme,

Mais je ne sçay ma mère comme

Elle se pourra soustenir.


 [[ Print Edition Page No. 224 ]] 
FRIGALLETTE

280Me ferés-vous bea[u]coup languir,

Halas, Nostre-Dame, le cueur?

TRUBERT

Frigallette, prenés bon cueur!

Il vous fault lever, ma doulcine,

Si prendrés cy la medecine

285Que mon voisin vous veult donner.

FRIGALLETTE

Hasté-vous de moy enmener

Ou je me mourray en ce lieu.

DOUBLET

Or sus donc, allons, de par Dieu!

J’espoir que vous amenderés,

290Adieu voisin, vous la verrés

En bonne sancté au retour!

TRUBERT

Je vous en prie, par amour,

Voisin, faictes vostre devoir.

DOUBLET

Je le feray à mon povoir

295Tout ne plus ne moins, par mon âme,

Que s’elle estoit ma propre femme.

Adieu!

TRUBERT

Adieu!

DOUBLET

Ronge la crouste,

Ça, Nostre-Dame, quel Lambert!

FRIGALLETTE167 vo]

Par ma foy, il est bien, Trubert,

300De mon plaisir venir seullette.

DOUBLET

Ne vous en chaille, Frigallette,

Nous nous degoiserons nous deux.

FRIGALLETTE

Et sur mon âme je le veulx,

Amy!

DOUBLET

Ma plaisance entière!

FRIGALLETTE

305Mon souverain!

DOUBLET

M’amye chère,

Ma mignonne!

FRIGALECTE

Mon dorelot!

DOUBLET

Mon cueur doulx!

FRIGALLETTE

Mon petit falot!

DOUBLET

M’amour!

FRIGALLETTE

Et mon esbatement!

DOUBLET

Passons le temps joyeusement

310Puis que nous sommes à gogo!

TRUBERT

Et certes je suis bien Dando,

Dando, mais plus que Dandinastre,

Dandinastre, mais vray folastre,

Folastreusement affollé,

315Que je ne m’en suis pas allé

Avec ma femme en coquoys.[-1]

Se mon voisin crousle ses pois

J’en seroye prins par la moue.

Touteffois, ainsi qu’on se joue,

320Je m’en iray par bon advis

A l’uys escouter leur devis

Et sçauray toute leur façon.

DOUBLET

Je vous requier que nous faison

Bonne chère.

FRIGALLETTE

Mais j’en supplie!

DOUBLET

325Comment vous portés-vous, m’amie?

FRIGALLETTE

A vostre plaisir, mon amy.

Quant je pense à mon mary[-1]

Venoit icy pour nous ruser,

168 ro]Je ne pourrois excuser,

330Je seroye deshonnorée.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 225 ]] 
DOUBLET

Vecy comme serés excusée,[+1]

Lundy, quant vous prendrés la voye

De venir droit à Saincte-Avoye,

Vous trouverés par le chemin

335Une chambre, par saint Martin!

Garde n’aura de vous trouver,

Il ne vous fauldra soucier

Que l’ung ou l’autre vous y voye.

FRIGALLETTE

Sur ma foy, ce sera ma voye.

TRUBERT

340Trubert Chagrinas, entens-la!

Ha! ventre bieu, esse cela

Dequoy on m’a tousjours servy?

Se ne m’en venge aujourd’huy,

Je vueil estre mort ou tuay.

DOUBLET

345Touchés là!

FRIGALLETTE

Il en est tout suay,

Je ne fauldray point à lundy.

DOUBLET

Et par ce moyen que je dy

Nous parvendrons à nos attaintes.

TRUBERT [à part]

Vous ferez vous malles attaintes

350Dont vous soyés tous deux farcys!

DOUBLET

Ne faillés pas!

FRIGALLETTE

A mes perilz

G’y seray, comment qu’il en voise!

TRUBERT

Revenés-vous, nostre bourgoise?

Le sang bieu! vous serés servie!

FRIGALLETTE

355Regardés, vecy belle vie!

Tousjours vostre corps tencera.

TRUBERT

Avez-vous plus mal de cela?

FRIGALLETTE

Je n’en ay plus, la Dieu mercy.

TRUBERT en frappant

Saint Jehan, vous aurés de cecy,

360C’est remède contre cela.

FRIGALLETTE

Ha! faulx meurdrier, tu m’as meurdry!

TRUBERT [la battant]

Saint Jehan, vous aurés de cecy.

FRIGALLETTE

Au meurdre!

TRUBERT
          [Je criray aussi:]

168 vo]Avez-vous plus mal de cela?

FRIGALLETTE

365Je n’en ay plus, la Dieu merci.

TRUBERT en frappant

Saint Jehan vous aurés de cecy,

C’est remède contre cela.

FRIGALLETTE

Ha! faulx traistre, tu m’as meurdry!

TRUBERT

Saint Jehan vous aurés de cecy.

FRIGALLETTE

370Au meurdre.

TRUBERT en frappant

Je criray aussi.

FRIGALLETTE

Vous me tuez, pour Dieu! holà!

TRUBERT en frappant

Saint Jehan vous aurés de cecy,

C’est remède contre cela.

DOUBLET

N’ay-je pas entendu de là

375Frigallette, qui crie si hault?

Et qu’esse, voisin, qu’il vous fault,

Comment vous allés combatant?


 [[ Print Edition Page No. 226 ]] 
TRUBERT

Saint Jehan, vous en aurés autant

Puis que vous trouvés en ma voye.
          En frappant

380Tenez, portez à Saint[e]-Avoye

Ceste chandelle pour offrande.

DOUBLET

Je m’en vois, adieu vous commande!

Comment il sert à descouvert,

De m’en aller je suis expert,

385Vous priant trestous hault et bas

Que prenés en gré nous esbatz,

Je vous en prie, sans villenye.

Adieu toute la compaignie!

EXPLICIT

NOTES

 [XXVIII.] Farce d’une Femme à qui son voisin baille ung clistoire.

 [128] se maidieux, si m’aide Dieu.

 [151] Prenés . . . c’est déjà le conseil de Ronsard.

 [170] le May. à corriger en?

 [194] manger de l’ouer l’expression est probablement antérieure au Pathelin qui n’a fait, selon l’usage des farces, que la mettre en action.

 [218] N.D. de Lience, Liesse?

 [227] qui au sens du neutre: de ce qui.

 [236] Qui, si on.

 [252] La bate luy vaine = Contrepèterie: la veine lui bat.

 [311] Dando, sur ce personnage de Théâtre, voir l’Introduction.

 [317] Se, on devine plutôt qu’on ne comprend.

 [432] Sainte Avoye église de la Rue du Temple, après la poterne de l’ancienne muraille (p. 290 au t. 1 de P. Champion, François Villon) avec couvent sous le même vocable.

 [434] Saint-Martin-des-Champs (aujourd’hui Conservatoire des Arts et Métiers) n’est pas loin.


 [[ Print Edition Page No. 227 ]] 

XXIX
169 ro] FARCE NOUVELLE
DES FEMMES QUI FONT BASTER LEUR MARIS AUX CORNEILLES
A CINQ PERSONNAGES
*

GUILLEMETTE commence:169 vo]

Et que mesnaige ma voysine?

Dieu vous ayt!

PHELIPOTTE

Bien viengnés ma cousine!

Comment va? C’est grant nouveaulté

5De vous veoir en loyaulté.

Que dit le cueur?

GUILLEMETTE

Ha! m’amie,

Mais pour Dieu ne m’acusés mye,

Je vous diray.

PHELIPOTTE

Moy, doulce Dame,

Et, par ceste povre âme,[-2]

10J’aymeroye mieulx estre morte

Ou l’Ennemy d’Enfer m’emporte,

Moy las! que je vous encusasse.

GUILLEMETTE

Celuy que vous scavés, hé! lasse!

Vous puis-je bien tout reveler?

PHELIPOTTE

15Dictes-moy tout sans rien celer,

Seurement, comme à vostre prestre.

GUILLEMETTE

Par celuy Dieu qui me fist naistre,

M’amye, il m’a en tel point mise,

Il m’a tant priée et requise

20Et donnés verges et boursettes

Et tant de menu[e]s chosettes

En ung beau coffre de cyprès

Et m’a menée de cy près

Que j’ay fait à sa voulenté.

PHELIPOTTE

25Par Sainct Jehan en bonne santé,

Je vous promectz qu’il n’est pas chiche

Ne convoyteux, je le sçay bien,

Il vous fera beaucoup de bien,

Ainsi comme aultreffoys vous dis,

30Et si vous cela bien tousdis,

Je vous prometz certainement.

GUILLEMETTE

Il doit venir tout maintenant

En l’ostel, car l’eure est emprinse,

Mais par ma foy je suis bien prinse,

35Tout est gasté, m’amye chière!

PHELIPOTE

Comment? faictes-luy bonne chière

Et le recueillés à grant joye.

GUILLEMETTE

Voire, qui peust trouver la voye

Que mon mary vuydast l’ostel,

40Vous sçavés qu’il a ung los tel,

Que chascun scet et peut sçavoir,

170 ro]D’estre jaloux et mect, pour voir,

Toute s’entente bas et haulte

De me trouver en quelque faulte.

45Dieu! qui trouveroit quelque cautelle[+1]

Qu’il vuidast l’ostel brief, fust belle,

Je ne m’en souciasse point.


 [[ Print Edition Page No. 228 ]] 
PHELIPOTE

Ne scavés-vous trouver le point

De l’envoyer dehors baster?

GUILLEMETTE

50Las! non, et si m’en fault haster,

Car, par ma foy, l’eure s’aprouche!

PHELIPOTE

Vous ne scavés ne qu’une souche,

Par le sang que Dieu fist de bien!

GUILLEMETTE

Et où est le vostre?

PHELIPOTE

Le mien,

55Je puisse perdre les oreilles

S’il ne va baster aux corneilles

Et si est, dès qu’il adjourna,

Ne oncques puis ne retourna

Mon mary, quant il est saison,

60Je luy fas vuider la maison

Sans qu’il en parle ne gronde.[-1]

GUILLEMETTE

Dieu et comment?

PHELIPOTE

Le mieulx du monde,

Je luy trouve quelque falace.

GUILLEMETTE

Au nom de la Dame de Grace

65Conseillés-moy si saigement

Que le mien parte promptement

Puis que vous estes ouvrière.

PHELIPOTE

Je pensoye une manière . . .[-1]

S’en va-il point, pour le tencer?

GUILLEMETTE

70Ha! nennin!

PHELIPOTE

Laissés-moy pencer

Se tantost ne vous en despesche

Si bien que vous l’envoyés paistre

Aux champs, ferés bien m’amie.

GUILLEMETTE

Aux champs certes il n’yroit mie,

75Il est de merveilleux affaire.

PHELIPOTE

Si ferés, si vous voulés faire

Ce que je vous conseilleray.

GUILLEMETTE

Ouy, vrayement,

170 vo]Tant qu’il n’y aura que redire.

PHELIPOTTE

80Vous tiendrés-vous pas bien de rire?

Ou tout ne vauldroit rien quelconques?

GUILLEMETTE

De rire? et que feray-je doncques?

Dieu scet que j’en auray tallant!

Helas! si trouvoit ce gallant

85A l’ostel, je croy qu’il y prendroit

A mal.

PHELIPOTTE

Et pourquoy ne feroit?

Or voicy ce que vous ferés.

Maintenant quant vous reviendrés

Droictement en entrant dedans

90Vostre hostel, vous plaindrés les dens

Et aurés devant le visage

Ung drappeau et dictes: “J’enraige!”

Je croy bien vous scaurés plaindre.[-1]

GUILLEMETTE

Par ma foy! voyre, sans me faindre!

PHELIPOTE

95Je sçay bien qu’il demandera

Que vous avés, ou il sera

Le moins piteux que je congnoisse.

Vous faindrés avoir grant angoisse

Aux dens, ne vous chaille qu’il die.

100Brief, pour oster la maladie,

Vous luy prirés qu’il aille querre

Je ne sçay quelle herbe au pré

Es jardins, en quelque coignet,

Mais envoiés-le assés loignet

105Et aussi pour le mieulx cueillir

L’erbe aulx de[n]s, racines et fueilles,

Et l’erbe vous luy nommerés

Ne sçay quoy que vous trouverés

Et que vous viendra au-devant.

GUILLEMETTE

110Je le feray bien, je m’en vant,

Si bien qu’il en souviendra.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 229 ]] 
PHELIPOTE

Et le m[i]en si ne reviendra

Jusques au soir, je n’en doubte point,[+1]

Et si aura d’un autre point

115Devant, se je y sçay advenir.

GUILLEMETTE

Adieu jusques au revenir!
          [seule]

Ha! Nostre-Dame, que ferai-ge?

Plus va avant, plus m’en graige,

Je meurs, je languis, ha! j’enraige,

120Vraiement je croy, c’est droite raige,

Certes ce n’est pas maladie,

Helas! je ne sçay que je die

Ou je voise ou que je face.

PIERRE TINETTE

171 ro]Ha! benoiste Dame de Grâce!

125Belle santé, qu’avés-vous ouy?

Sont-ce les dens?

GUILLEMETTE

Helas! ouy!

Et ne le voiés-vous pas bien?

PIERRE

Saint George!

GUILLEMETTE

Ne me dictes rien,

Laissés-moy en pais, ha! je suis morte![+1]

130Plus va avant, et plus est forte

Ma douleur.

PIERRE

Royne debonnaire!

Est-il chose que on y peust faire

Que la douleur fust passée?[-1]

Montrez se elle est cassée

135Ou creuse, montre ça, ma mye.

GUILLEMETTE

Ha! vous ne me guerirés mye,

Pour neant le vous monstreroye.

PIERRE

Helas! ma mye si feroye,

Je vous prometz en verité,

140Je voy bien la necessité.

Vous chaufferai-ge une toille?

Ça du vin blanc ou d’ung pou d’huille

Ou ung tantinet d’eau rose.[-1]

GUILLEMETTE

Helas! il y fault autre chose,

145Il me tient dedans la gencive.

PIERRE

Lavés-la d’ung peu de lisive

Par dedans, ou de vostre orine.

GUILLEMETTE

Dea! de mon orine je ne fine[+1]

Trestous les jours de la sepmaine

150De laver proprement la veine

Dont procède la maladie,

Helas! je ne sçay que je die.

Si vous alissiés, se j’osasse,

Ha! hay! Dieu, je vous envoyasse. . . .

PIERRE

155Où voulez-vous doncques que je aille?

GUILLEMETTE

Ha! c’est bien loing!

PIERRE

Dea! ne vous chaille,

Je feray ce qu’il vous plaira.

Ung barbier qui l’arrachera,

Affin que la douleur se passe,

160Le voulés-vous?

GUILLEMETTE

171 vo]Arracher, lasse!

Arracher je ne voy couleur

Par quoy se passast la douleur.

Vous sçavés mal dont ce me vient.

Helas! c’est goutte qui me tient

165Es machouères.

PIERRE

Helas! goutte,

La douleur se passe, elle goucte,

Je ne sçay que l’on en fera.

GUILLEMETTE

Helas! non, elle ne cessera,

Par m’âme, mon doux amy Pierre,

170Meshuy, se vous n’alés querre

D’une herbe, ha! Vierge pucelle!

Comment esse que on l’appelle?

Elle a une assés grant fueille[-1]

Et si convient que on la cueille

175Aux dens, et fueille et racine,

Ou aultrement sa medecine

Ne vauldra mie une maille.


 [[ Print Edition Page No. 230 ]] 
PIERRE

Par Saint Mor, que querir j’en aille?

Où esse que j’en trouveray?

GUILLEMETTE

180Ha! c’est bien loing, mais je seray

Guerrie, tant est l’erbe bonne.

C’est chez le curé Charonne,

Au bout d’ung petit jardinet,

Il ne m’en fault qu’ung tantinet,

185Chergé vostre col seullement.

PIERRE

Comment l’appelle-on voirement?

Vous ne me l’avés pas nommée.

Se c’est herbe de renommée,

Je trouveray aucun preud’homme

190Au moins, mais que jà la nomme

Par nom, qui la m’enseignera.

GUILLEMETTE

Je vous di que on la trouvera

Au bout du jardin, c’est cela,

Elle a une couleur grisette,

195Une courte fueille longuette,

Ronde et ung petit jaulnette,

Et a ung nom si tressauvaige,

C’est à Nostre-Dame, j’anraige,

Demandés à qui le sçaura.

PIERRE

200Esse point yralicora

Qui est pour fièvre et pour taigne?[-1]

GUILLEMETTE

Nanny! c’est herbe de Bretaigne

Et si a nom dronos.

PIERRE

172 ro]Dronos?

GUILLEMETTE

Voire.[+1]

PIERRE

Il la vous fault doncques boire,[-1]

205Ne fait pas, quant vous la tiendrés.

GUILLEMETTE

Helas! non fait, vous la cuidrés

Racine et tout sans cracher,

Par m’âme vous luy osteriés

Une grant partie de sa force.

PIERRE

210Ne m’en chault, mais qu’elle n’ait l’escorce[+1]

Si amère qu’il ne me conviegne

Cracher, que Dieu si y adviengne,

Car je feray bien la besongne.

GUILLEMETTE

Ha! Nostre Dame de Boulongne,[[214]]

215Delivrés-moy!

PIERRE

Saincte Marie!

Comment celle povre femme crie![+1]

Or vueille donc Dieu par sa grace

La conforter et que je face

Chose pourquoy sa douleur cesse!

220Par le chant d’une vieille ânesse

Elle a nom, c’est, ce tiens-ge,[-1]

C’est une herbe qui est estrange,

Mais elle est de bien grant valleur,

Elle luy ostera la douleur

225Des dens si tost que la tiendra.

Mais, par Saint Mor, elle attendra

Beaucoup, encor(e) ne l’ay-je mye,

Il y a bien lieue et demye

D’icy où il la me fault prendre!

230Par Saint Mor, qui me deveroit pendre,

Si fault-il bien que je la tienne!
          [Il s’en va]

L’AMOUREUX

Bon jour, bon an et bonne estraine

Vous doint Dieu, ma tresdoulce amye!

GUILLEMETTE

Pour Dieu, parlés bas, il n’est mye

235D’icy à ung get de pierre.[-1]

L’AMOUREUX

Hen! qui?

GUILLEMETTE

Et mon mary Pierre,

Il s’en va tout presentement.

Entrés leans secrettement.

Comment je m’en suis despeschée!

240Quant j’en suis ung peu empeschée,

172 vo]Dieu scet comment je m’en despesche!


 [[ Print Edition Page No. 231 ]] 
PIERRE

Ha! Dieu, elle m’envoye bien paistre

De par le dyable mireau mirelle[+1]

Et si dirons, mais où est-elle?

245Au moins qui en peust recouvrer

Ung tantinet pour esprouver

Sa vertu contre mal des dens.[[247]]

DANDO

N’ai-ge pas ouy là-dedans

Pierre? Si ay, par Nostre Dame,

250Es-tu là voisin?

PIERRE

Maugré ma vie,[+1]

Mais qui grant dyable t’a là mis?

Par l’âme de tous mes amys,

Je ne t’i eusse empièce quis,

Que fais-tu?

DANDO

J’ay esté requis

255Huy au matin de ma femme[-1]

Qui se monstre bien estre dame.

Je ne m’ose d’icy ruser,

Elle m’a fait icy musser

Bien quattre heures toutes entières

260Sans aller avant ny arrière,

Bon gré en puisse Dieu avoir!

PIERRE

Mais à quel propos?

DANDO

Pour sçavoir

Droictement quel temps il fera,

S’il pleuvera ne s’il ventera,[+1]

265Pour ce que mes prés doivent estre

Fauchés et touteffois, mon maistre,

Vous savés ou devez sçavoir

Que s’il devoit au jourd’uy plouvoir

Il vauldroit mieulx encore attendre.

PIERRE

270Qu’à Dieu me peussé-je rendre[-1]

Estre tel astronomien,

Mais comment le temps sçauras-tu?

DANDO

Bien ma femme dit quant je regarde[+1]

Contremont, en me prenant garde,

275De quel part les corneilles viennent

Et selon le chemin qu’il tiennent

Au partir du bois de commencement,[+2]†[[277]]

Au moins se ce ne sont les jeunes

Qui ne vollent qu’à la valée,

280Quant la mère s’en est allée,

Mais des anciennes corneilles,

Se j’en choisis quatre pareilles

Selon le chemin qu’il prendront

173 ro]Et aussi celles qui tiendront

285La queue vers le vent de bise,

Sans faulte, se je les advise

En l’air et que je raporte

A ma femme, elle se fait forte,

Sur peine d’avoir nom huette,

290Entendés-vous, Pierre Tinette,

Qu’elle saura s’il doit plouvoir.

PIERRE TINETTE

Sang que Dieu me fist, elle dit voir,

Elle est grande astronomienne,

Pleust à Jesucrist que la mienne

295Eust la moitié de sa science!

DANDO

Mon amy, par mon conscience,

Elle m’a, dès soleil levant,

Cy envoyé, voire devant,

Espier comment volleront

300Les corneilles et qu’ilz feront

Encor(e), qui est plus faulx latin.

Affin de venir plus matin,

J’ay couché trestout embasté

Et ay basté et rebasté

305A ses corneilles et musé

Tant que j’en ay l’oeil tout usé,

Mais par le sang que Dieu sua,

Je ne vis ennuyt qu(e) ung hua

De toutes corneilles du monde

310Se ce n’a esté une aronde

Et ne scay quelle peautraille

D’oyseaux, force est que je m’en aille,

J’ay si grant soif que plus n’en puis!

PIERRE

Ha! beau sire Dando, et puis

315Que ainsi est que je nous sommes

Entretrouvez, nous deux bons hommes,

Tu m’atendras.

DANDO

Qu’as-tu affaire?


 [[ Print Edition Page No. 232 ]] 
PIERRE

Ma femme qui ne fait que braire

Du mal des dens et se tempeste:

320Oncques tu ne vis tel feste.

Certes qui ne la secourroit

Je cuide qu’elle se mourroit!

Elle m’a dit que je viegne querre[+1]

Pour ses dens d’une herbe, grant erre,

325Je la cuidray, tu entendras

Aux corneilles se les verras.

DANDO

Par Sainct Martin, c’est tresbien dit,

Par le sang que Dieu respandit.

173 vo]J’en vois! Non foys! C’est une mouche.

330Elle est haulte, je croy qu’elle touche,

Par le sang que Dieu fist, aux cieulx.

J’ay tout esblouy les yeulx,[-1]

Une mouche n’est pas si grande.

PIERRE

Voicy l’herbe que je demande

335Droictement en propre personne,

Elle deveroit estre moult bonne,

Or convient-il, veille ou non veille,

Puis qu(e) ainsi est, que je la cueille

Aux dens, puisque c’est sa nature.

340Que Dieu luy doint mal avanture

Qui à guerir dens l’ordonna!

Qu’elle put! Qui osast craicher,

C’est pour neant! Je cracheray

Et puis je vous arracheray!

345Fy! que le dyable vous emporte!

Quelle odeur! haro! qu’elle est forte!

Or vous auray-je à ceste foys!

DANDO

Que dyable fais-tu?

PIERRE

Que je fais?

Le grant diable le puist sçavoir!

DANDO

350Comment! ne la peulx-tu avoir

Aulx mains?

PIERRE

Sainct Jehan si auroy-je bien,

Mais la vertu ne vauldroit rien,

Ma femme m’a dit que (je) la cueille

355A bonnes dens, racine et fueille,

Et qu’elle en seroit guerie.[-1]

DANDO

Aux dens, sire!

PIERRE

Et je reg[n]ie

S’elle vauldroit rien aultrement[[357]]

Pour ses dens.

DANDO

Par mon sacrement,

360Tu es bien cornart de l’en croire.

PIERRE

Cornart? sire.

DANDO

Saint Jacques! voire.

PIERRE174 ro]

Par la foy, où cuidés-vous estre?

DANDO

Je regnie Dieu s’el ne te fait paistre,[+1]

Et tous les sains! Paistre te faict.

365Par le sang bieu, vecy grant fait

Et pais l’erbe comme une chièvre.

PIERRE

Ha! sire je pais vostre fièvre,

Je pais, mais que en as-tu à faire?

DANDO

Vrayment, je lairoye la mienne braire[+1]

370Beaucoup, quant je paistroye pour elle,

Ha! tresdoulce Vierge pucelle,

Et trouves-tu telle herbe bonne?

Elle t’envoye paistre à Charonne,

Avant, ton amy tire bien.[[374]]

PIERRE

375Et je pais ung estron de chien

En my tes dens et en ta joue,

Ha! fy!

DANDO

Fault-il faire la moue†[[377]]

En paissant, doncques esse raison?

PIERRE

Bongré Sainct Jacques du mestier!

380Ung chien a icy chié.


 [[ Print Edition Page No. 233 ]] 
DANDO

Sa mon, par Saincte Katherine,

Tu l’as remué à la bouche,

Embouche, mon amy, embouche!

Avant, lymasson, garde ta corne![+1]

PIERRE

385Je te prie, par amours or ne

Me viens meshuy cy copiant.

DANDO

C’est ung morceau bien friant,

Lymassons sont-il de reffus?

C’est dommaige que tu ne fus

390Une chièvre ou quelque beste.[-1]

PIERRE

Et toy Dando, tressote teste,

Tu baste[s] aussi aux corneilles!

DANDO

Ce ne sont pas grandes merveilles,

Car plusieurs y bastent souvent.

PIERRE174 vo]

395Tu dis vray, par mon serment,

Ainsi advient-il mainteffoys

Que bons hommes, qui sont trop courtois,

Mayne-on paistre par le coul.[-1]

DANDO

Je soye pendu par my le col,

400Si nous ne sommes plus que bestes

De nous rompre ainsi les testes,[-1]

Ausi les cueurs par ces fumelles.

PIERRE

Brief il y a quelques cautelles,

Pourquoy nous envoyent icy,

405Je te prometz et certiffy

Dont nous sommes bien cabusés.

DANDO

Allons-y voir sans plus muser

Pour esprouver leur finesse.[-1]

PIERRE

Allons par bonne hardiesse

410Et les escoutons ung tantet

Pour sçavoir si aucun motet

Pourions sçavoir de leur secret.

DANDO

C’est bien dit, par ma conscience,

Cheminons sans plus mot dire.[-1]

GUILLEMETTE [à part]

415Tenir je ne me puis de rire

De Pierre qui est allé paistre,

Par celuy Dieu qui me fist naistre,

La finesse vault bien l’argent.

PIERRE

Dictes-vous? j’en suis vrayement!

420Ha! je suis apointé en chien.

PHELIPOTE

Et aussi qu’ay-je fait au mien,

Rien n’en sçavés, par Sainct Martin!

Envoyé je l’ay au matin

Pour voir de quel cousté viendront

425Les corneilles et quel chemin tiendront[+2]

Pour savoir quel temps il feroit,

Mais pensés que tout ce n’estoit

Que pour me despescher de luy

Et affin que j’eusse celluy

430Que j’ayme par grant appetit.

DANDO [à part]175 ro]

Haro! j’enraige de despit,

Brief, il nous fault saillir en place.

PIERRE TINETTE [à Dando]

Saillons et sans nulle menasse

Qu’on frappe sus à l’estourdy!

DANDO

435Par le sang bieu, c’est à jeudy

Que les corneilles volleront,

Mais vos costes s’en sentiront,

Tenés! cecy vous fault taster

Pour moy aprendre à baster[-1]

440Aux corneilles desormais[-1]
     [Il bat sa femme]

PIERRE [battant à son tour Guillemette]

Et vous aussi après tous mais,

Qui m’envoyés querir dronos,

Fièvre quartaine sur le dos,

Qui vous tiendra au long de l’an!


 [[ Print Edition Page No. 234 ]] 

445Vous en aurés, ains la Sainct-Jehan,

Maint grant coup et mainte recepte,

Or tenés! tenés! Guillemette,

Et congnoissés que je suis maistre,

Dictes-vous que m’envoyés paistre

450Herbe aux champs comme ung veau?[-2]

Je vous batré tant la peau[-1]

Que jamais vous ne ferés bien.

GUILLEMETTE

Mon amy, par Sainct Julien,[-1]

Je n’y pensay oncques mal.[-1]

PIERRE

455Helas! nenni, propos final,

J’ay entendu trestout le cas.

DANDO

Compère, laissons ces debatz

Et tout le fait ainsi qu’il est

Et nous en allons sans arrest,

460Mais si une autreffoys advient

Cas pareil, et il m’en souvient,

Elles seront fourbis à bon.

PIERRE

Sans nulle faulte, ce seront mon,

De cela ne fault point douter.

DANDO

465Veu que avés peu escouter

Tout nostre estat de bout en bout,

Entendés et retenés tout:

L’estat des femmes non pareilles,

Qui nous font baster aux corneilles,

470Quant ilz veullent entretenir

Leurs mignons et les retenir

A leur bon vouloir et plaisance.

PIERRE

Seigneurs, vous voyés l’apparence

De leur fait et de leur estre,[-1]

475Qui ainsi font leurs maris paistre

L’erbe aux champs comme brebis.[-1]

Pour ce vous pry, grans et petis,

Que vous contregardez du fait

Des femmes et de leur aguet.

480Par ce point, sans nulle villenie,[+1]

Aurés honneur en vostre vie.

Aultre chose ne vous en dis

Si non à Dieu grans et petis!

EXPLICIT

175 vo]

[176 ro et vo blancs]

NOTES

 [XXIX.] Farce des Femmes qui font baster leur maris aux Corneilles proverbe en action. Sur le personnage de Dando, voir Introduction.

 [49] baster, j’aurais corrigé en basler n’était la rime avec haster et la répétition constante du verbe sous la même forme à travers le texte.

 [166] Je ne comprends pas ce vers dont le sens doit être: la douleur dépasse celle de la goutte.

 [182] le curé de Charonne, cf. Introduction.

 [214] cf. Introduction.

 [282] choisis, a le sens de aperçois.

 [374] Je ne comprends pas ce vers. On attendrait: Tandis. . . .

 [386] copiant, moquant. Cf. Sottie des Coppieurs et Lardeurs du Recueil Trepperel.

 [411] motet, un petit mot, de là le genre musical du motet choral.

 [420] Devrait être corrigé en “Ha je l’ai” et être attribué à Guillemette.

Endnotes

 [105-106,] ne riment pas.

 [247,] O: comme.

 [277,] ne rime pas.

 [299,] O: espies.

 [357,] O: regine.

 [377,] O: l’amour.

 [478,] O: contregarder.


 [[ Print Edition Page No. 235 ]] 

XXX
177 ro] FARCE NOUVELLE
DU RAMONNEUR DE CHEMINEES FORT JOYEUSE, NOUVELLEMENT IMPRIMEE
A QUATRE PERSONNAGES
*

[vignette]

LE RAMONNEUR commence177 vo]

en chantant

Ramonnez vo cheminées,

Jeunes femmes, ramonez!

LE VARLET

En nous payant noz journées,

Ramonnez voz cheminées!

LE RAMONNEUR

5En nous payant noz journées,

Retenez-nous, retenés,

Ramonnez voz cheminées,

Jeunes femmes, ramonnez!

LE VARLET

Par le corps bieu! vous m’estonnez,

10Tant menez lourde melodie.

LE RAMONNEUR

Que dyable veulx-tu que je (te) dye,

Encore ne sçay tant crier,

Que gaigner puysse ung seul denier,

De quoy je m’esmerveille assez.

LE VARLET

15Si fais-je plus que ne pensez,

J’ay veu que, quant vous a [vi]ez grâce†[[16]]

De bien ramonner, vostre tasche

Estoit bien d’un autre plumaige.

LE RAMONNEUR

A! tu dis vray, je fesoye rage,

20Quant premierement tu me vis.

LE VARLET

Gens qui sont ainsi massis

Comme gros prieurs ou gras moyne[s]

Ne furent jamais guère(s) ydoines

De bien cheminées housser.

LE RAMONNEUR

25Pourquoy?

LE VARLET

Ilz ne font que pousser

Et sont pesans comme une enclume,

Et vous ensuyvez la coustume,

Car vous estes gras comme lart.

LE RAMONNEUR

Par bieu! j’ay aussi bien fait l’art

30Du mestier qu(e) homme du royaume,

Mais pour l’exercer, sur mon âme,

178 ro]Ma puissance fort diminue.

LE VARLET

S(e) elle fust aussi bien venue

Devers vous comme declinée,

35Vous eussiés mainte cheminée

A ramonner, qu’on vous trespasse.

LE RAMONNEUR

Je ne sçay que c’est, tout se passe

Ce que nature a compassé,

Car je suis jà tout passé.[-1]

40Bien joueroit de passe-passe,

Qui me feroit en briefve espace

Corps bien compassé!

Je suis jà cassé,

Faulcé

45                         Lassé

Et tout mon bien se trespasse

De l’or que j’ay amassé

A Gaultier et à Massé[[48]]

De leur bonne grâce,


 [[ Print Edition Page No. 236 ]] 

50C’est d’estre en ung viel fossé

Poussé,

Troussé,

Là où personne ne passe.

LE VARLET

Qui vous diroit à voix basse:

55“Prens dix escus en ma tasse,”

Qu’en diriés vous?

LE RAMONNEUR

Riens.

VARLET

Ou de vuider une tasse

Et humer la souppe grasse

Vous le feriés?

LE RAMONNEUR

Bien.

LE VARLET

60Et vous fussent assignées

A dormir grans matinées,

Quel estat, quel!

LE RAMONNEUR

Bon.

[LE VARLET]

Mais pour housser cheminées

Là où vertus sont minées

65Il ne vous en chault.

LE RAMONNEUR

Non.

Je soulloye avoir le renom,

Mais maintenant je metz

Tant que mestier je congnoys

Doresnavant à quinsaine.

70Par mon âme, c’est trèsgrant paine

Que de ramonner à journée.

LE VARLET178 vo]

Voire pour gens à courte allayne.

LE RAMONNEUR

Par mon âme, c’est trèsgrant peine.

LE VARLET

Croyés qu’il n’y a nerf ne vaine

75Qui ne soit bien examiné.

LE RAMONNEUR

Par mon âme, c’est trèsgrant peine

Que de ramonner à journée.

LE VARLET

Or sa, faison quelque trainée

Ou quelque cryée joyeuse

80Pour veoir se quelque malheureuse

Ne nous mettra point en ouvrage.

LE RAMONNEUR

Nous y perdrons nostre langage,

Ne faisons cy plus long sejour,

Car tu sces bien que tous les jours,

85Puis que la court est en la ville,

Par ma foy ilz sont plus de mille,

Tous nouveaulx et jeunes housseurs.

LE VARLET

Les jeunes ne sont po[i]nt si seurs[[88]]

Que les vieux, vous le sçavés bien.

LE RAMONNEUR

90Il n’est aboy que de viel chien!

Pour dire je ne le nye point,

Qui nous fait estre tous chetis.

LE VARLET

Et quoy?

LE RAMONNEUR

C’est que les aprentis

Tousjours les meille [u]rs maistres sont.

LE VARLET

95Et ainsi vous avés . . .

LE RAMONNEUR

Le bont.

Les jeunes m’appellent viellart

Pource que j’euvre de vieil lart

Et que je suis plus blanc que Carmes,

Ses tu (pour) quoy? je me rens aux armes,

100Mais pour cause que ma mignonne

Ne me fait point chère si bonne

Quant je luy rapporte pecune.

Ne revèle point la fortune,

Mais que j’ay[e] bien besongné

105Et que j’ay[e] aujourd’huy gaigné

Bien quarante soulz qu’on me doit.

Je ne sçay de vray s’elle entendoit[+1]

Par trop parler ou sermonner

179 ro]Que ne peusse plus ramonner,

110Velà Jehan du Houx rué jus,

Plus n’en auray esbatz ne jeulx,

Jamais ne me vouldroit aymer.


 [[ Print Edition Page No. 237 ]] 
LE VARLET

J’aymeroys mieulx estre en la mer

Que vostre honneur j’eusse frauldé.

LE RAMONNEUR

115Qu’estes-vous mal fardée,

Mal lardée,

Que ne parlés-vous à nous?

LE VARLET

On vous a bien regardée

Et dardée

120Au cueur d’ung regard trèsdoulx.

LA FEMME

Et qui a ce esté?

LE VARLET

Jehan du Houx

Par dessoubz.

LA FEMME

Je ne m’en suis point gardée.

LE VARLET

Touteffois il vous a dardée

125Bien ferrée

La flèche.

LA FEMME

Des poux, des poux,

J’aymeroye mieulx quatre solz

En ma bource, de bon acquest,

Que son regard ne son caquet,

130Brief je n’ayme point ses esbatz.

LE VARLET

Pourquoy?

LA FEMME

Il craint le bas[-2]

Plus que cheval de poissonnier.

LE VARLET

Ha! dea! si mengea du poisson yer,

Ne l’ayés pourtant indigné,

135Penser quant il a bien disné,

Encore est-il plus redelet.

LE RAMONNEUR

Jehan du Houx est-il tel qu’il est,

Il n’en fault point tant sermonner.

LA FEMME

D’où venez-vous?

LE RAMONNEUR

De ramonner

140Tout ce jour et Dieu scet comment,

Demandés-luy.

LE VARLET

Tout bellement,

Par mon âme, c’est grant pitié.

LA FEMME179 vo]

Pis que ante(m).

LE VARLET

Mais pis la moytié[[143]]

Il sera tantost maistre ès-ars.[[144]]

LA FEMME

145Pourquoy?

LE VARLET

Il a apris ses pars,

Il est à ses declinaisons.

LE RAMONNEUR

De quoy parlés-vous?

LE VARLET

De l’oyson

Qu’on vous donna yer à disner,

Après qu’on vous fist ramonner

150La cheminée que sçavés.

LE RAMONNEUR

Il dit vray.

LA FEMME

Par Dieu, vous bavés,

Ne vous ventés jà de beau fait!

LE RAMONNEUR

Holà! j’ay fait ce que j’ay fait.

M’avés-vous si bien repoulsé?

155Encore ay-je aujourd’huy houssé

Des cheminées plus de douze,

Velà qui le scet!

LE VARLET

Il se house!

LA FEMME

J’en vueil bien croire ses recors.

LE VARLET

Pensez qu’il a assés bon corps,

160Mais il n’a membre qui rien vaille.


 [[ Print Edition Page No. 238 ]] 
LA FEMME

Dictes-vous?

LE VARLET

Pas maille,

Je vous ay declairay le point.

LE RAMONNEUR

Se vous me voyés en pourpoint

Vous esprouveriés (plus) tost mes fais.

LE VARLET

165Il est façonné comme ung fais

De fagotz ou de paille d’orge.

LE RAMONNEUR

Tu as menti parmy ta gorge,

Je suis ung bel homme et robuste

De corps et de membres.

LE VARLET

Tout juste,

170Par mon âme, c’est bien soufflé.

LA FEMME180 ro]

Regardés, il est plus enflé

Qu’un rat dedans ung puis,[-2]

Tant a mengé de souppe(s).

LE RAMONNEUR

Et puis,

Fondés-moy, si aurés le sain!

LA FEMME

175Quel visage de Saint Poursain,

Comme il en a rempli ses bouges!

LE RAMONNEUR

S’ont esté ces gros vins rouges[-1]

Qui nous ont paincturés ainsi

Les narines de cramoysi,

180Ainsi que sçavés qu’on le joue.

LA FEMME

La couleur demeure en la joue,

Elle n’est pas tombée ès mains.

LE RAMONNEUR

Mon compaignon n’en a pas moins,

Le voyés-vous, le domine?

185Il a le groing enluminé

Comme le B de Beatus vir.

LA FEMME

Mais vos yeulx me font grant plaisir,

Car ilz n’ont point la couleur nette.

LE RAMONNEUR

Quelz sont-ilz?

LA FEMME

Doublés d’escarlatte.

LE RAMONNEUR

190J’ay tant par villes et par bourz

Houssé qu’ilz en vont à rebours

Des pouldres qu’ilz sont cheus dedans.[[192]]

LE VARLET

Il a menty parmy ses dens,

Il ne luy vient que de trop boyre.

LE RAMONNEUR

195Pour Dieu ne le vueilliés point croire,

Ma doulcinette, ma mignonne,

Ma gorgerette, ma toute bonne,[+1]

Car, quant je ne suis point en serre,

Je ramonne aussi bien . . .

LE VARLET

Ung voirre

200Qu’oncques fist gorge de pion.

LE RAMONNEUR

Escoutés cest escorpion

Comme il me point! Que je suis aise

Et je sçay bien, plaise ou non plaise,

Qu’entre tous housseurs je suis homme.

LE VARLET

205Il a perdu le plait à Romme,

180 vo]Il peult bien appeller à Rains.

LE RAMONNEUR

Est-ce debilité de reins

De housser en une journée

Seze fois une cheminée,

210Qui estoit bien grande et bien haulte?

LE VARLET

Il dit vray, il fist une faulte,

Ce fut quinze, et, somme toute,

Une fois, hou! l’a tout deroute,

Encore Dieu sçait à quel paine.

LE RAMONNEUR

215Et je fis tes fièvres quartaines

Se aujourd’huy je t’os mot dire.

Ne mesdire

Contre moy aucunement,

De mon poing sans contredire

220Par grant ire

En auras ton payement.


 [[ Print Edition Page No. 239 ]] 
LE VARLET

Cil qui paye ment

Vrayement

Au moins s’on l’en retire

225Et vous ensuivés celle tire

Qui vous tire

A mentir si lourdement?

Dictes or, par mon serment,

Tant qu’est à luy, il en est fait!

LA FEMME

230Il me fait enrager de fait

De dire que si vaillamment

A huy ramonné.

LE VARLET

Hé! il ment,

Jamais ne luy eusse accordé.

LA FEMME

Il est doncques. . . .

LE VARLET

Il est cordé,

235Jamais n’en aurés. . . .

LA FEMME

Grant ayde.

LE VARLET

On luy eust bien. . . .

LA FEMME

Lasché la bride.

De courre n’est point. . . .[[237]]

LE VARLET

Enragé,

Je vous entens.

LE RAMONNEUR

Je l’ay songé:

Ouy, j’ay fait ce que je vous dis.

LE VARLET181 ro]

240Dictes-en ung de profundis,

Il en est fait, vous (le) voyés bien.

LE RAMONNEUR

Dictes-en ung estron de chien

En ton nés! Fault-il tant baver?

Mais comment m’ose-tu b[r]aver,

245Ort senglant paillart contrefait,

Moy qui t’ay fait. . . .

LE VARLET

Qu’avés-vous fait?

LE RAMONNEUR

Je t’ay fait.

LE VARLET

Vous l’avés fait belle!

LE RAMONNEUR

S’on ne te pent, paillart rebelle,

Je t’ay fait. . . .

LE VARLET

Quoy? Apoticaire?

LE RAMONNEUR

250Escoutés, il ne se peult taire,

Il me fait enrager d’ennuy.

LE VARLET

Je ne mengay huy,

De quoy dyable seroyes-je plain?

LE RAMONNEUR

Tu es remply de faulce envie

255Contre moy qui te tient en vie,

Je pris ce paillart ratisseur

A Paris sur ung rotisseur

Et n’avoit pas vaillant deulx blancs

Et couchoit, dont il est si blanc,[[259]]

260Au four à quoy la paille on art,

Brief je t’ay fait. . . .

LE VARLET

Quoy?

LE RAMONNEUR

Hé! paillart,

Je t’ay au moins fait tant d’honneur

Que tu es maistre ramonneur

Passé par les maistres jurés.

LE VARLET

265Pas ne fault que vous en jurés,

Je n’en devois pas ung oignon;

Depuis que sommes compaignon,

Je n’ay pas gaigné mes despens.

LA FEMME

Par ma foy, à ce que j’entens,

270Il ne peult plus lever le boys

Du ramon.

LE RAMONNEUR

181 vo]On dit mainteffois:

Qui a tant fait qu’il n’en peult plus,[[272-3]]

On le doit bien laisser en pais,

C’est une auctorité commune.


 [[ Print Edition Page No. 240 ]] 
LA FEMME

275Las! je demeure ainsi comm[e] une

Povre femme à qui [F]ortune

Pour sa griefve im[p]ortune,

Quant mon mary vient en bas.

Puis que en si piteux esbatz

280On l’impugne,

Plus ne puis par voye aucune,

Pour argent ne pour pecune,

Avec luy prendre mes esbatz.

LA VOYSINE [commence]

A qui esse que tu t’esbatz,

285Ma voisine et ma doulce amye?

LA FEMME

Croyés que je ne chante mye,

Mais ay le cueur triste et marry,

Car c’est de mon povre mary

A qui Dieu bonne mercy face!

290Je ne sçay plus que je face[-1]

De grant pitié qui me remort.

LA VOYSINE

Comment? Vostre mary est(-il) mort?

LA FEMME

Tout mort au paradis des chièvres.

LE RAMONNEUR

Et je suis tes senglantes fièvres,

295Puisqu’il convient que je responde.

LA [FEMME]†

Il est mort, c’est-à-dire au monde

Comme ung Chartreux ou ung Recl[us].

LA VOYSINE

Comment?

LA FEMME

Il ne ramonne plus

Nen plus qu’un enfant nouveau-né.

LE RAMONNEUR

300Ramonner, c’est bien ramonné;

Il n’est homme qui[[301]] ne s’en lasse

De ramonner si long espace

Que j’ay fait ne par tant d’ans!

Il y a plus de soixante ans

305Que le mestier je commençay!

LA VOYSINE

Vous n’en povés plus!

LE RAMONNEUR

Je ne sçay,

Ma femme me le dit ainsi.

LA VOYSINE

182 ro]Comment le sçavez-vous ainsi?

LA FEMME

Je le sçay par ma cheminée

310Qui souloit estre ramonnée

Tous les jours bien cinq ou six fois,

Mais il y a bien troys mois,

Voisine qu’il n’y voulut penser.[+1]

LE RAMONNEUR

C’est tousjours à recommencer!

315Qui fourniroit au residu,

Il vauldroit mieulx estre pendu

Ou estre mis en gallée.[-1]

LA VOYSINE

Vostre peau sera gallée[-1]

Ou vous ferés vostre devoir.

LA FEMME

320Voysine, vous povez sçavoir

Qu’il ne fera jamais grans fais.

LE VARLET

Il pert cy ung beau jeu d’ec[h]ez,

Bien fait seroit qu’on l’en blamas[t].

LA FEMME

Comment?

LE VARLET

Il est sec et mast

325Puisque aultrement ne s’employe.

LE RAMONNEUR

Ma gaulle ploye

Si tost que l’ouvraige regarde.

Pour Dieu, messeigneurs, prenez garde,

Qui vous mellez de ramonner,

330Qu’à ramonner point on ne tarde

Les cheminées qui ont mestier

Et pour la cause abreger

Et aussi qu’il ne vous ennuie

Il est temps de nous en aller,

335Adieu toute la compaignie!

EXPLICIT

[vignette]


 [[ Print Edition Page No. 241 ]] 

NOTES

 [XXX.] Farce du Ramonneur de Cheminées. Cf. Répertoire, p. 225; Ancien Théâtre français, t. II, pp. 189-206, Recueil du British Museum dont je donne les principales variantes.
“Farce obscure et grossière,” dit Petit de Julleville.

 [1-8] vers lyriques chantés de 7 syllabes.

 [12] B.M.: Encor ne scay-je t.c.

 [16] id.: aviez.

 [26] id.: 6 vers omis ici:

LE VARLET

Chascun vous mettoit en ouvrage

LE RAMONEUR

A tu dis vray, je faisoye rage

. . . .

. . . .

. . . .

LE VARLET

Il eust alors plus faict d’ouvraige

En ung jour qu’il ne faict en dix

LE RAMONEUR

A tu dis vray, je faisoye rage

Quant premièrement tu me veis

. . . .

. . . .

 [48] Je ne comprends pas l’allusion. Tout ce dialogue en vers de 7 syllabes, dont une partie non chantée, montre que l’octosyllabe de la comédie n’est qu’une approximation rythmique.

 [88] B.M.: [plus]s.

 [95] Le bont, Quid?

 [110] Jehan du Houx; correspondant à un personnage réel, théâtral ou légendaire?

 [115] B.M.: Où e.v.m.f.

 [137] B.M.: itel.

 [143] Ce latin corrompu est obscur.

 [157] se house, se botte ou se crotte.

 [172] B.M.: Qu’un r. noyé d. un p.

 [192] id. qui.

 [197] id. Ma gogette.

 [207] B.M.: Esse debilité de rains.

 [213] id. U.f. houssa tout de r. Notre texte semble préférable.

 [225] id. Et v. envoyez. id.

 [237] id. enrengé.

 [256] id.: totilleur.

 [259] Serait-ce un acteur fariné? C’est possible. Cf. l’écrit de G. Doutrepont sur L’acteur fariné, que je n’ai pu retrouver ici.

 [266] B.M.: Je m’en donroys.

 [267] id.: D. que je suis c.

 [273] id.: pays.

 [301] id.: qui.

 [302] id.: De r. par tant d’e.

 [322-323] manquent dans B.M. où ils sont cependant indispensables.
B.M.: Cy fine la Farce du Ramoneur de Cheminées.

Endnotes

 [16,] O: ayez.

 [67,] O: mentz.

 [80,] O: ce.

 [144,] O: en a.

 [236,] O: lascher.

 [272-3,] ne riment pas.

 [301,] O: que.


 [[ Print Edition Page No. 242 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 243 ]] 

XXXI
[182 verso blanc]
183 ro]
FARCE NOUVELLE
DE L’ORDRE DE MARIAGE ET DE PREBSTRISE
TRESHONNESTE ET JOYEUSE POUR JOER
A TOUTES NOPCES, ET EST A QUATTRE PERSONNAGES
*

LE MARY commence:

C’est bel estat de mariage.

L’ECCLESIASTICQUE

C’est bel estat d’estre d’Église.

LE MARIÉ

Toute doulceur!

L’ECCLESIASTICQUE

Mais toute raige!

LE MARIÉ

C’est bel estat de mariage.

L’ECCLESIASTICQUE

5Il fault tant de choses à mesnage

Que merveilles.

LE MARIE

Quant je m’advise,

C’est bel estat de mariage.

L’ECCLESIA[STICQUE]

C’est bel estat d’estre d’Église.

LE MARIÉ

Mon estat est tout en franchise,

10Est-il pas vray? Il est notoire.

L’ECCLESIA[STICQUE]

Considère au mien et te advise,

Tu verras qu’il vault mieulx encore.

LE MARIÉ

Quoy? qu’il vault mieulx que le mien?

L’ECCLESIASTICQUE

Voire!

LE MARIÉ

Jamais il ne se pourroit faire,

15C’est bien dit, baillez-luy à boire!

Hee! quel vaillant apoticaire!

L’ECCLESIASTICQUE

Toute chose est necessaire[-1]

A mesnaige. Vauldroit-il mieulx?

LE MARIÉ

183 vo]Je vous monstreray le contraire.

L’ECCLESIASTICQUE

20Et quant?

LE MARIÉ

Maintenant si m’aist Dieu,

Sçavez-vous pas bien que en tous lieux

Mesnage est ung tresor qui poise?

L’ECCLESIA[STICQUE]

Par l’Église on parvient aux cieulx.

LE MARIÉ

Et par mesnage?

L’ECCLESIA[STICQUE]

En toute noise.

LE MARIÉ

25Ma femme estant doulce galoise. . . .

L’ECCLESIASTICQUE

Nous sommes bien! Malade sue!


 [[ Print Edition Page No. 244 ]] 
LE MARIÉ

C’est la plus honneste bourgeoise

Qui soit en toute nostre rue,

Il la fait beau voir toute nue,

30Haulte, droicte, gente et menue

Les plus saiges elle emtretient.

L’ECCLESIA[STICQUE]

Je concludz qu’elle n’est pas grue,

Elle fait bien s’elle est vestue

Aux despens de qui appartient.

LE MARIÉ

35Et puis? Et elle se maintient

Bien gorgiase et est-ce honte?

Par Dieu, à elle pas ne tient

Qu’elle n’a encor mieulx.[-2][[38]]

ECCLESIA[STICQUE]

C’est mon compte.

LE MARIE

40Pour le mesnaige elle est tant prompte,

Elle scet tout ce qui luy duyt.

L’ECCLESIA[STICQUE]

Mais que orgueil (pas) ne la surmonte,

Elle est pour y faire ung grant fruict.

LE MARIÉ

Pourtant s’elle triumphe et bruit,

45Je conclus donc qu’il est notoire

Que par ce moyen il s’ensuit

Que mon estat vault mieulx.

L’ECCLESIASTICQUE

Haa! voire!

Velà une tresbonne histoire!

LE MARIE

Je vous allègue bons moyens.

L’ECCLESIASTICQUE

50Mariez sont en purgatoire,

Mariez n’ont jamais nulz biens.

LE MARIE

Mais quelz avez-vous?

L’ECCLESIASTICQUE

Je tiens

Des beneffices par monceaulx,

Chappeles, cures, n’est-ce riens?

LE MARIÉ184 ro]

55Ce ne sont pas cures d’oyseaulx.

L’ECCLESIA[STICQUE]

Hee! ne vecy pas motz nouveaux?

Pour neant je me romptz la teste:

Cures d’oyseaux! les motz sont beaux,

Mais encore suis-je plus beste.

LE GALLANT [à part]

60Pour grande raison magnifeste,

Il est temps que je m’apreste,[-1]

Gorgias, et que je m’advance.

Puis on dira: “Qu’il est honneste!

C’est le plus mignon de la feste

65Pour danser une basse danse.”

Le cueur si me dit en substance,

Puis que j’ay vouloir courageux,

Franc, hardy à porter la lance,

Que en amoureux seray heureux!

70J’ay tousjours esté malheureux,

Tousjours malheur vers moy se tire,

J’ay toute jour le cueur joyeulx,

Je ne sçay moy que c’est à dire.

Si veulx-je aller quelque part rire

75Pour passer ma merencolie.

Or çà! Dieu me vueille conduire,

Couart n’aura jà belle amye!
   Nota qu’alors il apperçoit une belle Tour, qui illec doyt estre qui s’appelle la Tour de Mariage et, la regardant, dit ainsi:

Hee! qu’esse-là? Saincte Marie![[78]]

Quelle belle tour! hé! velà raige,[+1]

80Je m’y en voys, je vous affie.

Peult-estre que on m’y donra gaige

Pour y garder quelque passage.

LE MARIÉ, parlant à L’ECCLESIASTICQUE, dit ainsi:

De quel part nous voulons-nous traire?

L’ECLESIA[STICQUE]

Gardons la Tour de Mariage

85Car quelqu’un en aura affaire.

LE GALLANT

Se je n’ay le vent au contraire,

J’auray des biens une passade.

Velà, je suis Mince de Quaire,

C’est le refrain de ma balade.

90Mais que je ne soye point malade,


 [[ Print Edition Page No. 245 ]] 

Dieu mercy! je feray tousjours

De quelque instrument une aubade

Devant ma dame, par Amours,

Si je peusse, par aucuns tours,

95Estre en grâce de quelq’une.

Se je suis malheureux tousjours

Je me plaindray de [la] Fortune.

L’ECCLESIASTICQUE, parlant au Galant dict:

Où broue le gueux?

LE GALLANT

184 vo]A Pampelune,

En Portingal ou en Esture.

LE MARIÉ

100Quel marchant de dragée commune!

L’ECCLESIASTICQUE

Mais que quiers-tu?

LE GALLANT

Quelque adventure!

LE MARIÉ

Se tu vouloys mettre ta cure

De servir comme je suppose,

Tu trouveroys bonne pasture:

105Après servir on se repose.

LE GALLANT

Et c’est ce que je vous propose,

C’est pourquoy à vous me viens rendre,

Je ne vous demande autre chose

Que conseil affin d’estat prendre.

LE MARIÉ

110Prendre estat? Vueille-moy entendre,

Je te compteray le moyen.

Du moyen, se tu veulx pretendre,[[112]]

Je croy que n’y perdras rien.

L’ECLESIASTIQUE

Et je te compteray le moyen.[+1]

115Ainsi tu nous escouteras,

Et puis après regarde bien

Lequel de ces deux tu prendras.

LE MARIÉ

Des deux estatz tu choisiras.

L’ECLESIASTIQUE

Tu ne sauroys jamais mieulx estre.

LE MARIÉ

120Se tu veulx, tu te marieras!

L’ECLESIASTIQUE

Aussi, se tu veulx, (tu) seras prestre.

LE GALLANT

Dieu m’a aidé à icy mettre,

Vous m’osterez d’un grant traveil,

Ne me ferez-vous pas grant maistre?

LE MARIÉ

125Ouy, se tu veulx croire conseil.

L’ECLESIASTIQUE

Nous te ferons le nompareil

Qui soit dessoubz le firmament.

LE GALLANT

Pensez, je n’auray pas sommeil

De vous escouter seurement.

L’ECLESIASTIQUE

130Premier je dy pour le commancement

Sans point gloser ne qu’ autre estat despense

Qu’il n’est estat pour vivre justement

Ne tel tresor que l’estat de l’Église,

Car des autres tousjours elle est requise

135Dont il s’ensuit qu’ ilz sont mis en servage

Et que en l’Église y a plus de franchise

Cent mille fois qu’il n’a en mariaige.

LE MARIÉ

185 ro]Pour vous reprendre en bref, sans grant langage,

En reprenent les motz de ce passage,

140Puis que je voy que à mon estat on picque,

Si je me tiens en mon petit mesnage

Et j’ay des pois, du lart ou du frommage,

Je prens en gré, je vis de ma pratique,

Mais contre vous, vecy que je repique,

145En mon patois et en mon sens rustique.

S’aucunement quant vous estes au moustier

Vous consacrez à l’autel auctenticque,

Et marreglier je suis de la fabricque,

Suis-je subget pourtant à vous, Gaultier?

L’ECCLESIASTICQUE

150Ne m’escorchez point ce sentier,

Respondez à propos, beau sire!

LE MARIE

Trois biens a en gens de mestier.


 [[ Print Edition Page No. 246 ]] 
L’ECCLESIA[STICQUE]

Et quelz trois? Vueillez-le-nous dire!

LE MARIÉ

Dea! pourtant, se je ne sçay lire,

155Si sçay-je bien certainement

Les trois poins pour bien nous conduire:

Foy, lignée et le sacrement.

L’ECCLESIA[STICQUE]

Vous parlé honnestement[-1]

Sans en riens avoir varié.

LE GALANT

160Je seray donc, par mon serment,

Devant quatre jours marié.

L’ECCLESIA[STICQUE]

On y est si bien charié

De sa femme et si bien escoux,

On luy dira le kyrie

165Des coquus, comme on fait à vous.

Mariez sont tousjours jaloux

Pour leurs femmes; ilz n’ont nulz biens.

LE MARIÉ

Se quelqu’un nous fait coux,[-2]

Dieu mercy, nous n’en sçavons riens!

L’ECCLESIA[STICQUE]

170Se vous sçaviez tous les moyens

Et les tromperies de fait,

Pas ne suis des plus anciens,

Mais je sçay bien ce qu(e) on y fait.

Ung mary qui est nivelet

175N’en jouist pas à sa devise.

Qu’on voit qu’il ait du poil folet,

Il a du vent de la chemise!

Quelque mignon vient qui devise,

Par quoy le mary est trompé.

LE GALANT

180J’ayme dont mieulx estre d’Église

Que d’estre en ce point attrapé.

L’ECCLESIASTICQUE

On y happe les plus huppez,

On leur fait tous les jours acroire

185 vo]Dès le matin qu’ilz ont souppé

185Pour les faire coucher sans boire.

LE MARIÉ

Curé, on vous fait pis encore.

Se vous tenez une chamberière,[+1]

La Court le scet, il est notoire

Que vous paierez la folle enchère.

190Je vy la sepmaine derrenière

A ung prestre faire ung bon tour:

On desroba sa mesnagière,

Trois ou quatre fois pour ung jour,

Et le soir on luy fist tel paour

195Que, la fille estant toute nue,

Si ne l’eust cachée en ung four,

Il avoit sa fille perdue;

Elle estoit si tres esperdue

Qu’elle ne se savoit où mettre.

LE GALLANT

200Et par Dieu je seroye bien grue

Se je vouloye donc estre prestre.

LE MARIÉ

Soyes marié, ne soy[e]s prestre,

Tu n’auras plaisirs et esbas.

L’ECCLESIASTIC[QUE]

Tu n’es pas où tu ne veulx estre,

205On t’y feroit chanter tout bas.

LE GALLANT

Pourquoy? Quant je veulx, je m’esbas,

Je joue, je chante et si dance.

ECLESIA[STICQUE]

En mariage non feras,

Tu verras bien tourner la chance,

210Il te fault pain, vin sans doubtance,

Poix, febves à faire potage,

Il n’est rien dont n’aye congnoissance

Qui ne soit duisant à mesnage.

LE MARIÉ

Marie-toy, se tu fais que sage![+1]

ECLESIA[STICQUE]

215S’il m’en croit, il n’en fera rien.

LE GALANT

Et je feray la male rage,

Le grant diable me tiendroit bien,

J’auroy(e) plus de peine qu’ung chien,

Tant de chagrin, tant de soucy!

220Je regarderay le maintien

De quelque autre qui vendra cy,

Et ne me bougeray d’ainsi,

Sans promettre à vous ny à vous.

LE MARIÉ

Dea! pourtant se tu as soucy,

225Ne te bouges d’avecques nous!


 [[ Print Edition Page No. 247 ]] 
LA FILLE, bien honneste et gorgyase,
          vient d’auprès de la tour et dit ainsi:

Dieu vous gard! Messieurs, trestouz!

L’ECCLESIA[STICQUE]

Dieu vous gard, ma belle pucelle!

LA FILLE

Je suis tant plaine de courroux!

LE MARIÉ186 ro]

Qu’i a-il? Dictes la nouvelle?

230Il ne fault point que riens on celle.

LA FILLE

Celler? Je ne celleray rien,

Je vous prometz que je suis celle

Qui veulx faire par bon moyen.

L’ECLESIA[STICQUE]

Que voulez-vous?

LA FILLE

Quelque entretien

235En cette Cour, pour avoir joye.

LE GALLANT

Par ma foy, je suis mieulx que bien,

Vecy ce que je demandoye.

LE MARIÉ

Voire, mais voulentiers sauroye

Comment vous entendez cest estre.

LA FILLE

240C’est mariage.

LE GALLANT

240Sainct Avoye!

Velà bien respondu en maistre!

L’ECCLESIA[STICQUE]

Toute seulle ne sauriez estre

Sans mary, la raison est telle.

LE GALLANT

Je n’ay mais cure d’estre prestre,

245Pour Dieu, met[e]z-moy avec elle!

LE MARIÉ

Regardez! Que la tour est belle!

LE GALLANT

Pour Dieu que vostre may je soye.

LA FILLE

Certes je seroy(e) bien rebelle,

Se vostre amour je reffusoye.

LE GALLANT

250Seigneurs, mettez-nous en la voye

De ceste Tour de Mariage.

LA FILLE

C’est la Tour où je pretendoye,

Devant que j’eusse tout mon aage.

L’ECLESI[ASTICQUE]

Or touchant le fait de mesnage

255Songneusement vous besongnerez[+1]

Et comme homme prudent et sage

Honnestement vous maintiendrez,

Et avec ce prometterez

D’estre loyal à vostre femme.

LE GALLANT

260Je feray tout ce que vouldrez,

Je vous prometz, par Nostre Dame.

LE MARIÉ

Autrement vous seriez infame

Se vous gouvernez follement,

Et y pourriez avoir grant blasme,

265Gouvernez-vous dont sagement!

LA FILLE

186 vo]Il fault ouvrir premierement

Ceste tour par bonne mesure.

LE GALANT, qui trouve ung grant tas
                              de serment à l’enco
ntre de la serrure de
                              l’huis de la tour et dit ainsi:

Mais dequoy sert tout ce serment

Qui vient jusques à la serrure?

L’ECCLESIASTICQUE

270Qui feroit icy ouverture

Sans serment ne seroit pas saige,

Ce sont les sermens de droicture

Qu’il fault garder en mariage.

LE GALANT

Tant de serment[s], et vecy raige.

LE MARIÉ

275Chacun serment sert.

L’ECCLESIA[STICQUE]

Chacun duyt.

LE MARIÉ

Il nous fauldra par bon usage

Garder les sermens jour et nuyt.


 [[ Print Edition Page No. 248 ]] 
L’ECCLESIASTIQUE euvre l’huis, dit:

Entrez dedans, prenez deduyt,

Plaisance et tout esbatement!

LE MARIÉ

280En vertus ung homme reluit,

Qui s’i gouverne saigement.

L’ECLESIASTIQUE luy baille une poignée du serment au galant:

Tenez! velà pour vous!

LE GALLANT

Comment?

LE MARIÉ en baille à la Fille en distant:

Et velà pour vous!

LA FILLE

Qu’esse à dire?

L’ECCLESIASTIQUE

C’est chacun sa part du serment

285De mariage.

LE GALLANT

C’est pour rire.

LE MARIÉ

Ce sont raisons pour vous conduire.

LA FILLE

Je garderay tresbien ma part.

LE GALANT

Cuidez-vous que le mien empire

Au feu pour voir comment il art?

L’ECCLESIASTIQUE

290Non ferez, dea! maistre coquart,

Jusques à la mort le garderez[+1]

Ou vous ne serez que ung paillart

Et si encores vous ferez

Ces commandemens que tiendrez:

295Foy et loyaulté à vostre femme,[+1]

Pour riens vous ne la changerez.

187 ro]Le ferez-vous?

LE GALLANT

Ouy, par mon âme!

L’ECCLESIASTIQUE, parlant à la fille et dit:

Ne vous luy entendez-vous, dame?

LA FILLE

De le servir mectray cure.[-1]

L’ECLESIASTIQUE

300Ainsi vous vivrez sans blasme,

Sans macule et sans ordure,

La raison est en l’Escripture

Qui dit: “Ce que Dieu a conjoinct

Pour cause tant soit en droicture

305L’homme ne separera point,”

Et que l’homme et femme soient joinct

En une chair tout d’un courage.

LA FILLE

Ainsi mon amy par ce point

Vous n’irez plus en gar[ç]onage.

LE MARIÉ

310Gardez vous bien de tel oultraige,

Pensez de l’hostel bel et beau.

LE GALLANT

Je feray cuire le potage

Et si feray bien ung gasteau.

L’ECLESIASTIQUE

Vous estes marié nouveau,

315Gardez-vous tous deux de follie.

LA FILLE en luy baillant ung chappeau

Je vous donne ce beau chappeau,

Mon amy.

LE GALLANT

Grant mercy ma mye!

Affublez-le-moy, je vous prie,

Regardez que ma mye me donne!

LA FILLE, en luy mectant sur la teste, dit ainsi:

320Vous aurez la teste jolye!

LE MARIÉ

Velà ung mary que l’on couronne![+1]

L’ECLESIASTIQUE

Velà ainsi qu(e) on les ordonne!

LE GALLANT

Dequoy est-il? de giroflées?

LA FILLE

Mais d’une aultre fleur toute bonne:

325Ce sont toutes menues pensées;

Cy-dessus les ay amassées

Pour vostre chapeau faire honneste.


 [[ Print Edition Page No. 249 ]] 
LE GALLANT

Pour Dieu qu’ilz me soient ostées,

Ilz me rompent toute la teste.

L’ECLESIASTIQUE

330Non fera vrayement, car sans ceste

Fleur, Mesnage ne peult passer.

De oster ces pensées, quelle beste!

LE GALLANT187 vo]

Le dyable me fist tant amasser,†[+1][[333]]

Tousjours je pense sans cesser:

335“Vecy terrible seigneurie!”

Ha! dea! je ne fois que penser

Et si ne sçay quel penserie!

Je suis en telle marmouserie[+1]

Que je y pers mon entendement,

340Pourtant je vous requiers, ma mye,

Que les ostez hastivement!

LA FILLE

Je n’oseroye, seurement:

Vostre chappeau seroit gasté.

L’ECLESIASTI[CQUE]

Nous deffendons expressement

345Que ce chappeau ne soit osté.

LE GALLANT

Me vecy bien appointé![-1]

LE MARIÉ

N’en parlez plus tant de langaige.

LE GALLANT

Je n’avoye point necessité

De ces pensées de mariage.

LE MARIÉ

350Il fault penser du mesnage,[-1]

Estre habille, prompt, remouvant,

En vous jouant sur le rivage,

Au matin au soleil levant.

Ilz croistront doresnavant[-1]

355Comme ces fleurs sur ces fossez.

LE GALLANT

Ce seroit bien pis que devant,

Sang bieu! n’en ay-je pas assez?

L’ECLESIA[STICQUE]

Or sus, je vous requiers, cessez

Ces motz, et parlons d’autre chose,

360Affin que voz clameurs cessez,

Regardez cy et faictes pose.
   Nota que icy L’ECLESIASTIQUE leur
met entre eulx une petite fille
nom
mée PAIX en disant ainsi:

De tous tresors vecy la Rose,

Affin que viviez en amour!

Nous vous la donnons, je suppose

365Que la garderés nuyt et jour,

Mettés la dedans vostre Tour,

Ensemble vous la garderés,

Et non point chacun à son tour,

Par quoy vous vous entraymerés.

370Regardez et vous trouverez

Ung tresor de moult hault parage.

LA FILLE

De Dieu soyez remunerez,

Tant vous avez noble courage!

LE GALLANT

Grant mercy de cest advantage,

375Vecy ung present fort honneste!

LA FILLE

188 ro]Puis que avons Paix en mariage

Nous devons bien faire grant feste!

L’ECCLESIASTIQUE

Ne vivez pas comme une beste!

Qui veult menger, il fault semer!

LE GALLANT

380Ces pensées me rompent la teste.

LA FILLE

Il les vous fault acoustumer.

LE MARIÉ

Gardez la paix sans entamer

Conjunctement entre vous deux.

LE GALLANT

Pleust à Dieu que j’eusse à humer

385Du brouet de deux moyeufz d’oeufz.

LA FILLE

Gardons ceste Paix!

LE GALANT

Je le veulx.

LA FILLE

On nous cuide bien faire oultrage,

Mais en despit des envieux

Nous avons Paix en mariage.


 [[ Print Edition Page No. 250 ]] 
LE GALANT

390Tel avoit beauco[u]p de langage,

Qui se trouve bien estonné.

LA FILLE

Ce qui la fait ainsi sauvage,

C’est folie qui l’a gouverné.

LE GALANT

Il sembloit que (je) fusse estonné,

395Mais raison a tout retourné

Sa fille, emprise malheureuse,

Car j’ay tant allé et tourné

Que en la fin me suis atourné

Avec ma mye gratieuse.

LE MARIÉ

400Puis qu’ilz ont la Tour somptueuse

Et la belle Paix amoureuse

Et leurs sermens sus que on leur dye,

Adieu! d’une chère joyeuse,

Qui leur puisse estre fructueuse,

405Touchant quelque exemple jolye!

L’ECCLESIA[STICQUE]

Pour dire à Dieu la compaignie,

Je trouve pour conclusion

Que Raphaël fist à Thobye

Une grant benediction

410Dessus sa generation,

Après qu’il eust esté expert

Et qu’il fist revellation

De l’argent qu’il ot recouvert

De Gabellus, comme il appert

415Au IX livre en Thobye.

En ceste manière il vous sert,

Oyez la forme je vous prie:

“Le Dieu Israël te benye,

188 vo]Tes enfans, tes parens, ta femme

420Et aussi toute la lignie

Generallement corps et âme

Et qu(e) en ta lignie n’y ait âme

Que ne voye, avant que tu partes

De ce monde, regner sans blasme

425Jusques à la tierce ou à la quarte

Lignie.”

LE MARIÉ

Et vecy où me arte.

Retenez cest enseignement:

Quant Raguel premierement

Donna la fille au filz Thobye

430En la baisant fort doulcement,

Il luy dist: “Ma fille, ma mye,

Je te prie en toute ta vie

Que ton mary de tout ton cueur

Tu l’aymes et ceulx de sa partie

435Et que tu leur portes honneur

Et que à tout, tant soit grant seigneur,[+1]

Tu soyes irreprehensible

Se tu fais, ainsi je suis seur

Que tousjours seras bonne fille.”

L’ECCLESIASTICQUE

440Il dist vray comme l’Evangile,

Faictes tant que vous soyez digne

De gouverner bonne famille:

Le bon blé fait bonne farine.

LE MARIÉ

En bonnes meurs vous endoctrine.

LE GALLANT

445Grant mercy de voz grans honneurs!

LA FILLE

Grant mercy de vostre doctrine!

L’ECCLESIA[STICQUE] et LE MARY ensemble:

A Dieu disons!

LE GALLANT et LA FILLE ensemble

A Dieu seigneurs!

LA FILLE

Nous avons eu bons gouverneurs

Qui de leur grace habondamment

450Nous ont monstré de bonnes meurs,

Qui sont à noter seurement.

LE GALLANT

Gardons la paix songneusement,

Soyons aussi doulx que ung aigneau!

LA FILLE

Se voz pensées sont nettement,

455Nostre mesnage sera beau.

LE GALLANT

Grant mercy de vostre chappeau!

LA FILLE

A Dieu l’assemblée de ce lieu!

LE GALLANT

Il ne nous fauldra qu(e) ung berseau

Dedans ung an, si plaist à Dieu.

EXPLICIT


 [[ Print Edition Page No. 251 ]] 

NOTES

 [XXXI.] Farce de l’ordre de Mariage et de Prebstrise . . . pour joer à toutes nopces. Voilà donc une de ces Farces de nopces, comme Malostru le copieur (le mot a deux sens) offre à Teste Creuse dans la Sottie des Coppieurs et Lardeurs (VIII du Recueil Trepperel).

 [32] grue, stupide.

 [78] Nota Une telle description de décor, impliquant la plantation sur le hourd d’un praticable est rare dans le théâtre comique et mérite d’être notée.

 [88] mince de quaire, pauvre d’argent. Nous avons rencontré cette expression comme désignant un personnage dans la Farce XXII du présent Recueil.

 [99] Esture corruption sans doute d’Estrémadure. Il y en a une portugaise et une espagnole.

 [163] escoux, p.p. de escorre, accouru (cf. à la rescousse).

 [247] may, bonheur, cadeau; à moins qu’il n’y ait une interversion de lettres: amy.

 [268] serment, sarment. On comprend le jeu de mots, la prononciation parisienne ne se distinguant pas entre les deux formes.

 [316] chappeau, couronne de fleurs.

 [338] marmouserie, fâcherie.

 [396] Sa fille, le texte doit être corrompu, car le vers ne donne pas de sens.

 [426] où me arte, même observation.

Endnotes

 [26,] O: madale.

 [38,] O: ce vers ne rime pas.

 [112,] O: luy.

 [275,] O: serre.

 [333,] O: ne.

 [372,] O: soyiz.


 [[ Print Edition Page No. 252 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 253 ]] 

XXXII
189 ro] FARCE NOUVELLE
A QUATRE PARSONNAGES DU MARIAGE ROBIN MOUTON TRES BONNE ET FORT JOYEUSE
*

[vignette]

LA MERE ROBIN MOUTON commence:189 vo]

Penser me fault doresnavant

De marier Robin Mouton,

Mon garson, car, au temps venant,

Il jouera bien de son baston

5Au bout rouge, j’entens le ton,

Et le croy, sans point m’en demettre.

Pour quoy, sans que plus debaton,

Je m’en vueil en brief entremettre,

Car paillart il pourroit bien estre.

10Par ce moyen l’en garderay,

S’il plaist à Dieu, le roy celeste.

Aujourd’huy g’y besongneray.

Il est sot, mais je vous diray:

Il pourra encor bien aprendre,

15Touteffois je le marieray,

Sans plus tarder ne plus attendre,

Je luy feray avoir et prendre

Une tresgente mignonnette,

Qui est belle, doulce et tendre

20Et amoureuse godinette

Gorgiasse et honneste

Qui l’entretiendra proprement.

Besongner m’y fault sans arreste

Ne faire sejour nullement.

25Robin. . . .

ROBIN

Hau!

LA MERE

Viens ça!

ROBIN

Et comment?

Je ne puis, je suis empesché.

LA MERE

Où es-tu?

ROBIN

Cy, par mon serment.

LA MERE

Robin!

ROBIN

Hau!

LA MERE

Viens ça!

ROBIN

Et comment?

LA MERE

Que fais-tu?

ROBIN

Par mon sacrement

30Je pais mon chat.

LA MERE

190 ro]C’est bien chié,

Robin!

ROBIN

Hau!

LA MERE

Viens ça!


 [[ Print Edition Page No. 254 ]] 
ROBIN

Et comment?

Je ne puis, je suis empesché.

LA MERE

Avance-toy, c’est trop presché!190 vo]

Dire te veulx aulcune chose.

ROBIN

35Certes mon chat s’est couché.

LA MERE

Avance-toy, c’est trop presché!

Viendras-tu?

ROBIN

Mais que j’ay cousché

Mon chat, g’iray sans faire poze.

LA MERE

Avance-toy, c’est trop presché,

40Dire te veulx aulcune chose.

ROBIN

Je suis venu sans longue prose,

Dictes à coup ce que voullez!

LA MERE

Il est bien vray sans rigoller

Que mectre te veulx en mesnaige.

ROBIN

45Ma mère de moy vous raillez.

LA MERE

Il est bien vray sans rigoller

Que une fille pour acoller

Te fault prendre en mariage,

Il est bien vray sans rigoller

50Que mettre te veulx en mesnaige,

Le veulx-tu bien?

ROBIN

Et mais que sçayje?

Je ne sçay que c’est par mon âme.

LA MERE

C’est ung ord[r]e de hault paraige,

Le veulx-tu bien?

ROBIN

Et mais que sçayje?

55Esse une beste sauvaige?[-1]

LA MERE

C’est que tu auras une femme,

Le veulx-tu bien?

ROBIN

190 vo]Et mais que sçayje?

Je ne sçay que c’est par mon âme.

LA MERE

Une fille, qui sera dame

60De tes biens et de ta maison.

ROBIN

A moy ce seroit ung grant blasme!

LA MERE

Une fille qui sera dame

De l’hostel, sans quelque diffame.

ROBIN

Varlet serois donc par raison.

LA MERE

65Une fille, qui sera dame

De tes biens et de ta maison.

ROBIN

Pas ne feray tel mesprison

De m’assubjectir en ce point.

LA MERE

Maistre sera[s] sans achoison.

ROBIN

70Pas ne feray tel mesprison.

LA MERE

Jamais ung homme ne prison[s],

S’en mariage n’est enjoinct.

ROBIN

Pas ne fera[y] tel mesprison

De m’assubjectir en ce point.

LA MERE

75[Robin] tu n’entens pas le point,

Tu seras maistre par sus elle.

ROBIN

De tous telz motz le cueur m’espoint.

LA MERE

Robin, tu n’e[n]tens pas le point,

Car seurement sans contrepoint

80El t’obeyra, point n’est rebelle,[+1]

Robin, tu n’entens pas le point,

Tu seras maistre par sur elle.


 [[ Print Edition Page No. 255 ]] 
ROBIN

Or ça, ma mère, qui est-elle

Que voulés que j’ay en tutelle,

85Esse une vielle de ville?[-1]

Or çà, ma mère, qui est-elle

Que me voulés donner sans guille.

LA MERE

Qui c’est, Robin? et c’est la fille. . . .[[88]]

....................................

193 ro]Pour son tresor sans point debattre

90Et ung tournois, que trois ou quattre

M’ont refusay puis quinze jours,

Oultre aura ung sac à plastre[-1]

Et ung tournois que trois ou quatre

N’ont point voulu, faisant la tarte,

95L’autre jour dedens les faulx-bourgs,

Et ung tournois que trois ou quatre

M’ont refusay puis quinze jours.

SEBILLE

Ma fille aura sans sejours[-1]

Ung vieil pot cassay et ung voirre.

LA MERE

100Sera pour eulx ung grant secours.

SEBILLE

Ma fille aura sans sejours,[-1]

Se puis trouver en nos detours

Ung pot à pisse[r] pour eulx boyre,

Ma fille aura sans sejours[-1]

105Ung vieil pot cassay et ung voirre.

LA MERE

Il[z] seront bien par sainct Magloire

Amesnagés pour jeunes gens.

SEBILLE

C’est bien vray et chose notoire!

LA MERE

Ilz seront bien par sainct Magloire.

SEBILLE

110On ne me sçauroit faire acroire

Qu’on les desgage par sergens.

LA MERE

Ilz seront bien par sainct Magloire

Amesnagés pour jeunes gens.

SEBILLE

Car il fault estre diligens

115De les espouser sans demeure,

Point n’en fault estre negligens,

Car il fault estre diligens

De les assembler par artz gens

Car il fault estre diligens

120De les espouser sans demeure.

LA MERE

Approchés, enfans, bonne alleure,

Et nous baillez icy voz mains!

ROBIN

Velà ma main bonne et seure![-1]

[LA MERE]

193 vo]Approchés, enfans, bonne alleure,[[124]]

125Et nous baillez icy voz mains!

Ça de par Dieu et tous les sains

Vous mariez baillant la main.

ROBIN

Je suis content, point ne m’en fains!

LA MERE

Çà de par Dieu et tous les sains

130Tous les jours, soirs et matins,[-1]

Vous aymerés sans desdaing.[-1]

Çà de par Dieu et tous les sains

Vous mariez baillant la main.

ROBIN, baillant l’aneau à sa femme

De cest aneau qui est d’estain

135T’espoux et de mon corps t’onoure,

Qui n’est pas du tout trop villain,

De cest aneau qui est d’estain.

Se suis ribault, seras putain,

Chascun donc à son fait laboure!

140De cest aneau qui est d’estain

T’espoux et de mon corps t’onoure.

SEBILLE

Il fault, se Dieu nous secoure,[-1]

Ma voisine, mettre la table!

LA MERE

C’est très bien dit, il est bonne heure.


 [[ Print Edition Page No. 256 ]] 
SEBILLE

145Il fault, se Dieu nous secoure,

Tout apporter sans nul demoure

Et qui nous est tresconvenable,

Il fault, se Dieu nous secoure,

Ma voisine, mettre la table!

LA MERE

150A ceste feste tresnotable,

Chascun s’assie pour disner!

ROBIN

Au bout seray plus honnorable.

LA MERE

A ceste feste tresnotable

L’espousée sera sortable

155Près l’espousé la vueil mener.[+1]

A ceste feste tresnotable,

Chascun s’assie pour disner!

SEBILLE

Buvons, mengeons sans mot sonner

Puis après chascun dancera.

ROBIN

160A ce faire fault bien songner.

SEBILLE

Buvons, mengeons sans mot sonner!

PEU SUBTILLE

E m’y sçay tresbien gouverner,

194 ro]Par quoy nul ne m’en reprenra.

SEBILLE

Buvons, mengeons sans mot sonner

165Puis après chascun dancera.

ROBIN

Or sus! dançons, qui chantera

La chançon que nous dancerons?

PEU SUBTILLE

Aultre que moy ce ne sera.

ROBIN

Or sus! dançon[s], qui chantera?

PEU SUBTILLE

170Il me respondra, qui vouldra,

Puis après coucher nous yrons.

ROBIN

Or sus! dançon[s], qui chantera

La chançon que nous dancerons?

PEU SUBTILLE en chantant et dançant

Du de profundis nous joueron[s]

175Aujourd’huy, c’est bien mon entente.
   Les aultres respondent en dançant et en chantant:

Du de profundis nous jouerons

Aujourd’huy, c’est bien mon entente.

PEU SUBTILLE, en chantant

Beaucoup plus aises en serons.
   Les aultres respondent en chantant

Du de profundis nous jouerons.

PEU SUBTILLE

180Le bout des reins nous remuerons,

C’est une chose bien decente.
   Les aultres respondent en chantant

Du deprofundis nous jouerons

Aujourd’huy, c’est bien mon entente.

SEBILLE

Je voys coucher sans plus attendre

185L’espousée, à Dieu vous dy![-1]

LA MERE

C’est très bien dit, j’en suis contente!

SEBILLE

Je vois coucher sans plus attendre

L’espousée, chose patente.

LA MERE

Il est temps, point n’y contredy.

SEBILLE

190Je vois coucher sans plus attendre

L’espousée, à Dieu vous dy![-1]

LA MERE

Robin, comme preux et hardy

194 vo]Va t’en coucher emprès la belle.

ROBIN

Rien, rien!

LA MERE

Es-tu acouardi?

195Robin comme preux et hardy,

Sans point attendre à lundy,[-1]

En l’accollant monte sur elle,

Robin comme preux et hardy,

Va t’en coucher emprès la belle.


 [[ Print Edition Page No. 257 ]] 
ROBIN

200Porter me fault donc une eschelle

Pour y monter plus à mon aise.[[201]]

LA MERE

Monter (il) te fault sans [autre] selle.

ROBIN

Porter me fault donc une eschelle

De peur de blesser la pucelle.

LA MERE

205Point n’est de mal par saint Nicaise.

ROBIN

Porter me fault donc une eschelle

Pour y monter plus à mon aise.

Or mes seigneurs ne vous desplaise,

A Dieu vous dy la compaignie!

210S’aucun est marry, si s’apaise,

Or mes seigneurs ne vous desplaise!

Je m’en voys veoir par Sainct Gervaise

Se je trouveray ma mesgnye,

Or mes seigneurs ne vous desplaise,

215A Dieu toute la compaignie.

EXPLICIT

NOTES

 [XXXII.] Farce du Mariage Robin Mouton. Rabelais fait allusion à ce personnage dans le fameuse scène des Moutons de Panurge. Encore une addition à mon étude sur Rabelais et le théâtre, 1911, in-80.

 [69] sans achoison, sans conteste.

Endnotes

 [37,] O: viandras.

 [†] Reprise du texte de cette farce — La numérotation des vers ne se rapporte donc qu’aux vers ici publiés.

 [88,] Il y a une lacune dans cette farce dont le texte reprend au f. 193 recto, car les ff. 191 recto et verso et 192 recto et verso sont reproduits aux f. 237 recto et verso et 238 recto et verso, où ils sont à leur place.

 [124,] lacune de 3 vers dans O, le rondel est incomplet.

 [201,] O: s. estre s.


 [[ Print Edition Page No. 258 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 259 ]] 

XXXIII
195 ro] FARCE NOUVELLE
TRESBONNE ET FORT JOYEUSE
A QUATTRE PERSONNAGES
*

[vignette]

SERRE PORTE

LE SAVETIER commence en chantant195 vo]

L’autre jour jouer m’aloye

L’orée d’ung pré herbu,

Je ne sçay que je queroye

Ne que j’avoye perdu.

5Par mon serment, se j’eusse beu

Une fois ou croqué la pie,

Je chantasse mieulx qu’une pie

Ne fait, quant je liève au matin.

Venez ça, y a-il celuy

10De vous qui s’en vueille venir?

Ne me faictes plus si tenir,

Venez-vous-en avecques moy.

Il chante

En ce moys de may, hauvay!

Doit-on faire amye,

15Par ma foy, voicy compagnie

Qui vient, c’est ung maistre moyne,[-1]

Qui sera tresbien propre et ydoine[+1]

A moy conduire audit lieu.[-1]

A! de matin! ha! bon gré bieu!

20Pas n’est celuy que je cuidoye,

Si est qu’il en ait froide joye,

C’est frère Pierre serre-porte!

Et non est! le diable l’emporte!

Il a trop fade visaige:[-1]

25Touteffois pert à son usaige

De boire matin voulentiers,

Je m’en vois prendre mes sentiers

Vers luy: “Bona dies, pater.

LE MOYNE

Et vobis etiam, frater,

30Quid vultis michi dare?

LE SAVETIER

Per Deum nescio vere

Je n’entens point latinatis

Se ce n’est ita veniatis,

Bona dies monachorum.

35Pourtant que beati quorum

Vault m[i]eulx que bona journus.

LE MOYNE

On n’en treuve ci, ce jour, nulz

Par ma foy, ne soir ne matin,[[37]]

Qui use de si bon latin

40Que vous avez si recité.

LE SAVETIER

A Paris y a grant cité,

Mais je y ay fait ses escolliers

Taire tout coy tresvoulentiers,

Si treffort que c’estoit merveilles.

LE MOYNE

45Il emporte bien les oreilles

D’estre des dames d’Aigremont.

LE SAVETIER

Que dictes-vous?

LE MOYNE

196 ro]Ung bonnet ront

Si vous seroit bien duisant, beau sire.[+1]


 [[ Print Edition Page No. 260 ]] 
LE SAVETIER

Il ne tint que au faire et au dire

50Que ne fu en Logeotruie

Bachelier, mais, par ma follye,

Je dy que point ne le feroye

Et que par le soleil qui roye

Vous y estiés, se m’est advis.

LE MOYNE

55Sainct Jehan voirement je vous vis[+1]

Où vous fustes examiné

A Petit Pont.

LE SA[VETIER]

Ha! domine,

Par Deum vere dicatis

Et quomodo vous vadetis?

60Vous portez-vous bien, frère Pierre?

LE MOY[NE]

Ouy vrayement.

LE SA[VETIER]

Tué d’une pierre,

Avez-vous la teste assommée!

Je ne vous vy de la journée,

Où dyable avez-vous esté?

LE MOYNE

65J’ay presché yver et esté

En plusieurs lieux en ce pays,

Je vous promet.

LE SA[VETIER]

Je m’esbahys

De vous veoir cy endroit par Dieu!

Ne vous souvient-il point du lieu

70Où vous fustes une fois pri(n)s?

LE MOYNE

Il ne fault point parler du pris,

Bien m’en souvient, par saint Remy.

LE SA[VETIER]

Je vous y fu ung bon amy,

Ne fu pas?

LE MOYNE

Ouy seurement.

LE SA[VETIER]

75G’y estoye congneu vrayement

Plus que homme qui soit soubz la nue.

LE MOINE

Sà! je paieray ma bien venue

Tout pour l’amour du temps passé.

LE SA[VETIER]

Par saint Jehan! ce n’est pas tancé,

80Quant il vous plaira, je suis prest,

Où irons-nous?

LE MOYNE

Sans arrest:

Le portier de nostre maison

A bon vin selon la saison

196 vo]Et si n’est que à quatre deniers.

LE SAVETIER

85Vivent tous gentilz taverniers

Et tout pour l’amour du raisin!

Portier!

LE PORTIER

Qui est-ce là voisin?

Qui a-il?

LE SAVE[TIER]

Nouvelle t’aporte:

C’est frère Pierre serre-porte

90Et moy aussi qui venons boire

Ou nom du benoist Roy de Gloire!

Mon amy, donne-nous bon vin,

Je t’en pry!

LE PORTIER

Par le Roy divin,

Vous en aurés de plain tonneau.

LE SA[VETIER]

95Or sa qui a-il de nouveau,

Frère Pierre, sçavez-vous rien?

LE MOYNE

Par mon serment je ne sçay rien

Sinon que on m’a dit dont je vien

Que vous estes marié.[-1]

LE SA[VETIER]

100Il est vray, et ay espousay

La plus gente, la plus joyeuse,

La plus plaisant et gratieuse

Qui fut oncques de mère née,

Elle doit estre bien aymée,

105Je ne luy suis en rien rebelle.

LE MOYNE

Beau sire, est-elle si belle,[-1]

Si gente de corps et de vis?


 [[ Print Edition Page No. 261 ]] 
LE SA[VETIER]

Par le saint bieu de paradis

Pour complaire à toute gent[-1]

110Elle vous a ung corps tant gent,

Ung nez faictifz, bouche riant,

Et est faicte comme de cire

Et si ne demande que rire.

Si je vueil plourer, elle pleure,

115Rire et plourer tout à une heure,

Je fais d’elle ce que je veulx.[[116]]

LE MOYNE

Par la mort! tu es bien eureux,

Hélas! que ne puis-je ainsi faire!

LE SA[VETIER]

Encor elle est de tel affaire

120Que se je suis en quelque lieu,

Elle y viendra, et y fust Dieu,

Et devant tout chascun me baise.

LE MOY[NE]

Ha! ribault! et que tu es aise,

Quant en ce point elle t’acolle!

LE SAVETIER197 ro]

125Saint Jehan! il semble qu’elle soit folle[+1]

Quant elle vient, car par saint Pol,

Elle me vient saillir au col

Par tel façon et par tel guise:

Oncques Dieu ne fut en Eglise

130Ainsi j’estoye que je suis.

LE MOYNE

Et je te pry tant que je puis,

Au moins que pour ma bien venue,

Je baise ung petit nue à nue

Sa bouchette tant seulement.

LE SA[VETIER]

135Baiser par mon sainct sacrement?

Voulentiers vous la baiserez,

Mais vecy comment vous ferez

De peur que ne vous escondisse,

Despouillez-moy froc et pelisse

140Et vestez mon habillement,

Puis elle viendra hastivement[+1]

Vous baiser, cuidant que soit moy.

LE MOYNE

Dictes-vous?

LE SA[VETIER]

Ouy, pour vray,

Faictes ainsi que vous ay dit!

LE MOY[NE]

145Je puisse estre de Dieu mauldit

Se maintenant ne sera fait!

Mon cueur sera du tout refait,

Se puis baiser sa doulce face.
[Il change de vêtement à part]

LA FEMME [seule]

Saincte doulce Dame de Grace!

150Que dyable est jà devenu

Mon mary? Il ne s’est tenu

Guères à l’ouvrage,

Je pry à Dieu que malle rage

Puist-il avoir le cueur transsy!

155Regardez comme il est gaudy,

Je n’ay mye ung tant seul blanc

Qu’i ne porte à la taverne.[-1]

Saint Jehan! se je ne le gouverne

Au gré de la fille ma mère,

160Je pry Dieu que la mort amère

Enfin sans peché si me tienne.

LE MOYNE

Suis-je bien?

LE SA[VETIER]

Ouy, par saint Estienne,

Si bien apoint qu’i n’y fault rien,

Mais venez çà, gardez-vous bien

165Que mot n’ysse de vostre bouche,

Quelque chose qu’elle vous touche

Jusques à tant que tout à son aise[+1]

Vous ayt acollé.

LE MOYNE

Par Sainct Nichaise,[+1]

Je la lairray faire à son vueil.

LE SAVETIER

170Ne la guignez mye de l’ueil,

Par Saint Pol, je me courceroye.197 vo]

LE MOYNE

Pensez que bien courcé seroye

De penser à mal, par ma foy.


 [[ Print Edition Page No. 262 ]] 
LA FEMME

Holà!

LE PORTIER

Qui est-ce là?

LA FEMME

Parlez à moy![+2]

LE PORTIER

175Que demandez-vous?

LA FEMME

Fin-Vertjus

Mon mary, est-il point ceans

Venu boire depuis une heure?

LE PORTIER

Fin-Vertjus? Se Dieu me sequeure

Je ne sçay pas bien qui il est.

LA FEMME

180Vous ne sçavez vostre gibet,

Vous contrefaictes le railleur.

LE POR[TIER]

Il y a là ung esmailleur

De hanaps à pié, est-ce luy?

LA FEMME

Ouy vrayement.

LE PORTIER

Par le jour d’uy,

185Je ne le congnoissoie mye,

Or allez, ma tresdoulce amye,

Vous le trouverez où il disne.

LA FEMME frappe sur LE MOYNE,
cuydant que ce soit son mary et dit:

Je requier à la Vierge digne

Que estrangler se puist du disner!

190Venez-vous icy resigner

Vostre office, paillart infemme,

Tenez! tenez!

LE MOYNE

Ha! Nostre Dame!

Qu’est-ce cy? C’est ung ennemy!

LA FEMME

Non est, par Dieu, c’est vostre femme!

LE MOYNE

195Je n’ay plus ne sens ne demy.

LE SA[VETIER] [caché]

Taisez-vous, bon gré sainct Remy,

Elle entendra vostre parolle.

LE MOYNE

Et bon gré Dieu, elle m’affolle,

Ay le ventre!

LA FEMME198 ro]

Et taisez-vous!

LE MOYNE

200Sang bieu, elle me rompt de coups

Ou bon gré saint Jehan de Boulongne!

LA FEMME frappe

A’vous bien humé? nostre yvrongne,

Infame, plein de deshonneur?

Certes ce ne fust pour l’honneur

205De ce bon seigneur si present,

Je vous fisse le plus doulant

Qui fut oncques en vostre lignaige.

LE MOYNE

Je pry Dieu que male rage[-1]

Vous puisse abatre, belle dame.
[Elle s’en va]

210Mais esse si la bonne femme

Que vous m’avez dit, Fin-Vertjus?

Par my le col soit-il pendus,

Qui savoit le vostre penser!

LE SAVETIER

Ha! par Dieu ne vueillez tenser,

215Je ne sçay dont cecy luy vient,

Se ce n’est qu’i luy vient souvent

De son advertin qui la tiengne,

Deux ou trois fois la sepmaine:

En ce point elle est gouvernée

220Comme femme desordonnée.

L’a prinse aujourd’huy somme toute.

LE MOYNE

Ha! que la sanglante goute[-1]

La tienne, car mon corps s’en sent,

Voiez-vous, povre innocent

225A souvent le pire.

LE SAVETIER

Ha! qui mal s’en sent

Brief sus luy descent

Ung cas qui l’empire.


 [[ Print Edition Page No. 263 ]] 
LE MOYNE

A verité dire,

230Je ne m’en puis rire,

La chose m’est dure.

LE SAVETIER

Par mon âme, sire,

Voiez le martire

Que d’elle j’endure!

LE MOYNE

235Comment! tu disois

Que d’elle faisois

Tout à ton vouloir!

LE SAVETIER

Si veu ne l’eussiez,

Pas ne creussiez

240Pour nes ung avoir.

LE MOYNE

Le diable y puisse part avoir

Et qui en ce lieu l’a mandée!

198 vo]J’ay la teste toute affollée

De horrions, Dieu la confonde!

LE SAVETIER [à part]

245Vecy le meilleur tour du monde,

Bien savoye par ces deux mains

Qu’en la fin n’en auroit jà mains,

Puis qu’avoit mon abit vestu.

LE MOYNE

Au moins j’ay esté bien batu,

250Je m’en loue tresgrandement,

Mais, se tu veulx, par mon serment,

Je trouveray bien la manière

Pour la pugnir?

LE SAVETIER

Comment?

LE MOYNE

Vecy dequoy,[+2]

Tu luy diras que vienne à moy

255Se confesser et, sans doubtance,

Je luy donray tel penitance

Que mercy elle te crira.

LE SAVETIER

Par Saincte Marie non fera,[+1]

Et l’eust juré Dieu et saint Gille.

LE MOYNE

260Tout aussi vray que l’Evangile,

Elle le fera; j’en suis seur!

LE SAVETIER

Il n’y eut onques confesseur

Qui luy sceut par bieu faire dire.

LE MOYNE

Et elle le fera, beau sire,

265Par ung moyen que luy diray,

Car entendant je luy feray

Qu’i fault qu’elle voise au saint Père

Pour la honte et vitupère

Qu’elle m’a fait, entens-tu bien?

LE SAVETIER

270Par bieu, c’est dit d’homme de bien

Et plain de trèsgrant sentement

Et je la vois par mon serment

Faire venir par devers vous.

LE MOYNE

Or allez!

LE SAVETIER [à part]

Quant je pense aux coups

275Que ce povr[e] homme à voir[e] dire

A souffert, j’ay grant fain de rire

Comme il a esté attrappé.

LE MOYNE [à part]

Fin-Verjus m’a ennuyt trompé,

Mais se je puis, par voye aulcune,

280Je luy en rendray bien d’une

De quoy il ne se doubte mye,

Car par bieu je feray amye

De sa femme, s’en puis finer.

199 ro]On doit en tout temps affiner

285Ung tel homme fin comme il est,

Je m’en voys sans plus d’arrest[-1]

L’actendre, elle n’arrestera goute.

LA FEMME

D’où venez-vous? Que male goute

Vous envoie Dieu, sanglant yvrongne!

290Mais, beau sire, où est la besongne

Que vous avez faicte toute jour?[+1]

LE SAVETIER

Sçavez-vous qu’il est sans sejour,

Allez-vous en tost confesser!

LA FEMME

Confesser?


 [[ Print Edition Page No. 264 ]] 
LE SAVETIER

Voire confesser.

LA FEMME

Sans cesser[+3]

295Tousjours tu te farceras de moy,

Or t’en souvienne!

LE SAVETIER

Par ma foy,

Vous avez bien batu ung prestre.

LA FEMME

Ung prestre?

LE SAVETIER

Et voire par le roy celeste,[+2]

Je ne dy rien que verité.

LA FEMME

300Ung prestre, benedicite

Et qui est-il?

LE SAVETIER

Par Saint Anthoyne

S’a esté ung maistre moyne

Qui buvoit avec moy orains.

LA FEMME

Saint Pol s’a esté sur voz rains

305Que j’ay frappé, non pas sur luy,

Je le sçay bien.

LE SAVETIER

Par le jour d’huy

Vous y avez mal advisé.

LA FEMME

Il estoit donques desguisé

Pour prendre vostre habillement.

LE SAVETIER

310Saint Jehan, voire.

LA FEMME

Dea! comment

A’ vous trouvé tel tromperie?

LE SAVETIER

Comment? dea! par Saincte Marie,

Il m’a tellement charié,

Demandant si j’estoye marié

315Et je luy respondy que ouy,

Adonc il fut tout esjouy

Voire, mais, par saint Pol! c’estoit

199 vo]De la grant joye qu’il avoit

De baiser vostre doulce face.

LA FEMME

320Et par bieu, vecy bonne farce,

Je suis donques excommuniée!

LE SAVETIER

La chose n’est pas publiée,

Car il n’y avoit qu’antre nous,

Mais allés vous mectre à genoux

325Devant luy et vous confesser,

A celle fin que vous penser

Avoir vostre absolution,

Touteffois pour conclusion

Gardez-vous bien de ses tours:

330Se il vous vouloit prier d’amours

Que me le dictes aussitost!

LA FEMME

Et par bieu, vous estez bien sot,

Moynes sont-ilz de tel nature?

LE SAVETIER

Le corps bieu, à toutes adventures,[+1]

335Je n’y ay pas trop de fiance.

LA FEMME

Sachez se il fait signifiance

De me dire fors que tout bien,

Que je vous diray tout.

LE SAVETIER

C’est bien,

Dictes, revenez ung peu çà,

340Je sçay de vray qu’i vous dira

Ung mot que vous vueil dire si

C’est que vous me criez mercy,

Gardez que ne l’oubliez pas.

LA FEMME

Mercy sire, par saint Thomas!

345Se jamais jour je ne devoye

Avoir mercy, mieulx aimeroye

Vous veoir bouter en terre basse

Que mercy je vous demandasse

Pour rien qu’on me die et compte.

LE SAVETIER

350N’esse pas bien là mon compte?

LA FEMME

Ne vous actendez pas que le face!


 [[ Print Edition Page No. 265 ]] 
LE SAVETIER

Par le corps bieu la chiche face

N’a garde de vous menger

Car je puis seurement juger

355Que vous estes fière et rebelle.

LA FEMME

Dieu vous gard, sire!

LE MOYNE

Dieu vous gard, belle,[+1]

Et tout ce que vostre cueur desire![+1]

LA FEMME

Certes, Monseigneur,[-3]

200 ro]Je suis bien marrie en mon cueur.

LE MOYNE

360Pourquoy?

LA FEMME

Car mon mary m’a ainsi[+2]

Que vous buviez avecques luy

Et que aviez vestu son habillement,[+2]

Mais je vous jure mon serment

Que j’ay esté et suis dolente

365Et d’autre part, je suis contente

D’en porter telle penitence

Qui vous plaira.

LE MOYNE

Sans doubtance[-1]

Celuy seroit maugracieux,

Qui le regart de voz deulx yeulx

370Se il estoit mal content de vous

Non obstant, mon fin cueur doulx,[-1]

Conseil en aurés si endroit.

LA FEMME

Et pourquoy?

LE MOYNE

Qui vouldroit

Juger le cas (de), ma doulce seur,

375Il vous fauldroit aller à Romme.

Je trouveray naguière comme

Vous n’irés point, se à vous ne tient.

LA FEMME

Je feray ce qu’il appartient

Envers vous, je vous sy convient.

380En signe de confession

Me donnez absolution

Du desplaisir que vous ay fait.

LE MOYNE

Certes affin qu’à vostre fait

Plus amplement je remedie,

385Il conviendra que j’estudie

En mon livre premierement.

LA FEMME

Dictes-vous?

LE MOYNE

Ouy, seurement,

Il m’y convient estudier.

LA FEMME

Vueillez-vous donc expedier,

390Si m’en iray à mon affaire.

LE MOY[NE]

Certes il ne se pourroit faire

Pour le mal qui s’en peut ensuivre.

LA FEMME

Et pourquoy?

LE MOYNE

Je n’ay pas mon livre

Ouquel convient que j’estudie.

LA FEMME

395Et où est-il?

LE MOYNE200 vo]

En! on estudie

Et pourtant, se il vous ennuyt,

Rendez-vous y encores nuyt

Et là endroit vous absouldré.

LA FEMME

Hélas! frère, je n’oseray,

400De mon mary seroye escousse.

LE MOYNE

Vous ne serez dont point absoulte,

Se n’y venez, vecy merveille!

Faictes ce que je vous conseille

Pour le sauvement de vostre âme,

405G’y ay absoulte mainte femme

Et mainte notable bourgoise.

LA FEMME

A dea! puis qu’i fault que g’y voyse,

Dictes-moy où est vostre chambre.

LE MOYNE

Je le vous diray,[[409]]

410Tout droit à ung degré de pierre.


 [[ Print Edition Page No. 266 ]] 
LA FEMME

Comment a vous nom?

LE MOY[NE]

Frère Pierre!

Foy que doy Dieu,[[412]]

Ne cuydez pas que ce soit jeu,

Je vous auray par beaux baratz.
          [à part]

415Hélas! quant entre mes deux bras

La t[i]endré, je seray refait.

Velà le portier, c’est mon fait,

Je luy vois compter de bonne erre.

Portier.

LE PORTIER

Que vous plaist, frère Pierre,

420Vous plaist-il chose que je puisse?

LE MOY[NE]

Je te pry, fay-moy ung service,

Mais garde bien que n’en soit bruit,

Il doit venir encores nuyt

Une gratieuse bourgoise

425En ma chambre, sans faire noyse,

Entens-tu bien pour confesser,

Je te pry, vien la adresser

A moy sans faire mention.

LE PORTIER

Ho! j’entens, c’est provision,

430Il sera fait, par Saincte Avoye.

LE MOY[NE]

Mais garde bien que on ne la voye

Quant tu la bouteras dedans,

Ce seroit pour yssir du sens,

Se le prieur la congnoissoit,

435Entens-tu bien?

LA FEMME

Dieu y soit![-1]

N’ay-je pas beaucop demouré?

LE SAVETIER201 ro]

Nostre Seigneur soit aouré!

Vous me semblez maintenant doulce.

Or avant, estes-vous absoulte

440De voz pechez, ma doulce seur?

LA FEMME

Dieu me gard de maleur,[-2]

Certes il m’a dit que mes faultes

Sont si horribles et si faulces

Que n’en seroie point delivre,

445Se il n’estudioit en son livre

Et pour toute conclusion

Je n’auray absolution,

Se je ne vois encores nuyt

En sa chambre entre sept et huit:

450A ceste heure me doit absouldre.

LE SA[VETIER]

Ha! dame que la malle fouldre

Luy puisse relier la teste!

Il ne fut oncques à tel feste,

Se je le tenoye, par ma foy.

LA FEMME

455N’en soiez de rien en esmoy,

J’ay trouvé trop bonne façon

Pour le pugnir.

LE SA[VETIER]

Hélas! et qu’est-ce?

LA FEMME

Attendez, je le vous diray!

Ma robe je vous vestiray.

460Quant ainsi habillé serez,

En sa chambre vous en yrés,

Je sçay de vray, quant vous verra

Ainsi habillé, (il) cuydera

Que ce sois-je, j’en suis certaine.

465Pour Dieu, serrez luy bien la vaine

Si tres asprement qu’i s’en noue!

LE SA[VETIER]

Je luy feray menger de l’oue

Par le sang que beuf respendit.

LA FEMME

Faictes bien ce que vous ay dit

470Et contrefaictes bien la femme.

LE SAVETIER en femme

Si feray-je, par Nostre Dame,

Je sçay tout ce qu’il en peult estre,

Où est sa chambre et son estre?[-1]

Je ne sçay ne voye ne sentier.

LA FEMME

475Vous devez trouver le Portier

Qui jusques là vous conduira.


 [[ Print Edition Page No. 267 ]] 
LE SA[VETIER]

Par le sang bieu il en aura

Sus la cousture de sa chappe

Avant que jamais il m’eschappe

480Ou il sera plus fort que moy.

201 vo]Velà le Portier, bien le voy,

C’est il qui me doit adresser.

LE POR[TIER]

Belle, où allez-vous?

LE SA[VETIER] en femme

Confesser

A frère Pierre; où est sa chambre?

LE PORTIER

485Ha! voirement je me remembre,

Je vous y meneray tout droit,

Attendez-le icy endroit,

Il est allé dire complie.

Mais venez ça, ma doulce amye,

490Ung baiser pour commencement.

LE SA[VETIER] fem[me]

Dea! j’ay bien autre pensement,

Car maintenant il n’est pas heure.

LE POR[TIER]

Il convient que je vous labeure,

Puis que avons temps et espace,

495Il sera fait.

LE SA[VETIER]

Sauf vostre grace,

Tirez-vous ung petit plus là!

LE POR[TIER]

Et comment dea! esse cela?

Par Saint Jehan par là passerez

Et jamais vous n’eschapperez

500De ceans se ne fault atraire.

LE MOYNE [à part]

Il est heure de me retraire

En ma chambre, car je me doubte

Que celle où j’ay ma joye toute

Ne soit de cest heure venue,

505Vela là, je l’ay bien congneue

Sans plus à sa philosomye.

Bien viennez, ma tresdoulce amye,

Acollez-moy, mon cueur joyeulx!

LE SA[VETIER] en femme

Hee! laissez-moy!

LE MOYNE

Une fois ou deux,[+1]

510Cela ne sera pas du compte.

LE SA[VETIER]

Et comment n’avons point de honte?

Regardez bien que vous ferés.

LE MOYNE

Par saint Pere, vous coucherés

Ennuyt ceans et au matin

515Je vous bailleray sans hutin

Vostre absolution planière.

LE SA[VETIER]

Et comment esse la manière,

Se je vien par devotion

Demander absolution

520De tenir femmes en ostage?

LE MOYNE202 ro]

Ouy, vrayement, c’est mon usage!

LE SAVETIER frappe

Ha! sire, vous n’estez pas saige,

Vous en aurés de ce baston,

Voullez-vous mectre dissension[+1]

525En mariage?

LE MOYNE

Ouy, vraiement, c’est nostre usage!

LE SAVETIER

Vous en aurés sur le visaige,

Par le sang bieu, frère Frappart!

LE MOYNE

Ha! que le grant diable y ait part,

530Quelle femme j’ay si trouvé?

LE SAVETIER

Mon baston sera esprouvé

Sus vostre dos, taste se il blesse.[+1]

LE MOYNE

Je croy que c’est une diablesse.

Oncques je ne fuz si infames.

LE SAVETIER

535Confessez-vous ainsi les femmes

Et puis se les voullez absouldre?


 [[ Print Edition Page No. 268 ]] 
LE MOYNE

Ha! ma dame, que male fouldre

Vous puisse relier la teste!

Oncques je ne fu à tel feste

540Par ma foi ne si en mal aise.

LE PORTIER [à part]

Sang bieu que maistre Pierre est aise

Maintenant avec celle gouge,

Sainct Jehan, elle sera bien rouge,

Si elle m’eschappe sans parler,
     [au Savetier en femme]

545Ho! ho! je vous deffens l’aller

Car il fault, vous m’entendez bien.

LE SAVETIER

Dea! je ne vous demande rien,

Laissez-moy aller mon chemin!

LE PORTIER

On me tiendroit bien pour Jenyn

550Se vous m’eschappiez en ce point.

LE SAVETIER en frappant

Je vous pry, ne m’arrestez point,

Il m’en fault aller tout batant.

LE PORTIER

Et par bieu, j’en auray autant

Que frère Pierre, c’est raison.

LE SAVETIER frappe

555Et par saint Pierre saurez mon,

Servi serez tout d’ung potage

Tous deux.

LE PORTIER

Esse davantage[-1]

Que vous en faictes tel largesse?

LE SAVETIER202 vo]

Quant femmes viennent à confesse

560Les doit-on arrester ainsi?

LE PORTIER

Helas! dame, pour Dieu mercy,

Sang bieu, comme elle est rebelle![-1]

LE SAVETIER

Qu’en dis-tu?

LE PORTIER

Que vous estez belle

Et bonne par mon sacrement.

565Se je n’eusse esquarry vrayement

J’eusse encor eu je ne sçay quoy.

LE SAVETIER

Ilz sont tresbien estrillez je croy,[+1]

En ce point les doit-on pugnir.

A Dieu jusques au revenir,

570Prenez en gré, nous vous prion,

A Dieu, car nous nous en allon!

FINIS

NOTES

 [XXXIII.] Farce à quatre personnages LE SAVETIER LE MOYNE, LA FEMME, LE PORTIER.

 [46] dames d’Aigremont. Couvent où l’on aurait fait des études latines mais que je n’ai pu identifier.

 [50] Logeotruie, collège imaginaire dont le nom présente un double jeu de mots (autrui, aux truies).

 [57] Petit Pont, sur la Seine devant Notre-Dame.

 [58] dicatis etc. . . . Le Savetier joue ici le rôle de l’Escumeur de latin.

 [202,] 311 A’ vous, avez-vous.

 [240] nes, pas même (nec ipsum).

 [369] Qui le regart. On attendrait: qui regarderoit v.d.y.

 [468] beuf pour Dieu par tabou de vocabulaire comme eût dit notre grand Antoine Meillet.

Endnotes

 [37,] O: si, sc.

 [112,] O: sire.

 [116,] O: fois.

 [146,] O: Se m. il s. f.

 [216,] O: Ce se.

 [371,] O: abstant.

 [409,] Ce vers mutilé ne rime pas.

 [412,] O: vers incomplet.

 [466,] O: moue.

 [500,] O: faulx.


 [[ Print Edition Page No. 269 ]] 

XXXIV
203 ro] FARCE NOUVELLE
A TROIS PERSONNAIGES TRESBONNE ET FORT JOYEUSE DES ESVEILLEURS DU CHAT QUI DORT DONT ILZ S’EN PRENNENT PAR LE NEZ ET SONT FARCEZ
*

[vignette]

[203 verso blanc]

LE PREMIER ESVEILLEUR commence204 ro]

Mon compaignon!

LE SECOND ESVEILLEUR

Que te fault-il?

LE PREMIER

Que ferons-nous au Temps qui court?

LE SECOND

User nous fault de gent babil.

LE PREMIER

Mon compaignon!

LE SECOND

Que te fault-il?

LE PREMIER

5User n’en fault à ung subtil.

LE SECOND

User en fault à quelque lourd.

LE PREMIER

Mon compaignon!

LE SECOND

Que te fault-il?

LE PREMIER

Que ferons-nous au Temps qui court?

LE SECOND

Allons-nous en tous bref et court

10Parmy le pays et l’adventure.[+1]

LE PREMIER

Mais aller nous fault à la Court,

Là trouverons quelque pasture.

LE SECOND

Que ferons-nous?

LE PREMIER

La turelure

Y chanterons en passant temps.

LE SECOND

15Or y allons de grant allure

Sans faire noises ne contemps.

LE PREMIER

Au regard de moy je pretens

Que g’y trouveray quelque chose.

LE SECOND

Si feray-je, ainsi l’entens,[-1]

20Au moins s’aulcun ne s’i oppose.

LE PREMIER

Or nous verrons en la perclose

Que bien venir nous en pourra.

LE SECOND204 vo]

Se sommes pourveuz je suppose

Qu’encor on nous honnourera.

LE PREMIER

25Et pourquoy non? on le fera

Certainnement, c’est bien raison.

LE SECOND

Chascun Monseigneur nous dira

Mesouen en toute saison.

LE PREMIER

Se suis pourveu, ma maison

30Sera mieulx garnye qu’elle n’est.[+1]


 [[ Print Edition Page No. 270 ]] 
LE SECOND

En la mienne des biens foison

Y aura sans faire arrest.[-1]

LE PREMIER avisant ung chat qui dort

Mais qu’esse là qui apparest

Icy devant en ce chemin?

LE SECOND en advisant aussi

35Esse point d’ung pot quelque taist?

LE PREMIER

Mais qu’esse là qui apparest?

LE SECOND

Se c’est chose qui soit d’acquest,

Je le sçauray, par sainct Lubin!

LE PREMIER

Mais qu’esse là qui apparest

40Icy devant en ce chemin?

LE SECOND

Ha! j’avou Dieu et sainct Fremin,

C’est ung chat qui est endormy.

LE PREMIER

Que c’est ung chat, sainct Fortuny!

Je cuydoyes que ce fust l’Ennemy.

LE SECOND

45Il s’en fault ung blanc et demy,

Le diable est ung ort souillon.

LE PREMIER

Il fault que nous le reveillon,

Fault-il qu’il dorme maintenant?

LE SECOND

C’est tresbien dit, à luy allon!

LE PREMIER

50Il fault que nous le reveillon,

[LE SECOND]

205 ro]Il ne fault point que nous raillon,

Ses oreilles soyons tenans!

LE PREMIER

Il fault que nous le reveillon,

Fault-il qu’il dorme maintenant?

LE SECOND

55Une oreille sans sejournant

J’ay empoignée de mittis.

LE PREMIER

Et moy l’autre au remenant.

LE SECOND

Une oreille sans sejournant[[58]]

Chascun avons entretenant.

LE PREMIER

60Or tirons, mais nunc dimittis.

LE SECOND

Une oreille sans sejournant[[61]]

J’ay empoignée de mittis.

LE PREMIER

Sçais-tu qu’il est amy subtilz,

Ung peu le fault faire chanter.

LE SECOND

65De cela soyons advertis.

LE PREMIER

Desjà se prent à gringoter.

LE FOL

Seigneurs, je me viens transporter

Par devers vous à ce besoing.

LE PREMIER

Besoing n’avons de rassoter.

LE FOL

70Seigneurs, je me viens transporter

A vous aider et supporter.

LE SECOND

Va t’en musser en quelque coing!

LE FOL

Seigneurs, je me viens transporter

Par devers vous à ce besoin.

LE PREMIER

75Fol es de prendre pour nous soing,

Car point ne t’en sçavons de grâce.

LE FOL

Ne tuez beste, s’elle n’est grace,

Aultrement perdriez voz paines.

LE SECOND

205 vo]Que tu l’entendes sans mittaines:

80Nous esveillons le chat qui dort.

LE FOL

Pas ne ferez sans avoir paines.


 [[ Print Edition Page No. 271 ]] 
LE SECOND

Que tu l’entendes sans mitaines,

Nous l’esveillons à quelque estraines.[+1]

LE FOL

S’il vous esgratigne ou mort?

LE SECOND

85Que tu l’entendes sans mitaines,

Nous esveillons le chat qui dort.

LE PREMIER en se prenant au nez

Ha! le grant deable vous emport,

M’avoir ainsi esgratigné.[[88]]

LE FOL

Il ne vous a point fait de tort,

90S’il vous a ung petit pigné.

LE SECOND en se prenant au nez

La chair bieu! je suis empoigné,

J’en ay ma part comme tu as.

LE FOL

Ha! vous fault-il jouer aux chatz,

Quant dorment, ne les fault toucher.

LE PREMIER

95Mal m’en est prins en ce pourchaz,

Ha! vous fault-il jouer aux chatz?[[95]]

LE SECOND

J’ay bien fait de plusieurs achatz,

Mais cestuy-cy est le plus cher.

LE FOL

Ha! vous fault-il jouer aux cha[t]s

100Quant dorment, ne leur fault toucher,

Mon amy, la[i]ssez le coucher

Ung aultre fois tout à son aise.

LE PREMIER

Jamais n’en vouldroy approcher

Tant que vive, ne vous desplaise.

LE SECOND

105Aussi ne feray par sainct Blaise,

Mais c’est trop tard desormais.[-1]

LE FOL

Dea, il vault mieulx tard que jamais,

Vous l’avez bien tousjours ouy dire.

LE PREMIER

De chat esveiller me desmetz.

LE FOL206 ro]

110Dea, il vault mieulx tard que jamais.

LE SECOND

Si fais-je, mais cest entremetz

Me demoura sans contredire.

LE FOL

Dea, il vault mieulx tard que jamais,

Vous l’avez bien tousjours ouy dire.

LE PREMIER

115Je requiers à Dieu que mauldire

Puisse-il le chat et la chaterie.[+1]

LE SECOND

Amen, amen, tout d’une tire,

Il m’a bien mis en resverie.

LE FOL

Conclusion en farserie:

120Du chat qui dort les esveilleurs

Sont attrapez, dont fault qu’on rie.[[120]]

Conclusion en farserie:

Le chat sans point de mocquerie

Sur les mains leur a mis couleurs.

125Conclusion en farcerie

Du chat qui dort les esveilleurs.

LE PREMIER

A toutes gens sont grans folleurs

De pourchasser à aultruy mal.

LE SECOND

Se esté n’eussons reveilleurs,

130Cecy n’eussions propos final.

LE FOL

Adieu disons en general,

Seigneurs et dames hault et bas;

Nous en allons par cy aval,

Adieu disons en general,

135Prenez en gré tous noz esbatz,

Adieu disons en general

Seigneurs et dames hault et bas.

EXPLICIT


 [[ Print Edition Page No. 272 ]] 

NOTES

 [XXXIV.] Farce des Esveilleurs du Chat qui dort. Proverbe en action (Cf. Recueil Trepperel IX, 15 et 26) qu’on pourrait aussi bien appeler Sottie, à cause du Fol et du premier et second éveilleur qui sont des galants ou sots.

 [13] turelure est un refrain banal de chanson.

 [16] contemps, contend, discussion.

 [28] mesouen, désormais.

 [35] taist, test, morceau.

Endnotes

 [58,] O: Ung.

 [61,] O: Ung.

 [88,] O: avons.

 [95,] O: se.

 [120,] O: tes.


 [[ Print Edition Page No. 273 ]] 

XXXV
[206 verso blanc]
207 ro
FARCE NOUVELLE
DU PATINIER
A TROYS PERSONNAGES
*

  • C’est assavoir:
  • LE PATINIER
  • LE SAVETIER
  • LA SAVETIERE

[vignette]

LE CAS AU LONG ET LE CAS ABRÉGÉ

LE PATINIER commence en chantant:207 vo]

M’amour et parfaicte joye,

Dieu doint que briefment vous revoye,

Aultre chose ne vous requier.

Pour moy estes hors de danger

5Qui pour vous souvent me guerroye,

J’ay le cueur droictement en joye

Quant je pense à ma desirée,

Elle est si tresbonne carrée,

Volentiers certes me degoise.

10Avec cellely si fault que je voyse,

Et puis comment en va?

LA SAVETIERE

Comment?

Vous le sçavez bien meschamment

Et qui plus est, il ne vous chault.

LE PATINIER

Quoy, par le sang?

LA SAVETIERE

Dia! dia! Michault.

LE PATINIER

15Quel Michaut? c’est jà ung debat.

LA SAVETIERE

Ce que je dy, c’est par esbat

Et croy que vous m’avoués.[-1]

LE PATINIER

Dia! dia! faire donc le povez.

LA SAVETIERE

Grant mercy, comment vous va? Bien?

LE PATINIER

20Il va bien, mes il ne vient rien,

Et du surplus n’y est-il mie.

LA SAVETIERE

Nenny, que malle impedimie

Le happe et jamais ne reviengne!

LE PATINIER

De vostre parler vous souviengne,

25Je veulx ung pou estre acollé,

Ma doulcette!

LA SAVETIERE

Mon affollé!

LE PATINIER

Ma mygnotte!

[LA SAVETIERE]

Et ma montjoye!

LE PATINIER

Mon seul plaisir!

LA SAVETIERE

Ma doulce joye,

Mon bien, mon espoir, mon amy!

LE PATINIER

30Par le Dieu que en croix pendy,

208 ro]Je ne sache en ce monde femme

Que j’amasse mieulx par mon âme

Que vous depuis trois ans ença.


 [[ Print Edition Page No. 274 ]] 
LA SAVETIERE

Ce n’est pas d’huy, mes de pieça

35Que vous sçavés femmes flater,

C’est pour m’en bailler à taster,

N’a pas ung an, non pas demy

Que vous fustes bien son amy.†[[38]]

LE PATINIER

De qui?

LA SAVETIERE

D’une mienne cousine.

LE PATINIER

40Ha! ne creez pas ma voisine

Qu’à femme je l’eusse peu faire

Et vous sçavés bien le contraire,

Mes ce dictes pour me larder.

Je veulx en tous temps garder

45Vostre amour, si n’eusse daignié.

LA SAVETIERE

Ha! vous n’estes pas engignié,

Car certes je vous ayme aussy!

LE PATINIER

Je le sçay bien, vostre mercy,

Aussy le veulx-je deservir

50Et voir ne me puis assouvir

De vous venir voir, doulce seur,

Mieulx vous ayme voir que le cueur

De mon ventre, par mon serment.

LA SAVETIERE

Je vous en crois bien vrayment,

55Beau sire, c’est de vostre grâce.

LE PATINIER

Vous estes assés grosse et grace

Et refaicte, Dieux! quelz tetins!

Longtemps a que je ne les tins,

Il y a bien dix jours passés,

60Aussi on en parla assés

De ce dont vous voullés parler,

Mais par ma foy au fort aller

Quant bien aront tenu leur plait,

De nous se tairont, s’il leur plaist,

65Pour leur parler ne plus ne moins.

J’en huche Dieu pour tous tesmoingz

Que je vous ayme lealement.[+1]

LA SAVETIERE

Mon amy, par mon sacrement,

Quant je vous voy, je suis bien lye,

70Oncques mais tant ne vous en dis,

Que de Dieu soient ceulx mauldis

Que dient ces parolle lueques.

LE PATINIER208 vo]

Amen et de sa Mère avecques

Et neantmoins je vous mercie,

75Il nous fault boire à recye,[-1]

C’est raison que je paye quarte.

LA SAVETIERE

Je prie Dieu que la fièvre quarte[+1]

M’envoit Dieu se vous la payés.

LE PATINIER

Et pourquoy non?

LA SAVETIERE

Dieux vous aurés

80Que vous dy, ne tirés rien,[-1]

Tant dire.

LE PATINIER

Or ça doncques bien,

Pardieu, dame, je suis marry

Que je. . . .

LA SAVETIERE

Endea! nostre mary

Peult-estre pourroit survenir,

85Car il vouldroit bien advenir

A trouver sur moy à redire,

Pourquoy tousjours mire et remire

De moy voulloir rendre à mon père

Que me seroit grant vitupère,

90Vellà s’il trouvoit le pourquoy,

Mais faisons trestout en requoy

Qu’il n’en viengne inconvenient.

LE PATINIER

Or laissons cela, c’est tout neant[+1]

En noyse ne fay-je point presse.

LA SAVETIERE

95Par ma foy je seray maistresse

Ou je le romperay de coups,

S’il me meult ung peu mon courage.

LE PATINIER

Dea! dea! vous estes bonne et sage.

Pour Dieu, que vous vous repaisiés,

100Vostre amour me met en joye![-1]


 [[ Print Edition Page No. 275 ]] 
LA SAVETIERE

Aucuneffois n’ay guères de joye,

Je vous en pry, de belle course,

Aucuneffois quant je me course

A mon mary.

LE PATINIER

Pourquoy?

LA SAVETIERE

Pour ce

105Qu’il me guette comme envieulx

De ma personne.

LE SAVETIER en criant

209 ro]Soulez vieulx,

Houseaux vieuls, ça mes chalans, chalans!

LA SAVETIERE

Hela! destournez vous de ça,

C’est mon mary, allés arrière!

LE PATINIER

110Je m’en va musser ça derrière,

Il est jà à l’uys de devant.

LE SAVETIER

Mesnagière, Dieu vous avant,

Dieus gard, hau! parlés à ce mur!

En dia! je ne sçay s’elle oyt dur,

115Comment ne daigne l’en respondre?

LA SAVETIERE

Que vous fault, sire? Que confondre

Vous puist Jhesucrist corps et âme!

LE SAVETIER

Et dia! taisés-vous, belle dame!

J’ayme beaucoup mieulx qu’on se taise

120Que l’en me maine telle noise,

Mais ne suis-je pas bien manié?

Pas ne suis excommunyé,

On parle bien à mon visage:

Aufort vous estes bonne et sage,

125Taisé-vous et je me tairé.

LA SAVETIERE

Pour toy meschant et je feray

Tes sanglantes fièvres quartaines.

LE SAVETIER

Depuis qu’elle ataint à ces ataines,[+1]

Il se fault garder de merrien.

LA SAVETIERE

130Qu’esse qu’il te fault?

LE SAVETIER

Je ne dis rien,[+1]

Pour Dieu, lessés-moy besongner.

LA SAVETIERE

Par Dieu, se je t’ost huy hongner,

Je t’abesseray ton caquet!

LE SAVETIER

En dia! et qu’esse cy, Jaquet?

135Te fault-il ce mal endurer?

Se ne fu[s]t honte de plorer,

Par mon sacrement, je plorasse,

Car je crains par trop sa menasse!

Mes velà! honte me remort!

140Je requiers Dieu que malle mort

Te doinst et malle impedimie,

Le mal des dans, l’aploplexie,

Le mal saint Ladre, la verolle,

209 vo]La continue et la rougolle

145Et farcin aveuc l’avertin,

Le mal saint Leu et saint Martin,

De fièvres quartes, de frissons

Et de toutes le[s] mauldissons

Qu’on peult mauldire creature

150Et de pute maladventure,

Soies tu conjurée et mauldite,

Car tu vault pis qu’une entecrite!

Malle mort, malle maladie

T’envoit Dieu! ne sçay que je die:

155Le corps bieu, tu auras ton gros.

LA SAVETIERE

Quoy?

LE SAVETIER

Je demande du fil gros

Et je fais ces fiè[v]res quartaines,

Qui luy puissent serrer les vaines

Et recommencer tous les mois

160Et qu’elle les ait des ans trois,

Je dis des ans les fièvres quartes,

Pas ne m’en chauldroit de deux quartes,

Par mon serment, je le vouldroye.

LA SAVETIERE

Et qu’esse là?


 [[ Print Edition Page No. 276 ]] 
LE SAVETIER

Je souhettoye

165Que eussiés autant de soulx vieulx

Que fis oncques de soullés tieulx

Depuis que je fus adprentis,

Nostre femme.

LA SAVETIERE

Qu’esse que dis?

LE SAVETIER

Je souhettoye or et avoir,

170Affin que vous puissiés avoir

Une tresbelle houppellande.
[à part]

J’aroye plus cher que la truande

Eust espousé la sanglante estraine[+1]

Et la malle fièvre quartaine

175Qu’elle eust eu ce que je dy.[-1]

LA SAVETIERE

Qu’esse que tu dis?

LE SAVETIER

Que je dy?

Que sur pied sur bille,†[[177]]

Par m’âme, c’est bon assavoir,

Je dis qu’il vous convient avoir

180Robe de fin drap d’escarlatte,
[à part]

Mais l’andosse d’une grant latte

Au long des rains de la bourgeoise

Pour sentir combien elle poise:

Ce seroit beaucoup mieulx sa char[ge].
[à elle]

185Il la vous fauldroit grant et large

210 ro]Celle robe et bien plantureuse,

Saint Jehan vous seriés bien eureuse,

Se vous en avez jamais piecé[e]

Pour estre de vostre livrée;

190Mais comment sera-elle fourrée?

Vous ne la porterés pas doublée.

LA SAVETIERE

Je croy qu’elle sera bien troublée

En coulleur celle belle robe.

LE SAVETIER

Et cuidiés-vous que je vous bobe,

195Nenny, par le corps Nostre-Dame,

Vous souffira-il, belle dame,

Se vous avés vers ceste feste

Une robe belle et honneste

Pour tous les jours, voire de belles?

200Ce sont robes à damoiselles.

Pour vous n’est pas telle houpelande,

Nenny! ung tel saint telle offrande,

Une robe d’u[n]g gros grison

A rostir contre le tison,

205Encores aurés-vous trop de bien.

LA SAVETIERE

Velà de quoy je savoye bien.

Par ma foy, quant ainsi seroit,

Par Dieu qui bien te fr[o]tteroit,

Ort villain paillart desvoyé,

210Ce seroit tresbien employé!

Ne suis-je pas de lieu venue?

N’en suis-je pas en value,

Cocquin breneux, meschant infame?

LE SAVETIER

Esse grant fait que d’une femme?

215Ouy! vray vous le vallés bien![-1]

Vous valés ung estront de chien,

Velà je suis en ung Enfer,

J’ay espousé ung Luycifer:

Tout au mieux venir, c’est la fille.

LA SAVETIERE

220Que dis-tu?

LE SAVETIER

Fillés d’aultre fil, il m’en fault,

Vez cy tout!

LA SAVETIERE

Qu’esse qu’il te fault?

Il luy fault une fillendière,

Je seray dont ta chamberière,

225Vertu! veulx-tu dire cela?210 vo]

LE SAVETIER

Non fois,[+2]

Mais vous estes aulcune fois

Ma servante, dont ce me poise,

Je sçay bien que vostre poing poise,

Ce service m’est cher vendu.

[LA SAVETIERE]

230Que de Dieu soit-il confondu

Et de la Court de Paradis!


 [[ Print Edition Page No. 277 ]] 
LE SAVETIER

Et par mon seigneur Saint Denis,

Qu’il en paiera plus de dix

Des blancs, qui ces soulez aura,

235Car en nul lieu on n’en saura

Nuly plus proufitables trouver.[+1]

LA SAVETIERE

Scet-il bien retourner le ver?

Sainct Jehan, je vous retourneray,

A ce coup vous atourneray

240Ou je ne suis pas preude femme!

LE SAVETIER

Hola! dea! craigniez le difame

De la voisine, pour Dieu, m’amye!

LA SAVETIERE

Il n’y a amour ne demye

A ceste fois vous pugniray.

LE SAVETIER

245Par mon serment dont je criray

A la mort! cres-moy à ce mot

Mais que dira l’en se l’en m’ot?

Lessez cela.
Ilz s’entrebatent tresfort.

LA SAVETIERE

Par la croix bieu!

Non feray!

LE SAVETIER

Dea! ce n’est pa[s] jeu!

250A la mort! ma femme m’assomme!

Haro! qu’esse que je nomme?

LA SAVETIERE

Dea! il fault que je vous manye!

LE SAVETIER

Par Dieu, je feray villenye!

LA FEMME

Seras vuidé tantost, va-t-en!

LE SAVETIER

255Haro! bonnes gens le Sathen

Tel es-tu, ainsy dist chacung,

Elle est ung deable, c’est tout ung,

Elle vault pis qu’ung Antecrist.

Que je requiers à Jhesucrist

260Que je puisse estre ars et brouy

Ou cas.

LE PATINIER

211 ro]Qu’esse que j’ay ouy?

Voisin, qu’avez? y a-il noise?

LE SAVETIER

Nenny, c’estoit nostre bourgeoise

Qui s’estoit ung peu eschauffée,

265Dieu scet se je l’ay bien coiffée,

El crie et semble qu’on la tue,

Si ne l’ay je gueres batue

Et m’y suis bien envis bouté.

Je vouldroye qu’i m’eust cousté

270Autant vaillant que je porte[-1]

Et la paillarde si fust morte

Par ma foy, mon voisin Hermant!

LE PATINIER

Paillarde, dea!

LE SAVETIER

Par saint Amant,

Non pas qu’elle se soit forfaicte,

275Non, Dieux! mais elle a une teste

Laquelle endurer ne pourroye.

LE PATINIER

Et donc je m’en departiroye

Et la re[n]droye à ses amis.

LE SAVETIER

Jamais nous n’en serions demis

280S’il n’y a apparance ou cause.

LE PATINIER

Et je trouveroye bien la cause

Sus elle ou telle cautelle

Qu’on la prouveroit estre telle

Qu’elle seroit notée de reproche[+2]

285D’ung cas que son honneur fort touche

Et ne saroyt le fait nyer.

LE SAVETIER

Helas! mon voisin Patinier,

S’il vous plaisoit moy sur ce fait

Conseiller, je seroy refait

290Et par Dieu je le vous vouldroye.

LE PATINIER

Et par m’âme! je n’y pouroye

Guères vaquer, mais il fauldroit.

Vecy que faire conviendroit.

Au jour qu’on seroit de loisir

295Et l’heure qu’on vouldroit choisir,


 [[ Print Edition Page No. 278 ]] 

M’en iroye vers ta femme

Baver en disant: “Belle dame

Comment vous est?”, savés-vous bien

En enquerant quoy et combien

300Et en jouant l’acolleroye

Et peult-estre la beseroye

En la bouche ou en la joue,

Tout ainsi qu’ung voisin se joue

211 vo]A sa voisine.

LE SAVETIER

Et voire, voire!

[LE PATINIER]

305Alés! ne me vueillés jà mescroire

D’aler plus bas de la çainture,

Car tout le mal à l’aventure

Que g’y sens, me puist eschoir!

LE [SAVETIER]

Je sçay bien que vous dictes voir,

310Compère, la vostre mercy.

[LE PATINIER]

Or sire, à quoy vauldroit cecy?

LE SAVETIER

Par saint Jehan! le cas sera tel

Que vous serez en mon hostel

Et ma marchandise vendrés.

[LE PATINIER]

315Cependent puis vous en vendrés

Sy tost que je siffleray,[-1]

Car lors saurés que je feray

Près d’elle encontre son giron,

Car jà ne nous eslongneron.

320Pour vous lors tout en paix viendrés

Et en cest estat nous prendrés.

Lors dirés: “Ha! lice prouvée,

A ceste fois t’ay esprouvée.

A vous bon ribault deputaire,

325Plus ne peult celler cest affaire.”

Lors aurés moyens apparens

Pour la rendre à ses parens[-1]

En la reputant à ribaulde

Et viendrés frapper à la chaulde,

330Mais frapper sur moy bellement,

Entens-tu?

LE SAVETIER

Compère vrayment,

Pensés que ne daigneroye[-1]

Mais voulentiers vous prieroye

Que ce tour fust fait de cest heure,

335Qui pourroit, et je vous asseure

Que je payeray.

LE PATINIER

Ouy, rien quelconques.

Puisqu’ainsi est, allés doncques

Garder les patins et l’ostel,

Mais dea! pour dire le cas tel,

340Gardés de venir sur nous deux,

Se je ne siffle.

LE SAVETIER

Nenny, Dieux!

Ce seroit bien pour tout gaster!

LE PATINIER

Touteffois, voisin, sans flater,

212 ro]Sachés comment vous fraperés!

LE SAVETIER

345Sachés aussi que vous ferés,

Dictes, je vous deffens le bas!

LE PATINIER

Passion bieu, que de debas!

Je ne luy vouldroye, par mon âme,

Faire ne qu’à ma propre femme.

LE SAVETIER

350De tout suy-je vostre tenu!

LE PATINIER

Quant vous serés sur nous venu,

Par Dieu, je me soucye, beau sire,

Comment je me tenray de rire,

Quant sur moy venrés descharger.

LE SAVETIER

355Rire, dea! il y a dangier,

Pour Dieu, faictes semblant de brayre!

LE PATINIER

Taisés-vous, je sçaray bien faire!

Ge m’y en voys sans plus tarder.

LE SAVETIER

Et je voys les patins garder,

360Par le benoit baron saincte Janne,

Allés, on ne vous fera rien.


 [[ Print Edition Page No. 279 ]] 
LE PATINIER

Je suis eureux, ce say-je bien,[[362]]

De mes amours, quant g’y regarde

Et ne s’en donne pas en garde,

365Mais il en passera par là

Du fait d’aymer que il me semble

Pour esbatre nous deulx ensemble,

Mais vecy pour y parvenir.

Or ne doibt le villain venir

370Jusques à ce que je siffleray,

Mes par sainct Pierre, je feray

Avant tout à mon beau plaisir

Et le lairay tout à loisir

Garder les patins. Cependant

375Je veulx aller faire entendant

A sa femme qu’il s’en va boire,

Elle croira de leger voire,

Car il est ouvrier de pier,

Mes moy ne m’orrés papier

380Du cas dont il m’a tenu plait

Jusques ad ce que j’aye complait

Mon plaisir avecques la belle

Et pour eviter le rebelle

Vilain, qui la veult affiner,

385Je luy diray c’onques finer

N’ay peu d’elle ung seul baiser,

Ainsi le pourray-je apaiser,

212 vo]Car il la tendra preude femme.

Comment en va-il, belle dame?

390Ma voisine! bon prou vous face!

Où est-il?

LA SAVETIERE

Il n’arreste en place,

Dieu scet se je l’ay empongnié![[392]]

LE PATINIER

Il s’en va trestout empongnié

Boire je ne sçay quel butin,

395Je croy qu’il y a eu hutin.

LA SAVETIÈRE

Et non a, non! Ce n’est qu’esbat,

Ne tenés nos dis en debat!

Dictes-vous qu’il s’en va pyer?

LE PATINIER

Ouy, je le viens d’espier,

400Ilz s’en vont, se croy, sept ou huit

Boire, c’est pour jusques à la nuit[+1]

Avant qu’il en facent depart.

LA SAVETIERE

Faison grant chère d’aultre part,

Mon amy, je vous en requiers!

LE PATINIER

405Ma mye, c’est quanques je quiers,

Baisés-moy une fois!

LA SAVETIERE

Mes quatre!

TOUS DEUX

Grand mercis!

LE PATINIER

Il nous fault nous esbatre[+1]

Cependant qu’avons temps et heure.

LE SAVETIER [à part]

Corps dieu! que cestuy-là demeure,

410Dea! il ne siffle ne ne tousse.

LE PATINIER

Dictes une chanson, ma doulce,

Je vous os voulentiers chanter.

LE SAVETIER [à part]

Je croys que g’iray escouter

Qu’il font tandis qu’ilz sont tous seulx.

LA SAVETIERE

415Je veulx chanter: “Doeul angoisseux.

LE SAVETIER [à part]

Vous puisse serrer le cueur du ventre,[+1]

[LE PATINIER]

Chantés-vous?

LA SAVETIERE

Je suis bonne chantre.

LE PATINIER

Corbieu! c’est mon, ce me semble,

213 ro]Se j’eusse voix, mes elle tremble.

420La vostre est bonne et asseurée

Et puis. . . .

LA FEMME

Raisge desmesurée.

LE SAVETIER [à part]

Pour vous deux et pour vostre teste.

Je doubte qu’il y ara feste,

A baston, vous y chatirés!


 [[ Print Edition Page No. 280 ]] 
LE PATINIER

425Après tousjours chantés, ferez,

Mettés la chanchon à defin.

LA SAVETIERE

Si veulx je pas languir sans fin.

LE SAVETIER [à part]

Vous envoie la Vierge honorée

Bien brief.

LA SAVETIERE

Et vie maleurée.

LE SAVETIER [à part]

430Par Sa[i]nt Jehan, amen! par sa grace!

LE PATINIER

A! ma mye, que je vous embrasse

Pour l’amour de ce bien chanté!

Que Dieu vous donne bonne santé![+1]

LA SAVETIERE

Ainsi soit!

LE PATINIER

Hélas! ma doulcette,

435Par ma foy, il convient que ceste

Fois ung tantet je vous manye.

LE SAVETIER [à part]

Par le corps bieu, je le vous nye,

Ha! ha! quel hoste! je le ouy

Le mot.

LA SAVETIERE

J’ay le cueur tout esjouy

440D’oyr vos motz si amiables.

LE SAVETIER [à part]

Ha! voire de par tous les dyables,

Esse donc à bon essient?

LE PATINIER

Vous portés ung oeil cy fr[i]ant

Qu’il fait figure de deffiance.

LE SAVETIER [à part]

445Quel signe! je pers pascience,

J’eusse besoing d’estre lyé!

Le corps bieu! il a oublié

A siffler, j’oseroye gagier!

LA SAVETIERE

Mes quant pence, je vueil changer

450Mon mary ung de cest matins.

LE SAVETIER213 vo]

Et garderai-ge les patins

Longuement? Ha! voisin, voisin,

Tu n’es pas trop bien mon cousin![[453]]

Sifflés, bon gré en ayt saint George!

LE PATINIER

455Je vous requiers, ma doulce gorge,

Que nous facions ce mary coux.

LE SAVETIER [à part]

Ha! voire à mes prés, cousts[-2][[457]]

Et despens, voullés-vous giber?

Je vous feray bien regiber!

460Et non feray, haro! j’enrage,

C’est pour essayer son couraige,

Se croy-je qu’il a dit cecy.

LA SAVETIERE

Vous avés des beaulx dorelos.

LE PATINIER

C’est mon, cestuy je vous donray.[[464]]

465Mais par mon serment j’en aray

Mon saoul, ains que le jeu deffine.

LE SAVETIER [à part]

Foy que je doy Saincte Katerine![+1]

Sarez mon, vous n’y fauldrés mye,

En dea! ce n’est pas moquerie,

470Je ne me faindray pas auss[y].

LA SAVETIERE

Hellas! que ne vous scet icy

Mon mary, tant il seroit aise.

LE SAVETIER

Et qu’esse cy, nostre bourgeoise,

Esse l’estat?

LA SAVETIERE

Haa! Nostre-Dame!

LE SAVETIER

475Par la passion de mon âme,

Putain, vous aurés vostre part!

LA SAVETIERE

Putain, lasse!

LE SAVETIER

Voire, il appert!

Tenés, tenés!


 [[ Print Edition Page No. 281 ]] 
LA SAVETIERE

Pour Dieu, mercy!

LE PATINIER

Voisin, frappés sur moy aussy

480Pour mieulx fere le parsonnaige!

LE SAVETIER

Ha! par le corps Dieu sy feray-je,

Vous m’avés trahy faulcement!

LE PATINIER

214 ro]Dea! pourtant frappe bellettement,

Je crieray assés hault.

LA SAVETIERE

Quel jeu!

485Huy n’entreray, par le corps bieu,

Ceans, je m’en vois sur mon père!

LE SAVETIER

Vuidés bien tost de mon repère,

Faulce femme à motz exprès!

Ha! maistre, ça, tirez-vous près!

LE PATINIER

490Est-il temps que je crie?

LE SAVETIER

Quel temps?

Sa que maulgré ma vie.

LE PATINIER

Voisin, atens![+2]

Sces-tu, frappe plus doulcement!

LE SAVETIER

Feray que bon gré mon serment

Et comment vous m’avez trahi!

LE PATINIER

495A la mort! M’avez-vous ouÿ?

Frappés plus bas ou me laissés!

LE SAVETIER

Quel bas?

LE PATINIER

Quel bas? Vous me bleciés!

Hellas! ay! tirés-vous arrière,

Ne frappés plus de tel maini[è]re,

500Quant ta femme s’en est allée.

LE SAVETIER

Vous la m’avez belle baillée,

Mais aussi. . . .

LE PATINIER

Ostés ce! ostés!

Ay! Dieu! les rains et les costés,

Dictes, ce jeu point ne m’agrée!

505Qui me tient que je ne malgrée

Toute la court! et holà! sire!

LE SAVETIER

Au moins vous tenez-vous de rire!

Allés! que malle impedimie

Vous doint Dieu!

LE PATINIER

Bien je n’en dis mie

510Par Dieu trestout ce que j’en pence!

LE SAVETIER

Or te souviengne de l’offence,

Dea, vous n’en aurés hui mains,

J’estoye escheu en bonnes mains.

214 vo]Quel se fier en tel marchant?

515Mais comment alloit-il serchant

Ma femme, il m’estoit trop f[i]ns.

LE PATINIER

Au moins gardoit-il les patins,

Cependant que je m’e[s]batoye.

LE SAVETIER

Pousse d’icy, va-t-en ta voye,

520Bien tost et hors ma maison vuide!

LE PATINIER

Aussi ferai-ge, mais je cuide

Qu’il te sera restitué.

Par le sang bieu, s’il m’eust tué,

Je ne sce que j’eusse peu dire

525Et neantmoins j’en ay eu du pire.[+1]

On dist, et n’est pas mocquerie,

Qu’aulx trompeurs vient la tromperie.

Pour ce, seigneurs, je vous supplie

Que nostre ebat prenés en gré!

530Adieu! toute la compaignie,

Trestous de degré en degré!

EXPLICIT


 [[ Print Edition Page No. 282 ]] 

NOTES

 [XXXV.] Farce du Patinier.
cas au long ou version longue (531 vers) de XXI (310 vers).

 [107] Houseaux vieuls figure dans la Farce des Cris de Paris au t. II de l’Ancien Théâtre français, p. 310.

 [128] ataines, substantif verbal de atainer, quereller.

 [129] merrien, decovrir le merrien d’aucun, c’est découvrir son jeu.

 [152] une entécrite, féminin d’Antéchrist? Je ne crois pas qu’il faille lire: entérite qui n’est attesté qu’en 1805 (cf. Dauzat, Dictionnaire étymologique).

 [156] gros, toujours le même procédé de dissimulation par la rime. Les a-parte rectificatifs sont encore fréquents chez Molière.

 [177] sur pied sur bille, expression dont le sens m’échappe.

 [379] papier, babiller.

 [449] changer, à corriger en chargier.

 [458] giber, chasser.

 [459] regiber, regimber.

 [463] dorelos, joyaus.

Endnotes

 [38,] O: mon a.

 [105,] O: se.

 [158,] O: serres.

 [177,] vers tronqué, ne rimant pas.

 [220,] Vers tronqué ne rimant pas avec le précédent.

 [228,] O: posse.

 [229,] O: cher.

 [234,] O: aera.

 [360,] ne rime pas; même si l’on corrige Saincte Janne en Sainct Jan.

 [362,] O: ce.

 [392,] O: ce.

 [418,] O: C. c’est esmonce m. s.

 [457,] O: coupx.

 [464,] O: Sçay.

 [465,] O: l’en a.


 [[ Print Edition Page No. 283 ]] 

XXXVI
215 ro] FARCE NOUVELLE
A QUATRE PERSONNAGES DES FEMMES QUI FONT RENBOURER LEUR BAS
*

  • C’est assavoir:
  • LA PREMIERE FEMME
  • LA SECONDE FEMME
  • ESPOIR
  • DE MIEULX

[vignette]

DE MIEULX

LA PREMIERE FEMME commence215 vo]

Ma voisine, en cest esté

Trop vivons sens esbatement.

LA SECONDE FEMME

Vous en dites la verité,

Ma voisine en cest esté.

LA PREMIERE

5C’est bien cas de nouvelleté

Que n’y ouvrés d’ente[n]dement.

Ma voisine en cest esté

Trop vivons sans esbatement.

LA SECONDE

Besongner nous fault autrement

10Et faire rembourrer nos bas.

ESPOIR

Or escoutons tous ces debatz!

DE MIEULX

Il nous fault renoncer noblesse,

Disant que ne le sommes point.

LA PREMIERE

Par mon âme, mon bas me blesse!

LA SECONDE

15Par mon âme, le mien me point

Merveilleusement, tant est chault.

LA PREMIERE

Le mien me tue!

LA SECONDE

Il ne m’en chault.

LA PREMIERE

Mon mal vous ne sçavez en somme.

LA SECONDE

Ne le baillés pas à ung homme

20Vieil, qui ne le sçaroit fourrer.

LA PREMIERE

Allons-m’en faire rembourrer,

Prenez le vostre, j’ay le mien.

LA SECONDE

Aussi ay-je dessoubz mon bras.

LA PREMIERE

Il nous fault trouver le moyen

25Qu’il nous face le cuir bien gras.

216 ro]Regardez-moy, suis-je bien necte?

Secouez ung peu ma cornette

Et la mectez dessus mon front.

Suis-je bien?

LA SECONDE

Ouy!

LA PREMIERE

Or alon donc,

30En faisant bonne contenance.

LA SECONDE

S’ung de ces seigneurs cy s’avance,

Il le nous fauldra saluer.


 [[ Print Edition Page No. 284 ]] 
LA PREMIERE

Se nous avions ung collier[-1]

Bien nous feroit nostre ouvraige.[-1]

LA SECONDE

35Maidieulx! il ont beau parsonnage!

LA PREMIERE

Il sont au milieu de leur aige,

Je ne sçay s’il ont bons outilz.

ESPOIR

Il nous fault faire des motifs

Et leur demander où elles vont.

DE MIEULX

40Attens, elles nous saluront.

LA PREMIERE

Dieu vous doint joye et santé,

Gentilz seigneurs, en équité!

ESPOIR

Et vous aussi, belles bourgoises!

DE MIEULX

Qu’elles sont doulces et courtoises!

ESPOIR

45Qu’el ont le cueur franc et entier!

DE MIEULX

Où allés-vous ainsi errant?

LA PREMIERE

Nous allons serché ung sellier

Pour embourer nos bas devant.

ESPOIR

Or n’alés plus nully serchant,

50Car nous sommes ce qu’il vous fault.

LA SECONDE

216 vo]Certainement sans nul deffault,

Monseigneur, j’en suis tresfort aise.

ESPOIR

Monstrés-les-nous!

LES DEULX FEMMES, ensemble

Ne vous desplaise!

ESPOIR

Il ont besoing de bien entendre.

LA PREMIERE

55Mon seigneur, le cuir est bien tendre,

Boutez-y le baston de mesure.[+1]

DE MIEULX

Il fault icy bon embourreure.

LA PREMIERE

Embourrez-le bien, quoy qu’il couste.

LA SECONDE

Ung an est à la Penthecouste

60Que la mienne fut rembouraye.

LA PREMIERE

Vrayment c’est par trop demouré,

Je me merveille qu’il n’escorchoit.

LA SECONDE

N’osoyes, mon mary y estoit

Qui me tenoit bien à destroit,

65Pour dire: “le trou est estroit!”

ESPOIR

La mort bieu! g’y mectroy la verge!

LA SECONDE

Gardez bien qu’il ne soit large,[-1]

Boutez là-dedans par mesure.

DE MIEULX

Il sera bien, je vous assure,

70Car mon baston est bien petit.

LA PREMIERE

C’est trestout cela qui me duist,

Mais qu’il soit gros à l’avenant.

DE MIEULX

Il est bien pointu par devant,

Mais il est gros enprès le manche.

LA PREMIERE

75Mais qu’il entre de croc ou de hanche[+1]

Il soufist, mais qu’il soit dedans.

ESPOIR

Il fault tirer ce cuir aux dens217 ro]

Pour le faire ung petit croistre.[-1]

LA SECONDE

Par celuy Dieu qui nous fist naistre

80Vous le met[e]z trop coup à coup.

ESPOIR

Est-il bien?

LA SECONDE

Encore ung coup!


 [[ Print Edition Page No. 285 ]] 
ESPOIR

Il ne reste qu’à l’embourer,

Quel bourre y voullez fourrer?

LA SECONDE

Vrayment, sire, pour le plus seur

85Je voys demander à ma seur

De quoy fait rembourrer le sien.

Seur, quel bourre metz-tu au tien?

LA PREMIERE

Nostre Dame, je n’en sçay rien!

Quant est à moy, avisez-y!

DE MIEULX

90La boure d’ung estronc moysi

Bonne seroit, elle est souesve.

LA SECONDE

Par mon âme, je croy qu’il resve,

Et voicy ung trop bon raillard.

LA PREMIERE

Mais de la bourre d’ung conillart

95Il n’y a rien plus advenent.

LA SECONDE

Rien n’y a plus adoulcissant,

Boutez-y-en, je vous en prie!

ESPOIR

Ho! dame, vous serez servye!

LA PREMIERE

Au mien boutez-y-en aussi,

100Je vous en pry, ung bon loppin.

DE MIEULX

Aura-il assez de cecy?

LA PREMIERE

Ha! saura mon, par saint Gobin!

Or avez-vous trestout parfait?

ESPOIR

Ouy dea, tout cecy est parfait,

105Au moins tantost que je ne mente,

Fault-il point couldre ceste fente?

LA PREMIERE217 vo]

Il est tresbien, je m’en contente.

Nous faisons trop longue atente.[-1]

Ma seur, estes-vous despeschée?

LA SECONDE

110L’euvre sera tost achevée,

Il ne fault que ung peu bouter.

LA PREMIERE

Ha! dea, je vous veil contenter

De vostre peine, c’est raison,

Que vous fault-il?

DE MIEULX

Sans achoison,

115Ce que vouldrez, je vous pardonne.

LA PREMIERE

Tenez, velà que je vous donne!

Estes-vous bien de moy content?

DE MIEULX

J’en vouldroye avoir autant

De tous ouvrayges que je foiz!

120Au moins baisez-moy une foiz,

Ains que de partez de ce lieu.

LA PREMIERE

Voulentiers pour dire à Dieu!

Ne vous chaille dor[e]navant:

Je vous viendray voir plus souvent!

DE MIEULX

125Quant vous plaira tout acommant.

LA PREMIERE

Certeinement je m’en voys voir

Que ma voisine peut tant faire.

DE MIEULX

Vous ferez bien vostre debvoir.

LA PREMIERE

C’est bien temps de nous retraire!

130Seur, a’ vous payay vostre homme?

LA SECONDE

Il ne reste pas grant somme,

Or tenez, velà vostre compte.

Se n’est assez, dites sans honte.[[133]]

ESPOIR

J’en ay as[s]ez, je m’en contente,

135Ne m’espargnez, mignone gente!

LA SECONDE

Certes je suis bien conseillé[e]!

[ESPOIR]

218 ro]A tout le moins une acollée

Me fault avoir et ung baiser!

LA SECONDE

Pas ne le vous doibs refuser!

140Adieu vous dy jusques au revoir![+1]


 [[ Print Edition Page No. 286 ]] 
ESPOIR

Je pry à Dieu de mon pov[o]er

Que il vous doint vostre desir!

LA PREMIERE

Adieu! jusques au revenir,

Qui sera bientost pour vous voeir.

DE MIEULX

145Ce que ferez sera debvoir,

Adieu! vous dy, la belle fille!

LA PREMIERE

Ce mignon là sçait bien le stille,

Il besongne bien sans cesser.

LA SECONDE

L’autre m’a fait chose utille.[-1]

LA PREMIERE

150Le mien n’a garde de me blesser,[+1]

Ma foy, il est bien eslargy.

LA SECONDE

Le mien ne l’estoit qu’à demy,

Mais present est oultre mesure.

LA PREMIERE

Onc ne fut si bon embourreure

155Qu’il m’y a mis, à mon advis,

Il est bas heure, je vous pleuvis.[+1]

Allons-nous en hastivement!

LES DEULX FEMMES ensemble

Mes seigneurs, adieu vous command!

ESPOIR

Certes j’ay eu tresbon payement

160Cy estoit nostre adventure.[-1]

DE MIEULX

J’ay bien ouvert son bas devant.

ESPOIR

Certes j’ay eu tresbon pay[e]ment.

DE MIEULX

Porté m’y suis honnestement,

Je luy ay fait bel ouverture.

ESPOIR

165Certes j’ay eu tresbon pay[e]ment.

218 vo]Cy estoit nostre adventure.

DE MIEULX

Mon compaignon sans nul murmure,

Il nous fault aller pionner

En quelque lieu de cest argent.

ESPOIR

170Or alon au Lion d’argent

Toute la nuyt bien chopiner.

DE MIEULX

Il est temps de nous en aler,

Car il est tard, disons à dieu!

ESPOIR

Seigneurs, qui estes en ce lieu

175Vous avez cy veu nos esbatz

Et avez bien peu voir le stille

Com les femmes de ceste ville

Font devant embourrer leur bas:

Des bonnes nous ne parlon pas.

180Cy avons fait nostre povoir.

Encore elle[s] ont espoir[-1]

De mieulx en mieulx y proceder

Donnent argent pour rembourrer.

Sommes voullus habandonner

185A bien leur faire courtoisie,

Vous plaise à nous pardonner

S’avons failly, je vous en prie.

EXPLICIT

NOTES

 [XXXVI.] Farce des Femmes qui font rembourrer leur bas. Moralité (si l’on peut dire) pleine d’équivoques grossières, où une allégorie Espoir de Mieulx est coupée en deux, Espoir et de Mieulx, ce qui est assez surprenant.

 [20] sçaroit, saurait.

 [60] on attendrait le masculin.

 [64] à destroit avec difficulté.

 [114] sans achoison, sans discussion.

Endnotes

 [29,] Devant “suis-je bien?”, le Ms. répète: (la première).

 [133,] O: Ce.

 [140,] O: au revenir.

 [180,] O: Gy.


 [[ Print Edition Page No. 287 ]] 

XXXVII
219 ro] FARCE NOUVELLE
A QUATRE PERSONNAIGES DU SAVETIER QUI NE RESPONT QUE CHANSONS
*

  • C’est assavoir:
  • LE SAVETIER [SANDRIN]
  • SA FEMME [CLAUDINE]
  • SON VARLET [NAUDET]
  • LA VOISINE [YSABEAU]
NAUDET commence

Ha! hem! je sçay bien ce que je sçay,

Il est bien fol qui se marie.

SANDRIN

Naudet, Naudet!

NAUDET

Il a grant soif,

Ha! hem! je sçay bien ce que je sçay.[+1]

SANDRIN

5Naudet, Naudet!

NAUDET

Je iray, je iray,

Mais par saincte Vierge Marie,

Hem! je sçay bien ce que je scay,

Il est bien fol qui se marie.

SANDRIN

Si vous ne venez, je parie

10Vostre perte.

NAUDET

Il y bauldra belle,

Tenir veult train de seigneurie

Et n’a que une escabelle.

SANDRIN

Et viens à moy, quant je t’appelle.

NAUDET

Et me voicy, que vous fault-il?

SANDRIN

15Que tu mectes appoint ma selle

Vistement sans plus de babil,

Tu deusses estre prompt et gentil,

Quant l’on t’envoye en ung messaige.

NAUDET

Ma foy, je suis assez subtil,

20Quant je suis en nostre villaige,

On dit que je suis le plus saige

Que mon grant frère aisné Pronet.

SANDRIN

Tu me semble par trop vollaige.

NAUDET

Ha! dea! je tiens bien le vanet

25De messire Jehan Friponnet,

Quant les gens viennent à l’offrande.

Voy quant je pyssoye au cornet,

Aussi me dist ma mere grande,

Que s’aucun ma teste demande,

30Bien me gard de la luy bailler.

SANDRIN

Fay ce que je te commande[-1]

Vistement.

NAUDET

Ham! je bealx (sic) aller

Cous(s)er, car moy je veulx tailler

Ung soulier selon ma finesse.

SANDRIN219 vo]

35Voicy ung vaillant futailler

Et tu n’es pas maistre.

NAUDET

Et pour quoy esse?[+1]

C’est quant demain fuz à confesse,

Vous distes à messire Gaultier

Que je subtenoys ma maistresse.

SANDRIN

40Et fay, se tu veulx, ton mestier.


 [[ Print Edition Page No. 288 ]] 
NAUDET

Il vit bien que j’estoye routier

Et si me dist par Dieu encore

Que j’avoye plus fresche memoire

Que homme qui fust en mon lignaige.

SANDRIN

45Or tu me la corne bien sore,

Naudet, tu as trop de langaige,

Parpoincte moy tout ce mesnaige

Et mectz tous mes hostilz appoint.

NAUDET

Aussi feray-je et je m’engaige

50Puisque suis dehet et en bon point,

Chantons nous deux ung contrepoint.

SANDRIN

Je le veulx bien, j’en suis d’accord,

Mais cousez moy tousjours bon point.

NAUDET

Aussi feray-je sans discord.

Naudet et Sandrin chantent ensemble

SANDRIN et NAUDET

55Mesnaige, mesnaige,

Encores ne m’as-tu mye,

Mesnaige, mesnaige,

Encores ne m’as-tu pas.

CLAUDINE commance

Je m’en voys à luy tout le pas,

60Devant que prandre le repas,

Pour avoir une robbe nefve

Bien frisque, faicte par compas,

Pour vestir après son trespas,[[63]]

Lorsque de luy je seray vefve.

65Car souldain, puisque je vous treuve,

Gay, joyeulx, que je vous espreuve

Le vray père de mes enffans!

SANDRIN

La rose vermeille(cte)

Florist sur mes gans.

CLAUDINE

70Naudet, fay que j’aye une robbe

Puis que d’icy je ne me hobbe,

A la mode et à grans point!

NAUDET en chantant

La rose vermeille

Flourist sur mes gans.

CLAUDINE

75Et par nostre benoist Seigneur,

220 ro]Sandrin, ce sera vostre honneur

Que j’en aye une sur mes flans!

NAUDET

Tant j’ay mengé de petis flans,

L’entendez-vous bien de cresme

80Après Pasques, car je les ayme

Par saint Jehan autant que ma mère.

CLAUDINE

Et entendez à moy, Sandrin,

Mon amy, s’il vous plaist ung brin

Et n’en auray-je pas une

85Voir aussi bien comme [chacune],†

Dictes mon amy, mon trestout?

SANDRIN en chantant

Or va de bout, de bout, de bout,

Dieu gard de mal la cheville

Au va va de bout, de bout

90Qui soupire par le bout.

CLAUDINE

Mon amy, vous prendrez loisir

A moy tout à vostre plaisir,

Quant vous me voirez bien jolye.

SANDRIN en chantant

Picardie la jolye

95Oblier ne te puis,

Pourquoy m’as-tu laissée

Aux gallans du pays?

CLAUDINE

Tous mes amys sont esbahys

Comme je voys par le pays

100Atout ceste cy dessus terre.

SANDRIN en chantant

Tel parle de la guerre

Qui ne sçait pas que c’est,

Je vous jure par mon âme

Que c’est ung piteux faitz.

105Il y a maint bon homme

NAUDET

Et maint bon compaignon

Qui y ont perdu la vie.

SANDRIN en chantant

Et robbe et chapperon liron.


 [[ Print Edition Page No. 289 ]] 
NAUDET en chantant

Et halle la viron.

CLAUDINE

110Regardés, ma seur Marion

En a une frisque et tant belle

Et faicte à la mode nouvelle

Et ma mère, à Dieu pardoint,

Portoit sa robbe en ce point[-1]

115En une feste sollempnelle.

SANDRIN en chantant

A vous point veu la Perronnelle

Que les gensdarmes ont enmenée,

Ilz ont habillée comme ung paige,

C’est pour passer le daulphine.

CLAUDINE

120Et vous ne m’avés rien donné,

220 vo]Puis le jour que nous esposasmes

Et, le jour que nous mariasmes,

Une robbe vous me promistes,

Ne faistes pas o, voire dictes,

125Respondés moy à ce passaige.

SANDRIN en chantant

Marguerite de franc couraige

Elle a prins sa cruche,

A l’eau s’en est allée.

Ce dist Lazaron (sic):

130Helas! j’ay changé d’amours.

NAUDET

Ilz passent, ilz sont aux faubours

Ces marchans que vous veistes yer.

SANDRIN

Naudet, n’esse pas bon mestier

Que savetier quant il gelle?[-1]

CLAUDINE

135Si ne le faictes, j’en appelle

Devant Dieu, hélas! sur mon âme,

Je suis bien maleureuse femme

D’avoir tel mary rencontré,

De dueil j’en ay le cueur oultré.

140Sandrin, Sandrin, je vous renomme,

Sur mon père, ung meschant homme

De povre sorte et deshonneste.

SANDRIN en chantant

Et Dieu te doint bon jour Jehanne(tte),

As-tu point veu Barbazans?

145Il s’en va parmy l’oranne

Conquester ces Allemans.

CLAUDINE

Femmes de maraux et caymens

L’on veoit mieux que moy acoustré[e]s,

Dressées, troussées, preparées

150De robbes dessus et dessoubz

Vrebis pour moins de trois vingts solz,

Vous auriés ce que je demande.

NAUDET

Se vous faites ce qu’elle commande,[+1]

Maistre, il vous coustera argent

155Pour tenir tousjours son corps gent

Comme celuy de ces bourgeoises

Qui sont tant mistes et courtoises.

CLAUDINE

Pas ne demande estre si frisque

Car seullement veulx sur ma fique

160Maintenir ung peu nostre estat.

NAUDET

C’est ce qui fait maint advocat[[161]]

Larron, car n’a d’or ung tas,

Il ne peul[t] fournir aux estatz

De sa mère, qui veult braguer.

CLAUDINE

165Hé! tu ne fais que braguer,

Babiller, troubler, m’empescher†

221 ro]Que je n’aye du drap pour trancher

Ceste robbe que je demande

Soubdainement ou je m’en voys.

SANDRIN en chantant

170Au boys, au boys, Madame,

Au joly boys m’en voys,

Au boys, au boys, Madame,

Au joly boys m’en voys.

CLAUDINE

Tousjours chantez à plaine voys,

175Ne respondés rien à propos,

Dont je prie Dieu que maul repos

Vous puissés avoir ceste nuyt!

SANDRIN

C’est tout pour vous cela vous duyt.

NAUDET

Et je luy en quicte ma part.


 [[ Print Edition Page No. 290 ]] 
CLAUDINE

180N’estes-vous pas ung fort testard

Obstiné, meschant et testu,

Et si mon corps est bien vestu

Honnestement selon ma sorte,

Ung chascun plus d’honneur m’en porte

185Et, ce qui est chose plus grande,

Des premiers voys à l’offrande

Et me tiens ung peu plus haultaine.

SANDRIN en chantant

Je n’ay que trois brains d’avoyne

Et si ne les puis vanner.

CLAUDINE

190Me la voulés-vous point donner

Dictes, ou je m’en iray?[-1]

SANDRIN en chantant

Et allons, allons gay,

Gayement ma, mignonne,

Marchons, marchons gay

195Gayement vous et moy!

CLAUDINE

Je suis grandement en esmoy

Qu’ilz ont toux deux tant à chanter

Et t’en deusse tu guementer,

Dy, belistre, mauldit garson!

SANDRIN en chantant

200Tritouyn au vert buisson

Ma mere lairon,

Tritouyn au vert buisson

Domy tu don.

CLAUDINE

Hem! il est vray et semidon

205Compter je le voys à mon sire

Et si par don je le voys dire

A la voisine de nostre hoste.

SANDRIN en chantant

Adieu, adieu! Kathelinote,

Gentil fleur de Lymozin!

210Voise sur son grant cousin

Ou sus son père le compter.

221 vo]Si ne feray-je de chanter,

Me mocquer, me taire du tout.

NAUDET

Vous scavés, par le premier bout,

215Qui vouldroit tousjours acorder

Tout cela que peult demander

A son bon mary une femme,

Ce seroit l’oeuvre Nostre Dame,

Car ce ne seroit jamais fait.

SANDRIN

220Et puis je congnois en effect

Que femme est ung peu trop fine.

CLAUDINE

Dieu gard, ma seur!

YSABEAU

Dieu gard, Claudine!

CLAUDINE

A vous, ma seur Ysabeau.[-1]

YSABEAU

Comment vous va?

CLAUDINE

Bien mal, ma voisine,[+1]

225Dieu gard, ma seur!

YSABEAU

Dieu gard, Claudine!

Vous avés de tristesse ung signe

Qui vous trouble fort le cerveau.

CLAUDINE

Et vous, ma seur Ysabeau?[-1]

YSABEAU

Puis, que dit le cueur de nouveau?

CLAUDINE

230Qu’il dit? C’est nostre beau maistre,

Qui ne veult pas ung denier mettre

Pour une robbe que je veulx,

Ha! elle me tient près les cheveulx,[+1]

Mes commères.

YSABEAU

En bonne cause.

CLAUDINE

235Et ce qui grant douleur me cause,

C’est quant je luy viens demander,

Il chante.

YSABEAU

Sans vous l’accorder?

CLAUDINE

Ouy, ma mye!


 [[ Print Edition Page No. 291 ]] 
YSABEAU

Il est mauvais!

SANDRIN en chantant

Hau! mauvais, mauvais

240Garson mauvais.

YSABEAU

Il chante?†

CLAUDINE

Je vous le disoye[[241 245]]

Qu’i chante, quant je luy en parle.

YSABEAU

Allons à luy et qu’on le gale,

S’il ne veult dire aultre chose!

CLAUDINE

245Il ne me deust pas esconduire,

222 ro]Car se ne fusse de ma seur,

Sur mon doulx père createur,

Il feust jà en terre pourry.

YSABEAU

Ainsi m’en eust fait mon mary,

250Si du premier commancement

Ne luy eusse estroictement

Montré mes dens. Quant est du myen,

Jamais de luy je n’en euz rien

Par flater.

CLAUDINE

Trop bien, mais ma mye

255Encor(e) vault-il mieulx qu’on le prye.

YSABEAU

Qu’uy prie à vous luy bailler belle,[[256]]

Il en deviendra plus rebelle

Envers vous et si vous batra!

Flatez villain, il vous poindra,

260Torchez-le, il vous sera doulx!

CLAUDINE

A garder si veulx-je avec vous

Luy demander encor ung coup.

YSABEAU

Allons donc, nous mectons beaucoup

Ha! vellé-là, je le congnoys.

SANDRIN en chantant

265Quant reverdira ce boys

Ce joly vert boys,

Ne reverdiras-tu mye

Se je y voys?

NAUDET

Maistre, vellà la revenir

270Avec sa commère Ysabeau

Et Chietouflecte Du Tableau.

SANDRIN

Il nous fault bon train tenir.[-1]

NAUDET

Mais regardez-les-moy venir

Affillées et bien ataillant.

SANDRIN

275Naudet, se vous n’estes vaillant,

Tout est perdu à ceste foiz.

NAUDET

Je suis plus hardy que Rollant,

Mais qu’on ne frappe point de boys.

YSABEAU

Mon compère, à ce que je voys

280Il y a desjà plus d’ung moys

Que vostre femme vous demande

Une chose qui n’est pas grande,

C’est une robbe seullement.

SANDRIN222 vo]

J’en vins hyer.

NAUDET

Aussi fiz-je voirement[+2]

285Querir ung pot de moustarde.[-1]

YSABEAU

Paix, que sainct Anthoine vous arde!

NAUDET

Sainct Jehan, qui vous puisse saisir!

CLAUDINE

Ouy, ma mye vellà le plaisir[+1]

Que me faict ce meschant garson.

YSABEAU

290Dea! vostre femme est de maison

Et est raison qu’elle soit honneste,[+1]

Aux dimanches et aux grans festes,

Quant elle va à ung disner

Sus quelque bourgeoise des[j]euner.[+1]

295S’elle est parée à l’avantaige

C’est vostre honneur: tant de langaige!

Par Dieu, Claudine, il le fera![+1]


 [[ Print Edition Page No. 292 ]] 
SANDRIN

Bien! quant esse que sera[-1]

Que vous donrrez à banqueter?

CLAUDINE

300Au devant il souloit chanter,

Mainctenant il resve, il songe.[-1]

SANDRIN

On m’a dit que le lyon ronge

La sainte paix dessoubz ung chesne.

NAUDET

Picqué me suis de mon alesne,

305Par Dieu le dyable y ait part!

YSABEAU

Tays-toy, se tu veulx, babillart![[306]]

Tu ne cesse de quaqueter

Avecques luy, si ferez cy.[[308]]

Pardon, il est tout en soucy

310De vous donner ung chapperon.

SANDRIN en chantant

C’est bon mestier Rue Faucheron,

Mais qu’elle durast longuement.

CLAUDINE

Jamais ne fera aultrement,

Par ma foy, je le congnois bien,

315Aussi ne gaignera-il rien

A la fin!

YSABEAU

223 ro]Dea! mon compère,[-1]

Ce vous est ung grant vitupère

Que vostre femme soit itelle

Et pour le drap d’une costelle

320Devez-vous estre si tenant?

SANDRIN

Ouy dea! monseigneur le lieutenant[+1]

Eust trois paires de solliers neufz,

Que vindrent querir ses nepveuz

L’autre jour en nostre maison.

CLAUDINE

325N’est-il pas bien hors de raison,

Mathelineur et hors du sens?

SANDRIN

Fy, que dyable est-ce que je sens?

Chassez ces chiens, ces femmes vessent!

YSABEAU

M’edieux les gens qui vous congnoissent

330Dient que vous avés grant tort.

Par elle avés tant de support,

Tant de confort, tant de service,

Puis vous scavés qu’elle est sans vice,

Elle est honneste, simple et saige

335Et pour ung petit de bagaige

Ne l’escondissés point, beau sire.

SANDRIN en chantant

C’est la lire, lire, lire, lire,

C’est la lire, c’est à recommencer.

CLAUDINE

Bien meschante suis de coucher

340A ton cousté, villain infame!

YSABEAU

Vous avés tort, par Nostre-Dame,

Sandrin, je le vous dy contant,

Se le mien m’en faisoit autant

Il ne me tiendroit pas une heure,

345Vous voiez comment elle pleure

Tant a [de] tristesse en son cueur.

CLAUDINE

Ha! se vous voiez, ma seur,

Comment je suis subgecte à luy,

Vous diriez que j’ay de l’ennuy

350Autant que femme de ce monde!

SANDRIN

J’ay grant peur que terre ne fonde,

Quant il n’y a plus rien aux potz.

YSABEAU

C’est bien respondu à propos,

Nous vous demandons une robbe.

NAUDET 223 vo]

355J’ay peur qu’on ne nous desrobbe[-1]

Deux ou trois paires de souliers.

CLAUDINE

Voyez comme ilz sont allyés

Le maistre et le varlet ensemble.

Ferés ce qu’on vous demande?[-1]

SANDRIN

360La lune me semble plus grande

Aucuneffoys que le soleil.

CLAUDINE

Jamais ne veistes son pareil,

Il n’en est ung tel sur terre.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 293 ]] 
SANDRIN

Il nous fault aller à la guerre[[364]]

365Par le sang bieu! delà les mons!

NAUDET

Si le Roy nous y a semons,

C’est grant folye de tant actendre.

YSABEAU

Vous ne voulés à nous entendre

Quelque chose que l’en vous dye.

SANDRIN en chantant

370A la duché de Normandye

Il y a si grant pillerie

Que l’on n’y peult avoir foison.

YSABEAU

N’est-il pas bien hors de raison,

Sot batheleur et enresvé?

SANDRIN

375Se une fois le More est trouvé,

Je croy qu’on luy fera sa reste.

YSABEAU

Accordés-nous nostre requeste

S’il vous plaist et dictes: “Ma mye,

Allez querir aulne et demye

380De drap sus celuy qui le vent!”

SANDRIN

Le pairier qui charge souvent

Ha! ha! hem! hem!

Doit bien mener soulas et joye

Que ce Dieu d’Aymer si actent.[[384]]

CLAUDINE

385Helas! n’estes-vous point content

Que j’en aye une belle et bragarde

A grans manchons et plaine mar[d]e

Bien frisque, bragarde et à tocquée

Et par derrière recrochée

390Ainsi que celles de ma tante.

SANDRIN en chantant

Prenés le temps, Bretons de Nantes,

224 ro]Prenez le temps comme il viendra!

CLAUDINE

Par Dieu, il m’en souviendra,[-1]

Je t’aseure bien longuement,

395Dea! mon père le te rendra,

Aten-t’y tout certenement!

YSABEAU

Par Dieu et son saint sacrement,

De brief tu t’en repentiras,

Vilain infame amerement

400Ou du pays tu sortiras!

SANDRIN

Hau! Naudet, quant tu mentiras,

N’espargne jamais verité.

CLAUDINE

Va vilain, ung jour auras necessité.[+3]

YSABEAU

Malle part et adversité

405Te puisse tumber sur la teste!

Adieu! requers que Povreté

T’acuille, vilain deshonneste!

CLAUDINE

Malle foudre et malle tempeste

Te puisse briser et destruyre!

YSABEAU

410Et exaulce nostre requeste

S’il te plaist, sans esconduire!

SANDRIN en chantant

Vous m’y faictes tant rire et tant rire

Madame Margot

Vous m’y faictes tant rire

415Quant j’oy ung gigot.

CLAUDINE

Va bellistre, quoquin, bigot,

Infame, larron, lanternier!

YSABEAU

Va infame, va loquetier,

Nous as-tu ainsi esconduytes?

420Tu voirras que tu y proffites

Quelque jour bien piteusement!
[Exeunt]

SANDRIN

Par chanter ou par aultrement

Ainsi s’en falloit-il deffaire.

NAUDET

Besongney avez saigement

425Par chanter ou par aultrement.


 [[ Print Edition Page No. 294 ]] 
SANDRIN

L’on ne sçauroit totallement

Au plaisir des femmes complaire.

Par chanter ou par aultrement

Ainsi s’en falloit-il deffaire.

NAUDET224 vo]

430Laissez femmes crier et braire

Sans parler à eulx ou respondre

Et vellà qui les fera taire!

SANDRIN

Taire où il faudroit respondre,

Mais je puisse en terre fondre

435Si jamais cesse de ch[a]nter,

Quant femme me vouldra confondre

Par babil ou par quaqueter!

NAUDET

Femme ne cesse de appecter

Bagues, robes, habitz nouveaulx

440Et puis de se dementer[-1]

D’avoir chaines et grans joyaulx.

Par ce, mes bons seigneurs loyaulx,

Quant voz femme[s] demanderont

Robbes, signetz et anneaulx,[-1]

445Chantez tousjours, ilz s’en iront.

SANDRIN

Ha! je vous jure à ung mot ront†[[446]]

Qu’il ne leur fault rien acorder

De tout ce qu’ilz appeteront,

Car tousjours veullent demander.

450Il vous plera nous pardonner

Si nous [n’]avons bien faict l’office,

Nous sommes gens pour l’amender

Les secondz grymaulx de justice.

FINIS

NOTES

 [XXXVII.] Farce . . . du Savetier qui ne respont que chansons.

 [32] je bealx, de baer, désirer.

 [145] l’oranne, on peut corriger en orannette pour la rime, mais cela ne donne pas un sens plus satisfaisant.

 [159] fique, à corriger en “physique”?

 [161] Peut-être allusion à Pathelin.

 [204] semidon?

 [256] vers peu clair.

 [271] Chietouflecte du Tableau, nom probablement altéré (Mitouflette?), et qui d’ailleurs m’est inconnu.

 [311] Rue Faucheron m’est inconnue aussi, mais peut-être un jeu de mots.

 [364] Ces vers peuvent servir à dater la pièce de la première expédition de Charles VIII en Italie.

 [387] marde, martre (fourrure).

 [446] hure (hérisse) peut-être à corriger en “jure.”

 [453] le dernier vers est la signature des clercs de la Basoche: pièce du Palais. Sur ceux-ci cf. Howard Graham Harvey, The Theatre of the Basoche, Cambridge, Harvard University Press, 1941.

Endnotes

 [29,] O: Que sauchaun.

 [12,] O: escabille.

 [45,] O: fore.

 [85,] O: comme ma mère [dittographie].

 [124,] O: Ne feistes.

 [119,] O: passé.

 [166,] O: troubles.

 [185,] O: se.

 [201,] O: laiore.

 [241, 245,] Texte corrompu, absence de rimes.

 [306,] O: ce.

 [308,] O: coupé en deux lignes de 4 syllabes.

 [384,] O: de aymes.

 [446,] O: hure.


 [[ Print Edition Page No. 295 ]] 

XXXVIII
225 ro] FARCE NOUVELLE
DES FEMMES QUI VENDENT AMOURETTES EN GROS ET EN DETAIL, MAIS L’ESGARD DU MARCHÉ LES MET A PRIS A QUATRE [SEPT] PERSONNAGES
*

  • c’est assavoir:
  • FINETTE
  • FIERETTE
  • [ENGUERRANT]
  • [VILLOIRE]
  • [L’ESGARD]
  • ADAM
  • MAL[E] PASCIENCE
FIERRETTE commence en chantant:225 vo]

En vollant amourettes, en vollant,

En vollant amourettes maintenant.

Comment ung cueur est fort dolent

Et desplaisant, quant il ne peut

5Faire du sien, ainsi qu’il veult,

Vendre ou donner tel qu’il est,[-1]

Il fault dire qu’i luy desplaist

Et n’est pas du tout à son ayse.

Je ne voy chose qui me plaise

10Aujourd’uy, velà ma devise,

Car j’ay ung peu de marchandise

Qui n’est pas de moy lointaigne,

Qui me fait tel soing et tel peine

Que tout mon povre cueur cravente

15Et est maintenant en sa vente

Ou jamais, vo[i]cy sa saison.

Si m’en convient faire raison

Avant que la fleur soit infâme.

Dieu gard! Finette!

FINETTE

Par mon âme,

20Fierette, ma mie et [ma] drue,

Vous soyés la tresbien venu[e]!

Certes, sans ce que mente point,

Vous venez aussi bien appoint

Comme se mandé je vous eusse

25Et ne sçay point qu’oncques je fusse

Pour ung jour en si grant fretil.†[[26]]

FIERRETTE

Avez-vous mestier de conseil

Où guièrre d’advis ne se fonde?

FINETTE

Ha! Fierrette, le plus du monde!

30Se vous ne fussiés cy venue,

Pour rien ne me fusse tenue

D’aller vers vous trestout batant.

FIERRETTE

Vous en estes quitte à tant[-1]

Et se Dieu plaist, tout ira bien!

35Or me dictes s’il y a rien

Où je puisse asseoir mon enseigne.

FINETTE

S’il y a rien, doulce compaigne?

Si a certes: soubz le mortier,

Plus qu’en ung grant jour tout entier

40Ma bouche ne vous sçauroit dire.

FIERRETTE

Et quoy dame?

FINETTE

C’est tout pour rire,

Je n’en mentirai j’à de mot.

226 ro]Touteffois je ne sçay qui m’ot,

Sommes-nous à nostre privay?

[FIERRETTE]

45Esse conseil fort desrivay

Qu’il y eust danger à l’ouïr?

[FINETTE]

Nenny, mais il fait bon couvrir

Son conseil; qui peult, ne fait mye.

Je te dy, Fierrette ma mye,


 [[ Print Edition Page No. 296 ]] 

50C’est, à parler cy priveement,

Que j’ay assez et largement

De gracieuses amourettes,

Doulces, plaisantes, nouvellettes,

Qui sont droictement en leur bruit

55Et que une fois feront fruit

Très largement, s’il vient à taille.

[FIERRETTE]

Et esse denrée qui vaille

S’il falloit qu’elle fust monstrée?

[FINETTE]

Aussi bonne et si not[o]rée

60Qu’on sçauroit trouver à Paris.

Seurement j’en ay à tous pris,

Si mon marchant trouver cuidoye.

[FIERRETTE]

Et aussi je le demandoye,

Pour cause que j’en ay aussi

65D’aussi joyeuse, Dieu mercy,

Qu’il y a point en ceste ville,

Mais une femme est subtille

Qui en sçait faire son prouffit.

FINETTE

Se je les vens, il me souffit,

70Mais que le prix soit bon et hault!

FIERRETTE

Hen! dea, par la Michaut[-2]

Tu veulx donc amourettes vendre?

FINETTE

Ainsi le convient-il [ent]endre†[[73]]

Croy que je ne les donray pas.

FIERRETTE

75Tu en vouldrois donc argent prendre.

FINETTE

Ainsi le convient-il entendre.

FIERRETTE

Amourettes sont si chier gendre,

Leur farois-tu passer le pas?

FINETTE

Ainsi le convient-il entendre,

80Croy que je ne les donneray pas

Et pour te dire tout mon cas,

226 vo]Je ay une grande pannerée

De belle et riche denrée[-1]

Que je vendray tost qui vouldra.

FIERRETTE

85A qui?

FINETTE

Au premier qui viendra,

Fault-il les marchans espier?

Je ne vueil âme coppier

Quant est à moy tous me sont ung.

FIERRETTE

A quel pris?

FINETTE

Au pris du Commun,

90Fault-il faire le rencheri?

Ung bon marchant gent et renchery[+1]

Verra tantost se c’est son fait

Et par ce point s’on luy surfait

Il yra barguiner allieurs,

95Soient des pires et des meilleurs.

Je n’y en compte pas ung ail,

S’on dit que je vens en detail

Mes amours gentes et jolies.

FIERRETTE

Finette, ce sont grans folies

100De faire ce que tu proposes.

Amourettes sont chières choses,

Qui ne se veullent engager

Ne vendre pour quelque denier,

Mais que riens se donnent et baillent,

105Mais que les requerent[se] le vaillent.

Trouvons chascun ung bon marchant

Riche, qui ait bon respondant,

Bien garny d’avoir et de rentes

Et luy bauldron[s], tel feur, tel vente,

110Nos amourettes tout en gros.

Telz aultrement nous blameront,

Qui n’oseront parler de nous.

FINETTE

On n’est pas aymé de tous,[-1]

Parle qui parler en vouldra,

115Homme escondit n’en sera;[-1]

Il me vient argent presenter:

Encore ne luy dit-il rien.


 [[ Print Edition Page No. 297 ]] 
ADAM

Or dictes-moy le moyen[-1]

Par quoy inferer vous povez

120Que plus de peine vous avez

En mesnage qu’entre nous hommes.

MALLE PACIENCE

Et pour ce que tousjours nous sommes

A l’hotel de si court tenues

227 ro]Que l’on nous voye emmy les rues

125Si non quant allons au moustier.

ADAM FIER DES COULLES

Encor ne fust-il jà mestier

De vous donner tant de [de]duit.

MALE PACIENCE

Et pourquoy?

ADAM

Il n’y a celluy,

Pour qu’estes fringante et gaillarde,

130A qui est ce gentil coursier

MALLE PACIENCE

Et puis s’en fault-il couroucer?

Il en y a assez pour vous.

ADAM

Mais trop.[[133]]

MALLE PACIENCE

Pourquoy doncques en estes-vous?

135Mauldicte soit la jalosie

Et fault-il avoir tant de plet?

ADAM

Le sang bieu, c’est la plus grant paix

Que je puis avoir à l’hostel.

ENGUERRANT

A plusieurs il en est autel,

140Pren en gré, Adam l’enfuiné,

Chascun n’a pas acoustumé

Le vent qui à usaige vente.

ADAM

Et puis après, Malle Pacience,

Que voullés-vous contre nous dire?

MALLE PACIENCE

145Je ne sçay.

ADAM

Il doibt doncques souffire.[+1]

MALLE PACIENCE

Hé! dea! je n’y pense point.

ADAM

Quelle memeoire!

MALLE PACIENCE

Et vous au point.

Nous buvons,

Nous lavons

150Nous foulons

Nous partons,

Nous seichons,

Nous playons,

Nos draps et la leine prenons

155A celle fin que nous tenons

227 vo]Nettement comme est necessaire.

ADAM

Est-ce tout ce que j’avons fait?

MALLE PACIENCE

Au moins ce ne sçauriés faire.

ADAM

Nous disons questions

160Trestous

Travaillons

Et veillons

Tant que nous merveillons

Comment tant nous travaillons

165Pour à vous voloir complaire

Et encore grief en avons,

Quoy que tendons à vous complaire!

ENGUARRANT

Enregistrez ces motz, Notaire.

MALE PACIENCE

Vous courez partout et vollez

170Et faittes tout ce que voullez

Et tousjours nous tenez contraintes.

ADAM

Dieu aussi! quant nous venons,

Quel laudes de vous nous avons!

MALE PACIENCE

Et quel laudes!

ADAM

Noises et complainctes.

MALE PACIENCE

175Et, par la croix bieu! c’est dommaige

Quant vous venés de garrouage,

On n’oseroit parler ung mot.


 [[ Print Edition Page No. 298 ]] 
ADAM

Et on endurera de vous!

S’il estoit mengé de gros poulx,

180On diroit que c’est ung vray sot.

MALE PACIENCE

Héé! on scet bien vos gouvernemens:[+1]

Quant venés de ces tavernes,

Dieu scet se on trouve à vous du bien.

ADAM

Quant venés de sur voz voisines,

185Voz comères et voz cousines,

On ne vous ose dire rien.

ENGUERRANT

Voicy le droit jeu,[-3]

Je ne sçay qui a le meilleur.

MALLE PACIENCE

On endurera de cecy.

ADAM

De vous

190On souffrera male pacience.[+1]

MALLE PACIENCE

228 ro]Héé! coquin!

ADAM

Hé! coquine infame!

MALE PACIENCE

Viel paillart!

ADAM

Hé! Vielle paillarde!

Le feu saint Anthoine vous arde:

On l’a trouvée au pilori.

MALE PATIENCE

195Hé! faulx parjure, on t’a fleury

D’une fleur de lys parmy le front.[+1]

ENGUERANT

C’est une histoire tout au long,

Par le sang bieu! c’est par son Dieu!

MALE PATIENCE

Tu es yvre!

ADAM

Tu as tant beu

200Que par Dieu, tu n’as teste entière.

MALE PATIENCE

Hé! meurdrier!

ADAM

Hé! faulce meurdrière!

MALLE [PATIENCE]

Garde-toy qu’au gibet n’acroches.

ENGUERANT

Ilz sont aux reproches,[-3]

Leur procès sera tantost fait.

MALLE PATIENCE

205Villain!

ADAM

Or [h]appe ce soufflet,

Me dois-tu apeler villain?

MALLE PACIENCE

Par la croix bieu! de ma main[-1]

Auras tel coup qu’il y perra.

ENGUERRANT

Et holà! mon voisin, holà!

ADAM

210Je te serviray.

MALLE PATIENCE

A la mort!

ENGUERANT

Par le corps bieu, vous avez tort!

ADAM

Beau sire, ne t’en mesle point

Je te mettray en tel point[-1]

Que d’ung moys tu ne lieveras†[[214]]

215Et deusse tout perdre.†

MALLE PACIENCE

Feras.

ADAM228 vo]

Tien!

MALLE PACIENCE

Nostre Dame de Boulloigne!

ENGUERRANT

Voycy tresmaulvaise besoigne,

Par le corps bieu, c’est mal fait.[-1]

MALLE PACIENCE

Esse point ung meurdrier parfait?

220Voyés en quel point il m’a mise.

ENGUERRANT

Et ne vous couroucés point.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 299 ]] 
MALLE PACIENCE

Navré m’a jusques à la mort,

Dictes-luy!

ENGUERRANT

Vous avez grant tort.

ADAM

Voisin, qui vous en fait parler,

225Je ne le vous vueil point celer,

Mais se n’estiés mon amy,

Je vous. . . .

ENGUERRANT

Beau sire, je vous pri(e),

Appaisés-vous, c’est vostre femme!

C’est une orde chose et infame

230De laisser à ung bon mesnage

Sa preude femme ainsi tencer,

Il ne vous est point honnorable.

ADAM

Or vous taisez de par le diable,

Qui vous puisse rompre le col!

235Vous en mellés-vous?

ENGUERRANT

Pour ung fol

On vous tiendra par ce moyen.

ADAM

Beau sire, il ne vous couste rien,

Que vous chault-il se je l’affolle?

ENGUERRANT

Que vous avez la teste folle,

240Le sang bieu! c’est honte à vous veoir,

Car je sçay qu’elle ne pretent

Qu’à bonne amour.

ADAM

J’en suis content.

ENGUERRANT

Estes-vous icy, villain jaloux?

FIERRETTE

229 ro]Et nomplus quoy, que dictes-vous?

245Vieux poussart, chaussez vos lunettes,

Estes-vous Esgard d’amourettes

Pour les priser à tel rabat,

Par l’arme qui au corps me bat,

Avant l’aurés pour ung denier

250Que jamais la fleur du panier

L’en voise à moins de deux salutz.

L’ESGARD

Touteffois ne vault-elle plus,

Vendez-la ce que vous pourrés!

FIERRETTE

Il fault dire que mettiés[-1]

255Donc ceulx-cy à pris bien commun.

L’ESGARD

Et par mon âme, c’est tout ung

En conscience et loyaulté

Ce ne fust pour la nouveaulté

Qui fist les choses plus vendable,

260Je le baille pour cas semblable.

Quant les cerises sont venues,

Celles qui premier sont venues

Se vendent mieulx la tierce part

Que celes qui viennent plus tard

265Et sont de plus grant rencherie,

Mais pourtant [ne] s’ensuit-il mye

Que mieuls [si] vaillent le[s] premières,

Mais bien souvent que les dernières

Se sont plus doulces et plus meures

270Et aussi au menger plus seures:

Le meilleur est le pis vendu.

FIERRETTE

Sus, sus, prisez le residu!

L’ESGARD

Or sus doncques pour le[s] gallans

Vendez les hardiment sis blanc

275A ung mot et sans riens rabattre.

FIERRETTE

Et ceulx-cy, à combien?

L’ESGARD

A quatre,

Rapportant l’aulne au quartier.[-1]

FIERRETTE

Comptés-vous le droict du courtier?

Parmy y est trestout comprins?

L’ESGARD

280Par ma foy tout est pour le pris

Et la pinte est du marché.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 300 ]] 
FIERRETTE

Le reffus est trop mieulx prisé

Que la fleur selon mon entente.

L’ESGARD

229 vo]Du prisaige soyés contente!

285Du prisaige c’est trop hongné,

Mais que [y] auriés vous gaigné?

Qui la feroit à prix si hault

Qu’elle vous demourast, dea! il fault

Faire tout com il appartient,

290Je ne dis pas se marchant vient

Qu’on en vende mieulx qu’on pourra

Et le marché vous apprendra.

Contentés-vous, il est concludz,

Car seurement il ne vault plus

295A tout vendre, pot et potaige.

VILLOIRE le Sotereau de villaige

Qu’il fait beau en si gros villaige,

Que Paris! C’est ung trèsbeau lieu!

Qu’il y a de chevaulx, mon Dieu,

Et aussi de gens par les rues!

300Haro! que les maisons sont drues!

A! il y en a plus de mille!

Quoy le moustier de nostre ville

N’est pas si grant de belle part

Mais où est ores ne quel part

305La rue qui fait les bongons:

Je y vendy antan deux oisons

A deux commères et ung cocq.

Mais comment? en tasche et en bloc

L’une m’apella son moureux

310Et dist que mes oisons tous deux

Si estoient couvés d’une pie

Et mon coq avoit la pepie,

Par mon serment dessoubz le nez.

Ha! dea! suis-je ainsi moqué?

315Je leur laisse tout et m’en voys.

Depuis je rapportay des noix

Tout plain une vieille catoire.

Ung grant bemus me fist accroire

Qu’elles avoient creu sus ung houx,

320J’en parlay, mais je fus escous

Sur me panse cinq ou six cops.

Maintenant rapporte des coqs

Je les vendrey cy qui vouldra.

FIERETTE

Sont-ilz à vendre?

VILOIRE

Et ouy dea!

325Ilz s’en vont à six blans les deux,

Couvez en may, s[o]nt-il jouyeux,

Or les prenez beaulx et gens!

FIERETTE

Veulx-tu deux souldz?

VILLOIRE

J’auray six blancz

230 ro]Et n’esse pas assez juray?

FIERRETTE

330Par mon seigneur saint Honnoray,

Velà ung tresvaillant propos,

Or ça, auray-ge tes deux coqz?

Tu auras vingt et six deniers.

VILLOIRE

Six blancz, et qu’esse en ces paniers?

335Sang bieu! que voicy de sornettes!

FIERRETTE

Meschant fol, ce sont amourettes,

Tu ne scay encore que c’est?

VILLOIRE

Si fais, peult-estre mieulx que vous

Et sans faire plus de procès

340Je les vouldroys bien employer.

FIERRETTE

Allés, sot, qu’on vous puist noyer!

Doibvent amourettes nottées

A ung tel sot estre livrées,[[343]]

Estes-vous pour bien les porter?

345Suis-je femme pour presenter

Amourettes à telz rebatz?

Passez, villain!

VILLOIRE

Dea! bucqués bas!

Sainte Katherine, quel bourgoise!

J’ay bien senty que son poing poise

350Et si ay perdu mes cochetz.

FIERRETTE

Encore aurés cecy après,

Ne joués point de telz folie!


 [[ Print Edition Page No. 301 ]] 
VILLOIRE

Haro! comment amours series,

Sont à Paris fort rencheri[e]s,

355On n’en peult finer pour l’argent.

Ha! damoiselle au corps gent,

Tenez bien la denrée chière,

Vous estes maintenant grossière,

Mais vous serés ainsi que l’en faille[+1]

360Des bourgoisses de basse taille.

Prenez en gré je vous en prie,

Adieu, toute la compaignie!

EXPLICIT.

NOTES

 [XXXVIII.] Farce des Femmes qui vendent Amourettes. Combinaison fade et mal conduite de farce, sottie (cf. le Sotereau) et moralité, de provenance parisienne (cf. Introduction).

 [176] garrouage: lieu de débauche.

Endnotes

 [26,] O: aussi g. f.

 [42,] O: mentiras. De 44 à

 [63,] O: intervertit les personnages.

 [73,] O: rendre.

 [74,] O: Croye.

 [84,] O: quil v.

 [92,] O: V. t. ce s’est s. f.

 [133,] O: vers incomplet.

 [180-190,] O: texte assez corrompu.

 [214,] O: Se.

 [220,] O, ne rime pas.

 [320,] O: je finx escopr.

 [343,] O: Doibves.


 [[ Print Edition Page No. 302 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 303 ]] 

XXXIX
[230 verso blanc]
231 ro
FARCE NOUVELLE
TRESBONNE ET FORT JOYEUSE DE MAHUET QUI
DONNE SES OEUFS AU PRIS DU MARCHE ET EST
A QUATRE PERSONNAIGES
*

  • C’est assavoir:
  • MAHUET
  • LA MERE
  • GAULTIER
  • LA FEMME

[vignette]

MAHUET

LA MERE commence231 vo]

Dieu gard la belle compaignie

De mal, d’ennuy, de vitupère,

Faictes joye et chière lye!

Dieu gard la belle compaignie!

5Je suis venue ceste partie

Pour trouver mon filz par saint Pere,

Dieu gard la belle compaignie

De mal, d’ennuy, de vitupère!

Hau! Mahuet!

MAHUET

Que vous plaist, mère?

LA MERE

10Vien tost à moy sans arrester!

MAHUET

Et quoy me demande mon père?

LA MERE

Hau! Mahuet!

MAHUET

Que vous plaist ma mère?

LA MERE

Viendras-tu point?

MAHUET

Et par sainct Pere,

Je ne me puis si tost haster.

LA MERE

15Hau! Mahuet!

MAHUET

Que vous plaist, ma mère?

LA MERE

Vien tost à moy sans arrester!

MAHUET

Quoy?

Me voulez-vous donner à disner,

Sont les pois cuyz?

LA MERE

Il te fault aller à Paris

20Pour faire argent, soyez certain.

MAHUET

A Paris, ouy, c’est à demain,

Je ne sçaurois par où aller.

LA MERE

Vien ça, doit-on entrer

Sans saluer, esse la guise?

MAHUET

25Den! bon jour, mère!

LA MERE

Quant j’advise

Ton gentil corps et ton visaige,

Tu es bien taillé d’estre saige

Et d’avoir bon gouvernement,

Se peulx vivre.


 [[ Print Edition Page No. 304 ]] 
MAHUET

Seurement,[-1]

30Encore prins-je devant hyer

Trois pinssons sur ung pommier

Et quatre moyneaux sur no toit.

LA MERE

Certes, beau filz, il te fauldroit

A Paris promptement aller.

MAHUET

35Et quoy faire?

LA MERE

C’est pour porter232 ro]

Vendre la craisme et noz oeufz,[-1]

Il sera demain feste, beaux dieux,[+1]

Feras-tu pas bien la besongne?

MAHUET

Ha! Nostre Dame de Boulongne,

40Me fault-il devenir marchant,

Par où iray-je?

LA MERE

Tout batant.

MAHUET

Je ne sauroyes trouver la voie.

LA MERE

Si feras, j’auroyes grant joye

Se tu povois devenir saige,

45Charge tost!

MAHUET

Vous dictes raige,

M’en iray-je sans dejuner?

LA MERE

Vele du pain, pense d’aller,

Charge ce cophin bonne aleure!

MAHUET

Dieu me doint bonne adventure,

50Dea! ma mere, venez çà!

Dictes-moy à qui vendray-je ces oeufz?

LA MERE

Or entens doncques, beau fieux,

Donne les au pris du marché.

MAHUET

Ainsi fera[y]-ge.

LA MERE

55J’ay songé se tu fais bien et sagement

Que je te mariray richement[+1]

A la plus belle de la ville.

MAHUET

Et je vous jure, par saint Gille,

Que j’en feray bien mon devoir.

LA MERE

60Et aussi pourras bien avoir

Une belle robe bourgoise.

MAHUET

Je la veulx avoir bourbonnoise

A gros crochés parmy la pense

Et je vous dis que sans doubtance

65La besongne trèsbien feray.

Donnez à menger à nostre gay

Que j’ay laissé en nostre four!

LA MERE

Aussi feray-je, fieulx.

MAHUET

Hé! beau jour[+1]

Et beau temps me puist advenir!

70A Paris vois, si puis venir,

Je ne fuz oncques en ma vie.

Dea! mere, n’oubliez mie

A donner à noz chatz à boire,[[73]]

232 vo]Hélas! le petit a la foire,

75Machez-luy ung peu de gasteau.

LA MERE

Et que tu es ung sot lourdeau,

Que le corps de toy est peu saige!

MAHUET

A Paris vois sans arrestaige.

Se Dieu plaist, j’aperçois les murs,

80Sont-ilz fais de formages durs?

Ilz ont cousté beaucop d’argent.

Saincte sang bieu! que de gens,

Beau sire Dieu! que de carneaux!

mène-on paistre pourceaux,

85Il n’y a herbe ne verdure?

Je deschargeray bonne aleure.

Entandis vendra, bien le scay,

Le Pris du Marché cy endroit.


 [[ Print Edition Page No. 305 ]] 
LA FEMME qui marchande

Dy-moy, compains, sans plus de plait,

90Que je paieray de ces oeufz-là?

MAHUET

Non feray, non!

LA FEMME

Et pourquoy?

MAHUET

Dea! mère ne l’a pas dit.[-1]

LA FEMME

Or me dis donc sans contredit

Que je paieray du quarteron?

MAHUET

95Et je vous dis, dame, que non

Et deusse(s) estre pour tout vray

Jusqu’à demain prime sonnée,

Ma mère qui est advisée

Le m’a chargé à ce matin.

LA FEMME

100Le pris en est par sainct Martin

Depuis ung moys ou environ

A dix deniers le quarteron,

Or m’en baille, si m’en iray.

MAHUET

Et par Sainct Nicolas non feray,

105Le Pris du Marché ma mère ayme.

Par ma foy vecy belle craisme,

Saincte sang bieu, qu’elle est doulce,[-1]

Par le corps bieu, qui qu’en grousse,[-1]

Une souppe y feray sans plus,

110Benedicite dominus!

Hélas! mère pour Dieu mercy

Et que sanglant deable esse cy?

Je ne sauroye ravoir mon pain

Ne aussi ne feray ma main

115Et comment coucheray-je noz gelines

Et noz poulles,

Jamais ne les pourray taster[-1]

Quant ilz auront oeufz?

Le Pris du marché de mal feux

120Puisse-tu avoir les piedz ars!

Au moins se le meschant coquars

Vensist pour avoir le surplus!

LA FEMME

233 ro]Dictes, Gaultier, estes-vous venus,

Venés, escoutés bon resveil!

GAULTIER

125Et de quoy?

LA FEMME

C’est d’ung soterel

Que j’ay trouvé parmy la Halle,

Lequel porte des oeufz la galle

Et point ne les veult vendre

Et si m’a donné à entendre

130Qu’au Pris du Marché les donra,

Ainsi la mère chargé luy a

Et pour ce, se vous estes rusé,

Vous aurés la panerée,

Dictes à la vollée

135Que du marché estes le Pris,

Vous les aurés et sera pris:

Bien semble sot, par ma foy.

GAULTIER

Et par mon âme, je le croy,

Je m’en vois tout droit à luy

140Et luy diray, je vous affy,

Que ce suis-je certainement.

LA FEMME

Or y allez donc vistement

Et le servez de motz courtoys!

GAULTIER

Dieu gard le compaignon galloys

145Et vous envoye Dieu bonne sepmaine![+2]

MAHUET

Saincte sang bieu, qui vous amaine?

Je ne scay qui vous estez, non!

GAULTIER

Le Pris du Marché c’est mon nom,

Beau filz ne me congnois-tu point?

MAHUET

150Saint Jehan, vous venez bien apoint,

Or chargez ce cophin, beau sire.

GAULTIER

Grant mercis y chet bien dire,[-1]

Huy ne trouve qui tant me donnast.


 [[ Print Edition Page No. 306 ]] 
MAHUET

Se me mère ne vous aymast

155Pas ne les vous eust envoyé,

Or prenez tout.

GAULTIER

Par sainct Eustace,

Elle est femme de bonne vie,

Où demeures-tu?

MAHUET

Sans envie

Je demeure en nostre ville.

GAULTIER

160Tu es ung gent filz et abille,

Comment t’appelle-on?

MAHUET

Mahuet.

GAULTIER

Ung bon bourgeoys d’ung tel varlet

Seroit bien servy, par saint Leu,

Adieu, amys!

MAHUET

A Dieu fais veu,

165Je m’en revoys en nostre ville.

GAULTIER

233 vo]Advise que c’est cy peu, fille,[[166]]

On m’a ce cophin envoyé.

LA FEMME

Saint Jehan, c’est bien employé

Car point ne les vouloit vendre.

MAHUET

170Par sainct Michel à tout comprendre

Je ne m’en sauroye raller.

LA FEMME

Dictes, Gaultier, à brief parler

L’avez-vous point veu ravallé?

GAULTIER

Nenny vrayment.

LA FEMME

C’est mal allé

175Car on peut bien sans villenie

A ung fol remonstrer sa follye[+1]

Pour l’adviser une autre fois,

C’est aumosne.

GAULTIER

Ho! je y revois,

Croyez qu’il sera bien farsé.

LA FEMME

180Je vous pry qu’il soit bien renversé,

Je iray veoir la ruse,

Je le voy droit là où il muse,

Saincte Marie, quel huet!

Bien semble sot.

GAULTIER

Hé! Mahuet.

185Es-tu encores icy, beau sire?

MAHUET

Saint Jehan, ouy!

GAULTIER

Qu’esse à dire?

MAHUET

J’advise ces haultes maisons,

Point ne sont de telles façons

En nostre ville vraiement.

GAULTIER

190On t’a hideusement

Puis orains broullé le visaige.

MAHUET

Suis-je broullé?

GAULTIER

Et ouy se croy-je,

Où as-tu esté?

MAHUET

Suis-je broullé?

GAULTIER

Comment? dea!

195Tu es plus noir qu’une chouette,

Va toy laver.

MAHUET

Point ne me haicte,

Je ne sauroys où eaue trouver.

GAULTIER

Touteffois s’il te fault-il laver

Ou on ne te congnoistroit jamais.

MAHUET

200Sert-on à Paris de telz metz,

Les gens de bien hen! dea! dea!

Au premier qui s’en advisa

Dieu luy puist envoyer la foire!


 [[ Print Edition Page No. 307 ]] 
GAULTIER

Mahuet, se tu me veulx croire,

205Net comme une perle te feray.[+1]

MAHUET234 ro]

Et comment?

GAULTIER

Je te torcheray

Pour l’amour de ta bonne mere

Et par monsieur sainct Pere

Tu seras net comme une ymaige.

MAHUET

210Je le veulx bien.

GAULTIER

Hé! quel visaige,

Il n’est fait que pour regarder.

MAHUET

Hélas! se me povez oster

Ma main qui est dens ce pot cy

Il vous seroit bien remery.

GAULTIER

215Et qui t’a mys en ce danger?

Il m’en fault sçavoir le certain.

MAHUET

Et je voulois ravoir mon pain

Que j’avoye dedans bouté.

GAULTIER

Or escoute ma voulenté

220Et fais ce que je te diray

Ou sinon saches de vray

Que jamais n’en seras delivré.

MAHUET

Dictes tout.

GAULTIER

Je ne suis pas yvre,

Pource quant d’icy partiras

225Le premier que tu trouveras

Tu luy bauldras sans dire mot

Ung grant horion de ce pot

Sur la teste sans l’espargner.

MAHUET

Je le feray sans sejourner,

230Or montrez comment je feray!

GAULTIER

Ainsi.

MAHUET

Trestout ainsi. [Il frappe]

GAULTIER

Hé! hen!

Faulx garson tu m’as affolé.

LA FEMME

Sainct Mor les trompeurs sont trompez,

Car il vous a payé lourdement,

235Qu’en dictes-vous?

GAULTIER

Certainement,

Il m’en doit bien souvenir,

Qui se mocque d’ung sot par m’âme

A la fin luy en eschet blasme

Ou quelque meschef luy court sus:

240Je le sens bien.

MAHUET

Loué soit Jhesus,

Je suis delivré de mon pot,

Certes je m’en iray tantost

A ma mère bien en point.

LA MERE

Par monsieur Saint Remy de Raims,

245Mon filz demeure longuement

Si me peust aporter de l’argent

Il me viendroit trèsbien apoint.

MAHUET

Saint Jehan j’en suis bien en point,

La ville commence à aproucher.[+1]

250Se j’avoye ung flan[c] tout entier,

Je n’en ferois que deux morceaux,

Ma mère m’en donra de beaux,

Car j’ay bien fait la besongne.

Ha! Nostre Dame de Boulongne

255Je la voy, loué soit Jhesus,

Dieu gard mère, je suis venus,

J’ay bien fait vo commandement.

LA MERE

Benedicite Dominus!

MAHUET

Dieu gard! mère, je suis venus.

LA MERE

260Sainct Jehan, Saint Mor, Dieu de lassus

Me vueille garder de tourment!


 [[ Print Edition Page No. 308 ]] 
MAHUET

Dieu gard! mère, je suis venus,

J’ay bien fait vo commandement.

LA MERE

Fuy t’en d’icy.

MAHUET

265Dea! et comment?

Et ne suis-je pas vostre filz?

LA MERE

Certes nenny.

MAHUET

Qui m’a donc changé à PJaris,

Corps bieu, je n’en ay point de ris,

270Touteffois si avois-je au matin

Ces piedz et ces mains que vecy

Et si avoye ceste cotte icy[+2]

Le chappeau, ceste plume et ce visage,[+2][[273]]

Suis-je dont devenu sauvaige?

275On ne m’appelle point Drouet,

Je suis vostre filz Mahuet.

Se juré l’aviez par cent fois,

Ne suis-je pas doncques?

LA MERE

Nenny, je ne te vis oncques!

MAHUET

280Je voy bien doncques

Qu’on m’a changé à Paris!

Je le sçauray, par Saint Martin

Et m’y en iray demain matin

Pour veoir se seray retrouvé.

285Bonnes gens qui ouy avez

Nostre esbat, tout en saroys,

Adieu! vous dy, car je m’en voys.

EXPLICIT

NOTES

 [XXXIX.] Farce de Mahuet qui donne ses oeufs au prix du marché. Cf. Ancien Théâtre français, t. II, pp. 80-89, dont les personnages sont les mêmes, mais le texte tout différent, ce qui ferait penser à la transcription d’une comédie à l’improvisade à la façon de la Commedia dell’ Arte. Molière aussi, dans l’Impromptu de Versailles, conseille à ses acteurs d’improviser. Cette vue est confirmée par les irrégularités de la versification. Je ne signalerai que les identités avec leurs variantes.

 [48] cophin, notre Midi connaît encore le coufin, panier.

 [53] donne les etc. . . . ce vers qui est le thème de la pièce est identique dans les deux versions.

 [66] gay, pour papegay, perroquet.

 [73] A. Th.: De d.

 [79] A. Th.: Hau. hau j’a.

 [80] A. Th.: fourmage.

 [81] A. Th.: “Qu’ils o. c. d’argent à faire.”

 [84] A. Th.: Où paissent les p.

 [130] A. Th.: Et dit qu’ . . .

 [135] A. Th.: “Que le pris du Merché estes.”

 [146] A. Th.: Sang b.

 [166] Je ne comprends pas la fin du vers.

 [213] A. Th.: “Ma main de dedans ce pot.”

 [233] A. Th.: “Trompeurs sont volontiers trompez.” C’est aussi la leçon du Pathelin.

 [273] Ces deux vers identiques en A. Th., doivent avoir appartenu au canevas donné aux acteurs.

 [278] A. Th.: “Je voy bien qu’on m’a changé à Paris.”

 [285] A. Th.: “Adieu vous ditz, car je m’en vois.”


 [[ Print Edition Page No. 309 ]] 

XL
235 ro] FARCE NOUVELLE
A QUATRE PERSONNAGES DES III NOUVEAULX MARTIRS
*

  • C’est assavoir:
  • MARTIR MARIÉ
  • MARTIR EN PROCÈS
  • MARTIR EN MESNAIGE
  • et LA FIN

[vignette]

LES III NOUVEAULX MARTI[R]S

Imprimée nouvellement à Paris

[vignette]

MARIAGE commence en chantant: Christe audi nos!235 vo]
PROCÈS commence en chantant: Christe audi nos!
MESNAGE commence en chantant: Criste audi nos!

MARIAGE

En chair et en os

5Sommes troys martirs,

Qui gettons souppirs,

Où nul n’est des nos!

PROCÈS

A quoy tient que n(e) os

Ces galandinois

10Plains de desplaisir.

MESNAIGE

Christe audi nos!

PROCÈS

Christe audi nos!

MARIAGE

Christe audi nos!

En chair et en os

15Sommes trois martirs.

PROCES

Procès sans repos

Me fait pescher bos[[17]]

Sans quelque laisirs.

MESNAIGE

Mesnaige plaisirs

20M’a mis contre dos,

Christe audi nos!

MARIAGE

Christe audi nos!

PROCÈS

Christe audi nos!

En chair et en os

25Sommes trois martirs,

Qui gettons souppirs,

Où nul n’est des nos!

MESNAIGE

Sommes nous point pour trois suppotz

Les plus martyrs qu’on sçauroit dire?

MARIAGE

30Je croy Radamant et Mynos

236 ro]Juges d’enfer de mon martire.

PROCÈS

Procès me rompt tout et dessire,

Il est sans pitié ne mercy.


 [[ Print Edition Page No. 310 ]] 
MARIAGE

Mariage est des trois le pire,

35J’en croy la pluspart de ceulx-cy.

MESNAIGE

Mesnaige semble doulx sans si,

Mais c’est le plus larron du monde.

MARIAGE

En tous les trois n’a que soucy,

Mais mariage y sourhabonde.

PROCÈS

40Il fault voler comme une heronde

Soubz procès pesant comme enclume.

MARIAGE

Mariage est chartre profunde

De desplaisir et d’amertume.

MESNAIGE

Mesnaige son si acoustumé

45Faict cretir comme le gruel.

MARIAGE

Mariage soubz saincte plume

Souvent nourrist maint cucuel.

PROCÈS

Se Procès suyt ung cohuel

De toute sa force et vertu,

50Il ne luy lairra blanc ne bis

Sainct Debet-testu, ora pro nobis.
          Ca[ntet]

MESNAIGE

Sainct Congne-festu ora pro nobis.
          Ca[ntet]

Sainct Jouan cocu, ora pro nobis.

PROCÈS

De tous plaitz des esleuz viconte et assize

55De procureur du roy, promoteur d’eglise

Contre qui aval l’an j’ay maint jour assigné

Libera nos Domine!

MESNAIGE cantando

De charpentiers, couvreurs et massons

D’acroire mal courtoys leurs paines et fassons

60Sinon jusques à tant qu’à leur aise aient Digné.

PROCÈS

Libera nos Domine.

MARIAGE cantando

Des ribaulx et paillars, maintenans jeunes femmes,

Dont battant les maris appellent infâmes

Quant à leur despens ont beu et choppiné,

65Libera nos domine!

PROCÈS cantando

Saint Porteur de douleances et d’appeaulx

Sans apparence ne propos

236vo]Te rogamus, audi nos!

MESNAIGE

Sainct Ouvrier de faire de tous boys

70Coypeaux, tant de gresles que de gros,

Te rogamus, audi nos!

MARIAGE

Saint Souffrant qu’on larde à ta femme ses peaux,

Sans que tu clos l’oeil, ne tourne le dos,

Te rogamus, audi nos!

PROCÈS cantando

75Souveraine court d’eschiquier

Miserere nobis!

MARIAGE cantando

La besongne du bas mestier

Dona nobis pacem.

LA FIN

Mes enfans je n’entens pas cem

80Que par voz chansons voulés dire.

PROCÈS

Nous sommes trois qui par martire

Voulons estre canonisez,

Eslevez et solempnisez

Et mis en la grant kyrielle.

LA FIN

85Et comme esse qu’on vous appelle

Tous trois qui martirs vous nommés?

MESNAIGE

Mais vous, dame, qui nous sommés

De dire noz noms?

LA FIN

La Fin suis,

Qui bons et maulx couronner puis,

90S’ont persévéré juc à moy.


 [[ Print Edition Page No. 311 ]] 
MARIAGE

C’est donc à vous en bonne foy

Que nous nous devons adresser

Pour nostre martire dresser.

Si vous dy sans refariage,

95Que je suis nommé Mariage

Et voicy Mesnage et Procès,

Qui en grans paines et excès

Avons usé toutes nos vies.

LA FIN

Sçavoir fault s(e) avez desservies

100Des vrays martirs les aureolles,

Car pour dire en brefves parolles

Il me semble de prime face

Qu(e) avez tant eu d(e) eur et de grace

Au monde qu’il vous doit souffire,

105Ce n’est pas proprement martire

237 ro]Que mariage, mais soulas,

L[e]esse et tout plaisir.

MARIAGE

Hélas! bien au contraire l’entendés.

LA FIN

Procès aussi, se ne rendés

110Aultre cause d’estre martir,

Je ne vous sçauroye impartir

L’aureole.

PROCÈS

Raison pourquoy?

LA FIN

Pource que tous les jours vous voy

En la taverne au meilleur vin

115D’Evrecy ou de saint Silvin,

Mesmes à Caen ou à Rouen

Et s’il y a, par sainct Ouen,

Quelque bon morceau, c’est pour vous.

PROCÈS

Je avalle morceaulx de faulx goustz,

120Qui bien le sçauroit par ma foy.

LA FIN

Aussi quant regard de toy[-1]

Mesnaige, se aultrement ne ditz,

Tu faitz terrestre Paradis

Et bastiz oeuvres si plaisans

125Qu’i n’y ennuyroit en mil ans,

Ainsi n’as cause de toy plaindre.

MESNAIGE

Se vous me voyés contraindre[-1]

De massons et de charpentiers,

Couvreurs, houdeurs, plateurs, natiers,

130Sablonniers, tuilliers, canchierres,

Carreurs, marchans de pierre

Crier à l’argent après moy,

Diriez-vous par vostre foy[-1]

Que je seroye en Paradis?

LA FIN

135J’ay bien entendu tous vos dys

Et y a apparance grande

Que l’en doit à vostre demande

Acquiescer et temperiser,

Tant qu’on vous doit canoniser,

140S(i) avez tousjours en pascience.

MARIAGE

Dire vous vueil l’experience

De mon cas: j’ay espousé femme,

Qui a esté maistresse et dame,

A son plaisir m’a charié.

LA FIN

145Tu es martir marié.

MARIAGE

Je luy ay souffer[t] plusieurs jours

237 vo]Qu’en venant de veoir ses amours

Elle m’ait bien injurié.

LA FIN

Tu es donc martir marié.

MARIAGE

150Elle m’a contrainct à son paillard

Rire et monstrer plaisant regard

Après qu’il avoit verbié.

LA FIN

Tu es donc martir marié.

PROCÈS

J’ay, cuydant estre expedié,

155Juge et advocat festié

Que après payayes argent sçez.

LA FIN

Tu es donc martir en procès.

MESNAIGE

J’ay fait faire de grant volume

Cheminée où il pleut et fume,

160D’où tout gelé me fault partir.


 [[ Print Edition Page No. 312 ]] 
LA FIN

Mesnaige t’a donc fait martir.

PROCÈS

De paour d’estre mis en deffault,

J’ay tousjours, fait froit ou chault,[-1]

Esté en assises et plès.

LA FIN

165Tu es donc martir en procès.

MESNAIGE

Pour acheter vingt soulz de rente

Il m’en a fallu vendre trente

Sans raquit et les garantir.

LA FIN

Mesnaige t’a donc fait martir.

PROCÈS

170Chascun jour de l’an ajourné

Je suis cité et ajourné

Pour debtes, crimes ou excès.

LA FIN

Tu es donc martir en procès.

MESNAIGE

Il n’est jour de marché ou foire

175Qu’il ne me faille satisffaire

Quelque ouvraige encor à bastir.

LA FIN

Mesnaige t’a donc fait martir.

MARIAGE

Pour amplement vous advertir

Du martir que j’ay souffert,

180Je me suis de bon cueur offert

Touteffois qu(e) a esté besoing

D’aler querir jusque bien loing

238 ro]A boyre, tandis que(e) à ma femme

Messire Jehan aprenoit sa gamme,

185Sans en boire ma part de larme

Et s’il avoient eu trop court terme

De parfaire leur appetit,

Je son[ge]oye à l’huys ung petit

Et quaquetois à nos voisins,

190De paour qu’il ne fussent surprins

Deshonnestement sur le faict.

Je l’ay bien sceu sans mot luy dire,

Et, pour escroistre mon martire,

Je suis allé sans contredaing

195Querir l’eau à faire le baing,

Alumé le feu, nestoié l’aire,

Qu’on m’appelloit pour tout salaire

Villain ruffien ou marault!

J’ay cent foys payé, que pis vault,

200Le pot de vin ou le pasté

Dequoy je n’ay oncques tasté

Que bien petit par dessus l’espaule,[+1]

Après que ma dame estoit saoule.

Et quant le bas luy espouaingnoit,

205Messire Jehan, qui la besongnoit,[+1]

Failloit jour ou nuyt aller querre

Ou luy mener pour fuir guerre[-1]

Et luy laisser pour son plaisir

Deux ou trois jours tout à loisir,

210Faig[n]ant qu’elle y alloit pour coutre,

Si estoit, et pour dire tout oultre,

Mais ce n’estoit pas en drappeaulx

De linge ou à belles peaulx.[-1]

Avoyent une belle esguille asserée[+1]

215D’où tant de jour ou de soirée

Assembloient messire Jehan et elle

Leurs pièces avec la sequelle,

Puis quant messire Jehan estoit saoul

Du mestier, vecy le bon Raoul

220Contrainct par double de ranposne

A retourner la dosne[-2]

Et estre battu comme ung ours,

S’elle trouvoit rien à rebours.

Quant au regart des populos

225Je m’en donne ce bruit et los,

Combien que je n’y eusse rien,

Que je les traict(er)oye aussi bien

Que se j’eusse esté son papa,

Moymesmes faisoyes le papa

230Tous les matins et tous les soirs

Et si couché devers le bers

Pour bercer s’il estoit mestier

Et me le falloit nestoier

S’il avoyent chié ou pissé.

235Parquoy tout cela confesse,[-1]

238 vo]Je dy qu’on me doit impartir

La palme comme vray martir

Et que j’ay fait suffisant thesme

Pour recepvoir le dyadesme

240Et me mettre au grant kyrie.

LA FIN

Et vrayement martir marié

C’est droit, mais, pour ta conscience,

As-tu souffert en pascience

Le martir que tu as recité

245Jusque(s) à la fin?


 [[ Print Edition Page No. 313 ]] 
MARIAGE

En verité

Ouy, aussi vray que je la dis,

Autant que sainct de paradis

Pour l’amour que Dieu fist jamais

Et ay de tous mes mauvais mais

250De mariage esté servy.

LA FIN

Vrayement tu as donc deservy

Dyadesme, aureole et palme

Et estre en registre en l’alme[-1]

Kyrielle des vrays martirs

255Et, pour accomplir tes desirs,

Je suis la Fin qui te couronne,

En donna[nt] à toute personne

Qui vouldra festoyer ta feste,

Remission à ta requeste

260Des opprobes et des scandalles

Et des verballes et des royalles,

Injures comme coups de poing

De pié, de quenouille et de groing

Que sa femme luy pourra faire.

MARIAGE

265Mil mercis vous reffere,[-2]

Vous priant qu’en faveur de [moi]

Ma feste soit gardée en moy

Qu(e) amourettes sont de saison

Et je auray maincte oraison

270De la pluspart des tous ceulx-cy,

Qui viendront en humble mercy

Devotement et sans brairie

Instituer une frairie

Au nom du martir marié.

PROCÈS

275Je doys estre salarié,

Le fin louyer recepvoir[-1]

Du martire que j’ay peu avoir

Au procès que j’ay demenez.

J’ay au jour de l’an estrenez

280Juges, procureurs et conseulx

Et principallement tous ceulx

Que j’ay peu veoir toute la sepmaine[+1]

239 ro]Et ay prins pour aucuns la paine

De leur porter juc à l’hostel

285Et m’en retourner tout itel

Souvent sans boire ne menger.

Laissé me suis excommunier

Vers ceulx à qui argent devoye

Pour la grant amour que j’avoye

290A procès et n’ay eu regret

A faulce sentence ou decret

Qu’on ait contre moy proferée

Ne pour veoir ma maison jurée

Et infinis aultres excès

295Je n’ay point enhaÿ procès.

Commissaires et aultres gens

De pratique comme advocatz

Et procureurs donné repas

Touteffois qu’il ont calangé

300Sans avoir beu ne mengé.

Jamais en plaitz ne en assise

De court laye ne d’eglise[-1]

N’eu regret à me trouver[-1]

Ne se faignist de bien plouver,

305Neger, greller ou verglacer,

Ne craignis jamais à passer

Boullons d’auge ou noire vacques,[[307]]

Pour menaces ne pour micquemacques

De larrons ne coupeur de gorges;

310J’ay employé fourmens et orges

En payement d’avocatz et juges.

Bref, j’ay enduré les deluges

De excommegnéz et de prisons

Pour les faultes et mesprisons

315Que je n’avoye songé ne faictes.

Si vous pry que me satisfaictes

Du grant martire que j’ay souffert

En procès, comme il vous appert,

Et que au nombre des martirs soye.

LA FIN

320C’est bien raison que t’en pourvoye,

Car bien voy par experience

Qu’en douleur et en pascience

As pour procès souffert martire

Jusques en la fin.

PROCÈS

Pour le vray dire

325J’ay en advens et en karesme

Aymé procès mieulx que moy-mesme.

Sy pry que ma feste soit mise

En tant qu’est la court d’[e]glise[-1]

Ung jour de la saincte sepmaine

330Qu[e] excommegnés sont en grant peine

Environ les afferendons.

Si pourroient gaigner les pardons

239 vo]Quant et eulx en tant que la court l’aye.

Il ne m’en chault à quel jour je l’aye,[+1]

335Excepté à Nouël ou à Pasques[+1]

Car il n’ont point d’autres relacques

Soit en ordinaire ou en extra.[+1]


 [[ Print Edition Page No. 314 ]] 
LA FIN

Se m’en croix, on le mettra[-1]

Aux prochains plaitz d’après l’austage

340Qu[e] on est subjet à faire hommaige

Aux advocatz qui jeunent l’aoust

Et pour que ton martire vault

Que soyes ouÿ en ta requeste,

Tous ceulx qui garderont la feste,

345Faisant jeuner femmes et enfans[+1]

Pour mieulx festoyer les sergens,

Quelques aultres gens de praticques,

Soit en segret ou en publicque,

Seront assoubz de tous les cas

350Commis contre leurs advocatz

En signe de quoy je te donne

Ceste palme et ceste couronne

Et te canonise martir.

MESNAIGE

J’ay bien deservy à partir

355En l’aureole des martirs,

Car j’ay turquaises et saphirs,

Bagues et aultres pierrerie

En parois et meneuserie[[358]]

Empliez sans espargner rien,

360Du martire plus que ung chien

A bastir et maisonner,[-1]

Tant comme y ay peu foysonner

Et ay souffert benignement

Vivre sans quelque estorement

365Pour salarier mes ouvriers

Oultre ay sourachetté du tiers

Les matières souventeffois

Tant de quarrière que de boys,

J’ay payé taille au colleteurs

370Sans mauldire les assieteurs,

J’ay souffert que sergens amaces

Et coureurs emmenant mes vaches

Et lict et couette pour la taille

Et couché sur la povre paille,

375Sans dire qu’on me faisoit tort

Et que le diable en emport

Qui ainsi souvent me tempeste!

J’ay beu l’eaue comme une beste,

Sans que me passast par la gorge

380Rien avecque ung peu de pain d’orge,

J’ay veu larrons ardre mon boys

En soufflant de froit en mes doys.

240 ro]J’ay logé Cordeliers et Carmes,

Pardonneurs, sergens et gendarmes,

385Qui me despendoient tout le mien

Et si ne poyent de rien rien

Sinon parfoys coups de baston

D’où oncques en hault ne bas ton

Je ne filz plainte ne complainte.

390Aultre tribulation mainte

Ay souffert pour mesnagier

Juc en la fin sans enraiger.

Si conclu en brefve parolle

Que je doy le palme et l’aureolle[+1]

395De martir de Mesnaige avoir

Et solempnité recepvoir

En la nouvelle letanie.

LA FIN

Tu seras en la compaignie

Des martirs mesnaigiers logé

400Et le plus hault marti[r] logé

Emprès l’eglise de sainct-Jehan

Et tous les samedis de l’an

Sera commemoracion

De toy, c’est la signacion

405Que vrais martirs mesnaiges mettent

A leur ouvriers, s’ilz ne s’endebtent

Plus longuement, et gaigneront

Ouvriers, que leur peine acroiront,

Juc au jour de l’Ascension

410A disner pour leur pension,

Ainsi qu’il est acoustumé,

Et joxte ce que as resumé

Je te voys martir couronner.

MARIAGE

Seigneurs, qui n’osez mot sonner

415De voz femmes qu(e) aultruy bistoque,

Que d’ung baston en lieu de tocque

Ne vous soit la teste couverte,

Vous m’en devez chandelle verte,

Tout à ce premier jour de moy.

420Si sont ceulx qui doivent convoy

A leurs femmes jusques aux lieux

Et ceulx aussi qui clouent les yeulx

De paour qu’ilz ne voyent de rien rien,

Ceulx aussi qui louent gens de bien

425Et les festoient en leurs maison

De bons vins et de venaisons

Pour faire service à leurs femmes,

Ceulx aussi qui aux bonnes dames

Se laissent griffer ou batre

430Sans se rebiffer ou debatre,

Faignant estre geleusé d’eulx,

M’en doivent chascun une ou deulx

Au jour de ma confrarie![-1]


 [[ Print Edition Page No. 315 ]] 
PROCÈS240 vo]

Vous qui aymés tant plaiderie

435Qu’il vous est advis qu(e) Advocatz

Et Juges sont dieux icy bas

Et jeunez en pain et en eau

Pour leur garder maint bon morceau,

Comme j’ay fait toute ma vie,

440Et n’avoye d’autre chose envye

En l’une ne en l’autre court

Que de plaider au Temps qui court

Tant qu’estoys en procès noyé

Suspens ou excommunié,

445Ou en prison toutes les festes

De l’an, si de ma frarie n’estes,

Je vous requier tant que je puis

Estre martyr comme je suis,

Si aurez semblable couronne

450A celle que la fin me donne

Et n’oubliés pas voz offrandes.

MESNAIGES

Vous avez ouy les legendes

De trois nouveaulx martirs en terre

Que se voulez suivir et croire

455En bonnes promesses et veulx

Ilz vous feront martirs comme eulx,

Mais que vous n’y mettez obstacles!

MARIAGE

Vous nous verrés faire miracles

Devant qu’il soit guères de temps,

460Mais qu’on n’ennuye des assistens

De ce procès long charié

On faisoit fin sur kyrie

Cantando

Eleyson.

EXPLICIT

NOTES

 [XL.] Farce des III nouveaulx Martrys. En fait, Moralité.

 [17] Je ne comprends pas ce vers.

 [45] Je ne connais ni cretir ni gruel, ni cohuel (48).

 [307] Je ne comprends pas ce vers.

 [336] relacques, relax, repos.

Endnotes

 [358,] O: En pareis.


 [[ Print Edition Page No. 316 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 317 ]] 

XLI
241 ro] FARCE NOUVELLE
A TROYS PERSONNAGES
*

  • C’est assavoir:
  • MARTIN DE CAMBRAY
  • GUILLEMETTE sa femme
  • et LE CURÉ

[vignette]

MARTIN DE CAMBRAY

MARTIN commence241 vo]

Quel courcier et quel quarelet,

Quel musequin, quel corcelet,

Quel mirouer, quelle poitrine,

On me puist pendre au gibet

5Se je ne. . . .

GUILLEMETTE

Vostre fièvre cartaine!

MARTIN

Vous courroucez-vous, mon doulx cuninet

Ce je vous dy. . . .

GUILLEMETTE

Qui luy fait lait?

Laissez-moy en paix de par le dyable.[+1]

MARTIN

Par le sang bieu! ce n’est pas fable!

10Doncques ne fustes mieulx torché

S(e) il fault que je. . . .

GUILLEMETTE

Très bien cheminer.[+1]

MARTIN

Ha! je vous fourbiray pensser.

GUILLEMETTE

Dieu ait l’âme des trespassez!

MARTIN

Ça du chief gros que je besongne.

GUILLEMETTE

15Allez tost servir cest yvrongne!

MARTIN

Par le sang bieu! vous le sçaurez!

GUILLEMETTE

Par sainct Jehan vous mentirez!

MARTIN

Quelle truffelle dyablesse esse cy?

Vien cy!

GUILLEMETTE

Je suis bien cy!

MARTIN

20Ferez-vous ce c’om vous commande?

GUILLEMETTE

Nenny, par Dieu, je suis trop grande!

Mais me cuidez-vous faire pestre?

MARTIN

Par le sang bieu, je seray maistre!

GUILLEMETTE

Par la croix bieu! et moy maistresse!

MARTIN

25Vien avant!

GUILLEMETTE242 ro]

Par Dieu, non feray!

MARTIN

Or ça donc (se) je m’en passeray.

Je cuyde moy que tu te joues!

Bran pour toy!

GUILLEMETTE

Et merde en tes joues!


 [[ Print Edition Page No. 318 ]] 
MARTIN

Va-t-an chier!

GUILLEMETTE

Va-t-en menger!

MARTIN

30Cecy!

GUILLEMETTE

Cela!

MARTIN

Tant de fratras!

GUILLEMETTE

Fay du pis que tu pourras.[-1]

MARTIN

Ma damoiselle!

GUILLEMETTE

Monsieur?[-1]

MARTIN

Mais quel plaisir!

GUILLEMETTE

Mais quel honneur!

MARTIN

Vrayement je n’entens point cecy

35Regardez-la, c’est elle!

GUILLEMETTE

C’est il!

MARTIN

Et qu’esse cy bon gré sainct George?

Paix!

GUILLEMETTE

Enmy vostre gorge!

MARTIN

C’est tu, vieux cabatz, cul brenneux!

GUILLEMETTE

Mais toy, or[d] savetier brenneux!

MARTIN

40Ton père houssoit cheminés.[-1]

GUILLEMETTE

Et le tien curoit privés,[-1]

C’est ung mestier bien amoureux!

MARTIN

Le tien s’appelloit ramonneux

De cheminé[e]s, je le dy.

GUILLEMETTE

45Le tien estoit tousjours breneux

242 vo]Et s’apeloit maistre Fy Fy,

Pour Dieu, nous sommes bien et beau!

MARTIN

Ton grant-père estoit bourreau.[-1]

GUILLEMETTE

Et le tien tuoit les chiens[-1]

50Et escorchoit en la saison.

MARTIN

Sang bieu! vecy bonne raison,

Mais quant je te prins, qu(e) avois-tu?

GUILLEMETTE

Et toy tu estois tout nu,[-1]

Tu ne valois pas ung nicquet.

MARTIN

55Tu avois vestu ung roquet,

Encor estoit-il à rebours.

GUILLEMETTE

Et toy tu estois tout plain de poux[+1]

Qui te mengeoi[e]nt le cerveau.

MARTIN

Tu as menti par ton museau,

60Rongneuse, refleuse, mausaingne!

GUILLEMETTE

Tu mens, pourry, tout plain de taigne,

Je te mène au saint esperit!

MARTIN

Tu as menti dyable aspic,[-1]

Enraigé hors de la foy,[-1]

65Je te mettray en ung beau play,

Foy que doy Saint Pere de Romme!

GUILLEMETTE

Ha! par ma foy, tu n’es pas homme!

MARTIN

Tais-toy!

GUILLEMETTE

Mais toy!

MARTIN

Mais qu’esse ci?

Fi de ton corps, fy! fy! fy![-1]

GUILLEMETTE

70Mais fi de toy et de tes savates.[+1]


 [[ Print Edition Page No. 319 ]] 
MARTIN

Se je metz dessus toy mes pates

Je te mectray en lian[c]e couroie.

GUILLEMETTE

Je te crains beaucoup, par ma foi.

MARTIN

Et qu’esse ci, où sommes-nous?

75A[s]-tu honte de dire vous

A moy qui suis maistre passé

De mon mestier.

GUILLEMETTE

243 ro]C’est bien chié,

Tout en ce point que tu me dis!

MARTIN

Par le sang bieu de Paradis,

80Je suis icy bien arrivé,

Or sçavés quoy? je vous diray

Que je n’ay plus mot ne demy

Ou je regny!

GUILLEMETTE

Sy hary,[-1]

La Pasque bieu, se tu t’y metz!

MARTIN

85Et belle dame que j’aye paix!

C’est tousjours à recommencer.

GUILLEMETTE

Mais vous-mesmes qui ne cessés,

Je vouldroye que fussés mort,

Je vous certifie qu’avés tort

90Tout à bon essient se dient.

LE CURÉ

Je suis amoureux d’une dame

Et, trèsdoulce Vierge Marie,

Qu’est-ce d’estre amoureux?[-2]

Par Dieu je puis bien dire pie,

95Je ne fais pas ce que je veulx.

Povr[e] prestre et religieux,

Gens d’Eglise sont en grant peine:

Ilz vont et viennent en mains lieux

Pour chascun jour de la sepmaine.

100Et si ne sçavons trouver le tour[+1]

Comment je puisse par mon âme

Parler à elle n’à quel jour.

Son mary si est tant jaloux

Qu’elle n’ose passer le seuil,

105Mais, par Dieu, il en sera coux

Ou je vueil qu[e] on me crève l’oeil,

Je voy bien qu’il n’y a respit

Ou par ma foy j’enrageraye.

MARTIN

Guillemette, je vous diray

110Je vueil aller parmy la ville.

Se je devoye estre tué,

Sy me fault-il aller outer,

Crier mes sollés, oyez-vous?

Gardez bien l’hostel ou l’estrille,

115Orés je m’en rapporte à vous!

GUILLEMETTE

Garde-t’en bien! Comment qu’i soit,

Par Dieu g’iray à mon affaire.

MARTIN

Gardés bien l’hostel, il me plaist.

GUILLEMETTE

243 vo]Mais toy, se tu en as affaire.

MARTIN

120Et par Dieu vecy bon mistère,

Bon gré en ait Dieu de ma vie!

GUILLEMETTE

Que mauldicte soit jalousie

Que tant vous en estes feru.

MARTIN

Ha! j’ay bien veu ce que j’ay veu

125Autrefoys, il me touche fort.

GUILLEMETTE

J’auroie plus chier que fussiés mort

Par Dieu ou trainé au gibet!

Entendez-vous que l’eusse fait

Par celuy Dieu en qui je croix,

130Se ce non à ung à la foys

Je ne suis point non à cela.

MARTIN

A dea! Guillemette, cela,

Aussi vous tien-je preude femme

Mais foy que (je) doibs à Nostre Dame,

135Je n’en suis point bien asseuré.

GUILLEMETTE

Par la bieu, c’est bien juré,[-1]

J’araie plus cher estre enfoÿe!


 [[ Print Edition Page No. 320 ]] 
MARTIN

Par Dieu! je vous en croy ma mye,

Mais pour en estre plus affermé[+1]

140A la clef pour m’oster de peine.

GUILLEMETTE

Tu feras ta fièvre quartaine

Me cuide-tu ainsi tenir?

MARTIN

Se vous deviez du sens issir,

Si serés-vous [cy] enfermée.

GUILLEMETTE

145Une fois t’en feray repentir.[+1]

MARTIN

Rien ne vous y vault le fouir.

GUILLEMETTE

Maleureté te puisse ferir.[+1]

MARTIN

Faictes-vous doncques l’enragée?

Se vous deviés du sans issir

150Sy serez-vous cy enfermée.

GUILLEMETTE

Avant qu’il soit demain [à] vespre,

Par Dieu tu t’en repentiras!

MARTIN

Fait tout du pis que tu pourras!

GUILLEMETTE

244 ro]Faray.

MARTIN

A l’aventure[-2]

155Puisque je mys à ma saincture

La clef, suis-je pas bien et bel?

[GUILLEMETTE]

Je m’en vois bien garder l’hostel.

[MARTIN]

Guillemette, à Dieu vous commant!

GUILLEMETTE

Je prie à Dieu du firmament

160Que rompre te puisse le col!

MARTIN

Autant [en] emporte le vent!

Qui y prent garde, il est bien fol.

Par la foy que doy à saint Pol,

Femmes sont de telle nature:

165Tousjours mauldissent et conjurent,

Il m’en chault pas d’une noix!

LE CURÉ

N’esse pas Martin que je voy

Aller dehors de sa maison?

Se est-il à ceste fois.[-1]

170J’aray de mon moulin garnison,[+1]

Je suis ardant comme ung tison,

Tant suis de sa femme amoureux!

Je l’iré voir, veille ou non,[-1]

En despit de tous envieux.

MARTIN

175Je veulx crier cy souliers vieux

Pour veoir s’il aura ganaige:

Souliers vieux, houseaulx!”

LE CURÉ

Iray-ge?[-1]

Se il s’en va, je seray bien,

Je requier saint Julien[-1]

180Que jamais ne puist revenir

Tant que je le voisse querir,

Saint Jehan il luy seroit beau coup!

Hau là!

GUILLEMETTE

Qui est là?

LE CURÉ

Ouvrés a coup[+1]

GUILLEMETTE

Qui estes-vous qui appellez?

185Par ma foy je n’ay pas les clefz,

Martin m’a ceans enfermée.

LE CURÉ

Que me dictes-vous, dea?[[187-190]]

GUILLEMETTE

Qui estes-vous?

LE CURÉ

Vostre curé, maistre Jehan!

GUILLEMETTE244 vo]

190Aymé m’avez!

Maintenant ne le puis ouvrir.

LE CURÉ

La mye, venez-moy secourir![+1]

GUILLEMETTE

Vous voyés bien que je ne puis.


 [[ Print Edition Page No. 321 ]] 
LE CURÉ

Le sang bieu, je rompré l’huys![-1]

GUILLEMETTE

195Ha! non feray, je vous diray

Ung autre point qu’ay advisay

Comment nous en pourrons chevir.

LE CURÉ

Et comment?

GUILLEMETTE

Il vous fault tenir

Près de l’huys, puis [il] vous fauldra

200Guetter Martin quant il viendra,

Il vous fault avoir ung abit

De deable, il n’y a respit,

Et puis quant il sera venu

Je crieré au col estendu

205En le maudis[s]ant bien fort:[-1]

“De malle raige et de malle mort,

Puissiez tresbucher,” oiez-vous?

LE CURÉ

Je vous entens, dictes tousjours!

GUILLEMETTE

Et puis tantost, quant il viendra,

210Je le maudiray, il respondera,[+2]

Dieu sçait comment, à haulte note,

Et dira: “Le diable t’emporte!”

Après, quant vous orés ce mot,[[213]]

Vous viendrés à moy aussi tost,

215Incontinent vous me prendrez,

Sus vostre col m’emporterés

Comme deable tout enragé.

LE CURÉ

Par mon serment, c’est bien jugé,

Il sera fait tout à ceste heure.

GUILLEMETTE

220Ne faictes pas longue demeure!

LE CURÉ

Ne m’en parlés plus, il souffit!

Je m’en voys querir ung abit

Dessus ung paintre, par mon âme!

Adieu!

GUILLEMETTE

Adieu!

MARTIN

245 ro]Par Nostre-Dame,

225Je vueil crier ung tantinet

“Houseaux, vieulx houseaux,

Ça les mauvais, Çà, çà les vieulx,”

Chascun se porte, se m’aist Dieulx,

A mon advis plus vieulx que neuf,

230Nostre mestier ne vault plus rien,

Ung chascun est praticien.

Je m’en revois à l’ostel,[-1]

Par mon serment, il n’y a tel.

Guillemette, comment vous va?

GUILLEMETTE

235Je prie à Dieu qui tout sauva

Que de saint Lou et saint Quentin,

Du mal saint Jehan, saint Valentin

Et de toute aultre maladie

De boce et d’espidemye[-1]

240De pou[r]pre et tous grans maulx,[-1]

Du mal dont meurent les chevaulx

Puisse-tu à terre estre cheut!

MARTIN

Par saint Jehan, velà beau salut

Et gracieusement parlé!

GUILLEMETTE

245Suis-je femme à tenir soubz clef?

Je prie à Dieu que male raige. . . .

MARTIN

Taisez-vous, si ferés que saige!

GUILLEMETTE

J’auroye plus cher estre mor[t] née.

LE CURÉ [à part]

Je vueil escouter sa trainée!

250Martin est venu, il souffist,

Il me fault vestir cest abit,

Je voy bien qu’il en est saison.

GUILLEMETTE

Tu me fais garder la maison,

Mais je te courrouceré du corps.[+1]

MARTIN

255Et bien, bien alors, quant alors,

Faictes-en plus et parlez moins!


 [[ Print Edition Page No. 322 ]] 
GUILLEMETTE

S’il fault que g’y mette les mains,[[257]]

Oncques ne fus en tel bicestre.

MARTIN

Or met pour voir si je m’y fains,

260J’aymeroye mieulx au gibet estre!

GUILLEMETTE

Or tien cela, vilain infamme,

Tien, tien!

MARTIN

Nostre-Dame.[-3]

GUILLEMETTE

245 vo]Onques mieulx tu ne fus gallé.

MARTIN

A la mort, je suis afolé.

GUILLEMETTE

265Va-t-en, que jamais ne te voye!

MARTIN

Or te requiers que malle joye

T’envoye Dieu!

GUILLEMETTE

Va, vilain dampnable!

MARTIN

Je pry à Dieu que le grant deable

Te puisse emporter aujourd’uy!

LE CURÉ [en diable]

Brou, hou!

MARTIN

270A la mort, sang bieu, qu’[e]sse cy?

Vierge Marie, Nostre-Dame,

Ha! Dame, Vierge honorée,

On dira que je l’ay tuée,

On dit bien vray, par ung souhait,

275Aulcune fois il nous meschait.

Ha! Nostre-Dame, quel raige!

LE CURÉ

Ay-je bien fait le personnaige?

GUILLEMETTE

Si bien qu’on ne [le] sçauroit mieulx.

LE CURÉ

Puisqu’il n’y a cy que nous deux,

280De vous feray à mon plaisir.

GUILLEMETTE

Je suis toute à vous, se m’ait Dieu,

Faire povez tout à loysir.

LE CURÉ

Mon cueur!

GUILLEMETTE

M’amour!

LE CURÉ

Ma godinette,

Or vous tien-je si à mon gré.

GUILLEMETTE

285Mon amy!

LE CURÉ

Ma joie parfaicte,

Dieu vous envoye bonne santé!

GUILLEMETTE

Et par Dieu, ce n’est pas tancé!

Mais sçavés-vous que j’ay enpencé[+1]

Pour mon honneur tousjours couvrir?

LE CURÉ

290Et quoy?

GUILLEMETTE246 ro]

Il vous fault courir[-1]

Vers mon mary savoir qu’il fait,

Faignant que ne sçavez que c’est

En rien du monde.

LE CURÉ

Ho! il suffit,

Par le corps bieu! c’est bien dit,

295G’y voys.

GUILLEMETTE

Gardez d’en faire signe!

LE CURÉ

Nenny, je feré bonne myne,

Ne vous soucier, attendez-moy![+1]

Il m’est advis que je le voy,

Où il est bien mari en cueur,

300Dieu gart! Martin!

MARTIN

Ha! Monsieur,

Vous soyez le trèsbien venu!

LE CURÉ

Comment va?


 [[ Print Edition Page No. 323 ]] 
MARTIN

Je suis perdu![-1]

LE CURÉ

Vous me semblez descouraigé,

Qui a-il?

MARTIN

Je suis enraigé.

LE CURÉ

305En vostre fait point ne m’entens.

MARTIN

Par ma foy, je suis hors du sens!

LE CURÉ

Hors du sens? dea! vous avez tort!

MARTIN

En effait, je suis (ung) homme mort.

LE CURÉ

Quoy? Est malade vostre femme?

MARTIN

310Il y a pis, bon gré saint Jame!

LE CURÉ

Comment? elle est trespassée?[-1]

MARTIN

Le grant Deable l’a emportée!

LE CURÉ

Ha! Jesus, benedicite,

Que dictes-vous?

MARTIN

C’est verité,

315Par ma foy il l’a prise là!

LE CURÉ

246 vo]Comment? Je ne croy pas cela,

Que j’entende le cas au vray!

MARTIN

Ha! Monsieur, il est tout vray

Qu’elle estoit bien peu esbatante,

320Piteuse et fine à l’avenante,

Car j’avoye des doutes grans

Sus elle, dont je me repens,

Et, pour vous dire le meschief,

Je l’enfermoye à la clef,[-1]

325Quant je partoye de mon hostel,

Par mon serment le cas fut tel.

Quant je vins orains, elle crioit[+1]

Et si trèsfort me mauldisoit

De plusieurs maulx innumerables,

330Alors si dis: “Que le grant diable

Vous puisse emporter!”[-3]

LE CURÉ

C’est mal dit![[332]]

MARTIN

Il advint charger,

Aussitost que j’eu dit le mot.

LE CURÉ

Et par Dieu vous estes bien sot

335De croire que soit l’Ennemi,

Le croyez-vous?

MARTIN

Saint Jehan, ouy![-1]

LE CURÉ

Par Dieu, vous estes bien deceu!

MARTIN

Non suis, par Dieu, car je l’ay veu!

LE CURÉ

Ne croyez point cecy, c’est bourde,

340Quelque cabeur a fait la fourbe

Et, pour l’avoir à son plaisir,

Par Dieu si l’est venu querir,

De tout cela n’en croyez rien.

MARTIN

Dictes-vous ce feroit-il bien?

LE CURÉ

345Ouy vrayment, elle est fesable,

Ne croiez jamais que le Diable

Soit cy venu, c’est moquerie.

MARTIN

Hélas! Monseigneur, je vous prie

A joinctes mains et vous requiers

350Que vous la vueillés demander

En la paroesse ça et là

Et excommuniez qui l’aura

Si ne l’apporte ou [la] ramaine.

LE CURÉ

247 ro]Il ne tendra point à la peine:

355Très voulentiers je le feray.

MARTIN

Par Nostre Dame, je payray

Le vin, je le vous certiffie!


 [[ Print Edition Page No. 324 ]] 
LE CURÉ [au public]

Or ça donc je excommunie

Ceulx qui ont prins à ce matin

360La femme mon voisin Martin,

En contense le mettray[-1]

Qui l’aura, se il ne dit: “Je l’ay!”
[A Martin]

Dy-je pas bien?

MARTIN

Par Dieu ouy, sire,

Et aussi, s’il vous plaist à dire,

365Qu(e) on la rapporte tout affaict,

Au moins quant on en aura faict,

Ou j’en feray gecter sentence.

LE CURÉ [au public]

C’est bien dit: “Or sus! Qu[e] on s’avence

De la rapporter qui l’ara,

370Ou autrement on les fera

Noirs ceulx qui l’ont comme ung dyable.”[-1]

MARTIN

Il n’y a âme qui die mot,[+1]

Elle est perdue sur toute rien.

LE CURÉ

Par Dieu! on la trouvera bien,

375Ce pancé-je, mais j’ay paour!

Mectez-vous cy à genous

Et pryez Dieu de voulenté,

Et je m’en voys d’aultre costé

Le prier aussi de bon cueur,

380Adieu!

MARTIN

Adieu! Monseigneur[-1]

Et pour Dieu qu’on la rapporte.[-1]

LE CURÉ

Tantost l’aurés à vostre porte,

Vous n’y perdrez rien que la honte.

MARTIN

Hélas! je la vous requier,[-1]

385Monseigneur.

LE CURÉ

Il souffit assez,

J’en feray mon devoir, pensés,

Car je l’ayme sur toute rien.
     [a part]

Par le corps bieu, il en est bien,

Le povre sot, foy que doy ma mye![+1]

390Je le voys dire à sa femme.[-1]
[à Guillemette]

Comment va? Je suis revenu.

GUILLEMETTE

247 vo]Que dist ce povre maloustru,

Que fust-il en ung sac [en] Seine!

LE CURÉ

Par ma foy, il est en grant peine,

395Il pleure et crie comme ung enfant

Et ne peult croire nullement

Que le de[a]ble ne vous ait prinse

Et pour mieux faire l’entreprinse,

Il requiert Dieu devotement

400Qu’i vous rapporte vistement

Ou aultrement il est perdu.

GUILLEMETTE

Et je prie à Dieu doulcement

Que fouldre et tempeste briefvement[+1]

Puisse-il estre confundu.[-1]

LE CURÉ

405Par Saint Jehan, c’est bien entendu,

Il vous ayme d’amour certaine.

GUILLEMETTE

Il fait sa fièvre quartaine.[-1]

LE CURÉ

Je vous diray que je feray:

Tantost je vous reporteray

410Sus mon col, où je vous ay prinse,

Et tout en la manière et guise

Vous mettré en la propre place,

Mais premier il fault que je face

Cela . . .

GUILLEMETTE

Diea! fault-il tant dire?

LE CURÉ

415Vous estes fait comme de cire,

Quant je vous tien, je suis si aise,

Acollés-moy!

GUILLEMETTE

Que je vous baise!

LE CURÉ

Vous estes bien faicte!†[-3][[418]]


 [[ Print Edition Page No. 325 ]] 
MARTIN

Je prie monsieur saint Denis

420Et de Paradis le Dieu,[-1]

A saint Jehan et à saint Mathieu

Aussi mon parain saint Martin,

Saint Hubert et saint Math[e]lin,

Saint Pierre, saint Pol (et) Nostre-Dame,

425Que on me ramainne ma femme,

Et chascun d’eux aura demain

Une chandelle de ma main,

Par ma foy, je ne fauldré mye!

LE CURÉ

Brou, hou!

MARTIN248 ro]

Vierge Marie,[-2]

430Comment vous portés-vous, ma femme?

GUILLEMETTE

Hélas! je ne sçay, Nostre Dame,

Oncques ne fus plus tourmentée!

MARTIN

Le dyable vous a raportée,

Je sçavoye bien qu’il vous avoit,[+1]

435D’où venez-vous?

GUILLEMETTE

D’Enfer tout droit!

MARTIN

D’Enfer? Dea, benedicite.

D’Enfers?

GUILLEMETTE

Voire![[437]]

MARTIN

Vous soyés la tresbien venue,

Mais quelz gens sont-ce qui y sont?

GUILLEMETTE

440Ce sont gens de toutes fassons,

De couturiers, boulengiers,[-1]

De chaussetiers, de cordouenniers,

Principalement (de) savetiers.

MARTIN

Savetiers?

GUILLEMETTE

Voire vrayement,

445Je cuide et croy certainement,

Par ma foy, qu’il y seront tous

Et si y a tant de jaloux

Que on ne sçait où les bouter.

MARTIN

Et lesquelz sont plus tourmentés?

GUILLEMETTE

450Lesquelz?

MARTIN

Voire.

GUILLEMETTE

Les jaloux!

MARTIN

Que tous les dyables dictes-vous?

GUILLEMETTE

Il est ainsi que je le dis.

MARTIN

Ma mye, je vous cri mercy,

Jamais nul jour ne le faray,

455Des maintenant vous bailleré

Les clefz et allez çà et là,

Tenez, ma mye, la velà,

Allez là où (vous) avés affaire,

248 vo]Velà la clefz de l’huys (de) derrière,

460Je ne vous defiré jamais.

GUILLEMETTE

Or vivons tous ensemble en paix,

Je vous en prie et d’ung accord.

MARTIN

Par mon serment, je suis d’accort,

Vaille que vaille, à l’aventure!

GUILLEMETTE

465Or tenez doncques celle sainture,[+1]

Que je vous donne en paix faisant.

Seigneur, elle vous est duisant,

C’est droictement ce qu’il nous fault.

MARTIN

Ainsy?

GUILLEMETTE

C’est trop hault.[-3]

MARTIN

470Plus bas.


 [[ Print Edition Page No. 326 ]] 
GUILLEMETTE

Voire dea, en ce point,

Maintenant vous estes en point

Fricque, habillé et poly.

MARTIN

Le sang bieu, je suis bien joli,

Que dit-on maintenant de moy?

GUILLEMETTE

475Vous estes Martin de Cambray,

Vous en estes saint sus le cul.

MARTIN

Doncques en ma vie ne fu

Si joly ne à mon degoy.

GUILLEMETTE

Vous estes Martin de Cambray.

MARTIN

480Par Dieu, ma mye, tant que vivray[+1]

Je vous tiendray mignotement,

Penser que pas je n’oubliray

Ung mot que on dit bien souvent:

Qui pert y retreuve pour tout vray[+1]

485Ne soit que dueil certainement.


     [au public]
Pour ce vous prie humblement,[-1]

Seigneurs et dames, hault et bas,

Et vous souviengne tout de vray

Que je suis Martin de Cambray.

EXPLICIT

NOTES

 [XLI.] Farce de Martin de Cambrai, une des plus plaisantes du recueil.

 [6] couninct, connin (lapin, avec équivoque), mais le mot ne convient pas pour la rime.

 [72] liaue, courroie, texte corrompu.

 [112] outer, pour aouster, moissonner.

 [113] crier mes sollés, souliers.

 [114] estrulle, id.

 [130-131,] ces deux vers me sont incompréhensibles. J’entends: je ne suis point femme à avoir plus d’un homme à la fois.

 [177] souliers, vieux houseaux. Dans la Farce des Cris de Paris (Anc. Th. fr., II, 310, le Sot crie: Houseaulx vieux!)

 [196] advisay, avisé.

 [223] dessus ung peintre, détail intéressant à la fois pour l’histoire de l’art et de la scène, le peintre étant ici considéré comme costumier.

 [476] saint, jeu de mot avec ceint.

 [478] à mon degoy, plaisir.

Endnotes

 [90,] O: ce vers ne rime pas avec le suivant.

 [115,] O: Aurés.

 [187-190:] texte sans doute corrompu, puisqu’on n’y trouve ni rythme ni rime.

 [213,] O: aurés.

 [257,] O: Ce. . . .

 [332,] O: Il a ving.

 [412,] O: V. mettre et en. . . .

 [418:] vers incomplet, auquel manque la rime au suivant.

 [437,] O: passage corrompu, ce vers tronqué ne rime ni avec le précédent ni avec le suivant.

 [449,] O: tourmenter.


 [[ Print Edition Page No. 327 ]] 

XLII
249 ro] FARCE NOUVELLE
DES MARAUX ENCHESNEZ
A TROIS PERSONNAGES
*

  • C’est assavoir:
  • JUSTICE
  • SOUDOUVRER
  • COQUILLON
LES II MARAUX commencent en chantant:

Nous somes maraux, meschans, malostrus,

Tant las de bien faire que n’en povons plus,

Les piedz enferrez et tous morfondus,

Hé! dieux! hé! dieux!

5Se l’yver ne cesse, nous sommes perdus.

SOUDOUVRER

Se nous eussions estez rendus

En quelque eglise pour chanter,

Par bieu, je m’ose bien vanter

Que nous deux eussions fait rage.[-1]

COQUILLON

10Hé! ce n’est point de bon courage

Ne de bon cueur que je chante.[-1]

SOUDOUVRER

Ceste maleureuse et meschante

Fortune nous est bien contraire.

COQUILLON

Rien n’y vault le crier ne braire,

15C’est pour neant, il fault endurer.[+1]

SOUDOUVRER

Quel moyen pour nous defferrer

Puissons-nous à ton advis

Trouver, car je seuffre envys

Estre en cest estat garotté.

COQUILLON

20Je sçay bien en abilleté,†

Se n’estoit crainte de justice,

Qu’il nous seroit assez propice,

Mais nous ferions pis que devant.

JUSTICE

Sus paillars! tirez avant,

25Acoup besongnez vistement!

COQUILLON

Dame, le plus diligemment

Que je puis, je fais ma besongne.

SOUDOUVRER

Hé! maugré!

JUSTICE

Qui esse qui hongne?

Et qu’esse là, fault-il grongner?

COQUIL[LON]

30Je fais rage de besongner,

Regardez, voulez-vous mieulx faire?

SOUDOUVRER

Puisque Justice nous esclaire

De si très près, il est bien force

Que nous endurons ceste endosse,

35Il n’y a point d’autre remède.†

COQUIL[LON]

Puis qu’ainsi est qu’el[e] nous guide

Et marche si près des tallons

Que tout partout où nous allons,

Elle nous suyt. Corps bieu! je n’ose

40Maintenant dire ne faire chose

249 vo]Qui soit contre son ordonnance.

SOUDOUVRER

Se je puis eschapper, je pense

Qu’elle ne me tiendra mais en pièce!


 [[ Print Edition Page No. 328 ]] 
COQUILLON

Se, depuis prime jusqu’à tierce,

45Elle me veult laisser courir

Tout defferé, je veulx mourir,

Si, à beau pié, ne vois à Tours,

Seullement en moins de trois jours,

Velà je feray ceste entreprise.[+1]

SOUDOUVRER

50Se tu me veoys en ma chemise

Courir, se j’estoye eschappé,

Le coul vouldroye avoir coupé

Ou avoir la sanglante fièvre,

Se ne courroye plus fort qu’ung lièvre

55Qui soit au royaulme de France!

Ha! jamais ne fut diligence

Faicte si grande à mon advis.

COQUILLON

Pleust à Dieu que fussions ravis . . .

SOUDOUVRER

Toy et moy, gentil Coquillon,

60En l’air comme ung estourbillon

Jusques à Lyon sur le Rosne!

COQUILLON

Par le sang, Dieu le me pardonne,

Nous aurions bon temps, toy et moy.

SOUDOUVRER

Nous cririons bien hault: “Le roy boy [t]!”

COQUILLON

65Par le sang de moy, Soudouvrer,

Toy et moy serions gouverneur

Incontinant de quelque prince.

SOUDOUVRER

Et pourtant, se nous sommes mince,

Maintenant il n’en peult chaloir.

COQUILLON

70Mais que nous [nous] fassions valoir,

Ce sera grant chose que de nous.[+1]

JUSTICE

Corps bieu! vous aurez des poux[-1]

Pour faire de l’huylle en Karesme.

SOUDOUVRER

Se nous ne faillons à nostre esme,

75Je suis seur que aurons du bien:

Du nombre je ne sçay combien!

COQUILLON

Cent mille escuz ou au dessoubz.

JUSTICE

Sang bieu! vous aurez des poux[-1]

Et ung maillet pour les casser.

COQUILLON

80Mais vien çà! tu me fais penser . . .

Quant nous aurons or ou argent,

Pour entretenir le cueur gent,

A quoy passerons-nous le temps?

SOUDOUVRER

A hanter les gens esbatans

85Aux jeux de cartes, aux quilles,[-1]

250 ro]Aux jeux de dez, aux belle filles,

A la taverne, jour et nuyt.

COQUILLON

Que sera-ce de nous?

SOUDOUVRER

Tout le bruit:[+1]

Deux gaudisseurs de l’autre monde,

90Tenir tous les jours table ronde

A tous ceulx qui vouldront venir!

COQU[ILLON]

Nous sommes gens pour parvenir

A ces fins-là.

SOU[DOUVRER]

Point je n’en doubte.

COQUI[LLON]

Mais vien çà, Soudouvrer, escoute!

95Sçaurions-nous trouver le moyen

D’estre mis hors de ce lyen

De Justice en quoy nous sommes,[-1]

En baillant pleige de deux hommes

Pour bonne et seure caution.

SOU[DOUVRER]

100Ho! vray, c’est mon intencion

Que le tour ne seroit pas mauvais.[+1]

COQUI[LLON]

Foy que je doy à saint Gervais,

Ce seroit moult belle adventure.

SOU[DOUVRER]

Se quelque bonne creature

105Nous vouloit faire ce plaisir,

Le fin de tout nostre desir

Seroit acomply, mais aussi


 [[ Print Edition Page No. 329 ]] 

Ne fauldroit estre en soucy[-1]

Qu’ilz n’en fussent recompensez

110Et qu’il n’eussent des biens assez,

Mais que nous fussions en vertu.

COQUI[LLON]

Hé! dea! Soudouvrer, enten-tu

Que nous donnissions tout le nostre?

SOU[DOUVRER]

Nenny, par saint Pierre l’appostre!

115Touteffois mocquin mocquart,[-1]

Ha! je ne suis pas si coquart

D’en bailler, sinon par raison.

COQUI[LLON]

Si fauldroit-il tenir maison

A tout le moins, cela s’entend.

SOU[DOUVRER]

120Quant là viendra, je suis content

Que nous facions tousjours grant chière.

COQUI[LLON]

Premierement fault trouver manière[+1]

Comme nous puissons eschaper.[[123]]

SOU[DOUVRER]

Hélas! se nous sçavions tromper

125Justice, nostre maistresse,[-1]

Qui nous tient à si grant detresse,

Nostre fait seroit à louer.

COQUI[LLON]

Ha! il ne s’i fault pas jouer,

Je la congnois, elle est trop fine!

SOU[DOUVRER]

130Quel remède don[c]?

COQUI[LLON]

Bonne myne,

250 vo]Endurer tout paciemment

Et puis par quelque apointement

On trouvera façon de vuyder.[+1]

SOUDOUVRER

Or sus donc! Dieu nous vueille aider!

135Rien n’y vault le desconfort.[-1]

COQUILLON

Se maistre Henry ne fust mort,[-1][[136]]

Nous fussions pièça despeschés.

SOU[DOUVRER]

Dieu luy pardoint ses pechez,[-1]

Hélas! c’estoit nostre bon père!

COQUI[LLON]

140Nous estions la meilleure paire

De pig[e]ons de son coulombier.

JUSTICE

Sus, paillars, en ce bourbier![-1]

Nestoyez-moy bien ces fossez!

COQUI[LLON]

Nous avons tous les rains cassez,

145Dieu ait bon gré du labouraige!

JUSTICE

Quel rencontrer à ung passaige

Ces deux maraux dedens ung bois![[147]]

SOU[DOUVRER]

Il y a plus de quinze moys,

Par la Mère Dieu de Boulongne,

150Que ne fis autant de besongne,

Pour ung jour, que j’ay fait ennuyt.

COQUI[LLON]

Hélas! povres enfans mauduit,

Nous fault-il avoir tant de peine?

SOU[DOUVRER]

Sur mon corps n’a nerf ne vaine,[-1]

155Par le sang bieu, qui ne s’en sente.

COQUI[LLON]

Des jours y a plus de soixante

Que je n’euz autant de meschef.

SOU[DOUVRER]

Se nous en povons venir à chef,[+1]

Croire pourrés tout seurement

160Qu’il jouera bien finement,

Qui nous y fera atraper.

COQUI[LLON]

Je beu tant arsoir à souper

De cidre, le deable y ait part!

Je voudroye que d’une hart

165On eust parmy le col pendu

Le faulx villain qui l’a vendu,

J’en ay si tresmal à ma pance

Qu’i me semble en la conscience

Qu’on me sent les boyaulx.[-2]


 [[ Print Edition Page No. 330 ]] 
SOU[DOUVRER]

170Ce n’est que bruvage à pourceaulx

Pour abreger, ce n’est que ordure.

COQUI[LLON]

Et puis il fault coucher sur la dure,[+1]

Toute nuyt, à trembler de froit.

SOU[DOUVRER]

Cuyde-tu, qui nous regarderoit

175De nuyt coucher à nostre peaultre,

251 ro]Entremeslé l’ung parmy l’autre

Ensemble, qu’i nous feroit beau veoi[r].[+1]

COQUILLON

Dieu nous vueille trestous pourveoir!

SOUDOUVRER

Et ainsi soit-il par sa grâce!

COQUI[LLON]

180Il fault que jeunesse se passe,

Velà, nous sommes fortunez!

SOU[DOUVRER]

Nous sommes de ceste heure nez,

Il ne fault point dire autrement.

COQUI[LLON]

Esse faulte d’entendement?

SOU[DOUVRER]

185Nenny, car nous sommes trop saiges.

COQUI[LLON]

Se les bonnes gens des villages

Estoient aussi sages que nous,

Ilz auroient de l’argent trestous,

Autant comme ung chien a de pusses.

SOU[DOUVRER]

190Hé! cuide-tu, se je ne fusses

Enferré de ceste feraille,[[191]]

Que je feroie?

COQUI[LLON]

Ne te chaille

Je ne dy pas ce que j’en pense.

SOU[DOUVRER]

L’en nous fait dancer une dance

195Que n’avons pas acoustumé.

COQUI[LLON]

Ha! se j’eusse esté armé,[-1]

Quant les sergens vindrent à moy,

Je puisse regnier la loy,

Se je n’en eusse tué ung!

SOU[DOUVRER]

200Et moy j’estoie encore jeun

Au matin, ainsi qu’on se liève,

Entre le Port-au-Fain et Grève,

Entre ses chantiers de busches,[-1]

Trois sergens estoient en embusches

205Qui m’enpoignèrent au collet

Et me menèrent en Chastellet,[+1]

Velà comme je fus prins.[-1]

COQUI[LLON]

Comme qu’il soit, nous sommes pris,

Nous n’avons garde de voller.

SOU[DOUVRER]

210C’est tout, il n’en fault plus parler,

Chang[e]on[s] propos, n’en parlons plus.

COQUI[LLON]

Pensez que povres truppellus

N’ont pas tousjours toutes leurs aises.

SOU[DOUVRER]

Mais que les poux ou les punaises

215Ne nous estranglent en prison,

J’ay bien encore intencion

D’avoir bon temps, n’en doubtez point!

J’ay veu que j’estoye fricque et coint,

Du temps que j’estoye coustiller.

220Ha! qui me fust venu railler,

251 vo]Ainsi qu’on fait maintenant,

J’eusse baillé incontinent,

Par le sang bieu, sur la joue!

COQUILLON

Velà, nous sommes à la boue

225Maintenant jusques au genoulx.

SOUDOUVRER

Une autrefois nous aurons mieulx.

COQUI[LLON]

Hélas! j’y bien veu, semaidieu,

Du temps que j’estoye paticier

Que j’estoie tenu aussi cher

230Comme cresme et plus encoire.

SOU[DOUVRER]

Hé! je faisoye rage de boire

Et de hanter bon[s] compaignons.


 [[ Print Edition Page No. 331 ]] 
COQUI[LLON]

Et que fis-je, par les Bourguignons,

A Beauvais, saincte Katherine!

235Je tuay d’une coulevrine

Des Bourguignons plus d’ung millier!

Sang bieu, qui m’eust voulu bailler

La charge de toute l’armée,

Je ne croy point qu’à ma fumée

240Je ne les eusse tous deffaitz,

Memoire eust esté de mes fais

Plus de cent ans après ma mort.

SOU[DOUVRER]

Et moy je fis bien aussi fort

Devant Amyens où j’estoye,

245Atout ung baston que j’avoye

Ung voulge et une hallebarde,

Je passay oultre l’avant-garde,

En despit de tous les Flamens

Et vins tuer trois Allemans

250Droit au millieu de la bataille,

O! j’estoie chault comme un[e] caille,

Je frapoie à tort et à travers,[+1]

Sang bieu, j’abatis d’ung revers,

Aussi net comme ung naveau[-1]

255La teste d’ung cheval fauveau,

Sur lequel ung homme d’arme estoit,

Pouac! ung homme n’arrestoit

Devant moy nen plus qu’ung festu!

La mort bieu, j’en eusse batu

260Tout seul à ceste heure-là cent,

Et si n’estoie qu(e) ung innoscent,

Je n’avoye point plus de XVI ans.

Par la chair bieu, les plus puissans

Me craignoient comme le tonnerre.

COQUI[LLON]

265Je fus courir devant Auxerre

Une fois sus ung bon cheval,

Je pry à Dieu qu’i gard de mal

Celuy qui le m’avoit donné,

De ma vie ne fus plus tenné

270Que je fus à ceste heure-là;

Ma brigandine m’affolla,

Car à peine y povoie entrer.

Incontinent vint rencontrer

252 ro]Ung homme armé, blanc comme cigne.

275Je luy vins contre la poytrine

Frapper si grant coup de ma lance

Que je fis sortir de sa pense

Plus de dix aulnes de boyaux!

SOUDOUVRER

Et moy que fis-je, auprès de Meaulx,

280Une fois, d’une javeline?

J’ouys chanter une geline

Qui estoit emmy une court.

Je m’en vins, pour le faire court,

Frapper dessus de mon baston.

285Incontinant ung gros garson,

Tout estourdy comme ung coquart,

Me vint dire: “Maistre paillart

Vous avez tué nostre poulle!”

Il chargea une buche de p[o]ulle[+1]

290Qu’il trouva sur ung fumier

Ensemble avecques le fermier

Et les autres de la maison.

Ainsi pour faire ma raison

L’ung une voulge, l’aultre une haste,

295Mectoyent tous les mains à la paste

Pour me brasser ung beau levain,

Cuidant que j’eusse le cueur vain

Que ne m(e) osasse revancher.

Incontinant sans plus prescher

300Charge dessus à tour de bras,

Mais je regny saint Ypocras,

Se j’eusse creu mon courage,[-1]

J’eusse fait le plus beau mesnage,

Qui oncques fut fait au pays.

305Ha! si ne s’en fussent fouiz,

Par ma foy j’eusse tout tué,

Mais vraiement, Dieu soit loué,

Pourtant il n’en mourut pas ung!

COQUILLON

A ce propos, près de Mellun,

310J’estoye aussi en ung village

Allé d’aventure en pillage

Et me loge chés ung prestre,[-1]

Puis luy demande, pour repaistre,

Du pain, du vin, de la viande.

315Incontinant une truande

Qu’il avoit à sa chamberière,

Par ma foy qui estoit bien fière,

Me commença à rechigner

Et je la vous voys empoigner

320Incontinant devant le prestre

Et fis semblant par la fenestre

De la gecter emmy la rue,

Mais quoy, je n’estoye pas si grue,

Je le faisoye pour mieulx jouir

325D’elle et pour faire fouir

Le curé qui à desloger

Ne mist guères. Pour abreger,


 [[ Print Edition Page No. 332 ]] 

Je vous troussay la godinette

Tout subit sus une couchette,

330Cependant que l’huys estoit clos,

Je la vous despesche en gros[-1]

Gaillart à deux fil de coton.

Le curé, ce povre mouton,

252 vo]Revint: c’estoit desjà fait,

335Je luy ouvris l’huis en effect.

Le prestre et la chamberière[-1]

Me firent la meilleure chière

Que vis oncques faire à homme.[-1]

SOUDOUVRER

C’est rage que de noz faitz.

COQUILLON

En somme[+1]

340On n’en viendroit jamais à bout.

SOUDOUVRER

Voire, qui vouldroit dire tout,

Par ma foy, ce ne feroit mon.

COQUILLON

On n’en feroit trop ung sermon,

Qui dureroit par mon serment

345Jusques au Jour du Jugement.

SOUDOUVRER

Je croy qu’il ne s’en fauldroit guères,

Qui vive!

COQUILLON

Qui?

SOUDOUVRER

Les povres maraulx enchesnés.

COQUILLON

Ceulx qui ont tout clos et serré

Le leur et n’osent riens despendre,

350Qui se lerroient aussitost pendre

Que de oster ung seul denier

Et jeuner pour en espargner

Encore tant plus largement.

Quelle joye, quel esbatement

355Peult-il avoir en ce monde?[-1]

SOUDOUVRER

Sur tous biens que Dieu habonde,[-1]

Il n’est tresor que de liesse.

COQUILLON

Mais que vault couroux?[[358]]

SOUDOUVRER

Mais que vault tristesse?

COQUILLON

360Mais soucy ne chagrin.

SOUDOUVRER

Riens qui soit, mais pour faire (la) fin

Prenez en gré l’esbatement.

COQUIL[LON]

Se failly avons nullement,

Plaise vous le nous pardonner!

SOUDOUVRER

365Se n’eussions paour de vous tenner,

J’eussions bien dit autre chose.

JUSTICE

Messieurs, se la porte est close[[367]]

Mectez nous hors de ceans![-1]

COQUIL[LON]

Et gardez aussi que voz chiens

370Ne nous facent aucun mal![-1]

SOUDOUVRER

Adieu, trestous en general,

Nous reviendrons une autre fois.

COQUILLON

Adieu, nous en allons tous trois!

FINIS

NOTES

 [XLII.] Farce des Marauds enchaînés, en fait Moralité avec personnages allégoriques. SOUDOUVRER doit s’entendre saoul d’ouvrer, las de travailler.

 [18] envys, à regret; on peut lire aussi: enuys.

 [64] “Le roy boy.” C’est le cri du repas des rois à l’Epiphanie, popularisé par la peinture flamande.

 [136] Se maistre Henry, le bourreau. Cf. notre Introduction. Le nom de Coquillon est une allusion aux Coquillards, chers à Villon.

 [191] ils sont prisonniers et ont les menottes aux mains.

 [202] le Port au Foin et la Grève, sur la Seine, près le Châtelet. Cf. Introduction.

 [212 et 219] truppelus, badins, coustiller, soldat portant dague.

 [289] p(o)ulle, je crois que c’est peuplier.

Endnotes

 [20,] O: J. s. b. uen a.

 [35,] O: rime imparfaite.

 [136,] O: Ce.

 [147,] O: Ses.

 [358,] O: ne rime pas.

 [367,] O: M., ce. . . .


 [[ Print Edition Page No. 333 ]] 

XLIII
253 ro] FARCE NOUVELLE
DE DIGESTE VIEILLE ET DIGESTE NEUFVE OÙ DEUX
ESCOLIERS ESTUDIENT, LESQUELZ NE PEUVENT TROUVER MOYEN D’AVOIR ARGENT, SI N’EST PAR COUSTUME ET LOIX
A CINQ PERSONNAGES
*

  • C’est assavoir:
  • LE PREMIER
  • LE SECOND
  • DIGESTE VIEILLE
  • DIGESTE NEUFVE
  • COUSTUME

[vignette]

LE PREMIER commence253 vo]

C’est belle chose que d’estude

Et de bien estudier.[-1]

LE SECOND

Suplez[[3]] mais qu’on ayt l’engin rude,†

Et qu’il soit trop fort à ployer.

DIGESTE VIEILLE

5Qui sur moy se veult employer,

On y trouve termes joyeulx.

DIGESTE NEUFVE

Or ça! Dieu doint confort aux vieulx!

Je conclus ma glose et mon teste

Que le nouveau temps a le mieulx.

10Arière la Vielle Digeste!

LE PREMIER

Vous estes hors de nostre reste,

Je suis las de lire dedans,

J(e) y pers tous mes entendemens.

LE SECOND

Cela je laisse aux Anciens,

15A ces grans rouges chaperons!

Je me tiens des gens mignons,[-1]

Francz, pollis, plains de caquet,

Pour dancer beaux estrodions,

Tousjours aux beaux le signet,†[[19]]

20Le beau chien, le petit bracquet

Pour courir à la perdrix[-1]

Et beau lièvre au sopicquet,[-1]

La belle fille à l’apetiz,

Les beaux tetins troussez petis,

25Le corps mignon bien fait et mixte,

Yeulx vairs, petiz nez, le doulx ris,†[[26]]

C’est le fait d’ung gentil legiste.

LE PREMIER

Tousjours à prime, à tierce, à sixte

Je n’ay cessé d’estudier.

LE SECOND

30Sur Digeste, vous, j’assiste,

Et pour vray le veil publier.[[31]]

DIGESTE NEUFVE

Je sçay (bien) que vous estes ouvrier

D’y estudier promptement,

Onc(ques) en ma vie ne vi ouvrier

35Qui courust plus legierement,

Vous estes ouvrier en aimant

Et pour bien courir par chemin

Vous y courrez legierement,[[38]]

Je m’en raporte au perchemin.


 [[ Print Edition Page No. 334 ]] 
DIGESTE VIEILLE

40Dit-on plus de bien de moy? nenny,[+1]

Bien voys que je suis abolie,

Tout mon grant renom est bany

Et moymesme je suis banye,

Je suis de tous poins abolie,

45Digeste Vieille plus n(e) a court,

Mais ceste genne apompelie

Elle a à present (le) br[u]yt de Court.

LE PREMIER254 ro]

Digeste Vieille fait le sourt.

LE SECOND

Digeste Neufve me resveille

50Et somme, pour le faire court,

Prest suis à luy prester l’oreille,

Elle me racompte merveille

De cinquante mille façons,

De ces petis troussez tetons,

55Dictes menues gentes gorgettes,

Somme il n’est que neufves digestes

Pour eversier espris nouveaux.

LE PREMIER

Mignons legistes et nouveaulx,

Qui se veulent bien emploier

60A dire les termes nouveaux

Et tout pour bien estudier,

Je veulx bien cela publier

Nonobstant que j’aye ung vieil livre

Que qui veult longuement regner

65Il n’est que joyeusement vivre!

LE SECOND

Quant à moy, je suis à delivre,

Serré à le gré de mon corps,

Je n’ay pas escuz à la livre,

Dieu mercy je n’ay nulz tresors,

70Mais velà tout mon reconfors

Que j’ay ma Digeste Nouvelle,

Où je fais souvent mes renfors,

Cause pourquoy elle (est) fort veille.

LE PREMIER

[De] cela [ne] m(e) en esmerveille,†

75Je ne seray point à plaisance,

Mais aufort par Dieu, quant je y pense,

Veu qu’il est de vieulx perchemin,

Elle n’est point de grand(e) despence

Et si ne court point par chemin

80Et si entent bien son latin.

Je la trouve fort entendue,

Moyennant que de beau satin

Je l’aye tousjours revestue.

LE SECOND

La mienne vault mieulx toute nue,

85Quant je la voy entre deux yeulx,

Que ne fait la tienne vestue.

Arière ce parchemin vieulx!

DIGESTE NEUFVE

Han! vous ne dictes jamais mieulx

Que croy que m’avez trouvé telle

90Et avez esté fort songneux

D’estudier soubz ma cotelle.

Ainsi est ma glose fort belle

Et de parfond entendement,

Jà n’est besoing que je le celle:

95Chascun [le] scet bien clerement.

DIGESTE VIEILLE

Pour parler anciennement:

254 vo]Premierement suis à Monsieur,

Qui en eust toute la liqueur,

Chacun le voit evydamment.

100Quant il m(e) ouvrist premierement,

Jamais n’avoit estudié,

Car je fuz son commancement,

Depuis j’ay fort multiplié

Et ay mon texte publié

105Tant que c’est merveilleuse chose.

Il en est tellement usé

Qu’on n’y congnoist plus que la gloze,

Mais encor par moy je suppose

Qu’on [y] aprent bien et honneur.

DIGESTE NEUFVE

110Vous n’avez trouvé que saveur

En moy et joyeulx esperitz,

Noz chappitres tous bien escriptz,

Mon texte bien enluminé,

Le parchemin blanc que lié,

115Par hault, par bas, fort bien reiglé

Et mon bas assez bien stillé,

Et tousjours ung gentil engin.

Posé qu’il ne soit (pas) refusé,

Si se rusera-il à la fin,[+1]

120Ma glose d’ung joyeulx latin

Bien parapher et bien escripre.

Arrière ce vieulx parchemin

Où ce n’est rien que redicte![-1]


 [[ Print Edition Page No. 335 ]] 
DIGESTE VIEIL[LE]

Et moy je suis assez descripte,

125Ung chascun le peult bien congnoistre,

Tu estoys encore à naistre,[-1]

Alors que j’estoye en mes saulx,

Les escolliers estoient nouveaux,

Ainsi je leur ouvry l’angin

130Et mes moz leurs sembloient si beaulx

Qu’ilz y ont apris leur latin.

Tu deusses menger du papin,

Tu ne scez que c’est que de bien,

Tu es trop neufve et ne scez rien,

135Ton engin n’est point bien ouvert,

Il est encor ung peu trop vert

Et si est peu enluminé.

DIGESTE NEUFVE

Tu as trop longtemps cheminé

Et beu soubz mainte cheminée,

140Ton temps sera [bien] tost passé,

Tu es desjà determinée,

Nul plus ne te preste l’oreille,

Tu es jà quasi muée,[-1]

Car tu es la Digeste Vieille

145Et mon semblant assez exprime

Que je suis la Digeste Neufve.

DIGESTE VIEILLE

Va, va, partout et te treuve[-1]

255 ro]Tu es toute à communiquot,

Chacun t’a pour payer l’escot,

150Tu es desjà toute abolye.

DIGESTE NEUFVE

Je suis ta forte maladye,

Qui te puisse mettre à basac!

La pommelée ou la mautac,

La fièvre quartaine te tienne,

155Digeste Vieille et ancienne,

Usée comme ungle à mullet,

Il ne te fault qu’ung recullet

Pour te mett[r]e o les gens yvres.†

Exemple monstre de tes livres

160A ces mignons de jeune enfance,

Quelque sens ou quelque cuydance

Pour dire quelque motz joyeulx.

DIGESTE VIEILLE

Pourtant se mon engin est vieulx

Rusé et non usé sans cause,

165Ung chacun en a veu la clause,

Je m’en raporte à l’escripture,

Digeste Vieille par (sa) nature

Est mieulx à priser que la neufve,

La neufve est de belle stature,

170La vieille plus de raison preuve,

On ne scet pas où on se treuve

Devant contes ou ducs ou roys.

Par vieulx gendarmes on apreuve

A bien savoir rompre le bois.

PRIMUS

175Noz livres parlent à degois.

SECUNDUS

Noz livres dysent à plaisance.

PRIMUS

Noz livres disent motz courtois

Chacun selon la congnoissance.

SECUNDUS

J’estudie à suffysance[-1]

180Et ne cesse d’estudier,

Mais je ne voys point d’aparence

Qu(e) argent puisse multiplier,

Je deusse boire et triumpher,

Je deusse de l’argent avoir

185Pour entretenir la mignonne.

PRIMUS

Je deusse vieil et neuf sçavoir

Et estre plain de tout avoir

Et ne fût que pour ma personne.

SECUNDUS

Je possède la belle congne

190Qui me gaudist, qui me blasonne

Et m’aguise l’entendement.

PRIMUS

Toutes les fois que m’aresonne

Sur ma Digeste, je m’estonne,

Tant parle autenticquement.[-1]

SECUNDUS255 vo]

195J’estudie pacificquement

Nuyct et jour promptement,[-2]

En mon livre j’ay prins plaisance.

PRIMUS

J’estudie et ne scay comment,

Car je ne puis gaigner argent

200Comme advocaz (en) ont abondance.†[+1]


 [[ Print Edition Page No. 336 ]] 
SECUNDUS

C’est par faulte de confidence

Ou que tu as trop vieil[le] dance,

Aussi as-tu, on le peult voir.

PRIMUS

Cestuy est bien à ta plaisance,

205Laisse-moy en desplaisance,[-1]

Se rien n’ay, ne t’en doit chaloir.

SECUNDUS

Tu n’as point livres pour valoir,

Il est du tout en nonchaloir†

Et son engin est tout usé.

PRIMUS

210Chacun de nous est abusé,

Il n’y a celuy si usé

Que, par engin n(e) entendement,

Puisse attraper aucun argent.

SECUNDUS

Je ne sçay, je m’en esbahis,

215Je voy mignons à l’apetis,

Gorgias, frazez, tout plain d’or,

Avoir trestous des bien satis

Plus que Nabugodonosor.

Je voy que pour avoir trepas,

220Bagues, signez et aneaulx,[-1]

Escuz, saluz, nobles, royaulx,

Il n’est que francs des advocas,

Lapidaires, autres joyaulx

Et belles chesnes autour du bras,

225J’espère que post tenebras

Comme die Job, avoir lumière.

Aufort, si [je] ne gaigne guère,

Je prens plaisance sur mon livre.

PRIMUS

Je ne sçauroy(e) plus de quoy vivre,

230Je ne sçay moy que ce sera:

Quant j’estudie dedans mon livre

Tousjours je demeure à quia.

SECUNDUS

Je n’y entends rien à cela,†

Je deusse avoir chiens et oyseaulx,

235La belle mulle, les beaulx chevaulx,

La belle blanche hacquenée,

Pour bien rire et faire les saulx

A toute joye predestinée,

Ma Digeste est enluminée

240Le possible pour gaigner bien.

PRIMUS

256 ro]J’estudie la nuyt et (à) journée

Et si ne puis praticquer nul rien.[+1]

DIGESTE VIEILLE

Voullez-vous dire que nul bien

Ne vous est venu de par moy?

PRIMUS

245Ung bien petit je ne dy rien,

Je n’y ay rien acquesté.[-1]

DIGESTE VIEILLE

Quoy? Vous plaignez-vous de mon estude?[+1]

PRIMUS

Nenny, mais je la treuve rude,

Je voy que le texte s’efface.

DIGESTE VIEILLE

250Ne vous plaignez point.

PRIMUS

Je m’en passe,

Il m’est advis qu’el est bien forte.

DIGESTE VIEILLE

Endurez l’escorche,

Vieulx bois bien escorce

Rapporte à son maistre.

PRIMUS

255Sans fin je m’efforce

D’estudier à force

Sans rien y congnoistre.

DIGESTE VIEILLE

Si n’y a-il prestre,[[258]]

Ny moyne en cloistre,[-1]

260Qui ne m’ayme bien.

PRIMUS

Quant je viens à estre

Dessus vostre lettre

Je n’y entens rien.

DIGESTE VIEILLE

Vous aurez du bien

265Et par mon moyen

Estudiez fort.

PRIMUS

Velà, je croy bien,

Mais il ne vient rien

Par quoy j’aye confort.


 [[ Print Edition Page No. 337 ]] 
SECUNDUS

270Je deusse estre en court

Faire du millourt

Et mectre à plaisance.

Par vous rien ne sourt,

On me fait le sourt,

275Je n’aye point d’avence.

DIGESTE NEUFVE

Laissez apparance

Tousjours sur ma panse

Vous aurez des biens.

Qui n’a basse dance,

280Tant à souffisance,

Jamais ne vault riens.

256 vo]Je ne voy moyens

Pour avoir des biens

Que par vostre engin.

DIGE[STE] VI[EILLE]

285Ne craignez en riens,

Secret je le tiens,

Car il est fort fin.

SECUNDUS

Ung petit loppin

De ce canepin

290Fait acquerir bruit.

DIGE[STE] NEU[FVE]

Mon beau musequin,

Mon petit connin,

Cela fort y duit.

LE SECOND

Pour avoir desduit

295Et passer la nuyt

Gorgiasement,

Rire à l’appetit,

Le teton petit,

C’est vous proprement.

DIGESTE NEUFVE

300C’est mon, en aymant,

Mais qu’on ayt souvent

Deduit de nature.

LE SECOND

De cela s’entent

Pour estre content

305D’engin à mesure.

DIGESTE NEUFVE

Belle creature,

La belle figure,

Digne de memoire.

LE SECOND

Belles filles et bien à boire,

310Tetins poignans, beaux musequins,

311Querant une saucage gloire†

Qu’el troussent comme cragnequins,

Mignons portans brodequins[-1]

Les beaulx saphirs aux doiz,[-2]

315Petis piedz et petis patins,

Velà le present cours de loix!

LE PREMIER

Avons-nous bien rompu noz voix

Et bien assemblé noz livres[-1]

Et escarquillés à beaux dois,

320Regardez s(e) en avons delivres.

LE SECOND

Par le sang nous sommes bien yvres

Par trop estudier souvent.

On despend beaucop en telz livres

Et en revient bien peu d’argent.

325Aufort, mais le corps soit gent,[-1]

Bien pris à l’engin bien estroit,

Je me tiens quasi pour content

257 ro]D’estudier dessus le droit.

PRIMUS

Je ne sçay moy qui ne seroit

330Ma! content d’estudie[r] tant

Et n’avoir ung denier content,

Le sang bieu cela me consume!†[[332]]

Quoy nuyt et jour estudiant

Au bas, sans gaigner une plume!

SECUNDUS

335Autant vauldroit humer le vent

Il n’y a ne gresse n(e) escume.

COUSTUME

Encore n’est-il que Coustume.

Vous avez bel estudier,

Coustume fait verifier,

340Plus que ne fait Digeste Neufve

Ne que la Vieille, je le preuve.

Exemple: s(e) une belle fille

Fait souvent fourbir sa coquille,

Coustume la rent au mestier,

345Car qui ne seroit coustumier

Et rusé par force d(e) usage

Jamais il ne seroit ouvrier,

Entendu ne Quelqu’un de sage.†[[348]]


 [[ Print Edition Page No. 338 ]] 
DIGESTE NEUFVE

Nostre Dame! quelle trousse à page

350Pour mener après ung gendarme.

DIGESTE VIEILLE

Elle est de son meseau visage,†

Elle en parle bien en beau terme.

DIGESTE NEUFVE

Quelle vueille tenés est tel ferme[+1][[353]]

Et plaine de grande cautelle,

355Elle est pour estre à quelque Carme,

Pour servir d’une macquerelle!

DIGESTE VIEILLE

Pensés la bonne demoiselle,

Elle y a gaigné mainte plume,

Chacun la scet, la chose est telle,

360Ce n’est à present que (la) Coustume.

DIGE[STE] NEU[FVE]

C’est la vieille qui fait l’enclume

Pour sourger les clox des hus,[-1]

Laissez-la là, c’est ung abus,

Se vous voullez estre bien aise.[[364]]

SECUNDUS

365Raison?

DIGE[STE] NEU[FVE]

La coustume est mauvaise,

Qui court maintenant à Paris,

Elle fait tromper les maris,

Elle fait destruire mignons,

Elle fait plusieurs gens maris,

370El n’est digne de nulz guerdons

Mais ymo de villains lardons!

DIGESTE VIEILLE

257 vo]Ainsi en sera-elle lardée,

Tenés, quelle vieille, est-elle fardée?

Aussi elle farde les femmes.

375Telles coustumes sont infâmes.

Touteffois la coustume court,

Pour attrapper mignons de Court,

Ceste vieille farde visaiges,

Il semble que ce soient ymages

380Quant ilz passent par ses mains!

DIGE[STE] NEUF[VE]

Pour esjouir les cueurs humains,

Pour contrefaire la personne,

Coustume, la vieille matrosne,

Il n’est mauvaitié qu’elle ne sache,

385Elle fait acroire d’une vache

Le plus du temps que c’est un veau.

Coustume n’est rien qu’elle ne sache

Tousjours ung terme nouveau[-1]

Et faict d’ung moyne ung gouverneau,†

390D’ung Jacobin un homme d’armes.

DIGESTE VIEILLE

Elle fait gentilz de Carmes[-1]

Et gens de guerre d’Augustins,

A Cordeliers porter guisarmes,

Penthoufles fendues, brodequins.[+1]

PRIMUS

395Et nous serions bien coquins[-1]

D(e) en telle coustume nous mettre,

Raison? elle ne congnoist lettre

Et n’y entent ne blanc ne bis.

SECUNDUS

Elle fait d’un varlet ung maistre,

400Elle fait tout son appetit.

COUSTUME

Par bieu, mes enfans et amys,

Je vous ouys bien sur vostre droit.

SECUNDUS

Il est vray, mais qui vous vouldroit†

Maintenir, comme on faict à present,[+1]

405On mettroit l’envers à l’endroit:

Chascun le voit clerement.[-1]

PRIMUS

Nous ne vous voullons nullement,

Car nous sçavons qui vous estes.[-1]

COUSTUME

Messieurs, je vous pry humblement

410Que ce soit avec(ques) voz Digestes.

SECUNDUS

Ne nous mettrés-vous point en restes?

COUSTUME

Nenny, jamais aucunement,

Ymo tousjours acroissement

Vous serés et avoir pecune,

415Mais seullement que je soye une

De voz petites chamberières.


 [[ Print Edition Page No. 339 ]] 

258 ro]Coustume congnoist les manières,

Par Coustume en droit on se fonde,

Il n’est rien où elle responde,

420Il n’est juges que je ne face,

Qui n’a Coustume avant sa face,

De tout ce suis coustumière.[-1]

LE SECOND

Coustume, vous en parlez guière,

Mais vous atachez bien voz motz.

DIGESTE NEUFVE

425Elle parle bien à propos

Et me semble qu’elle dit bien

Et pour contente je me tien,

Quant à moy, qu’elle soit des noz.

LE PREMIER

Coustume est digne de los[-1]

430Et parle par bonne manière.

DIGESTE VIEILLE

Retenons-la à deux briefz motz,

Elle sera nostre chamberière.[+1]

COUSTUME

Par mon âme, j’en suis bien fière,

Je vous serviray de bon cueur.

LE SECOND

435Or ça nous sommes à honneur,

Nous congnoissons tout à plaisance,

Nous avons biens à souffisance,

Nous avons coustumes et loix.

LE PREMIER

Nous avons argent à puissance,

440Nous serons faitz gens de finance

Par droit, par coustumes ou loix.

LE SECOND

Nous avons escus et salus

Et plusieurs gracieux salus

Et si serons tout hault le boys

445Et requerons de plus en plus

Par droit, par coustumes ou loix.

LE SECOND

Nous aurons petis musequins

Mignons aux petis yeulx fins

Et si burons tout à degois

450Et si parviendrons à noz fins

Par droit, par coustumes ou loix.

LE PREMIER

Nous demourons mignons legistes,

Gorgias, frazez, gens et mistes,

Humbles, loyaulx, doulx et courtois

455Et noz raisons seront escriptes

Par droit, par coustumes ou loix.

LE SECOND

Vivent gentilz, mignons, loyaulx,

258 vo]Vrais legistes espiciaulx,

Vive le roy de France en paix

460Contre tous les destriaulx,

Car il leur appartient des maulx

Par droit, par coustumes ou loix.

LE PREMIER

Arrière gens de fiction,

Car c’est ma vray intencion

465Que seront pugnis une fois

Et qu’on leur fera leur raison

Par droit, par coustumes ou loix.

LE SECOND

Je commande à Dieu les mignons

Et aussi toutes voz personnes.

470Adieu vous dis à haulte voix,

Noz causes doivent estre bonnes!

LE PREMIER

Tel cuyde avoir sa maison faicte

En peu de temps pour demourer,

Pour sa famille honnourer,[-1]

475Qui se meurt ains qu’el soit parfaicte.†

LE SECOND

Tel souvent, abille à menger

Et qui aux aultres le depart,

Que le plus souvent pour sa part

N’en a que les os à ronger.

LE TIERS

480Tel cuyde quant il sçaroit

Estre maistre et faire les faulx

Qu’on luy livre cy durs assaulx,

Qui n’ose nommer une pie.

LE QUART

Toute la noble Seigneurie,

485Mais si vous plaist n’ayés nul regré[+1]

Et vous plaise de prendre en gré

Se le coqu gaigne la pie.

FINIS


 [[ Print Edition Page No. 340 ]] 

NOTES

 [XLIII.] Farce de Digeste vieille et Digeste neufve. Farce ressortissant certainement au répertoire des Clercs de la Basoche, qui avaient étudié le droit romain, Institutes et Digeste.

 [3] suple: je ne sais comment interpréter ou corriger ce mot.

 [19] le sens de ce vers m’échappe.

 [30] item.

 [46] genne, sorcière, mais aponpelie m’est inconnu.

 [153] la pommelée ou la mautac cf. Glossaire.

 [158] ou = o, avec.

 [271] millourt, c’est l’anglais mylord, déjà attesté au XIVe siècle.

 [353] je ne sais comment corriger ce vers pour le rendre intelligible.

 [460] les destriaulx, quid?

Endnotes

 [3,] O: Suple.

 [19,] O: la s.

 [26,] O: Y. vers . . .

 [31,] O: la.

 [36,] O: en emant.

 [38,] O: V. y vourruez l.

 [74,] O: Cela me e. e.

 [123,] O: Or.

 [140,] O: Bon temps . . .

 [145,] ne rime pas. Il manque un vers.

 [158,] O: mette ou . . .

 [200,] O: Somme . . .

 [208,] O: en mon chaloir.

 [233,] O: entendens.

 [258,] O: sil. . . .

 [311,] O: Qurest. . . .

 [332,] mer c.

 [348,] O: E. n’est q. ne s.

 [351,] O: museau v.

 [364,] O: De. . . .

 [389,] O: gouvernan.

 [403,] O: qu’il v. v.

 [†] Il doit manquer une réplique du premier, quatre vers plus le refrain.

 [475,] O: Qu’il . . .


 [[ Print Edition Page No. 341 ]] 

XLIV
259 ro] FARCE NOUVELLE
TRESBONNE ET FORT JOYEUSE
A III PERSONNAIGES
*

  • C’est assavoir:
  • RICHARD
  • GAULTIER
  • TIERRY

[vignette]

LE POURPOINT RETRECHY

259 vo]LA FARCE DU POURPOINT RETRECHY TRESJOYEUSE

RICHART commence:

Sang bieu, es-tu desjà levé,

Tu n’as pas encore achevé

De dormir ton vin?

GAULTIER

Tu dis bien

Et toy as-tu dormy le tien?

5Par le sang de moy tu estoyes

Si yvre que tu ne sçavoyes

Dire ne papa ne menmen!

RICHARD

Mauldit soit-il qui en men!

GAULTIER

Amen![+1]

Or prenez qu’ainsi soit-(il), beau sire,

10Mais que gaignés-vous ad ce dire?

Je me fois fort qu’il me souvient,

Puis qu’à dire le me convient,

De trestout quanque je saison.

RICHARD

Par m’âme, je baision[-1]

15Plus souvent que chat ne se mouche

Les hanaps.

GAULTIER

Et voire o la bouche

Je beu tant que j’en suis mate.[-1]

RICHARD

Je n’y avoit ne pié ne pate

Qui ne fust yvre à la feste,

20Fors moy qui hurte de la teste,

Tant que je cheu sur les thisons.

GAULTIER

Je te prie que nous advisons

Où les gallans desjeuneront,

Car certes le ventre me rompt,

25Ce m’est advis, par cy endroit.

RICHARD

Et par saint Jacques! qui prendroit

Du poil de chien à ce matin,

Ce ne seroit par faulx latin,

Car je me medecine à boyre

30Du meilleur vin certes.

GAULTIER

Et voire,

Mais il nous faulsist ung tiers.[-1]

RICHARD

Cestuy y vendra vollentiers

D’arsoir.260 ro]

GAULTIER

Qui? Colin Rembouré?

RICHARD

Ha! hay nenny, je ne pouré

35Assener ung pet en sa joue,

C’est ce meschant Tierry Bachoue,

Je n’y povoye advenir.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 342 ]] 
GAULTIER

Tierry? il n’y pourroit venir.

Se m’aist Dieu, n’en pi[è]ce n’en pose.

RICHARD

40Non pourquoy?

GAULTIER

Il se repose[-1]

En son lict et reposera

Et dit qu’il ne besongnera

Anuyt qu’il ne soit près de nonne.

RICHARD

Il y a la seconde personne[+1]

45Doncques puis qu’il ne s’est levé

Où il fut arsoir abuvré

Ung petit plus qu’il ne soulloit,

Car j’ay apprins qu’il se lavoit

Tous les jours avant qu’il allast

50Nulle pert et qu’il se gallast

Ne qu’il entrast en la taverne.

GAULTIER

Dieu scet comment il se gouverne

Dedans son lit, en paillardoys,

Pardieu, se tu le regardoys,

55Je sçay bien qu’il te fero[i]t rire,

Il ronfle, il soufle, il souppire[-1]

Par emblée en esternuant

Tellement qu’il sent si puant

En sa chambre.

RICHARD

Dort-il encores?

GAULTIER

60Ouy, par Dieu, j’en venoye ores

Ung peu d’avant que tu venisse[s].

RICHARD

Allons-le prendre par les cuisses

Dy-je bien, et le traineron

En la taverne et si buron

65Sur sa robbe, troys solz ou quatre!

GAULTIER

Pour le faire bien fort debatre,

Je te pry que nous advisons

Comment bien le cabuserons,

Qu’il en soit à long temps memoire!

RICHARD260 vo]

70Par Sainct Mor, faisons luy acroyre

Qu’il a tonné et esparty

Si fort que le ciel est party

Et tant qu’il est bien cheu à terre

Deux cens mille anges et saint Pierre

75Cheoit, s’il ne ce fust bien tenu[+1]

Au mantel Dieu, qui est venu,

Et en cheant le releva,

Et dirons que le monde va

A miracles veoir les anges

80Pour ce que ce sont gens estranges

Et si te prometz qu’il yra.

GAULTIER

Voire, mais quant on luy dira,

Il ne fauldra point que l’en rie!

RICHARD

Ha! non, par la Vierge Marie,

85Mais l’afermés comme Evangille

Ce qu’ilz estoient bien cent mille

Anges ou mains ou troys ou quatre

Qui s’aloient assoir, esbatre

Et ainsi comme ilz courroient[-1]

90La nue sur quoy ilz estoient

Cheut à terre.

GAULTIER

C’est bien dit et luy faudra dire[[91]]

Que les povres anges garnissent

Les montaignes aff[i]n qu’ilz puissent

95Arrière remonter ès cieulx

Et y en a jà sur les haulx lieux[+1]

Comme sur les tours Nostre-Dame.

RICHARD

Et par le peril de mon âme,

C’est si bien dit qu’il n’y fault rien,

100Au tertre de Mont Valerien

Sont jà montés sur l’Ermitraige

Tel nombre d’anges que c’est raige,

Si trèsbeaux et si trèsprecieux,

Et dirons qu’on voyt Dieu des cieux

105De là-dessus chantant la messe.

GAULTIER

Or seroit-ce trop grant simplesse

A luy de croire tel baverie.


 [[ Print Edition Page No. 343 ]] 
RICHARD

Non seroit, par Sainte Marie!

Ne luy fi-ge pas entendant

110Arsoir mesmes, en actendant

Que l’on avoit ceste sepmaine

Pesché trois harencs sortz en Seine

261 ro]Tous vifs et devoient deux andoulles

Jouster contre eulx de leurs quenoilles

115Et doibt Karesme-Prenant estre

Leur juge, aussi est-il leur maistre.

Mais il m’en croyoit plainement

Et puis luy dis si proprement

Que les XV-Vings appreno[i]ent

120Mestrier, et que les ungs estoient

Cousturiers et pouigneurs d’alesne

Et les aultres clercs de taverne

Et d’aultres ung grant cariaige

Si bons barbiers que c’estoit raige

125Et les aultres faiseurs de greaulx.

GAULTIER

Comment dea?

RICHARD

Graveurs de seaulx

Et si bons osteurs de cirons

Que merveille.

GAULTIER

Nous luy dirons

Une chose plus evident.

130Dy-luy que je suis President

En Parlement ou Chancelier[s].

Et suis mussé en ung cellier

Pour ce que je ne le vueil estre

Et par ma foy le gentil maistre

135L’yra impetrer pour luy.

RICHARD

Voire

Jamais ne m’en vouldroit croire,

Pensons une aultre tromperie.

GAULTIER

Vecy quoy: par saincte Marie,

Vien çà, nous luy demanderon

140Son songe et l’exposeron,

Quelconque chose qu’il nous dye,

Que c’est signe de maladie,

Et si luy ferons entendant

Qu’il s’en yra par cependant[[144]]

145Et que son songe le devise,

S’il ne se boute en franchise,[-1]

Tantost tout nud sans arrester.

Et qu’il se voise apprester

Au moustier, et nous porteron

150A lui sa robe.

RICHARD

Non feron,

Nous la porteron aultre part

261 vo]Et sçaurons chacun d’une part

Tout au long ce qu’elle vauldra,

Mais, par Nostre Dame, il fauldra

155Qu’on face bien l’eschaffouray.

GAULTIER

Par le sang bieu je ne pourray

Moy tenir de rire.[-3]

RICHARD

Dea si fera! et fauldra dire

Que sergens la nous ont osté

160Et sont jà telle assemblée[-1]

Qui le querent que c’est merveille.

GAULTIER

Je te donn(e)ray ma dextre oreille,

S’il en croit rien et si le fait.

Ho! j’ay visé une aultre fait,

165Mais qu’on luy puisse faire entendre

Qu’il est mort, nous luy pourrons prendre

Quanqu’il a, devant son visaige,

Et puis s’il mue son courage

En disant qu’il n’est mie mort,

170Disons qu’il regibe et mort

Et qu’il est tout mal couraige.[-1]

RICHARD

Voire et trestout enrage[-2]

Et point aux dens comme ung lyon.

GAULTIER

Comme s’il estoit forcené

175Et dirons qu’il sera mené

A sainct Mathurin.

RICHARD

Je pensoye,

Ce m’est advis trop meilleur voye

Et si diras bien qu’elle est bonne,

Je ne congnoys guère personne

180Qui s’en sceust appercevoir,

Mais qu’on face bien son devoir.

GAULTIER

Et qu’esse?


 [[ Print Edition Page No. 344 ]] 
RICHARD

Je te le diray,

Tu t’en yras ou moy g’iray

En sa chambre tant gentement

185Et prendras trestout bellement

Son pourpoint, sans ce qu’il s’esveille,

Et puis fauldra qu’on s’apareille

Tellement qu’il en soit osté

Troys doys de chascun costé,

190Et puis, quant il s’esveillera,

262 ro]Voys-tu bien, et il trouvera

Son pourpoint ainsi retroissé

Sans ce qu’il le voye deffroissé

Et puis nous le recouldrons arrière[+1]

195Ce croy-je, par ytelle manière[+1]

Et si tresbien qu’il perra:[-1]

Par mon serment, quant il verra

Qu’à son pourpoint ne pourra joindre,

Tu luy verras la chair espraindre,

200Fremir et muer coulleur[-1]

Si fort que ce sera doulleur,

Et puis fauldra bien qu’on luy dye

Qu’il est enflé par maladye

Et que, se tantost ne pourvoit,

205Qu’il est mort!

GAULTIER

Se Dieu me doint joye,

Vecy tresbon appointement!

RICHARD

N’est pas?

GAULTIER

Si est, par mon serment,

On ne pourroit mieux deviser

Par le sang bieu que Dieu m’a donné!

RICHARD

210Cuidera-il estre empoisonné[+1]

Par advis?

GAULTIER

Ouy fermement[-1]

Et fauldra au commencement

Argent pour monstrer son orine.

RICHARD

Voire par Saincte Katherine,

215Nous en aurons du moins deux francs

Pour bailler aux phisiciens

Ou ung escu, que je ne mente!

GAULTIER

Se nous n’en avons plus de trente

Des francs, au moins, se tu m’en croys,

220Je vueil estre tendu en croix,

Il gaigne tout le nostre[-2]

Aux detz.

RICHARD

Par saint Pere l’appostre,

Tu dis voir, mais il le rendra.

Or ne sçaige où en prendra[-1]

225Une esguillette, en as-tu point?

GAULTIER

Ouy, va querre le pourpoint!

262 vo]Ne te soucye d’aultre chose!

RICHARD

Par l’âme qui en moy repose,

Je voys.

GAULTIER

Or va tout bellement!

RICHARD

230Or, par le Dieu qui ne ment,[-1]

Je doubte qu’il ne dorme pas,

Mais g’iray si delyé pas

Que je croy qu’il ne m(e) orra goute.

GAULTIER

Quant tu seras là, si escoute

235S’il souppire point ne s’il hongne.

RICHARD

Vele cy, sus, sus, en besongne!

Descouson!

GAULTIER

Si dort-il?

RICHARD

Ouy!

Si fort qu’il ne m’a point ouy,

J’eusse bien prins toute sa robe,

240Par le sang bieu, il ne se hobe

Ne que fait ung pourceau qui pisse.

GAULTIER

Par Nostre Dame que je puisse

Mes coutures ne perront point.

RICHARD

Coulx moy, coux hardiement bon point,

245Tu coulx troup pontifficalment.


 [[ Print Edition Page No. 345 ]] 
GAULTIER

Il le fault faire esgallement

Qu’il n’apperçoyve la cousture,

S’il l’appercevoit d’adventure,

Tout nostre fait se gasteroit.

RICHARD

250Le diable s’en adviseroit!

Il ne s’en sçauroit adviser.

GAULTIER

Pour mieulx nostre fait deviser,

Je te diray qu’il convendra.

Je vendray, ainsi qu’il tendra

255Son pourpoint et le hucheray,

Et quant je le regarderay,

Je me seigneray, voys-tu bien?

RICHARD

Prens moy ce fil, tu ne fais rien,

Enfille ceste esguille, enfille!

GAULTIER

260Mais toy tu n’es de rien habille,

263 ro]Se n’est tousjours à deviser.[[261]]

RICHARD

Il fault saigement adviser

Comment la besongne en ira.

GAULTIER

Par le sang bieu, on luy dira,

265Quant vendra au faire et au prendre,

Tant qu’il ne sçaura où entendre,

Quant tu auras encommencé,

Mais que tu n’ayes avancé

La besongne sans que g’y soye.

RICHARD

270Par Dieu c’est ce que je pensoye,

Ainsi le voulloy-ge dire.[-1]

GAULTIER

Quoy? que veulx-ge faire, beau sire?

Sces-tu?

RICHARD

Par mon serment, nenny!

GAULTIER

M’aist Dieux je t’en croy, entens-y

275Doncques et puis tu le sçauras.

Je te dy que quant tu auras

Sans moy commencé la besongne. . . .

RICHARD

Par Nostre Dame de Boulongne

Ce fut bien dit.

GAULTIER

Le quoy bien dit?

RICHARD

280Par le sang que Dieu respandit

Je ne sçay, mais ce devroit estre

Bien parlé et de main de maistre.

Dy tousjours!

GAULTIER

Or escoutez doncques:

Quant j’entreray. . . .

RICHARD

Je ne vy oncques

285Certes mieulx dire que je sçaiche.

GAULTIER

Si ne sces-tu ne qu’une vache

Vrayement à quel fin je vueil tendre.

RICHARD

Ne te chault! je n’y vueil entendre.

Pour Dieu, que sans plus sermonner,

290G’iray doncques l’araisonner

Et puis vien[s] après.

GAULTIER

263 vo]Et puis g’iray

Assez tost après et diray,

Mais que sa chambre ne soit close.[+1]

RICHARD

Que vecy bonne chose![-2]

295Hélas! tu dis le mieulx du monde!

GAULTIER

Par saint Mor, je vueil qu’on me tonde,

Se tu sces dire ne penser

Ce que je vueil commencer.[-1]

Comment sces-tu ce que je pense?

RICHARD

300Et si fais, par ma conscience,

Mieulx que tu ne fais quatre foiz.

GAULTIER

Tu le sces mieulx que je ne fais?

Or le dy doncques, et je t’en prie,

Que fu-ce?


 [[ Print Edition Page No. 346 ]] 
RICHARD

Par saincte Marie,

305Je ne sçay ny ne m’en souvient.

GAULTIER

Et je te dy qu’il esconvient

Que tu ne me die rien.[-1]

RICHARD

Hen! voire, tu dis bien,[-2]

Je t’entens sans en faillir rien.

310Ha! bien sera bonne devise,

Il sera prins par bonne guise

Mieulx que poussin n’est d’une escouffle.

GAULTIER

Quoy? dea! tu sembles sainte Pentouffle,[+1]

Tu responds aux pensées.

RICHARD

Voire!

315J’ay ainsi aigu la memoire

Et l’engin si vif que c’est raige.

GAULTIER

Je sçay bien que tu es trop saige,

Mais je te pry, pour Dieu, beau sire,

Que tu me laisses trestout dire

320Quanque je pense, se tu veuilx.

RICHARD

Or, par le sang bieu, je le veulx,

Je ne te destourberay point.

GAULTIER

Par sainct Mor, et vecy le point

Comment je l’espouventeray,

325Voy-tu, vecy que je feray . . .

Or, par le sainct souleil qui raye,

264 ro]Je ne sçay de quoy je parloye,

Tu le m’as fait entroublier.

RICHARD

C’est que nous l’allissons lier

330Parmy les bras et parmy les cuisses.[+1]

GAULTIER

Or, par le sang bieu que tu puisses,

Homme que toy ne parlera!

Ho! et vecy qu’il en sera

Pour mieulx nostre fait confermer.

335Luy voys dire et affermer[-1]

Que deux des gallans, qui souppèrent

Et s’esbatirent et jouèrent

Assoir o nous, sont trespassez

Et sont jà les gens amassez

340Pour les veoir aller enterrer.

RICHARD

Se je ne luy fais bien serrer

Le cueur, je vueil que l’en me tonde,

Je le feray le mieulx du monde

Et diray qu’ilz sont mors d’enflure

345Et de poysons.

GAULTIER

Et je t’asseure

Qu’il aura bien chault, s’il ne tremble,

Car puisqu’ilz souppèrent ensemble

Il cuidera estre brouy.

RICHARD

Ce pourpoint est-il bien?

GAULTIER

Ouy.[-1]

350Si que n’y a que rigoller.

RICHARD

Or entrons cy, je vueil aller

Le remettre sur luy arrière.

GAULTIER

Va doncques par bonne manière

Et garde qu’il ne se resveille!

RICHARD

355Il aura la pusse en l’oreille,

Se croy-ge, ains que le jeu depparte.

GAULTIER

Et s’il entre en fièvre quarte[-1]

De peur que nous luy feron[-1]

Ou qu’il meure, nous en seron

360Tenu[s] et pugnis laidement.

RICHARD

Tais-toy, ce n’est qu(e) esbatement!

S’il mouroit, nous luy dirion

Que c’est jeu et le ferion

Menger qu’il en peust revivre.

GAULTIER264 vo]

365Va-t-en doncques et te delivre,

Metz bien le pourpoint en lieu.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 347 ]] 
RICHARD

Par les sainctes engoisses bieu,

Il dort proprement comme un(e) lièvre

Et reuvre ainsi la baulièvre[-1]

370De dessoubz, et a l’oeil ouvert.

GAULTIER

Et ne l’as-tu pas recouvert

Du pourpoint par bonne manière?

RICHARD

Et quoy donc?

GAULTIER

Iras-tu arrière

Ou moy? Qui ira le premier?

RICHARD

375Tu yras, g’iray le dernier,

Je me fois fort par bonne guise,

Pour Dieu, que la chose soit mise,

Bien entremetz.

GAULTIER

Or ne tien doubte,

Hau! Tierry! Il n’oit goutte!

380Tierry, fais-tu la sourde oreille?

TIERRY en faisant la croix

Qui diable esse là qui m’esveille,

Amen qui est plus noir que meure!

GAULTIER

Sang bieu et dors-tu à cest heure?

Es-tu bien festard?[-3]

TIERRY

385Mauldit soys se fus le tard.[-1]

Je buray tant de ceste année,

J’ay la teste si estonnée

D’arsoir.

GAULTIER

Jà saincte Marie

Qu’esse cy? vecy deablerie!

390Et ne sens-tu point de douleur?

TIERRY

Va chier! va! quel coulleur[-1]

Ai-ge?

GAULTIER

Benoiste Dame, quel visaige!

Par mon serment tu m’espoventes

Et n’est-il chose que tu sentes?

TIERRY

395Ouy, despassay assoir?

GAULTIER

Ha! sainct George!

Taste ton visaige et ta gorge!

Tant plus te voy et plus t’empire!

TIERRY

Par le sang bieu, tu me fais rire!

Mais qu’as-tu? se Dieu te doint joye.

GAULTIER

400Par ma foy, se Dieu n’y pourvoye,

Jamais ne verras plus beau jour.

Levez-vous sans faire sejour

Se vous povez, je vous conseille

Vrayement vecy la non pareille

405Maladie que je vis oncques.

TIERRY

Et si ne sens-je riens quelconques

Si ce n’est que de la tempeste

Du vin d’essoir, je le sçay bien.

GAULTIER

Or escoutez, ne croyez rien

410Se vous ne voullez.

TIERRY

Et quel croire?

Je voys me lever, si yrons

Et le boire me guerira.

GAULTIER

Dieu scet comment il en ira

Mais je me doub[te] que non face!

415Ha benoiste Dame, quel face!

Voz joes ressemblent vrayment

A voz deux fesses proprement,

Tant sont enflées et bouffies.

TIERRY

Sang de moy, que tu te soucyes!

420Que deable dis-tu?

GAULTIER

Que je dy?

Jamais ne verrez vendredy,

Se tantost n’y est pourveu.[-1]

TIERRY

Quoy que deable ai-ge heu?[-3]

Et suis-je enflé sans mocquerie?


 [[ Print Edition Page No. 348 ]] 
GAULTIER

425Et levez-vous, je vous en prie,

Si irons aux phisiciens.

TIERRY

Il soit lié de maulx liens

Qui en sçavoit rien que je soye!

Encore, se Dieu me doint joye,

430Croy-ge que tu me veulx tempter,

Tu le dis pour m’espoventer!

Je suis enflé, c’est bon à croire.

GAULTIER

265 vo]Vous estes enflé, Jaques, voire,

Dont il me poise. Se je peusse

435Y remedier . . .

TIERRY

Je t’en creusse,

Mais tu es si fort trompierre

Et qu’esse cy maulgré saint Pierre,

Ce pourpoint icy n’est pas mien,

Hélas! si est, or voi-ge bien

440Que je suis enflé maintenant.

GAULTIER

Vous estoit-il goute prenant

Avant cecy parmy les rains?

TIERRY

Par le sang dont je fusmes raims,

Nenny, ançzoys le boutonnoye

445Si asié comme je vouloie

Sans y tire[r] ne sans sacher

Et je ne le sçay tant lascher

Qu’à deux piez il s’i puisse joindre.

GAULTIER

Sentés-vous point la chair espoindre

450Et fremir en aulcuns lieux?[-1]

TIERRY

Je croy que je ne sçay. Hé! dieux!

Que puis-je avoir? Suis-je ydroppicque?

Et si n’est ung peu en la teste,

Mais que peult estre Nostre Dame?

RICHARD

455Qui est leans? Aucune âme?

Dyeux aist mon amy Gaultier!

Faisons tantost dire ung psaultier

Pour l’âme d’eux, nous ferons bien.

GAULTIER

Et qu’esse là? Y a-il rien?

RICHARD

460Par ma foy c’est moult grant dommaige.

S’il pleust à Dieu, il estoit saige.

GAULTIER

Qui esse?

RICHARD

Henry Latirail,

Qui avoit si doulx souppirail

A mectre vin en son gosier

465Est mort, et Perrot le Closier

Est allé à quando celis,

Ilz sont desjà ensevelis.

Hélas! aprestez-vous grant erre,

Si serons à les mettre en terre,

470Ilz estoient bons à tout feire.[-1]

TIERRY

266 ro]Ha! beau tresdoux Dieu debonnaire!

Sont-ilz mors? Hélas! nous soupasmes

Arsoir ensemble et si menasmes

Si bonne vie et si liée.

GAULTIER

475Or n’est-il jour qui ne meschée

A qui que soit vraiment![-2]

Vecy grant esbahissement,

Ha! sainte Royne couronnée!

RICHARD

Ceste poison leur fut donné[e]

480Arsoir, je ne m’en doubte mye.

TIERRY

Ha! c’est ce faulz espidimye,

Qui en cest point les a mis.[-1]

RICHARD

Espidimye, beaulx amys,

Hélas! n’y a-il aultre chose?

485Par mon serment, je ne vous ose

Dire leur mal et leur martire,

Il n’est homme s’il l’oyoit dire,

Tant eust le cueur dur, gros ne ferme,

Qui ne pleurast à chaulde lerme.

490Oncques mais je ne vy telz raiges,

Car en bonne foy leur visaige

Et les corps leur sont eslevez

Et enflez tant qu’ilz sont crevez

Par les ventres.


 [[ Print Edition Page No. 349 ]] 
TIERRY

Ha! saincte Dame!

500Enflez? las!

RICHARD

Voire par cest âme[[501]]

Et la femme qui les gardoit

Si comme elle les regardoit

Crever, mon doux amy loyaulx,

Par ma foy ung de leurs boyaulx

505La assena droictement[-1]

En l’ung des yeulx si roidement

Qu’il est crevé et ne voit goute.

TIERRY

Hélas! mes amys, je me doubte

Que j’ay des gants des nopces.[-2]

GAULTIER

510Et n’avoient-ilz nulles bosses[-1]

Ne maladie que d’enfleure.

RICHARD

Nenny, Gaultier, je t’en asseure,

Par Dieu, qui croira sainct George,

Quel gros visaige et quelle gorge!

515Il est par le Dieu qui ne ment

Enflé comme eulx pareillement,

Ne t’en apperceuz-tu meshuy?

TIERRY

266 vo]Ha! je voy trop bien que je suy

Mort, tout mort, il n’y a remède.

GAULTIER

520Ilz ont eu en porée de bède[+1]

Quelque poison, eulx troys ensemble,

Et, en bonne foy il me semble,

Sauf meilleur conseil que le mien,

Tierry, ce ne seroit que bien,

525Mon doulx amy, d’avoir le prestre,

Car vous n’en pourrez que mieulx estre.

Sy n’avés-vous, si Dieu plaist, garde.

RICHARD

Garde, doulce dame, regarde

Ses yeulx, son nez et sa bouche,[-1]

530Monstrez ce bras que icy touche,

Hélas! pour Dieu qu’on se haste,[-1]

Penson qu’il ait son ordonnance.

GAULTIER

Comment va?

RICHARD

Il est en ballance,

Il est pic, tenez, sentez.[-1]

GAULTIER

535Beau sire, vous l’espouvantés,

Parlés bas, qu’il ne vous entende!

RICHARD

Venez ça! je veulx qu’on me pende

Par cy, se jamais en eschappe,

Affin que la mort ne le happe

540Entendés-vous, soubdainement,

Car les aultres pareillement

Sont mors de telle maladie.

TIERRY

Pour Dieu, mes amys, qu’on me dye

Tout hault! Ne me celer plus rien,

545Ne conseillés plus, je voys bien

Que je meurs!

GAULTIER

Non ferés, beau sire,

Se Dieu plaist, s’il ne vous empire

Ou qu(e) aulcune bosse vous prenne

Ou que la fièvre vous surprenne

550Tant que vous perdiés la memoire,

Dont Dieu vous gard touteffois![-1]

RICHARD

Voire qu’il n’y faille aucunement[+1]

Et recongnoistre dignement

Son Createur.

TIERRY

Mon tresdoulx maistre

555Richard, je vous requiers le prestre,

Puisque vous voyés qu’il m’enpire.

Si ne sens, à verité dire,

Guères de mal que j’aperçoyve.

RICHARD267 ro]

Je croy qu’il sera bon qu’il boive

560Ung bien petit de triacle,[-1]

Il devient tout desmoniacle,

Ce semble, par sa contenance.

GAULTIER

Je vous en pri(e) que l’en s’avance,

Je m’en voys au phisicien

565Et vous au prestre, di-ge bien,

Sans luy dire plus rien quelconques.


 [[ Print Edition Page No. 350 ]] 
RICHARD

Or avant! venés-vous-en doncques!

Est-il point prins, Tierry Machoue?

GAULTIER

Prins, dea, il est prins par sa moue,

570Si trèsbien qu’on ne pourroit mieulx!

RICHARD

Or par le sang bieu, se tu veulx,

Nous sçaurons quanqu’il a ou ventre,

Mais il convient que l’en y entre

Par bonne manière et soubtille.

GAULTIER

575Ou s’il y a filz ou fille[-1]

Il le convendroit doncques fendre.

RICHARD

Quoy! tu ne me sçais entendre,

Je te dy que je sçauray bien,

Sans faillir, le mal et le bien

580Qu’il a fait, pensé ne dit.[-1]

GAULTIER

Et comment?

RICHARD

S’il ne me le dit

Ou à toy, je vueil qu’on me tonde!

GAULTIER

Ce seroit le mieulx fait du monde!

Par l’âme qui en moy repose,

585Il a fait mainte faulse chose,

Je te promectz, puis qu’il nasqui.

RICHARD

Il ne fist oncques chose qui

Ne nous soit ennuyt revelé,

Sans ce qu’il en soit plus flavelé.

590Je te diray toute la guise:

Il fault qu’ung de nous se desguise,

Celluy qui mieux semblera estre

Se mectra en habit de prestre

Et yra pour le confesser,

595Mais il se fault bien bas baisser

Qu’il n’apperçoive le visaige

Et fauldra muer son langaige,

Voys-tu bien, le mieulx qu’on pora

Et riens qui soit ne demoura

600Qu’il ne die en confession.

GAULTIER267 vo]

Se Dieu me doint redemption,

Vecy saigement advisé:

Tel conseil doit estre prisé.

Par celuy Dieu qui me fist naistre,

605Je scauré bien faire le prestre,

Se tu vieulx, et si parleré

Breton ou picard ou feray

La conten[an]ce si tresbien

Que je croy qu’i ne (me) fauldra rien,

610Tant qu’il semblera vrayment

Que c’est le prestre proprement.

Ou toymesmes, se tu vieulx,

Le fais trèsbien.

RICHARD

Se m’aist Dieu,[[613]]

Ne me chault lequel, pas de maille!

GAULTIER

615Par le sang bieu, vaille que vaille,

Puis qu’ainsi va, je le feray.

RICHARD

C’est trèsbien dit, je t’abilleray,[+1]

Je te prometz bien proprement.

GAULTIER

Hélas! les habitz voirement

620Sont-ilz prestz?

RICHARD

Ouy, par saint Pierre,[-1]

Actendés ung peu, je les voys querre.[+1]

Despouille-toy tandis!

GAULTIER

C’est bien.

RICHARD

Sont-ilz bien? Te fault-il plus rien?

Vestz premierement ceste robe.

GAULTIER

625Sang que Dieu me fit!

RICHARD

Dea, ne te hobe,[+1]

Je te mectray tantost à point,

Si qu’il ne te congnoistra point,

Tien cy, sains-moy ceste sainture.


 [[ Print Edition Page No. 351 ]] 
GAULTIER

On y danceroit la turelure,[+1]

630Par le sang bieu, ou la morisque,

Je suis habillé sus le frisque.

Je suis bien devant et derrière?

RICHARD

Tu es, par monseigneur saint Pere,

Bien espaullé parmy le ventre!

635Regardon, est-il bon que j’entre

Aussitost que tu entreras?

GAULTIER

268 ro]Ouy, mais tu te musseras

Pour ouyr ce qu’il me dira,

Mais par mon serment qui rira,

640Ce sera pour trestout gaster.

RICHARD

Allons-nous-en, il nous fault haster,[+1]

Va devant.

GAULTIER

G’iray en presence,

Mais dy moy, par ta conscience,

Se je semble bien estre prestre.

RICHARD

645Sembles dea? tu me sembles estre

Ung espouvantail de chenevière,[+1]

Par Dieu qui me fist, par derrière.[[647]]

Va-t-en, entre premierement!

GAULTIER

Vien après le plus bellement

650Que tu pourras oncques venir.

RICHARD

Attens, je ne me puis tenir

De rire, quant je te regarde.

GAULTIER

Si feras, le deable en soit garde,

Tu gasterois tout, va-t-en![-1]

RICHARD

655Non feray, bon gré aten[-1]

Que j’aye avant ris.

GAULTIER

Ris assez!

RICHARD

Quant je voys tes soulliers lassez,

Dessoubz cest habit prestratif,

Je m’en ry, quant je te regarde!

GAULTIER

660Or tu dis bien, or t’en prens garde!

Mais je doubte que si face![-1]
     [à Tierry]

Ha! mon amy, Dieu par sa grâce

Vous ve[u]ille donner patience

Et santé, par ma conscience!

665Voicy grant esbahissement,

Les deux aultres pareillement

Sont mors de telle maladie!

TIERRY

Pour Dieu, sire, que je vous die

Quatre motz en confession.

GAULTIER

670Pensés bien à la Passion

De Jesus Crist, vous ferez bien!

De vostre corps, n’est-il plus rien.

Dictes-moy ce que vous vouldrés.

TIERRY

268 vo]Je ne sçay se vous m’absouldrés

675Et se vous avez la puissance,

Car, par ma foy, dès mon enffance,

Je ne cessay onc de mal faire.

GAULTIER

Vous me povez dire et retraire

Trestout, en article de mort,

680Dont conscience vous remord,

Et je vous absouldray, amys!

TIERRY

Hélas! sire, peché m’a mis

En ce point, je ne fais pas doubte.

A-il âme qui nous escoute?

GAULTIER

685Nenny, dictes tout seurement!

TIERRY

Je suis si tresfaulx garnement

Qu’il n’est homme qui le sceust dire.†[[687]]

Hélas! vous congnoissez bien, sire,

Ce croy-ge, ces deux jeunes hommes,

690Qui me gardent.


 [[ Print Edition Page No. 352 ]] 
GAULTIER

Voire, nous sommes,

Je vous promectz, amys ensemble.

TIERRY

L’un d’eulx est allé se me semble

Veoir se vous estiez point venu.

GAULTIER

Ouy, dea!

TIERRY

Las! ilz m’ont tenu

695Et tiennent en ma maladie

Tous deux si bonne compaignie

Comme s’ilz estoient mon frère.

GAULTIER

Tirez-vous ung petit arrière,

Dic[t]es tousjours.

TIERRY

Et par mon âme,

700Sire, je n’oy homme ne femme,

Se ce ne sont eulx qui me gardent,

Mais ilz ont prins de moy le garde,

Com vous povez appercevoir,

Et par ma foy, à dire voir,

705Je fusse mort soubdainement,

Tout mort, sans ce qu’aulcunement

Moymesmes l’eusse peu sçavoir.

Certes je ne cuidoye point avoir

Aulcun mal, quant ilz m’esveillèrent,

710Mais si tost qu’ilz me regardèrent,

Ilz me dirent ma maladie.

Or est-il temps que je vous die

La faulceté, la traïson,

Le mal et la grant desraison

715Que je leur ay fait à tous deux.

269 ro]J’ay esté si acointé d’eulx

Que, par ma foy, mon acointance

Leur a fait mal et grevence[-1]

Et voicy la manière, sire:

720Vous aves pièça ouy dire

Comment l’ung d’eus si fut batu.

GAULTIER

Voire.

TIERRY

Hélas! il n’eust jamais peu croyre,

Veu qu’il cuidoyt que je l’aimasse

Que tel mal je luy pourchassasse,

725Mais ce fi-ge qui le fis batre,

A ung soir, et estions bien quatre,

Qui frappions sur luy entasché.

Le pouvre Richart n’eut (oncques) lasché

Tant que nous fussions tous lassez

730Et cuidions qu’il fust trespassez

Et s’il ne fust point remué,

Par ma foy nous l’eussions tué!

Il fut batu plus qu’ung vieil chien,

Tant qu’il ne fera jamais bien,

735Nous luy baillasmes des coups orbes

Tant qu’il en a tous les rains courbes

Et sur luy mainte grosse bosse.

GAULTIER

Ha! le povre Richar Negoce!

Il est venu trestout venant

740Moy querir pour vous maintenant.

Je croy qu’il ne vous en mescroit

Ne peu ne goute.

TIERRY

Hélas! m’estoit

Par mon serment tout le contraire,

Et si fu-ge qui le fist faire,

745Comme faulx traist[r]e que j’estoye

Et moymesmes le vous frappoye

Tant que je povoye ferir.

Il a depuis fait enquerir

Qui ç’avoit fait, mais vrayment,[-1]

750Nous le fismes si caultement

Qu’onques riens n’en a peu savoir.

GAULTIER

Quel haine povoit-il avoir

Entre vous deux ne quel rancune?

TIERRY

Certes, sire, ce fut pour une

755Femme que j’ayme et que j’aymoye

Dès lors dont je le mescreoye

Et cuidoye, pour ce qu’il hantoit

Avec son mary et chantoit

Et estoient tousjours ensemble,

760Si estoie-je, ce qu’il me semble,

Que j’en entray en jalousie,

Tellement qu’il ne falloit mye

269 vo]A en avoir de la donnée,

Com j’ay dit, de tel randonnée

765Qu’onques ne sentit mieulx ses coups.


 [[ Print Edition Page No. 353 ]] 
GAULTIER

Or me dictes le pouvre coux,

A qui vous maintenez sa femme,

En scet-il rien?

TIERRY

Nenny, par m’âme,

Il n’en scet riens, ainçzoys se fye

770Tout en moy n’il ne se deffye

Nemplus qu’il feroit de son frère

Et par ma foy, c’est chose clere,

De deux filz qu’il cuyde estre siens

Ne le sont pas, ainçoys sont miens.

775Or je vien en repentance,[-1]

Cher sire, et absolucion.

GAULTIER

Affin que la confession,

Mon amy, soit plus enterine,

Il fault que l’on me determine

780De tout ce fait-cy la nuance

Et les noms et la dependance

Affin, s’ilz sont de ma parroisse,

Veez-vous, que je congnoisse

Vostre peché plus clerement.

TIERRY

785Le fault-il?

GAULTIER

Ouy vrayement,[-1]

La confession en vault mieulx.

TIERRY

Et quant il vous plaist, je le veulx,

La chose n’en peut que mieulx estre.

GAULTIER

Puis que c’est à bouche de prestre

790D’aultre ne sera jà sceu.[-1]

TIERRY

Or vous avez bien veu[-2]

Ces deux compaigno[n]s qui me tiennent

Compaingnie et vont et viennent

Partout pour querir ma santé.

GAULTIER

795C’est voir.

TIERRY

Ilz m’ont trestant hanté

Qu’il leur en est de pis par m’âme.

L’un d’eulx est mary de la femme

Que je maintien, dont je parloye,

Tirez-vous plus près qu’i ne l’oye

800Et je bat[t]is l’aultre pour elle.

GAULTIER

Et comment esse qu’on l’appelle?

TIERRY

La femme?

GAULTIER

Voire.

TIERRY

Alizon.[-1]

GAULTIER

Alizon, venez ça, dison!270 ro]

Alizon? le mary, comment?

805Dictes tost, car, en ung moment,

Par ma foy nous vous laisseron.

TIERRY

Il a nom Gaultier Faulceron,

Qui m’a aujourd’uy esveillé

Et fut trestout esmerveillé,

810Quant il me vit ainsi enflé:

Gaultier.

GAULTIER

Celuy qui est si presentier

Et qui est tousjours prest de boire?

TIERRY

Hélas! par m’âme, sire, voire!

GAULTIER

Voire dea! et si n’ouys-je oncques

815A homme n’à femme quelconques

Dire nul mal ne nul diffame

Qu’il me souviene de sa femme.

TIERRY

Escoutez! puis cinq ans ença

Que l’acoinctance commença,

820Par ma foy, je n’euz aultre amye!

GAULTIER

Et par Dieu, elle n’en a mye

Le renon!

TIERRY

Je vous en croy bien!

GAULTIER

Demourez illec, je revien,

Actendez-moy ung seul petit!


 [[ Print Edition Page No. 354 ]] 
RICHARD

825Qu’a-il dit? J’ay tel appetit

De le reveoir, sus, quelz nouvelles?

GAULTIER

Maugré bieu ne bonnes ne belles,

Ha! le sang que Dieu respendit!

RICHARD

Et qu’esse là? A-il rien dit?

830A-il ne sçay quoy entr’ouy?

GAULTIER

S’il a rien dit sainct Jehan, ouy,

Qui m’a jusques au cueur frappé!

Haro! je suis bien attrappé,

Je suis coux, il maintient ma femme!

RICHARD

835Que deable dis-tu?

GAULTIER

Par cette âme,

Confessé-le-m’a de sa bouche.

RICHARD

Et n’a-il riens dit qui me touche?

GAULTIER

Si a, c’est il qui te fist tant batre!

Allons-m’en, sans plus nous debatre,

840Le tuer et luy couper la gorge![+1]

RICHARD270 vo]

Faut-il ce que maugré sainct George,

Ha! le senglant traistre prouvé,

Je fut villainement trouvé.

Vrayement nous sommes trop mieulx

845Trompez qu’il n’est, mais se tu veulx,

Jamais il ne nous trompera.

GAULTIER

Mais je te pry.

RICHARD

Vecy qu’il fauldra:[+1]

Allons le prendre et luy diron

Qu’il a mal air cy environ

850Et que le phisicien mande,

Comment qu’il soit, et le commande

Qu’il change air et qu’on le porte

D’illec et puis hors de la porte.

Voys-tu nous l’envelopperon

855En ung drap et le gecteron

En l’eau dedans ung fossé

Et là sera-il estoffé

Ne jamais n’en sera nouvelle.

GAULTIER

Par saincte Marie la belle,

860Tu dis bien, sus! allons le prendre,

Nous l’irons noyer ou pendre[-1]

Par le sang que Dieu print à Romme!

TIERRY [à part]

Hélas! ne viendra-il homme?[-1]

Où peuvent-ilz trestous estre?

GAULTIER [à Richard]

865Oste-moy cest habit de prestre!

RICHARD

Que faictes-vous?

TIERRY

Ha! Richard, rien.

RICHARD

Escoutez, vous n’estes pas bien,

Car vostre phisicien tient,

Entendez, qu’il vous conv[i]ent

870Muer l’air et la place.[-2]

TIERRY

Hélas! mes amys, qu’on me face

Tant de bien que m’en aperçoyve,

Mais je vous requier que je boyve

Car j’ay tel seuf que plus n’en puis.

GAULTIER

875Vous ne bustes autant depuis

Six jours en ça que vous ferez.

RICHARD

Vous burez tant que vous serez

Guery de tous maulx, je me vant,

Prenez à charier devant!

FINIS


 [[ Print Edition Page No. 355 ]] 

NOTES

 [XLIV.] Farce du Pourpoint retréci.

 [125] greaulx, c’est le pluriel de greal, qui n’est pas toujours le vase sacré de Perceval, mais un récipient comme aujourd’hui encore dans les Hautes Alpes, le grallon.

 [348] brouy, le mot m’est inconnu.

 [385] le tard, id.

 [395] ouy, despassay assoir, depuis hier soir?

 [520] en porée de bede, quid? bette?

 [820] L’invention comique de la confession du faux mourant au faux prêtre qu’il a fait cocu est des plus plaisantes, mais il manque l’épilogue ordinaire adressé au public.

Endnotes

 [45:] cest l.

 [48,] O: levoit.

 [91:] vers tronqué, dont la fin eût baillé la rime au suivant.

 [127,] O: sirons.

 [144,] O: le pendant.

 [261,] O: Ce.

 [315,] O: esgu.

 [316,] O: engen.

 [337,] O: Et l’. . .

 [350,] O: rigaller.

 [357,] O: quartaine.

 [410:] ne rime pas.

 [479,] O: donnué.

 [501,] O: regardoit.

 [545,] O: conscillés.

 [613,] O: Me.

 [629,] O: la burelure.

 [631,] O: sue.

 [647,] O: qu’il.

 [687,] O: se s. d. 689, O: se.

 [725,] O: se . . . qu’il.

 [749,] O: Qui savoit . . .


 [[ Print Edition Page No. 356 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 357 ]] 

XLV
271 ro] FA[R]CE NOUVELLE
A TROIS PERSONNAGES
*

  • C’est assavoir:
  • L’AVEUGLE
  • SA CHAMBERIERE
  • et SON VARLET

[vignette]

NOMMÉE LA FARCE DU GOGUELU

[vignette]

271 vo]Ilz chantent tous ensemble, en chantant

la chanson qui s’ensu[i]t sur le chant de

“Bontemps reviendras-tu,” etc.

Seigneurs et dames, que Dieu gard

De mal et de grevance,

D’aucun bien faictes-nous depart

Pour faire la despence.

5Aujourd’uy riens nous ne trouvons

Qui aucun bien nous face

Et pourtant nous vous requerons

L’aumosne en ceste place.

Donnez-nous du pain et du vin

10Et de bonne chair grace

Car nous en avons bien besoing

Pour remplir nostre Jaques,

Seigneurs et dames.

L’AVEUGLE

Hé! Messeigneurs, par ma conscience,[+1]

15Nous sommes quasi mors de fain,

Venus nous sommes de bien loing

Depuis que ne gaignasmes guère.
     En tatant entour luy

Où est allée ma chamberière?[+1]

S’en seroit-elle point fouye?

20Voycy bien grant enragerie,

L’avés-vous point veu? Hau! les gens!

Me ferés-vous hors de mon sens

Saillir? ne parlerez-vous point?†

Et respondez! Que Dieu vous doint

25A tretous le fièvre quartaine!

Criray-je meshuy à voix plaine:

“Aurez-vous point de moy mercy?”
En frappant quelqu’ung de son baston

Mais seroit-elle point icy?

Parlés! Saint Anthoine vous arde!

30Où est-elle allée ceste paillarde,[+2]

Ma sotte, mon hume-brouet,

Pour ce qu’elle est ung peu gaillarde,

Elle ne quiert fors que le jouet.

LA CHAMBERIERE revient

Que vous fault-il, Jenin Cornet?

35A’vous tantost assés crié?

Vous vous estes bien efforcé

A desployer vostre gouzier.

La foire vous puist espouser,

Mon maistre, se je le vouloye!

L’AVEUGLE

40Esse toy?

LA CHAMBERIERE

Ouy.

L’AVEUGLE

Je cu[i]doye

Que tu fusses par mon serment

Perdue.

LA CHAMBERIERE272 ro]

Haa! je n’ay garde[-1]

Que je me perde, quoy que tarde:

Je reviens tousjours à l’ostel.


 [[ Print Edition Page No. 358 ]] 
L’AVEUGLE

45Vien, je ne fu oncq[ues] itel

Que sur tout je ne t’aymasse.[-1]

As-tu de quoy remplir ma tasse?

Tire-toy cy, aprouche près.

LA CHAMBERIERE

Ou[i] dea j’ay du vin tout fres,[-1]

50Bon et fort, sentant comme espices,

Tenez, tastez!

Fait semblant de pisser dedans.

L’AVEUGLE

Quoy! tu le pisses?

Qu’esse qui si fort degoute?[-1]

LA CHAMBERIERE

C’est le baril qui, goutte à goutte,

Fais dedans la tasse à goutter.

55Or tenez, de par Dieu gouster

Pour scavoir de quel goust il est.

L’AVEUGLE boyt

Hausse hault, au moins s’il te plaist,

Affin que j’en gouste à mon aise.

A! ha! paillarde de cest eaue punaise,

60Que tu viens tout droit de pisser,

Me voulés-vous empoisonner,

Infame, truande, ribaulde!

Il la bat.

Elle est encore toute chaulde:

Naguères a qu’elle est coulée

65Par vostre ort tuyau à buée,

Ha! sainte char bieu, je suis mort.

Il la bat.

LA CHAMBERIERE

Au meurdre! vous aurés grant tort:

C’est pource qu’i vient de la cuve

Qu’il est ainsi chault, car il cuve

70Il y a tantost des jours six.

L’AVEUGLE

Vous aurés des coups plus de six,

Orde, puante, deshonneste,

Tant sur le cul que sur la teste,

Tenez, tenez![[74]]

LA CHAMBERIERE

75Au meurdre, las! vous m’afollez!

Pardon vous requier, c’est assez.

L’AVEUGLE

Et dea! me venez-vous tromper?

Garce, putain, fine affinée,

Vous en maudirez la journée

80Avant eschapper de mes mains!

LA CHAMBERIERE

Adieu, les espaulles,[[81]]

Nostre Dame, je suis destruite!

GOGUELU varlet

272 vo]Là, là, cinq ou six coups de suite,

Hardiment, ne l’espargnez pas,

85Frappés sur jambes et sur bras,

C’est une maulvaise truande!

Se vous voullés que je la pende

Par jeu, j’en seray le boureau,

Puisqu’elle vous a fait du mau,

90Entendez-vous bien que je dy?

L’AVEUGLE

Ouy, ouy.

LA CHAMBERIERE

Las, mon amy![-2]

Vien-moy aider, je te requier,

Et vrayement, se tu as mestier

De mon corps, tu t’en ayderas,

95Tout ainsi comme tu vouldras,

Je le te prometz et afferme.

LE VARLET

Je tiendray pour toy la main ferme,

Puis qu’ainsi est, bon gré saint George!

Et luy couperas-tu la gorge,

100Paillart aveugle que tu es?

L’AVEUGLE

Je ne luy toucheré jamais,

Par ma foy, tant que je le vive!

LE VARLET

Elle est miserable et chetive,

Car avec toy elle ne desert[+1]

105De toy servir comme elle te sert,[+1]

Que de coups pour son bon service!

Le sang bieu, ains que je puisse,[-1]

Jamais elle ne te servira,[+1]

Ma chamberière elle sera

110Desormais, vueilles-tu ou non!


 [[ Print Edition Page No. 359 ]] 
LA CHAMBERIERE

La foy de mon corps, seray mon,

Je le vous prometz et accorde.

L’AVEUGLE

Je vous en pri, que ceste discorde[+1]

Cesse entre nous deux!

LE VARLET

Ce discord

115Ne vault rien.

L’AVEUGLE

(Beau sire) Faictes nostre accort,†

Je vous en pr[i]e humblement[-1]

Et pour peine vrayment[-2]

Vous aurés de moy cest escu.

Tenez!

LE VARLET

(Vrayement) vecy tresbien venu

120Je le feray, point n’en doubtés.

Je m’en voys et sans arrester

Parler à elle doulcement.

L’AVEUGLE273 ro]

Ne demourez pas longuement

Car par ma foy, s’elle me laissoit,[+1]

125Mausouppé tout de fain mourroit,

Mes quoy je vous deffens son bas.

LE VARLET

De cela ne vous doubtés pas.

Digne ne suis pas d’i toucher,

Non seullement d’en aproucher,

130Je ne vueil point de tel reprouche:

Sera pour vostre bouche,[-2]

Je n’y demande rien quiconques.

L’AVEUGLE

Je te pry, avance-toy doncques

De nostre apointement conclure.

LE VARLET

135Sera tost fait, je vous asseure.

La belle fille, escoutez çà!

Je voy que c’est, voicy, il a

Son amour en vous du tout mise

Et repent moult sans faintise

140De quoy jamais il vous frappa.

Se vous en allés, il mourra:

Ce point devez considerer.

Ung tentinet amoderez

Vostre ire, je vous en supplie.
     [bas]

145Sçavons que vous serez ma mye

Et ce sera vostre proffit,

Vous et moy ne feron qu’ung lit

Et parferons nostre plaisance,

Il paira toute le despence

150Et gaudirons à ses despens.

LA CHAMBERIERE

Pour l’amour de vous g’y consens

Et non pas pour l’amour de luy,

Mais ung point y a: si j(e) y suis

Demourant, vous y demourés!

LE VARLET

155Ainsi l’entens, vous luy dirés

Que av[e]c luy ne demourrez point

Si par tel semblable point[-1]

Avecques luy je ne deumeure.
     [à l’Aveugle]

Mausouppé, pour vous je labeure

160Et ay desjà fort labouré.

L’AVEUGLE

Je cuide, par saint Honoré,

Que tu besongnes à tes pièces.

Ce que j’avoye fait tu depièces,

Que fais-tu tant à l’astelier?

LE VARLET

165Saint J(e)han, de moy vous rigolés

Par manière de jalousie,

Mais vrayment je n’ay pas envie

De faire ce que vous pencez.

L’AVEUGLE273 vo]

D’autres en trouveras assez

170Par cy, par là, je le sçay bien,

Mais si v[o]uldroys, et m’en croy bien,

Qu(e) ung enfant tu luy eusse fait

Qui eust mengé, note ce fait,

Aujourd’uy le père et la mère.

GOUGUELU

175Vous n’auriés plus de chamberière.

L’AVEUGLE

Se me seroit tout ung par bieu.


 [[ Print Edition Page No. 360 ]] 
LA CHAMBERIERE

J’ameroye plus cher qu’en ung feu

Fusses brulé comme ung pourceau!

A tous les diables le meseau

180Pourri, plus jaloux qu[e] une chatte!

Il ne fault point que je vous flatte:

Si plus avec vous je demeure

Vous le louerés, je vous asseure,

Et demourra ceans comme moy.[+1]

L’AVEUGLE

185C’est raison, à ce que je voy:

Sang bieu! vous la me baillez belle,

C’est à propos si tu m[e]truelle-

Si le temps fust comme il souloit,

J’auroys chamberière et varlet,

190Mais quoy, on ne gaigne plus rien!

LA CHAMBERIERE

Si sera-il, nottez ce bien,

Vostre servant, bien je me vante,

Si je suis là vostre servante,

Car il est ung homme de bien.

L’AVEUGLE

195Or de par Dieu, je le vueil bien,

Ne parlons plus de ceste chose,

Puisque ma servante propose

De moy laisser, se tu t’en vas,

O(u) moy doncques tu demouras

200Si la chose te vient à gré,

Dy-moy que je te donneray

Jusque(s) à troys ans.

GOGUELU

Trois gros de roy

Et ma vie.

L’AVEUGLE

Ainsi que moy.[-1]

Et quoy plus?

L’AVEUGLE

205Je le veux, comment as-tu nom?

GOGUELU

J[e] suis appelé Goguelu.

L’AVEUGLE

274 ro]Goguelu?

LE VARLET

Voire.[+2]

L’AVEUGLE

Vermoulu

N’est pas le nom, mais bien nouveau!

Or ça Goguelu, Goqueluau,

210Chante-tu bien?

GOGUELU

Le mieulx du monde!

Chantre en Paris je ne congnois,

Qui ait aussi plaisante voix

Comme moy, je le vous afferme.

L’AVEUGLE

De tant mieulx, il fault en brief terme

215Nostre vielle mettre à point,[-1]

Pour dire tresbien et à point

Une chanson tous trois ensemble.

LA CHAMBERIERE

Vostre devis trèsbien me semble,

J’en suis trestoute resjouye,

220Mais il fault qu’à point je soys mise,

Avant que d’aller plus avant,

Suis-je bien, derrière et devant?

S’il passe riens, dictes-le-moy.

LE VARLET

Vous estes à point par ma foy

225Il n’y a par foy riens qui passe.

L’AVEUGLE

Et venez ça! venez, Thomasse,

Puis après vous acoustrerés.

LA CHAMBERIERE

Par bieu, villain, vous attendrés,

Tant que je soye acoustrée.

L’AVEUGLE

230A ha! et vous ay-je abillée

A la gorre de maintenant

Pour estre ainsi la main tenant

A Gauguelu?

GAUGUELU

Et puis?[-2]

Je vous sers tant comme je puis

235Et elle tout pareillement.

Encor ay-je par mon serment,

Trop plus à faire à vous qu’à elle.

L’AVEUGLE

Laisse-moy ceste damoiselle

Au dyable et me viens ayder!


 [[ Print Edition Page No. 361 ]] 
LA CHAMBERIERE

240Vous n’avez pas si grant mestier

Qu’il ne m’ayde premierement.

L’AVEUGLE

A dea! c’est parlé hardiment!

A qui est-il varlet?

LA CHAMBERIERE274 vo]

A moy, à qui?[+2]

L’AVEUGLE

Corps bieu vous en avez menty!

245Je l’ay loué.

LA CHAMBERIERE

Et puis, beau sire,

S’il est le vostre, je puis dire

Qu’il est le mien.

L’AVEUGLE

Dictes-vous?

LA CHAMBERIERE

Voire.

L’AVEUGLE

Sang bieu, elle me fera acroire[+1]

Qu’elle est maistresse de mes biens,

250Vien çà! vien!

LA CHAMBERIERE

Il n’en fera rien.

L’AVEUGLE

Vien sa! te dy!

LE VARLET

Je n’oseroys.

L’AVEUGLE

Pour qui?

LE VARLET

Pour elle. Je seroye

Bastu comme beau seigle vert.

L’AVEUGLE

Voycy le dyable de vauvert,

255La crains-tu plus que moy?

LE VARLET

Ouy.

L’AVEUGLE

Tu as doncques d’elle jouy.

LE VARLET

Et j’ay le grant dyable d’enfer:

Plus froit suis que glace ne fer!

L’AVEUGLE

Viens doncques à moy et la laisse!

LA CHAMBRIERE

260Non fera. Suis-je point maistresse?

L’AVEUGLE

Et moy maistre?

LA CHAMBERIERE

Je le concède,

Mais à present n’y a remède,

Il me servira la première.

L’AVEUGLE

Ay-je pas bonne chamberière

265Et bon varlet (et) tout d’une sorte?

Que le grant dyable les emporte

Affin que j’en soys empesché!

Après qu’ilz auront chevauché

Tout leur saoul, je seray servy.

LA CHAMBERIERE275 ro]

270Gauguelu, mon trèscher amy,

Dictes-moy si mon chaperon

Me vient bien.

GOGUELU

Il vous fait trèsbon

Visaige, car il est barday

Et si est aussi bien voustay

275Que chapperon de ceste ville.

LA CHAMBERIERE

Je prins le patron entre mille

Sur lequel il a esté fait,[[276]]

Me fait-il bon voirs?

LE VARLET

Ouy, de fait:

C’est à la mode lyonnoyse.

280Je ne congnoys point de bourgeoyse

Qui en porte de la façon.

L’AVEUGLE

Mes que fais-tu tant, dy, garson,

Ne seras-tu meshuy lassé?

GOGUELU

Je n’ay pas encor commencé,

285Laissez-moy commencer et faire.


 [[ Print Edition Page No. 362 ]] 
L’AVEUGLE

Mais que dyable peux-tu tant faire

Environ elle?

GOGUELU

Rien quiconques.

[L’AVEUGLE]

Revien-t-en et la lesse doncques!

LA CHAMBERIERE

Non fera, car c’est mon plaisir.

L’AVEUGLE

290De malle mort puissez mourir

Tous deux.

GAUGUELU

Saint Jehan, mes vous tout seul.

LA CHAMBERIERE

De despit qu’il en a et deul

Escoutez comme il ronfflet[te]![-1]

Que distes-vous de ma templete

295Et de ce gorgeri nouveau?

LE VARLET

Il est merveilleusement beau.

L’AVEUGLE

Hau! hau! Gauguelu!

LE VARLET

Hau! hau! hau!

L’AVEUGLE

As-tu fait?

GAUGUELU

Ouy, à ceste heure!

L’AVEUGLE275 vo]

Tu as faicte longue demeure

300Pour acoustrer ceste afaictée.

LA CHAMBERIERE

Il vous desplaist quant apointée

Je suis?

L’AVEUGLE

Et mauldit soit-il qui en ment.[+2]

GOGUELU

Laissons ce debat hardiment

Et pensons de faire aultre chose.

305Mausouppé, pour bien peu de chose

Vous faictes grant charyvare.

L’AVEUGLE

Et je sçay bien causa quare.

Pourquoy n’oseroy-ge parler?

Ce seroit bien pour enrager

310De fere sugget à une folle.[+1]

LA CHAMBERIERE

Par Dieu, oncques maistres d’escolle

Ne baptit son escollier mieux,

Ou je puisse perdre les yeulx,

Que vous serés baptu annuit!

315Advisée me suis d’ung desduit[+1]

Auquel le fault faire jouer

Avecques moy.

LE VARLET

Or declerez

Quel deduyt c’est.

LA CHAMBERIERE

A broche en cul!

GAUGU[E]LU

Le corps bieu, vecy bien venu:

320Sera pour nous de s’amuser.

LA CHAMBERIERE

Luy et moy par mains et par piedz[[321]]

Serons en telle façon liez[+1]

Et aurons entre nos deux mains

Chascun sa broche, c’est du moins.

325Tu nous liras, note cela,

Mais mon lien se deslira,

Non pas le sien entens-tu bien,

Et, par monseigneur saint Julien,

Son cul je luy rebrasseray

330Et de verges le frotteray

Si très estroit qu’i luy cuyra.

GAUGUELU

La foy de mon corps, ce sera

Pour rire, voycy bonne fourbe!

A ce qu(e) aucun ne nous destourbe,

335Mener le fault en quelque boys.

LA CHAMBERIERE

C’est bien dit!

GOGUELU

Allons je m’en vois!276 ro]

L’AVEUGLE

Et en quel lieu?

LA CHAMBERIERE

A la verdure!

Aussi bien rien cy je ne fais.


 [[ Print Edition Page No. 363 ]] 
L’AVEUGLE

C’est bien dit, allons!

GOGUELU

Je m’en vois.

L’AVEUGLE

340Jamais je ne vous laisseroys.

Or allons, à nostre adventure,

Il fait si beau à la verdure

Au chant du rousignol ramaige.
          Pause

LA CHAMBERIERE

Demourez cy en cest umbraige,

345Je m’en vois ung petit pisser.

GOGUELU en parlant bas

Jà n’est besoing de le laisser,

Je feray les verges, tandis

Que serés o luy à devis,[[348]]

Voicy des boulleaux à foison.

L’AVEUGLE

350Ne faictes pas arrestaison

Qui soit longue, je vous en prie.

Entendez-vous bien, chere amye?

Sans vous je ne puis desormais.

LA CHAMBERIERE

Tantost je reviendray cy, mes

355Contrainte je suis d’aller là.

L’AVEUGLE

Je suis bien content de cela,

Mais que vous ne demourez guèrres.

LA CHAMBERIERE

Goguelu, je te fais prière.

Fais de grans verges à plain poin,

360Puis sur le cul de ce villain

Frappés fort et estroitement,

Je crieray aussi haultement

Comme si sur moy tu frappois

Car, quant aultrement tu feroys,

365Il diroit que (je) l’aurois trompé.

GOGUELU

Voyez, voicy pour Mausouppé!

Se je ne fais bien la fredaine,

Je puisse la fi[è]vre quartaine

Avoir et espouser ung moys.

370A! saint Jehan, je ne daignerois

Vous faire mal quel à mon corps.

LA CHAMBERIERE

Ay-ge esté dehors,

Dictes mon maistre?[[372]]

L’AVEUGLE276 vo]

Nenny,[-1]

De quoy je suis bien esbahy

375Pource que tousjours vous musés.

LA CHAMBERIERE

Aussi, qui n’iroit que chier,

Si fault-il que vous le sachez.

L’AVEUGLE

Content suis que vous ensachez

Vostre chose, quel villaine![-1]

LA CHAMBERIERE

380Ce lieu sent bien la marjolaine,

Esbatons-nous à quelque jeu.

L’AVEUGLE

Où es-tu Goguelu?

LA CHAMBERIERE

Je l’ay veu[+1]

Aller de ce bois à travers.

Le temps de chaleur est divers

385Et pourtant à l’esbat il va.

L’AVEUGLE

De tant mieulx. A quel jeu sera

Que nous jourons encependant

Qu’i va par ce bois esbatant,

Dictes?

LA CHAMBERIERE

Par ma foy, j’en feray ung,[+1]

390Qui n’est pas à trestout commun.

L’AVEUGLE

Et quel est-il, dictes ma mye?

LA CHAMBERIERE

A broche en cul.

L’AVEUGLE

Je vous supplie

Que d’y jouer fassions essay,

Car par [mon] âme je ne sçay

395Comment on y joue.

LA CHAMBERIERE

Non?


 [[ Print Edition Page No. 364 ]] 
L’AVEUGLE

Non.

LA CHAMBERIERE

Par la foy que je doy à mon

Parrain, je le vous apprendray.

Premier je vous acouteray

Puis je m’acouteray après.

L’AVEUGLE

400J’en suis content, et par exprès,

J’ay desir de jouer en somme,

Mais à moy qui vous suis bon homme

Ne faictes point de tromperie!

LA CHAMBERIERE

Non feray-ge, Vierge Marie,

405Emplus que vouldrois qu’on me [fist]!

L’AVEUGLE277 ro]

A! a! per le saint soleil qui luist,

Vous me liez par trop estroit,

Desportez-vous en cest endroit!

Que le dyable avoir part y puisse.

LA CHAMBERIERE

410Je vous ay fait mal à la cuisse,

Mais quoy, je n’y prenoye pas garde!

L’AVEUGLE

Le feu saint Anthoine vous arde

Dont vous n’avez si fort courbé!

Je suis aussi estroit gerbé

415Comme une gerbe de forment.

LA CHAMBERIERE

Et mauldit soit-il qui en ment,

Prendre fault son marchant au mot.

L’AVEUGLE

Je ne fus oncques en tel tripot,

Dieu m’en doint sortir à santé.

LA CHAMBERIERE

420Gauguelu, est-il bien lyé?

Est-il bien à propos ilum?

GAUGUELU

Par Nostre Dame, nous riron

Tant que pisserons en noz brays.

Mieulx liez je ne le sçauroys:

425Fouyr ne sçaroit nulle part!

Ventre bleu, il aura sa part

De ces verges si asprement

Que le sang en sauldra vrayment,

Puis qu’i fault que mon bras despende!

LA CHAMBERIERE

430Tant que puis, je te recommande

Sa peau, sa chair, ne te faingz point!

GOGUELU

Mais que ce viengne sur le point,

Ma parolle contreferay.

L’AVEUGLE

Je croy que meshuy je seray

435En ce lieu tant de court tenu.

Où estes-vous? Hau!

LA CHAMBERIERE

Voy-me cy,

Me cuidez-vous avoir perdue?

L’AVEUGLE

Et ouy par bieu de la nue,[-1]

Ne devons-nous meshuy jouer?

440Mais d’où venés-vous?

LA CHAMBERIERE

De cercher

Du boys pour nous faire des broches.

L’AVEUGLE

277 vo]Seront-elles grosses?

LA CHAMBERIERE

Comme loches,[+1]

Tenés, vous aurés ceste-là!

L’AVEUGLE

Or çà doncques, de par Dieu çà,[[444]]

445Qui nous doint bon commancement!

Mettés-vous à point maintenant,

Car j’enraige que je ne broche!

GAUGUELU assés loing

Se bien ennuit je ne vous touche

Je veulx estre sans eaue tondu.

450Au jouer à la broche en cu,

Le jeu bien cher vous coustera!

L’AVEUGLE

Estes-vous prest?


 [[ Print Edition Page No. 365 ]] 
LA CHAMBERIERE

Et combien a?

Pas ne tient à moy qu’on ne joue,

Mais c’est vous qui faictes la moue,

455Quant vous devés tirer avant.

L’AVEUGLE

Là doncques, là!

LA CHAMBERIERE

Là, hardiment,

Bon couraige, là, commencez!

L’AVEUGLE

Je crains il convient cesser.[-1]

LA CHAMBERIERE

Pour si peu.

L’AVEUGLE

Je suis desjà las.

LA CHAMBERIERE

460Mausouppé, vous estes à bas,

J’ay gaigné,[[461]]

A! mon Dieu, qu’esse que je voy,

Mon maistre! Voicy ung sergent!

Et où fuiray-ge maintenant?

465Il semble que soit ung bourreau.

L’AVEUGLE

Viens moy deslier ce cordeau

A celle fin que je m’en aille.

LA CHAMBERIERE

Bien voy qu’il y aura bataille,

Il a des verges plains les poingz.

470A! (a!) loué soit Dieu et ses sains

De quoy je me suis desliée!

L’AVEUGLE

Je te requier, ma chère amye,

Vien moy deslier s’il te plaist!

LA CHAMBERIERE

278 ro]Comment? Se je faisoys arrest,

475Batue seroy comme blé.

L’AVEUGLE

Qu(e) oncques homme ne fut troublé,

Hau! je suis par mon sacrement,

Gauguelu!

LA CHAMBERIERE

Il fuit devant[-1]

Et moy après tant que je puis.

L’AVEUGLE

480Glorieux Dieu de Paradis,

Or suis-je mort! je m’y attens!

LE VARLET en faignant sa voix et en lui troussant le cul et en frappant dit ce qui s’ensuit:

Et estes-vous icy, gallans,

Avecques la mille duquoys

Des coups aurés cinquante et troys,

485Dessus vos fesses, quelz brigans!

L’AVEUGLE

Hélas, Monseigneur, je me rens

A vous, nul mal je ne faisoys.

GOGUELU

Et estes-vous icy brigans

Avecques la mille duquoys?

L’AVEUGLE

490A l’aide, à l’aide, bonnes gens!

GAUGUELU

Il n’en y a point en ces boys.

Si la paillarde je tenoys

Des coups auroit plus de deux cens

Et le paillart pareillement

495Que j’ay d’icy veu en allé.

L’AVEUGLE

Hélas! Monseigneur, vous m’affollez[+1]

En despit dont je fus onc fait.

LE VARLET

A! je n’ay pas encore fait.

Je commance encore à vous batre:

500Enpreu, et deux, et trois, et quatre,

Et cinq, et six, et sept, et huyt.

A vous batre prendray deduit,

Neuf, dix, XI, XII., treze,

Estes-vous present à vostre aise?

505Venez-vous gueter les passans?

L’AVEUGLE

Hélas!

GAUGUELU

Je ne suis pas encore las,[+1]

Le bras m’eschauffe de frapper.


 [[ Print Edition Page No. 366 ]] 
L’AVEUGLE

Helas! Monsieur, j’en ay assés.

LE VARLET

278 vo]Pour ces brigans et meschans gens,

510L’on n’ose plus les boys passer.

L’AVEUGLE

Helas! Monseigneur, j’en ay assez,[+1]

Jamais je n’y retourneray.

LE VARLET

Aussi, si y estes trouvé,

Vous serés par le col pendu,

515Adieu vous dy!

L’AVEUGLE

Héé! Gauguelu![[516]]

LE VARLET

Que dis-tu?

Qu’esse que j’entens qui murmure?

L’AVEUGLE

Ha! Monseigneur, je vous asseure!

LE VARLET

Tu m’as maudit!

L’AVEUGLE

Sauf vostre grace.

LE VARLET

520Ce que tu as eu, prou te face

Et te tays!

L’AVEUGLE

Je ne sonne mot.

GAUGUELU

Sang bieu, Mausouppé est si sot

Que ne s’est oncques aperceu

Que ce fust moy.[[523]]

LA CHAMBERIERE

Il a receu,

525Ce croy, bonne discipline.

L’AVEUGLE

Héé! trèsdoulce Vierge benigne,

Je ne sçay que je feray plus![[527]]

D’ahan je chie sus et jus

Tout par tout, devant et derrière.

LA CHAMBERIERE

530Mener vous fault à la rivière,

Mon maistre, tant estes infame.

L’AVEUGLE

Tu es une vaillante femme

De m’avoir laissé au besoing,

Et aussi le filz de putain,

535Gauguelu, au dyable soyés-vous!

GAUGUELU

Vous esbahissez-vous si nous

Sommes fuiz? Ventre saint gris!

Il nous eust de batre destruis,

Il n’y a pas jeu à cela.

L’AVEUGLE

540Le grant dyable luy amena

279 ro]Qui vous puisse les coulx casser!

Quant vous m’avez veu en danger,

Vous en estes tous deux fouiz.

LA CHAMBERIERE

Si nous en sommes plus mauditz

545Ne si plus vous nous gergonnez,

Nous sommes bien deliberez

De vous laisser là tout planté,

E dea! velà trop menacé,

Cuidez que o vous on se tiengne

550Et que tant de cous on soustiengne

Qu’on ne les puisse soustenir.

Si vous nous voullez plus tenir,

Vous parle[ré]s d’autre manière

Et si nous ferés bonne chère,

555Nous n’y serons point autrement.

Cependant Gauguelu refait la vielle.

LE VARLET

Laissons ce discort vistement,[[557]]

Quant vostre vielle est refaicte.[-1]

Quelque plaisante chansonnette

Disons ensemblement tous trois.

L’AVEUGLE

560Et c’est pour quoy je t’apelloye!

Est tout bien? j’en sçay, Goguelu.

GOGUELU

Par bieu, je ne sçay.


 [[ Print Edition Page No. 367 ]] 

A’vous bien trestout apointé?

S’ainsi est, je le suis aussi.[[564]]

L’AVEUGLE

565Tout est bien, ce croy, Dieu mercy!

Chamberière, venez avant,

Venez eventer vostre vent,

Yci au son de la vielle,

Pour dire une chanson nouvelle

570Acoup toust.

LA CHAMBERIERE

Acoup commencer,

Mais premier il fault adviser

Laquelle nous dirons.

LE VARLET

C’est bien dit,[+1]

Songer il nous fault ung petit

Par avant que nous commenson.

TOUS ENSEMBLE

575Escouter que nous vous diron

Entre vous qui estes icy:

Asoir, ung gentil compaignon

Trouvesmes, je vous certify,

Qui faisoit cela et cecy

580O une fille de regnon,

279 vo]Je ne fus onc plus esbahy,

Tant branloit fort le croppion.

La fillette dont nous parlon

A bien près de dix huit ans

585Et a le plus gentil teton

Que je vis oncques, je me vens.

Quelle viande pour frians

Qui ayment le dedhuyt du hon,

Aprochez-vous, gentilz gallans,

590Mes que vous ayez argenton.

Mais si d’argent n’estes garnis,

Se ne vous en aprouchez jà,

Si vous en estes bien fournis,

Elle ne vous escondira,

595Portez-luy escuz et ducas,

Elle sera à vostre bandon,[+1]

D’elle vous ne chevirez pas,

Si vous ne portez argentum.

Ainsi qu’entendu nous avon

600Elle estoit encore pucelle

Et si a le fourchu menton,

Je la vy hier en la ruelle,

Elle a une blanche fourcelle

Et ung regard qui est mignon,

605Les bien venus serez o(u) elle

Mes que vous ayez argentum.

L’AVEUGLE

Dieu gard les seigneurs de façon

Et les dames qui l’ont ouye

De tout mal et de vilanie:

610Nostre vielle est bien d’acord.

LE VARLET

Allons-nous tous trois sans (nul) discord

Chanter de maison en maison.

LA CHAMBERIERE

C’est trèsbien dit en nous auron

Assez pour la gueulle fournir,

615Attendez nous trestous icy

Jucques à tant que nous revenon.[+1]

FINIS

[280 recto et verso blancs]

NOTES

 [XLV.] Farce du Goguelu. Goguelu de gogue, joyeux, plaisant. Sur la Scène de l’Aveugle et du Valet, voir mon article de la Romania, 1912, XLI, pp. 346-372. Le texte s’inspire de la scène inédite du Mystère de la Résurrection que j’ai publiée (le duel: à broche en cul).

 [187] si tu m[e] truelle ou m’entruelle (?): je ne comprends pas ces mots.

 [204] Andosse et gippon, les vêtements.

 [254] le dyable de Vauvert, expression parisienne, dont nous avons fait “au diable au vert.”

 [274] barday: voustay, bardé: voûté. J’entends: armé, courbé. Le soldat parle encore de son bardat (charge).

 [321] Dans la scène que j’ai publiée, c’est Saudret le valet qui prétend se mesurer avec l’Aveugle.

 [421] ilum, quid?
Le Varlet en faignant sa voix etc. . . . Dans mon article de la Romania cité ci-dessus, j’ai fait l’histoire de la feinte du changement de voix depuis le XIIIe siècle (Farce de Tournai) jusqu’à Molière, mais le point de départ est à chercher plus haut dans le Babio; cf. ma Comédie Latine en France au XIIe siècle, Paris, Association Guillaume Budé, 1931, 2 vol. in 8, t. I, pp. XIII-XIV. L’imitation des scènes que j’ai publiées dans la Romania du Mystère de la Résurrection (vers 1490) est probable, mais l’influence inverse est possible.

 [483] la mille duquoys m’échappe.

Endnotes

 [23,] O: Sailler.

 [41,] O: fussent.

 [74:] vers incomplet.

 [80,] O: des.

 [81:] vers incomplet auquel manque la rime au précédent: les seins?

 [115,] les mots “beau sire” sont de trop.

 [119,] “Vrayement” est de trop, à rayer.

 [218,] O: divis.

 [225,] O: Je.

 [276,] O: la p.

 [250,] O: sa.

 [348,] O: ou (notation phonétique correcte).

 [372,] probablement incomplet.

 [380,] O: cent.

 [395,] O: jouy.

 [435,] O: se gourt.

 [444,] sa (bis).

 [450,] Au jouz sa b.

 [461:] vers a compléter par une formule comme: “foy que je vous doy.”

 [495,] O: en allez.

 [516,] ce vers est sans doute tronqué.

 [523,] O: qui ne cest.

 [525,] O: Se.

 [527,] O: q. te f. p.

 [536,] O: esbahusez.

 [557,] O: vieille (il s’agit cependant de l’instrument de musique).

 [562:] vers incomplet, ne rimant pas avec le précédent; il en manque un autre pour rimer avec le suivant.

 [564,] O: Sauxi. . . .


 [[ Print Edition Page No. 368 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 369 ]] 

XLVI
281 ro] FARCE NOUVELLE
EXCELLENTEMENT BONNE DE QUATRE FEMMES
*

  • C’est assavoir:
  • LA BRAGARDE
  • LA GORIERE
  • LA BIGOTTE
  • et LA THEOLOGIENNE

[vignette]

[vignette]

LA BRAGARDE commence:281 vo]

Il est temps d’ung peu se resjouyr

Et deviser de ce qui est passé,

Dire motz tous plaisans à ouyr

Sans que jamais on se treuve lassé,

5Les tours, les fais, le train entrelassé,

La façon, la ruse et le moyen

Parquoy la femme tout veu et compassé

Peult attraire de l’homme tout son bien,

Bailler les fins pour le lier en son lien,

10Controuveront tousjours chose nouvelle,

L’abuser du tout à bon essien

Et braguer fort, Dieu mercy et le sien,

Pour ce faire je suis la solennelle,

Je viens, je voys, je trote par cautelle,

15A l’ung je ris, et l’autre je regarde

Par mon droit nom pour cela on m’appelle

Dedans Paris madame la Bragarde.

LA GORRIERE

Je me polis, je me farde,

Je suis dehet, frisque en point,

20Je tiens mon cul sur la ba[r]de

Je l’emboure tousjours à point,

Je congnois la note et le point

De larder celuy qui larde,

Je tiens la gorre sur mon point

25Nulluy ne prent sur moy garde,[-1]

Amours est ma contregarde,

Mon pavois et ma baniere,[-1]

Je seray qui qu’on l’engarde[-1]

Sur toutes autres la gorrière.

LA BIGOTTE

30Doy-je estre mise arrière?

Je veuls triumpher honnestement,[+1]

Je sçay la façon et manière

De bien pomper secretement,

Je fais mon cas couvertement

35Par ce point nully ne me note,

Je besongne ne occultement

En contrefaisant la bigotte.

LA BRAGARDE

Sus compaignes que on denotte

Par passe temps quelque motet.

LA GORRIERE

40Je suis gente, je suis mignote,

J’ay le cueur frisque et dehait,

Je prens le temps à mon souhait.

De bien fringuer je suis maistresse

Par quoy je vueil dire qu’il n’est

45Plaisir que de mener lyesse.

LA BIGOTTE

Je me brague à la messe,[-2]

282 ro]Soubz une cappe bien couverte

Je dis heures de cingesse

Il n’y que Dieu qui ait perte,

50Baisant pilliers à bouche ouverte,

J’offre chandelles à plian poing

Et pour prendre la cotte verte

Ja la prens quant il vient à point.

LA BRAGARDE

C’est bien bragué du contrepoint

55La brague est caulte et parfonde

Pour braguer en quignet ou en coing,[+1]

Ce n’est que pour tromper le monde.


 [[ Print Edition Page No. 370 ]] 
LA GORRIERE

En gayeté tousjours j’abonde,

Sur habitz je prens ma plaisance,

60Je ne crains femme à la ronde[-1]

Pour desmarcher la basse dance,

Elle s’en va.

LA BRAGARDE

Sans doubtance

Vous en estes la paragonne.

LA BIGOTTE

La bigotte on me nomme,

65Mais pour bien braguer de caquet

Soit en feste ou en banquet[-1]

Enda! je n’en crains personne.

LA BRAGARDE

Oeillades à travers je donne

A ung tas de jeunes coquars,

70Aucuneffois leur couste bonne

Quant avec eulx m’araisonne,[-1]

Je les repais de mes regardz,

Je voy aucuns de ces bragars

Cuydant Gorre contrepeter

75Lesquelz on prent en plusieurs pars

Et fault que soyent en despars

Sans jamais à cela taster.

LA GORRIERE

A plusieurs j’ay fait gaster

Soyes, velours et rubans,

80Courir apres moy et trotter

Ung moy, deux moys, ung an, deux ans,

Je les metz tous deux attendans

Le train d’amours leur fais gouster

De froit à l’huis cliquer les dens

85Sans jamais à cela taster.

LA BIGOTTE

Que c’est que l’homme!

LA BRAGARDE

A bref parler,

C’est la buse des abusez.

LA GORRIERE

Engins de femme sont moult rusez

Ilz besongnent d’art subtille.[-1]

LA BIGOTTE 282 vo]

90Qui est-ce qui pendit Virgille

Au corbillon pour s’esbatre?

LA BRAGARDE

Une femme fort fragille

Fist Salomon ydolatre.

LA GORIERE

La femme fait tost abatre

95L’homme par son faulx blason.

LA BIGOTTE

Qui est-ce qui tondit Sanson

Qui estoit si vaillant preux et fort?

LA GORIERE

Qui fist conquester la toyson

Fors que la femme par son sort?

LA BIGOTE

100Engin de femme point ne dort

Tousjours pense en malice

Controuvant chose propice

Pour decevoir l’homme au port.

LA BRAGARDE

C’est ung grant plaisir et deport,

105Quant femme joue son rollet,

Au mary donnant tout le tort

Pour dire “le dyable m’enport!”,

Ilz appaysent le povre follet.[+1]

LA GORRIERE

J’ay humé maint oeuf mollet

110Pour faire luyre mon visaige.

LA BRAGARDE

J’ay esté à Baignollet

Ouyr le rossignollet,

Chanter son doulx chant ramage

En esté.

LA BIGOTTE

Venons au passaige!

115Dictes, ma dame la Bragarde,

Qu’est devenue, quant je regarde,

Ma dame la Théologienne?

LA BRAGARDE

Par saint Cornille de Compiègne,

La Bigotte, scavés-vous quoy?

120Elle est allée par ma foy

A Romme querir dispance[-1]

Pour avoir povoir et puissance

De nous confesser desormais.

LA BIGOTTE

Certes en dya! je vous prometz

125Que c’est pour nous tresgrant bien.


 [[ Print Edition Page No. 371 ]] 
LA GORRIERE

C’est la femme qui a le moyen

Le plus subtil de tout le monde,

Elle est en science si parfonde

Qu[e] ung grant docteur n’y feroit rien

130Au pris d’elle.

LA BRAGARDE283 ro]

Estront de chien,[-1]

De ces théologiens crotés,

Ce ne sont qu’ânes fagotés,

Ilz ne scavent honneur ne bien.

LA BIGOTTE

Par monsieur sainct Julian

135La théologienne scet tout.

LA BRAGARDE

Elle a veu de bout en bout

La grant Bible en françoys

Et d’autres livres que je congnois

Comme Virgille methamofosé,

140Le Compost scet sur ses doys

Brief en tous livres elle glose.

LA GORRIERE

C’est une estrange chose[-2]

D’avoir si bon entendement.

LA BRAGARDE

Toutes sciences elle comprent,

145Elle est legiste, decretiste,

Et par monseigneur sainct Jehan Baptiste

Les plus grans clers elle reprent,

Tous les jours du nouveau aprent,

Ses livres sont bien visités.

LA BIGOTTE

150Elle a veu les translatés

De latin en françoys vulgaire.

LA GORRIERE

N’est-il pas bien necessaire

Que femmes voyent les erreurs?

LA BRAGARDE

Ung tas de baveurs confesseurs

155Qui ne sçavent ne a ne boys

Veullent estre correcteurs

D’entre nous femmes.

LA BIGOTTE

Par ma foy

Ilz n’ont sceu ne sçaront de moy

Chose de grant consequence.

LA GORRIERE

160Je ne suis pas en grant esmoy

De leur dire ne ça ne quoy,

Ne ce qui gist dedens ma pance.

LA BRAGARDE

Je garde sur ma conscience

Ce que ne leur diray pas.[-1]

LA BIGOTTE

165Il viendra quelque dispence[-1]

Pour nous absouldre de tous cas.

LA THEOLOGIENNE entre

J’ay couru par hault et par bas,

Par montz, par plains et valées

Et par voyes destournés,

170J’ay besongné tout part compas.

283 vo]Voycy des busles ung grant tas,

Des pardons, des indulgences

Moyennant escus et ducatz,

J’en ay fait les diligences,

175Pourveue suis de dispences

A duo, à tria, à milia,

Je confesseray tant y a

Toutes femmes, j’ay le povoir

Et pour dire aux maris

180Je feray blanc et noir.

LA BRAGARDE

Je suis bien aise de vous veoir,

Vous, soyés la bien venue.

LA GORRIERE

J’ay si grant joye que j’en sue,

Théologienne, quant je vous voy,

185Que je me sens toute esmeue.

LA BIGOTTE

Je me treuve hors d’esmoy,

Brief je suis toute à requoy,

Vous soyés la bienvenue.

LA THEOLOGIENNE

J’ay couru la poste drue.

190De Romme viens tout maintenant,

Là où j’ay mainte chose veue.

Ceste bulle j’ay obtenue

Plusieurs grans cas concernant,

La voylà! qu’elle soit regardée.

LA BRAGARDE

195Nostre Dame, qu’elle est plombée!

Elle poise trèsbien son pois.


 [[ Print Edition Page No. 372 ]] 
LA THEOLOGIENNE

Par le moyen de saincte Croix

En ce pays l’ay aportée

Sus ung empaquetée,

200Mais, quant vint passer le plus fort,

L’asne au pied d’une vallée

Cheut toute bride avallée

Et de ce pas demoura mort.

LA GORRIERE

Certes le pape a eu tort

205De voul[oir] bailler une telle beste,

Car ung asne à grosse teste

Ne peult faire diligence.

LA THEOLOGIENNE

Dedans Romme on ne fait feste

Que des asnes venus de France,

210Il en [y] a tant par ma conscience[+1]

Qu’en don presque on les donne,[[211]]

Aucuns ont grande couronne

Large comme grans prelatz.

LA BRAGARDE

Cela trop bien ne consonne

215A telz asnes bailler estatz.

LA THEOLOGIENNE284 ro]

Par saint Malo, il y en a à tas,

Je l’ay veu par experience.

LA GORRIERE

Lisons ung peu vostre dispance

Pour veoir le contenu d’icelle.

LA THEOLOGIENNE

220Je voys lire, faictes silence,

Vous la verrés bien solennelle,

Oncques n’en vistes une telle,

Elle est emple et generalle,

J’ay besongné par cautelle

225Sur la clausulle principalle.

En lisant la bulle

A tous et toutes faisons sçavoir

De nostre auctorité moyenne

Nous donnons puissance, pouvoir

A madame la Théologienne

230D’oÿr femmes de tous estatz

Interroguer d’ab oc et ab ac

Et les confesser de tous cas.

Ainsi signé: Teste de Fol.

Il n’y fault pas ung seul mot,

235Elle est en planière forme.

LA BRAGARDE

Mon cas confesseray enorme

Que j’ay gardé sur ma conscience.

LA BIGOTTE

Theologienne, plaine de science,

Vous sçaurés tout mon cas secret.

LA GORRIERE

240Ce que tenoys en oubliance

Je diray sans differance

Le contenu de mon malfait.

LA THEOLOGIENNE prent ung surplus et l’estolle

Tresbien purgeray en effait

Vos consciences de tous cas,

245Pensés-y toutes ung tantet.

LA BRAGARDE

Saint Michel, je ne lerray pas

A dire du hault et du bas

Tant seullement ung seul motet.

LA GORRIERE

Jamais n’eusmes ung tel bienfait

250Que cestuy-cy, je le voy bien,

Car tout peché et forfaict

Confesseray par ce moyen.

LA BIGOTTE

Nous nous confessions pour neant

A ces gros curés chetifz,

255Des grans pechés ne disons riens,

Mais confessons tous les petitz.

LA BRAGARDE

Nous ferons à nos appetis.

284 vo]Du demourant vie[n]gne qui viengne!

Confessons les plus hastifz

260Affin que myeulx nous en souviengne.

LA THEOLOGIENNE

Chascune de vous se seigne!

Certes je suis delibérée

De savoir vostre pensée

Par manière de confession,

265Par puissance à moy donnée

Je vous fais la benediction

Au nom du Père et du Filz.


 [[ Print Edition Page No. 373 ]] 
LA BRAGARDE

Je diray certes sans fiction

Tout le mal qu’oncques je fis,

270Je me confesse de mon vis,

De mes regards si tres parvers,

De mes yeulx penetratifz,

Que à plusieurs amans chetifz[[273]]

J’ay getté à tort et travers.

LA THEOLOGIENNE

275Les avés-vous point trop ouvers

En regardant quelques bobans

Comme chaines, habitz divers,

Foureures de martres, menus vers

Pour vous bien braguer en tous temps?

LA BRAGARDE

280Certes ouy, mais je m’en repens

Et de ce peché me confesse.

LA THEOLOGIENNE

Fustes-vous oncques à la messe

Faignant de aller par devotion?

LA BRAGARDE

Pour monstrer ma grande richesse

285Je y suis allée sans cesse

Et non pour autre occasion,

J’ay bragué par derision

Sur saintures à deux livrées,

J’ay porté les robes carrées

290Sur la nouvelle invention.

Tout partout il est mention

De ma brague superflue.

LA THEOLOGIENNE

C’est ung peché qui trop influe

Et est desplaisant à Dieu.

LA BRAGARDE

295J’ay frequenté aussi maint lieu

Comme festes, convis, bancquetz

Où l’on devise des caquetz,

Braguer sur homme et sur femme

Par oultraiges vilains et infetz,

300J’ay mesdit du bruit et de femme

De plusieurs.

LA THEOLOGIENNE

En substance

285 ro]Cela gist en grant conscience

Et en tresgrant amendement.

LA BRAGARDE

Je m’en repens tresgrandement,

305Je bas ma coulpe par remors.

LA THEOLOGIENNE

Avés-vous point souvent amors

D’aller jouer à Montmartre[[307-312]]

Au pellerinage de Saint Mors

Pour visiter les sainctz corps

310Des moynes pour vous esbatre?

LA BRAGARDE

J’ay esté des foys plus de quatre

Là à Saint-Germain-des-Prés

Pour cuyder guerir et rabatre

Le mal qui me tient de bien près.

LA THEOLOGIENNE

315Les sainctz font miracles exprès

Es cloystres par devotion fainte

Pour suyvre moynes feutrés

Et ces gros abbés eventrés,

La femme en devient ensainte!

320Fuss[iez]-vous jamais attainte

De ce cas?

LA BRAGARDE

Sans doubtance

Je fus ung jour pour ma plaisance

Toute preste de le faire

Car il m’estoit necessaire

325De dancer de leur dance.

Mon mary craygnoit l’avance

D’une robe qui me failloit,

Bref je suis par desplaisance

Preste à faire la vengence

330Et jouer du jeu qui me plaisoit

Pour estre vengée en effait.

LA THEOLOGIENNE

Voulenté repute le fait.

Passons oultre!

LA BRAGARDE

Et, de fait,

Ung jour allant à Bagnollet

335Pour jouer soubz la verdure,

Je fus preschée d’un follet

Dans ung jardin, menge[a]nt du let,

Tant qu’il m’eschaufit nature,

Je me confesse d’avanture

340De ce qui s’en est ensuivy.


 [[ Print Edition Page No. 374 ]] 
LA THEOLOGIENNE

Ilz fault bien, c’est chose seure,

Fournir les faultes du mary

Après.

LA BRAGARDE

Je eus le cueur si fort marry

285 vo]Ung jour de festes ou de dymanche

345Car je vys dedans sainct Marry

Une robe à large manche

Fourrée par dessus la hanche.

D’en avoir une j’euz envie,

Mais mon mary, que Dieu mauldie!

350Me respondit fin franchement

Que robbe n’auroye de ma vie

Faicte si dissoluement.

Certes alors Dieu scet comment

Je alis faire sa besongne,

355Car tout du fin commencement

Sans actendre tant ne quant

Je donnys poste à Boulongne

A ung quidam que je congnois.

LA THEOLOGIENNE

Entrastes-vous point dans le boys,

360Faisant semblant de pysser?

LA BRAGARDE

Comme se vouloys amasser

Ung boucquet, me mis à l’escart

Et voycy entrer d’autre part

Mon mignon atout sa cornette,

365En attendant qu’il fust plus tard

Nous cueillismes la violette

En plantant la margolaine.

LA THEOLOGIENNE

Cela ne fust point honneste.

LA BRAGARDE

J’en eus robe de migraine

370Fourrée de menus vairs.

LA THEOLOGIENNE

La brague est souveraine

Veu que, pour si peu de peine,

Vous bragués à tous envers.

LA BRAGARDE

En ces boys, qui sont si vers,

375Soubz arbre de fueilles ramu,

En ces boys, qui sont si vers,

Pour ouyr chanter le coqu.

LA THEOLOGIENNE

Depuis la teste jusques au cu

Vostre brague est fort parfonde.

LA BRAGARDE

380Je ne pechis onc en ce monde

Que pour ma brague inconfusible.

LA THEOLOGIENNE

Velà où du tout je me fonde

Car aux marys est impossible

De fournir à ces grans bragues

385Sans ayde.

LA BRAGARDE

Tant de bagues

Comme chesnes et anneaulx,

286 ro]Pennes de martres ou d’aigneaux,

Des penthoufles à liège bas,

Colliers, chapperons, grans joyaulx,

390Eschiqueter le taphetas,

Satin, velours de fin damas

Pour controuver habitz nouveaux,

Bref ce sont brides à veaux.

Dire que le mary fournist!

LA THEOLOGIENNE

395Quelque amoureux pris au nyd

En fait tousjours l’avancement,

Ilz sont attrapés au bricq

Aucuneffois trop lourdement,

Je m’esbahis bien grandement

400Que vostre mary n’en murmure.

LA BRAGARDE

Ce m’est tout ung trut avant,

Il fault bien qu’il endure.

LA THEOLOGIENNE

Vous luy avés par adventure

Donné de ce tresmauvais vent

405De la chemise.

LA BRAGARDE

Bien souvent

Je luy en donne à ma guyse.

LA THEOLOGIENNE

Ce paillard vent de la chemise

Fait l’homme devenir beste.

LA BRAGARDE

Je fais du tout à ma devise

410J’ay la recepte, j’ay la mise,

Si hardy que l’on me caquette.


 [[ Print Edition Page No. 375 ]] 
LA THEOLOGIENNE

C’est follye qui enteste

L’homme, car, pour demy pié,

Du plus ort dessus la beste

415Se rend si sugect, c’est pitié!

LA BRAGARDE

Je luy fais semblant d’amitié,

Je luy montre ma belle minne,

Je luy baille par le marché

Bien souvent la jambe coquine!

420Ça que ma confession je fine!

Je croy que velà tout le mal

Qu’oncques je fis en general.

LA THEOLOGIENNE

S’autres pechés aves commis

Par oubliance ou obmis,

425Que pour l’heure ne vous recorde,

A Dieu criez misericorde

Que du tout vous soyent remis!

LA BRAGARDE

Amen!

LA THEOLOGIENNE286 vo]

Ce puis qu’il est permis

Aprochez, venés, Gorrière!

LA GORRIERE en soy confessant

430Je ne sçay pas la manière

Ne comment dire je dois.

LA THEOLOGIENNE

Faictes le signe de la croix,

Dictes miserere mei Deus!

LA GORRIERE

Par ma foy jamais je ne fus

435A l’escolle pour apprendre.

LA THEOLOGIENNE

Il me fault bien entendre

A vostre cas, par bon moyen,

Venés çà, dictes-moy combien

A que n’eustes confession.

LA GORRIERE

440Quatre ans aura à l’Ascention

Que je ne fus à confesse.

LA THEOLOGIENNE

Nostre-Dame! et qu’est-ce?

Voycy de grandes erreurs!

LA GORRIERE

Je craignois ces confesseurs

445Qui ne sçavent ne a ne boy,

D’autre part ilz sont trop baveurs,

Ilz revèlent tout, par ma foy.

LA THEOLOGIENNE

Quelz asnes! Ont-ilz ceste loy

De reveler les confessions?

450Je verray leurs abusions

Et reformeray tout leur cas,

Dictes tousjours, n’arrestons pas,

Car nous n’avons que tarder

En cecy.

LA GORRIERE

Touchant le farder

455Si vous plaist m’interroguerés

Et au long me demanderés

De point en point ce que j’ay fait.

LA THEOLOGIENNE

Dictes du fard!

LA GORRIERE

En effect

Pour me faire trouver plus belle

460Tout mon visaige ay refait

Et mon corps tout contrefait

Selon la gorre nouvelle.

J’ay ambourré cul et mamelle

Pour les bien façonner à point

465En contrefaisant la pucelle,

Ce que je n’estoye point.

LA THEOLOGIENNE

287 ro]Voycy le principal point

Touchant ce grant peché d’orgueil.

LA GORRIERE

J’ay peché souvent de l’oeil

470En regardant de çà, de là,

J’ay abandonné mon vueil

Pour continuer tousjours cela.

LA THEOLOGIENNE

Attendés, touchant ce cas-là,

Il fault que je vous interrogue

475Avez-vous joué à ce jeu-là

Qu’on appelle le nicque-nocque?

LA GORRIERE

J’ay joué à planter la broque

Au fin plus près de mon cu!


 [[ Print Edition Page No. 376 ]] 
LA THEOLOGIENNE

Croque,

C’est bien joué à la boy tu.

LA GORRIERE

480J’ay maint homme abatu

Par mon langaige deceptifz

Tout bien compté et rabatu

Plusieurs sont demourez chetifz.

LA THEOLOGIENNE

Velà ung mauvais relatif,

485C’est grant charge de conscience.

LA GORRIERE

J’ay l’engin tressupelatif

Et pour prendre le plus hatif

Je les prens.

LA THEOLOGIENNE

Sans doubtance

Vous ne dormés pas en tout lieu

490Pour les mener à l’ostel-Dieu

Voz moyens en font l’avance.

LA GORRIERE

Je les nourris à plaisance,

De les traicter je suis ouvrière,

Tant qu’argent dure, je les panse

495Et quant il fault, à l’uys derrière.

LA THEOLOGIENNE

C’est peché à double manière

Vous les appaisés de fables,

Mais venés çà, la Gorrière,

Fustes-vous oncques à Naples?

LA GORRIERE

500Sy ay! sy ay! g’y ay esté!

LA THEOLOGIENNE

Et en Surie?

LA GORRIERE

Voyre, par saincte Marie,

Au plus parfond du païs

Et fus logée à la roupie

Le premier coup que g’y allis.

LA THEOLOGIENNE287 vo]

505Mais esse quelque bon logis?

LA GORRIERE

On y assiet à tous venans.

Les chambres sont de vert de gris

Painctes pour loger les plus grans,

Vous diriez que c’est paradis,

510La gorre est comme je dis

En grant pompe maintenue.

On y menge force perdrix

Mais on les paye à l’[i]ssue,

Ung mal y a, c’est qu’on y sue

515Ne plus ne moins que dens ung four.

LA THEOLOGIENNE

Vous en estes bien tost venue.

LA GORRIERE

Je suis preste de retour.

LA THEOLOGIENNE

Fistes-vous jamais nul fin tour

Prejudiciable au mestier?

LA GORRIERE

520Sy ay, car par folle amour

Pour moy plusieurs sont en dangier.

Tel couroit comme ung levrier,

Qui maintenant somme toute

Est dans ung lict pres du fouyer

525En criant, hélas, la goutte.

C’est ung morceau qui qu’en gouste

Il a bien fain de menger.

LA THEOLOGIENNE

Cela fait fort blasmer

Vostre gorre.

LA GORRIERE

Ce fait mon, mais quoy,

530Qui en aura paour, se tienne quoy

Et qui se garde d’y venir.

LA THEOLOGIENNE

Qui veult la gorre maintenir

Et vous ensuivre la gorrière,

Vous leur baillés ung souvenir.

LA GORRIERE

535Il y a ung garde derrière,

Je rue des coups dangereux.

Théologienne, confesser veulx

Deux autres maulx et puis devant!

LA THEOLOGIENNE

Confessez tout et hardiment

540Ne gardez rien dessus le cueur.


 [[ Print Edition Page No. 377 ]] 
LA GORRIERE

Je dis que moy etant en fleur

Grunant par gorre florissante,

J’ay porté pour plus grant honneur

Mainte pierre reluysante

545Enchassée et sans châsse.

LA THEOLOGIENNE288 ro]

Vous en avés mainte place

A vostre front, on le voit bien.

LA GORRIERE

Voylà tout, je ne scay plus rien,

Se j’ay mal fait je m’en repens.

LA THEOLOGIENNE

550Ça, Bigotte, gaignons temps,

Confessés-vous en general!

LA BIGOTTE

Pour venir au point principal

Je me confesse de bon cueur,

A Dieu le souverain createur

555Et à vous.

LA THEOLOGIENNE

Bigoterie,

C’est ung peché qui est contraire

A Dieu et à tous les sains.

LA BIGOTTE

Je me confesse à joinctes mains

Que, au regard de bigotage,

560J’ay commis des pechés mains

Contre mon Dieu et par oultrage,

Faignant faire pellerinage,

Contrefaisant la devotte

Et d’aller jouer au village

565Pour avoir la verte cotte.[-1]

LA THEOLOGIENNE

C’estoit oeuvre de bigotte.

LA BIGOTTE

Mon mary en commission,

Je suis allée mainteffoys

Aux Brières sans devotion

570Pour m’esjouyr dans ces boys,

J’ay chanté à haulte voix[-1]

Chansons que honneurs en fait reffus

Près de moy ung joly galoys

Frisque, gorrier et bien courtois,

575Qui me faisoit le dessus.

LA THEOLOGIENNE

Ne craingnés-vous faire coqus

Voz povres marys miserables?

Bigottes font plusieurs abus

Et mains cas deraisonnables,

580Vous ne doubtés ne Dieu ne dyables,

Remplies estes d’obstination

Si voz faitz ne sont amendables,

Tout droit yrés à damnation.

LA BIGOTTE

Pour parfaire ma confession,

585Misericorde mon cueur leurre

Et l’appelle par contricion,

Je confesse que par fiction,

J’ay fait à Dieu barbe de feurre

288 vo]Par ce peché, hélas! je pleure

590Et de bon cueur je me confesse.

LA THEOLOGIENNE

Fustes-vous onc à la messe

Après disner?

LA BIGOTTE

Communement

G’y ay esté et bien souvent

Que à plusieurs estoit advis

595Que je devoye proprement

Menger mariotes, crucefiz,

De tout le mal que oncques je fis

Duquel point ne me recorde.

Je prie le Père et le Filz

600Et luy crye misericorde

A deulx genoulx devotement.

LA THEOLOGIENNE parlant à toutes

Faictes bien doresnavant,

Plus ne soyés obstinées!

LA BRAGARDE

Absolutions nous sont baillées

605En nous donnant benediction.

LA THEOLOGIENNE

Soufit, puis qu’estes confessées,

Point n’aurés d’absolution,

Car je dis par conclusion

Que maintes femmes par compas

610Sont oÿes de confession

Et après toutes audicions

Ne sont absoutes de leur cas,

Puis ma bulle ne s’estent pas

Donner absolution planière.


 [[ Print Edition Page No. 378 ]] 
LA GORRIERE

615Dea, est-ce la manière

De toutes femmes confesser

Et puis à la fin dernière

Sans absolution les laisser?

LA THEOLOGIENNE

A Romme iray sans cesser,

620Courant la poste à diligence,

Pour veoir si pourray passer

Touchant ce cas une dispance,

G’y voys faire assistance

En pourchassant de obtenir

625Le point d’absouldre en substance

Adieu jusques au revenir!

LA BIGOTTE

Tout en ce point nous fault tenir

Puisqu’elle nous habandonne.

LA BRAGARDE

Se aucun se vient enquerir

630Qui nous sommes, je ordonne

Qu’on nous trouvera sans faillir

Grans grammairiens de Narbone.

FINIS.

NOTES

 [XLVI.] Farce de Quatre Femmes. La versification du début est irrégulière et je renonce à l’améliorer, de même dans le dialogue des vers 89-114 et 165-189, etc. . . .

 [139] Virgille méthamo[r]fosé m’est inconnu à moins que le copiste se soit trompé et n’ait voulu désigner les Métamorphoses d’Ovide.

 [140] Le Compost est le Calendrier des Bergers, que P. Champion a publié.

 [155] ne a ne boys (prononcez: boués, réduit ensuite à ).

 [307-312] Sur ces pélerinages parisiens voir l’Introduction.

 [445] cf. 155.

 [479] à la boy tu?

 [501] en Surie, parce que l’on sue de la vérole, qu’on appelait la grand’ gorre ou le Mal de Naples.

 [632] de Narbonne, du Collège de Narbonne, rue de la Harpe (cf. P. Champion, François Villon, t. I, p. 213).

Endnotes

 [2,] O: diviser.

 [211,] O: Qu’en da.

 [273,] O: Qui. . . .

 [317,] O: freutres.

 [370,] O: vers.


 [[ Print Edition Page No. 379 ]] 

XLVII
289 ro] FARCE NOUVELLE
A CINQ PARSONNAGES
*

  • C’est assavoir:
  • FAULTE D’ARGENT
  • BON TEMPS

et les TROYS GALLANS commencent en chantant

Bon Temps reviendras-tu jamais

A ta noble puissance

Que nous puissions tous vivre en paix

Au royaulme de France?

LE PREMIER

5Quant est à moy, je m’en remetz

A Dieu du tout.

[LE] SECOND

Prenons couraige

Il vient tousjours, je vous prometz,

Beau temps apprès pluye et orage.

LE TIERS

Quant le sot veult trencher du saige

10Plusieurs en sont souvent meschans.

LE PREMIER

Met-on pas bien l’oyseau en cage

Apprès qu’il a volé aux champs?

LE SECOND

Voit-on pas, après ris et chantz,

Muer joye en dueil et couroux?

LE TIERS

15Nous voyons tant de privez loups

Qui mordent.

LE PREMIER

C’est ce qui nous garde

D’avoir Bon Temps, entendés-vous.

LE SECOND

Le feu sainct Anthoine les arde!

LE TIERS

Le meschant du chetif se larde

20Et le riche tranche du chiche.

LE PREMIER

En avarice fiche son entendement.

LE SECOND

C’est le Temps,

Nous n’avons vaillant une miche

Et si encor sommes contens.

LE TIERS

25Vueillent ou non les mal contens,

Nous serons preux, joyeux, hardys.

LE PREMIER

Devant chascun je narre et dis

289 vo]Que Gallans justes et loyaux

Seront plus hault en Paradis

30Que ceulx qui ont or à plains boysseaux.

LE SECOND

Nous prenons peines et travaux

A vins, à viandes gouster.

LE TIERS

Par mon âme, les plus grans maux

Que faisons, c’est de souhaicter.

LE PREMIER

35Se souhaictz povoyent prouffiter

Aux Gallans comme leur conduite.

LE SECOND

Biens seroient communs sans doubte

Et chascun criroit quitte à quitte.

LE TIERS

Sera la bande desconffite

40Sans esperance de confort?

LE PREMIER

Nostre perte n’est pas petite

Car on dit que Bon Temps est mort!


 [[ Print Edition Page No. 380 ]] 
LE SECOND

Pardieu, Gallans, nous avons tort,

Puis que Bon Temps est trespassé

45Que nous luy donnons d’ung acord

Ung requiescant in pace.

LE TIERS

Jamais Bon Temps ne fut lassé

Nous secourir en fais et dis.

LE PREMIER

Par nous soit dit et compassé

50Pour luy que[l]que de profundis.

Il chante et appelle les deux autres.

Prions Dieu pour le temps passé,

Mes amys, il est trespassé!

LE PREMIER

Oremus Dieu, qui congnoist ce qu’il nous fault,

Envoyé-nous Bon Temps, qui tant vault,

55On le tient en captivité.

Praticque luy fait maint assault

Tant qu’à plusieurs marchans deffault,

Quant vient à la necessité.

Se on l’a de France dejecté

60Par haine, debatz ou discord,

Le peuple l’a cher achetté,

Parquoy Bon Temps est mort à tort.

BON TEMPS

Ha! gallans je ne suis pas mort

J’entens par cueur vostre raison.

FAULTE D’ARGENT

65Par ma foy, Gallans, Bon Temps dort,

Estroit le tiens en ma prison.

LE PREMIER

290 ro]Il dort, et par quelle achoison

Dormiroit-il? Parle à nous!

FAULTE [D’ARGENT]

En effet il n’est pas saison

70Que encore s’apparoisse à vous.

LE SECOND

Nous trouvons le Bon Temps tant doulx.

FAULTE D’ARGENT

Je tiens le Bon Temps en tutelle,

Hors d’icy, reculés-vous tous!

LE TIERS

Que dyable, vous estes rebelle!

BON TEMPS

75Hau! Gallans.

LE PREMIER

Bon temps nous appelle,

De luy avons-nous bon besoing.

LE SECOND

Faulte d’argent monstre son groing

Aux Gallans.

LE TIERS

C’est pour enrager

Qu’elle prent ainsi cure et soing

80D’avec nous Bon Temps separer.

LE PREMIER

J’ay bon espoir de m’en venger.

LE SECOND

Et puis que nous sommes comptens

Maulgré ses dens, pour abreger,

Nous povons bien avoir Bon Temps.

FAULTE

85Il fault qu’il coure ung aultre temps,

Premier que le puissés avoir.

BON TEMPS

Gallans, je vous fais assavoir

Que je ne suis mort ne transsy.

LE TIERS

Qui vous a crotté ainsi?[-1]

BON TEMPS

90Faulte d’argent.

LE PREMIER

Et qui la meult?

BON TEMPS

Elle me fait du pis qu’el peult.

LE SECOND

Velà bien une faulce lisse.

Qui en est moyen?

BON TEMPS

Avarice,

Chascun happe, chascun amasse,

95Tel a d’or, d’argent une masse,

Qui dit, pour final contrepoint,

Que Faulte d’argent si le point,

290 vo]Velà pourquoy suis en prison.


 [[ Print Edition Page No. 381 ]] 
LE TIERS

Bon Temps, si n’est pas raison

100Que vous soiez emprisonné.

LE PREMIER

Quoy, que Bon Temps soit gouverné

Par Faulte d’argent. . . .

FAULTE D’ARGENT

Vueille ou non,

Je le garde d’avoir renom,

Quant en mes lyens je l’atrappe.

BON TEMPS

105Aussi aucuneffois j[e] eschappe

Maulgré vos dens.

FAULTE [D’ARGENT]

Il est ainsi

Qu’à gens qui vivent sans soucy

Donnés bien souvent reconfort.

SECOND

Faulte d’argent vous avés tort

110De ainsi Bon Temps nous retenir.

LE TIERS

Bon Temps, vous povés bien venir

Passer le temps joyeusement

Avec nous publiquement.

Plus avons que l’escot ne monte,

115Au moins se l’hoste ne mescompte,

De venir soyez diligent!

BON TEMPS

Chassés doncques Faulte d’argent,

Puis avec vous prendray pasture.

LE PREMIER

Vuidés, ennemy de nature,

120Que vous n’ayez sur le visaige!

FAULTE [D’ARGENT]

Ha! ne me faictes point d’oultrage.

SECOND

Vous vuiderés dehors d’icy.

FAULTE [D’ARGENT]

Est-il vray, Gallans Sans Soucy,

Me faictes-vous telle rudesse?

LE TIERS

125Se Faulte d’argent ne nous laisse,

Jamais nous ne ferons beau fait.

LE PREMIER

Ha! vous vuiderés en effect.

FAULTE [D’ARGENT]

Et bien, Gallans, je m’en iray

Pour cest heure, mais je viendray

130A vous plustost que ne cuidés!

Vous estes bien oultrecuidés

De me voulloir ainsi chasser

Et si ne vous sçariés passer

291 ro]Trois jours la sepmaine de moy.

LE SECOND

135Vuide, tu nous metz en esmoy,

Toutes les fois que te voyons!

BON TEMPS

Or sus, sus, or nous ravoions,

Mes enffans, je suis revenu.

LE TIERS

Ha! dea, vous serés retenu

140Humainement je vous prometz.

LE PREMIER

Bon Temps, mon amy, je me metz

Dessoubz vostre protection.

SECOND

En effect par conclusion

Bon Temps est de la retenue,

145Par quoy disons à sa venue

Ung motet pour nous resjouir.

BON TEMPS

Qui vouldra de Bon Temps jouir

Ne pence point à avarice!

LE TIERS

Disons quelque chanson propice.

LE PREMIER

150Et par mon âme je le veulx.
Ilz chantent:

Aymés-moy, belle, aymés-moy

Par amours, je vous en prie,

Je vous donneray ung chappellet

Tout de muguet

155Pour passer melencolie.

LE PREMIER

Ne sommes-nous pas bien heureux

De vivre sans melencolie?

LE SECOND

Argeant met-il les gens ès cie[ux]?


 [[ Print Edition Page No. 382 ]] 
BON TEMPS

Nenny non, ce n’est que folie:

160Soucy l’avaricieux lye

D’ung lyen qui le lie si fort

Qu’il est percé jusqu’à la lye

Sans esperance de confort.

LE TIERS

Ceux qui sont riches ont grant [tort]

165Qu’avec vous ne prenent delict.

BON TEMPS

Et voire, car, quant on est mort,

On emporte qu’ung drap de lict.

LE PREMIER

Avarice Bon Temps destruit.

BON TEMPS

Si suis-je tousjours quelque part

170Aucuneffois sans faire bruit,

291 vo]On m’entretient et tost et tard.

LE SECOND

Vous vous retirés à l’escart

Là où on fait de bonnes chières,

Ne faictes pas?

LE TIERS

Il y a regard[+1][[174]]

175Sus differentes matières.[-1]

BON TEMPS

Portes closes, fortes barrières

M’ont fait musser dessoubz la terre,

En plusieurs et diverses manières,

Tant qu’on ne me sçavoit où querre.

LE PREMIER

180Touteffoys si fault-il enquerre

D’où procède ceste souffrance.

BON TEMPS

Depuis qu’on commença la guerre

Si me l’on[t] getté dehors de France.

LE SECOND

Nous entendons bien l’ordonnance.

LE TIERS

185Peu à peu les Gallans on mine

Et prent-on toute leur substance

Par Dieu jusques à la racine.

BON TEMPS

Et c’est pourquoy je me chemine

Parmy Paris puis aulcun temps.

LE PREMIER

190Le dyable ayt part à la rapine!

Par elle nous perdons Bon Temps.

BON TEMPS

Touteffoys, à ce que j’entens,

La guerre loingtaine et estrif

Sont de ce principal motif,

195Le povre commun a fillé,

On l’a secretement pillé

On luy a pardoune donné

Et Paradis habandonné,

Tant qu’il est saulvé vueille ou non

200Et, brief, j’ay perdu mon renom

Par plusieurs differentes sortes.

LE SECOND

Comment?

BON TEMPS

Marchandises sont mortes,

Parquoy aucuns sont mal souffrans,

Les escus sont mués en frans,

205Entende qui vouldra mes motz.

LE TIERS

Bon Temps a tresbon propos.

LE PREMIER

Il blasonne secretement.

BON TEMPS

292 ro]A grant peine par mon serment

Me sçaura-l’en remettre sus.

LE PREMIER

210La raison?

BON TEMPS

Aulcuns sont deceuz

Par trop croire ung peu de legier.

Tel veult son deshonneur venger

Qui l’acroist appetant vengence.

LE SECOND

Et n’aurons-nous point d’alegence

215Quelque jour de nos grans doleurs?

BON TEMPS

Que mais que ung tas de broulleurs

Soient hors de bruit, non aultrement.


 [[ Print Edition Page No. 383 ]] 
LE TIERS

Et voire, mais tandis comment

Serés-vous gouverné?

BON TEMPS

Trèsbien.

LE PREMIER

220Comme quoy?

BON TEMPS

Pour mon entretien

J’auray gras curés et chanoynes

Abbés, prieurs, non pas ces moynes,

Qui sont de nouveau reformés,

Car ilz ne sont point informés

225Des banquetz qui se font à part.

LE SECOND

Là passerés le temps gaillart,

Bon Temps.

BON TEMPS

Et puis je m’aplicque

A hanter ces gens de praticque,

Ceulx-là n’ont point Faulte d’Argent

230Mais attrappent par leur art gent

Le bien mondain.

LE TIERS

N’en faictes doubte!

BON TEMPS

Puis aucuneffois je me boutte

Parmy varletz et chambrières,

Qui font souvent de bonnes chières

235Quant leurs maistres et leurs maistresses

Sont couchés. Dieu scet les finesses

Qui se font yver et esté!

Telz gens maintiennent joyeuseté

En buvant tous[j]ours du meilleur

240Et puis, pour oster la challeur,

Aucuneffois on se reverse

Le plus souvent à la renverse,

Quant on rencontre à l’escart.

LE PREMIER292 vo]

Et par Dieu, Bon Temps est gaillart,

245Tosjours dit quelque mot pour rire.

FAULTE [D’ARGENT]

Bon Temps!

BON TEMPS

Qui est là?

FAULTE

Qu’on se retire![+1]

Force est que ces Gallans on laisse.

LE SECOND

Vecy venir ceste dyablesse

Faulte d’argent, qui se regrongne.

FAULTE D’ARGENT

250Ça Bon Temps, que je vous empoigne,

Rentrés dedans vostre tanière!

LE TIERS

Sçauroit-on trouver la manière

De la gecter hors?

LE PREMIER

Je ne sçay.

LE SECOND

J’en feray voulentiers l’essay,

255Ostés-vous d’icy, ostés, folle!

LE TIERS

Nous perdons quasi la parolle,

Quant Faulte d’argent nous assault.

BON TEMPS

Gentilz Gallans, endurer fault

Et dire quelque mot pour rire.

LE PREMIER

260Par Dieu nous ne sçavons que dire

Car nous nous tenrons de l’abbaye[+1]

Faulte d’argent pour vous suffire,

Dieu gard de mal la compaignie![+1]

EXPLICIT.

NOTES

 [XLVII.] Farce de Faute d’Argent et Bon Temps. Ce personnage figure, dès 1472, dans un Jeu de Jehan Destrées (Répertoire, p. 251).

 [123] Gallans sans Soucy semble désigner la célèbre confrérie théâtrale des Enfants sans Souci. Cf. mon Théâtre profane, p. 56.

 [261] Faut-il entendre: nous nous réfugierons dans l’abbaye de Faulte d’Argent (détermination par juxtaposition)?

Endnotes

 [174:] vers incomplet?


 [[ Print Edition Page No. 384 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 385 ]] 

XLVIII
293 ro] FARCE NOUVELLE
A DEUX PERSONNAGES
*

  • C’est assavoir:
  • RIFFLART
  • et FINETTE

LA MAUVAISTIÉ DES FEMMES

[vignette]

RIFLART commence293 vo]

Gens mariez ont assez paine,

A bien considerer leur cas.

Par chascun jour de la sepmaine,

Gens mariez ont assez peine.

5L’ung tracasse, l’autre pourmaine,

De nuit et (de) jour, velà le cas,

Gens mariez ont assez peine

A bien considerer leur cas.

A besongner ne fauldray pas,

10Car, se ma femme survenoit,

Certainement elle me batroit,[+1]

Nuit et jour ne fait que hongner.

Pour eviter si hault langaige

Je vueil assouvir ceste cage,

15Ce sera pour mectre une pie.

FINETTE

Que fait Riflart?

RIFLART

Quoy? dea! ma mye,

Je remet à point ceste cage.

FINETTE

Esse tout? Que la malle rage

Te doint Dieu, villain malostru!

20Or dy, comme gaigneras-tu

Ta vie? Tu ne veulx riens faire,

Du mal monseigneur saint Aquaire

Puisse-tu estre tourmenté

Et aussi que malle santé

25Te doint celuy qui te forma!

RIFLART

Me mauldissés-vous? Qu’esse là?

Dea! Finete, quant je me mis

En mesnage, tu me promis

Que feroye mon commendement[+1]

30Et tu me maulditz maintenant!

Fault-il qu’endure? Qu’esse cy?

Je feray ceste cage icy

Et deussiez-vous vive enrager.

FINETTE

Mais pourquoy faire?

RIFFLART

Pour loger

35Une pie, c’est ung bel oyseau.

FINETE

Et que dira-elle?

RIFFLART

“Maquereau,

Va hors, va, larron! . . .”

FINETTE

Que vous estes!

294 ro]Hé! Dieu, qu’il est de sottes testes!

RIFFLART

Je ne suis point macquereau, non.

FINETTE

40Se la pie par vostre nom

Vous a appelé, vous l’orrez bien.[+1][[41]]

RIFFLART

Je suis aussi homme de bien

Que homme qui soit sur ses piedz†[[43]]

Et vueil bien que vous [le] saich[i]ez,

45Puis que je l’ay mis en ma teste,

Ce ne sera point autre beste[[46]]

Que pour une pie; je le vueil!


 [[ Print Edition Page No. 386 ]] 
FINETTE

Se vous en aviez plus grant dueil,

Et deussiez de courroux crever[[49]]

50Et de male rage enrage

Par la tocque bieu non sera:[[51]]

Ung cocu on y boutera,

Entendez-vous bien?

RIFFLART

Ung cocu?

J’aymeroye mieux perdre ung escu!

55Comment en serez-vous maistresse?

Je mourroye plustost de detresse,

Une pie y sera mise.[-1]

FINETTE

Certes j’en feray à ma guise,

Vueillez ou non!

RIFFLART

Voire, Finette,

60Que jamais on ne m’en quaquette,

G’y mettray une pie.

FINETTE

Vous, paillart,[+2]

Vueillés ou non, par Dieu, Rifflart,

Je mettray ung cocu dedans!

RIFFLART

Vous en mentirés par les dens

65Par le [saint] sang que Dieu me fist,

Puis que je l’ay dit il souffist,

Finette n’en quaquetez plus

Ou foy que doy au roy Jesus

Ung coup aurez sur la narrine.

FINETTE

70Foy que doy à saincte Katherine[+1]

Vous ne le porterez pas loing,

Je vous bailleray sur le groing,

Entendez-vous, villain jaloux?

RIFFLART

Et belle dame taisés-vous,

75Paix.

FINETTE

294 vo]Pour qui?

RIFFLART

Taisés-vous meshuy!

FINETTE

Pour ung loudier, pour ung yvrongne?

RIFFLART

Encore.

FINETTE

Fy! fy! (fy!)

RIFFLART

C’est trop dit,

Paix.

FINETTE

Pour qui?

RIFFLART

Taisez-vous meshuy.

FINETTE

Me tairé-ge pour ung yvrongne?

RIFFLART

80Avoir pourrez sur vostre trongne!

FINNETTE

De qui? De vous?

RIFFLART

Et de qui donques?

FINNETTE

Faictes, faictes vostre besongne!

RIFFLART

Avoir pourrez sur vostre trongne!

FINETTE

Par Nostre-Dame de Boulongne

85Je ne vous crains en rien quiconques.

RIFFLART

Avoir pourrez sur vostre trongne![[86]]

FINETTE

De qui? De vous?

RIFFLART

Et de qui doncques?

Par la mort bieu, je ne vy oncques

Femme qui eust telle caboche!


 [[ Print Edition Page No. 387 ]] 

90Mais qu’aye cy mis une broche,

Ma cage sera assouvie.

FINETTE

Et qui mettra l’en?

RIFFLART

Une pie.

FINETTE

Mais ung cocu!

RIFFLART

Mais ung estronc!

Laissez-moy fayre!

FINETTE

295 ro]Quelle folie!

95Mais qui mettra-l’en?

RIFFLART

Une pie.

Elle sera cointe et jolie

Et [si] sera à demy ront.

FINETTE

Mais qui mettra-l’en?

RIFFLART

Une pie.

FINETTE

Mais ung cocu!

RIFFLART

Mais ung estronc!

100Aussitost que les gens l’orront

Appeller macquereau, siffler,

Par mon âme ce sera fer,[[102]]

Il n’en fault point parler du pris.

FINETTE

Ung cocu dedens sera mis,

105Qui est ung oyseau de grant bien.

RIFFLART

Par ma foy, il n’en sera rien

Et ne m’en parlés plus, Finette.

Aussitost qu’elle sera faicte

G’y voys une pie acheter.

FINETTE

110Pour quoy faire?

RIFFLART

Pour y bouter.

FINETTE

Saint Jehan, mais ung cocu jolis.

RIFFLART

Si sur vous je gecte mes gris,

Vous dirés une pie.

FINETTE

Feray?

Par Dieu ennuit ne me tairay

115D’ung cocu? oyez-vous?

RIFFLART en frappant

La chair bieu, si aurez des coups,

Tenés, dictes une pie. Ferés?[+2][[117]]

FINETTE

Mais ung cocu!

RIFFLART

Vous en aurés!

FINETTE

C’est pour neant, avant me tuerez.[+2]

RIFFLART 295 vo]

120Dictes une pie, je vous prie![+1]

FINETTE

Non feray, par sainte Marie,

Mais ung cocu!

RIFFLART

Vous en aurez

Plus de cent coups, n’en doubtez mie,

Cuidés-vous que soit mocquerie?

125Il fault que je vous fine à bon.

FINETTE

Me tueras-tu, traistre larron,

Meseau pourry, que veulx-tu faire?

Je conteray tout ton affaire

Au Maire de nostre village.

130Tu ne te vis que de pillage,

Sanglant bougre d’ung vieil thoreau,

Je te don(ne)ray sur le museau,

Se tu me frappe[s] aujourd’huy.


 [[ Print Edition Page No. 388 ]] 
RIFFLART

Par Dieu, si vous parlez meshuy

135De cocu ne de tel oyseau,

Je vous casseray le museau,

Tant vous don(ne)ray de horions,

Taisez-vous donc et ne disons

Chascun mot et je vous en pry.[[139]]

FINETTE

140Que je me taise? Je t’affy

Que c’est bien envis par ma foy!

RIFFLART

Certes, Finette, je t’en croy!

Or dy doncques, je te supplie

Que ma cage est pour une pie,

145Car je l’ayme, bien entendu?

FINETTE

Et vrayment, c’est pour ung cocu,

Jamais ce propos ne lerray.

RIFFLART

Mais pour une pie.

FINETTE

Ay! non feray[+1][[148]]

Et par Dieu, c’est pour ung cocu!

RIFFLART

150Je te donneray ung escu,

Et le dy!

FINETTE

Sainct Jehan, non feray!

Par bieu, c’est pour ung cocu,

Jamais ce propos ne lerray!

RIFFLART

Aufort tout lui accorderay,

155Je ne voy point (de) meilleure voye.

Le sang bieu, avant la turoye

Qu’elle chang[e]ast d’oppinion.

FINETTE296 ro]

Par saint Jehan ce ne feray mon,[[158]]

Car jà pie n’y sera mise,

160J’en feray [tout] à ma devise,

Tu m’as rompu tous les costés!

Ung cocu y sera bouté

Et ne m’en tiens plus de langaige

Ou, en despit de ton visaige,

165Se mettre y veulx contredit,[-1]

Je la bruleray par despit,

Entens-tu?

RIFFLART

Belle dame,[-2][[168]]

Je suis bien mari, par mon âme,

Que [vous] avez si malle teste.

170Les gens si me tiendroyent pour beste

Si n’estoye maistre en ma maison,

Aussi es-[ce] droit et raison,

Autrement ne seroye pas saige.

FINETTE

Cela n’est pas [à] nostre usaige

175Et ne seroit point à mon propos,[+1]

Femmes n’ont jamais le bec clos

Et ce n’est pas de maintenant!

En t’a gaigé certainement,[[178]]

Y mettre ung joli cocu,

180Or dy! le m’achetteras-tu

Ou se je l’iray acheter?

RIF[F]LART

J’ayme mieulx le vous apporter,

Car j’en trouveray mieux que vous.

FINETTE

A quoy, dea, congnoistrés-vous[-1][[184]]

185Se il est male ou fumelle?[-1]

RIFFLART

Regarder luy fault soubz l’esselle.

Finette, là le congnoist-on.

FINETTE

Autour Noël en la saison[[188]]

Chantant soubz la cheminée,

190C’est une chose esprouvée.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 389 ]] 
RIFFLART

Or allons, vous et moy, chercher

Se ung en pourrons trouver[-1]

Pour bouter dedens vostre cage.

Qui gouvernera le mesnage

195Tandis que g’irons au marché?

Bonnes gens, vueillés prendre en gré![[196]]

Nous allons par cy le pas,[-1]

Ung chascun selon son degré

Vueille prendre [en gré] nos esbatz.1

FINIS

[296 verso blanc]

NOTES

 [XLVIII.] Farce de la Mauvaistié des Femmes: connue comme L’Obstination des Femmes (Anc. théâtre français, t. I, pp. 21-31 (Cf. Répertoire, pp. 188-189). En général notre texte est meilleur.

 [22] Du mal Monseigneur Saint Aquaire, la folie. Cf. Le Jeu de la Feuillée d’Adam le Bossu (XIIIe siècle).

 [52] ung cocu, un coucou.

Endnotes

 [10,] O: ce.

 [41,] O: ornez.

 [43,] O: mes p.

 [46:] Anc. th.: pour a. b.

 [49:] Anc. th.: et d. vous vif enrager.

 [50:] Anc. th.: et de m. r. manger (notre texte est préférable).

 [51:] Anc. th.: P. la pasque Dieu.

 [70:] Attribué à tort par Anc. th. fr. à la réplique précédente.

 [75 et 78,] O: meshuit.

 [Après 86,] O: mastic, comme on dit en argot de typographe:

Par la mort bieu

Et de qui doncques.

 [90:] Anc. th.: M. que j’aye mis cy une b.

 [102:] Anc. th.: ce s. faict.

 [115:] Anc. th.: Dictes pie; ouez-vous? (attribué à Rifflart.)

 [117:] Anc. th.: la pie.

 [125,] O: je v. serre à b.

 [136:] Anc. th.: Je v. rompray tout le m.

 [139:] Anc. th.: Meshuy m.

 [140:] Anc. th.: Que me t. Je v. a.

 [145:] Anc. th.: entens-tu?

 [146:] Anc. th.: Et par dieu c’e.

 [148-154,] manquent.

 [154,] O: leur.

 [158,] O: se.

 [165:] Anc. th.: Le m. y. v. contre son dit.

 [168:] Anc. th.: Je s. b. courcé p. m. a.

 [175:] Anc. th.: sert.

 [176,] O: Femenis.

 [178:] Anc. th.: En ta caige c.

 [179:] Anc. th.: Je mettray.

 [180:] Anc. th.: Or dy me l’apporteras-tu.

 [184:] Anc. th.: A. q. d. le congnoissez-vous?

 [188:] Anc. th.: Bouter en n. l. s. (ne donne pas de sens).

 [189:] Anc. th.: Chantant l’iver soubz la ch.

 [196:] Anc. th.: B. g. prenez tout en gré.

 [198,] O: Ung ch. son sujet s. s. d.

 [199:] Anc. th.: Vueillez p. e. g. n. e.

 [1] Anc. th.: Cy fine la Farce de l’Obstination des Femmes Imprimé nouvellement en la maison de feu Barnabé Chaussard, près Nostre-Dame-de-Confort.


 [[ Print Edition Page No. 390 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 391 ]] 

XLIX
297 ro] FARCE NOUVELLE
TRESBONNE ET FORT JOYEUSE DU CAPITAINE MAL EN POINT
A CINQ PERSONNAGES
*

  • C’est assavoir:
  • BRIFFAULT
  • PAILLART
  • MAL EN POINT CAPI[TAINE]
  • PRES TENDU

MAULPENSÉ, capitaine des mauhaictiés

BRIFFAULT commence297 vo]

Pinte à soupper, pinte à disner

Et puis chopine à desjeuner,

Regardez combien cela monte

Et autant à ressiner,[-1]

5Il n’en fault plus ymaginer,

Par le sang bieu! j’ay tout mon compte,

Au moins se je ne me mesconte.

Nenny, se j’ay bien entendu.

Bref mon argent est despendu,

10Messieurs, il n’y a que frire[-1]

Par quoy je me tiens bien de rire!

Car je ne sçay où les dens mettre!

PAILLART

Est point ceans monsieur mon maistre,

Le capitaine de Nully,

15Je viens pour trencher devant luy,

Mais je ne sçay où c’est qu’il souppe.

BRIFFAULT

Sainte sang bieu! qu’il happe soupe!

Vecy atout son gros juppon!

Mengeroit-il point d’ung chappon,

20S’il avoit jeuné de nouveau?

PAILLART

Le ventre saint gris! quel chevreau

Atout celle chemise fine,

Pour dire ung verset de cuisine

En ung breviere de trippes![-1]

25Onc puis le temps [du] roy Philippes,

Je ne vy homme mieux en point.

BRIFFAULT

Dieu gart celuy qui a maint point

Blanc et noir sur son hoc[que]ton!

PAILLART

Dieu gart le gallant au pourpoint

30Dont on voit saillir le coton!

BRIFFAULT

D’où viens-tu, mon gent valleton?

Je croy que tu viens de repaistre.

PAILLART

Non fois, je demande mon maistre,

Lequel m’a mandé pour trencher

35Devant luy.

BRIFFAULT

Il vous tient bien cher,

Je croy que vous le gouvernez.

PAILLART

Trestout paisiblement.

BRIFFAULT

Tenez,

Au monde n’a que eur ou maleur,

298 ro]Vecy ung droit petit seigneur!

40Et nous aultres n’aurons jà bien.

PAILLART

Jamais sans conseil ne fait rien.

Premier que ne soye venu,

Tout ce que je dy est tenu

Comme d’ung bien grant capitaine.


 [[ Print Edition Page No. 392 ]] 
BRIFFAULT

45Et il est ta fièvre quartaine

Qui te puisse tenir estroit,

Parbieu, qui ne le congnoistroit,

Il seroit filz d’ung empereur!

PAILLART

Et où m’as-tu veu?

BRIFFAULT

A Paris,

50Je te congnois bien, soyés (en) seur!

PAILLART

Et de quel mestier?

BRIFFAULT

Rotisseur,

Ne nous fais jà cy du gros bis,

On te congnoit à tes habis,

Tu es aussi gras comme lart.

PAILLART

55Comme m’appelle-t-on?

BRIFFAULT

Paillart,

Se tu n’as eschangé[-2]

Ton nom.

PAILLART

Je puisse estre enragé,

Se ces parolles ne sont vrayes.[[58]]

BRIFFAULT

Quel grant conseiller de mes brayes

60Il estoit desjà devenu.

Ne nous fay plus du mescongnu,

Car il n’en est point de mestier.

PAILLART

Pourquoy?

[BRIFFAULT]

Nous sommes d’ung mestier

Toy et moy, pour le faire court.

PAILLART

65D’où viens-tu?

BRIFFAULT

Je viens de la Court,

Où j’ay rosty plus de troys moys!

G’y ay mon pourpoint de chamoys

Trestout brullé, et ceste cuisse.

PAILLART

Vien çà! congnois-tu point la Louisse?

70Je croy que tu ne la veis oncques.

BRIFFAULT298 vo]

Et qui dyable congnois-je doncques?

Demande se je la gouverne.

PAILLART

Que fait-elle?

BRIFFAULT

Elle tient taverne,

Je luy ay porté maint oyson

75Et mainte espaulle de mouton,

Quant le Roy estoit à Vendosme.

PAILLART

Saint Jehan, tu es ung notable homme!

Puis que tu as esté regent

A la Court, tu n’as point d’argent!

80Je cuide qu’il n’en est memoire.

BRIFFAULT

Pourquoy?

PAILLART

Nous fussions allé boire

Pour nous deviser sur le banc.

BRIFFAULT

Crève moy l’oeil d’ung petit blanc,

Toy qui es si ferme raillart.

PAILLART

85Estranglé sois-je d’ung paillart,

Se je soustiens pille ne croix!

Non, sire, par là!

BRIFFAULT

Je t’en croy,

Il ne fault jà que tu en jures.

PAILLART

Allons cercher nos adventures,

90Ne soyons plus cy en suspens,

Il fault penser pour les despens,

Entens-tu bien que je te chante?

BRIFFAULT

Allons!

PAILLART

Allons!


 [[ Print Edition Page No. 393 ]] 
MAL EN POINT commence en chantant:

Helas! que la nuyt est pesante

95A passer, qui n’a point souppé:

Une en dure plus de cinquante!

BRIFFAULT

Qui est celuy qui si hault chante,

Est-il yvre de rippopé?

MAL EN POINT

Helas! que la nuyt est pesante

100A passer, qui n’a point souppé!

PAILLART

Ha! sang bieu quel maistre accipé

299 ro]Vecy, atoute sa journade.

Il a le beau pourpoint d’ostade,

Luysant comme la peau d’ung ours.

BRIFFAULT

105Et par Dieu, sire, c’est velours

Qu’il porte, et l’eussiez-vous juré?

MAL EN POINT

Rien, c’est latin deffiguré!

Regardez-y bien, Jehan la Chèvre,

Que la sanglante forte fièvre

110Vous puisse espouser tous [les] deux!

PAILLART

Pourquoy?

MAL EN POINT

Pour ce que je me deulx

De ce que ne vous vy longtemps.

BRIFFAULT

Qui? Nous?

MAL EN POINT

Il a plus de sept ans

Que je suis par terre et par mer

115Vous cerchant.

PAILLART

C’est bon à humer!

Dictes-nous la cause pourquoy.

MAL EN POINT

Pour ce que vous estes à moy

Et ceulx que je tiens les plus chers.

BRIFFAULT

A vous?

MAL EN POINT

Vous estes mes archiers.

PAILLART

120Voz archiers?

MAL EN POINT

De ma compaignie.

BRIFFAULT

Par le sang bieu! je le vous nye,

S(e) aultre raison n’en est livrée.

MAL EN POINT

Comment? vous portez ma livrée,

Tous deux, ne me renoncez point!

PAILLART

125Et qui estes-vous?

MAL EN POINT

Mal en Point,

Ung capitaine de renom!

BRIFFAULT

Velà ung bien estrange nom

Estes-vous ainsi nommé?[-1]

MAL EN POINT

299 vo]Le gentil chappelet pellé,

130La robe en cinq ou six lieux percée[+1]

Et la chemise renouée

Se conferme bien à mes dis!

PAILLART

Foy que doy Dieu de Paradis,

Je cuide qu’il dit verité!

BRIFFAULT

135Voire mais, quel auctorité

A-il sur nous? je n’en sçay rien!

MAL EN POINT

Tous ceulx sont des gens mal empoint,

Qui n’ont jaquette ne pourpoint

Et portent ung sac pour chemise

140Et ont, par celle belle bise,

Les chaus[s]es trouées aux genoux.

PAILLART

Saint Jehan nous sommes donc à vous!


 [[ Print Edition Page No. 394 ]] 
MAL EN POINT

Tous ceulx sont des gens mal en point

Qui n’ont ne chausse[s] ne pourpoint,—

145C’est selon l’ordre de belistre,—

Et le beau chappelet à mistre,

Le jacques bien garny de poulx.

BRIFFAULT

Saint Jehan nous sommes donc à vous!

MAL EN POINT

Tous ceulx sont des gens mal en point,

150Qui n’ont d’argent ne pou ne point

Et ont si tresgrant fain aux dens

Qu’on y bouteroit bien dedens

Deux chappons oins qui fussent soubz.

PAILLART

Saint Jehan nous sommes donc à vous!

MAL EN POINT

155Tous ceulx sont (dea) des gens mal empoint,

Qui n’ont house (ou) ne soullier oingt,

Ars devant et brulez derrière

De la souppe de la chauldière

Et de la fumée tous roux.

BRIFFAULT

160Saint Jehan nous sommes donc à vous,

Maintenant je n’en doubte rien.

MAL EN POINT

Ha! dea! je le disoie bien

Qu’ainsi nous trouverions amys!

BRIFFAULT

Mal en Point, où serons-nous mis?

165Nous voulons sçavoir nostre office.

MAL EN POINT

Chascun de vous l’aura propice

Tout maintenant, car il le fault,

Comment as-tu nom, toy?

BRIFFAULT300 ro]

Briffault.

MAL EN POINT

Briffault, ça doncques vous serez

170Mon aulmosnier et si ferez

Mes aulmosnes et tous mes dons,

Mais pour Dieu, que soyez prud’hons,

Ne vous dannez point pour pecune!

PAILLART

Et moy auray-je office aucune

175De baillif ou de prometeur?

MAL EN POINT

Tu seras mon premier grateur,

Car tu me sembles prompt et miste,

Mais sces-tu quoy, grate moy viste

Mon gris, tandis que la paille art!

180Comment as-tu nom toy?

PAILLART

Paillart.

MAL EN POINT

Paillart? Par saint Pierre de Romme,

C’est le nom d’ung bien vaillant homme

Qui n’est pas escous d’ung patin.

PAILLART

Nous entendons nostre latin

185Et sommes assez rouges gueux!

MAL EN POINT

Or venez après moy tous deux,

Suyvez-moy de loing, pas à pas,

Entretenez-vous par les bras

Et puis me dictes que vous semble

190De moy. Vois-je point ung bon bransle

Et d’une bonne gravité?

Semblé-ge homme d’auctorité?

Mes archiers, vous n’en dictes rien!

Par Dieu je suis homme de bien

195Et en porte bien le semblant.

BRIFFAULT

Advis m’est que je voy Rollant

Fort marcher en une bataille:

Il estoit ainsi de tel taille,

J’en suis maintenant bien recors,

200Mais Mal en Point a meilleur corps

Pour bien faire ung tour de souplesse.

MAL EN POINT

Ha! (a) j’ay fait, mais dame vieillesse

Vient par derrière, qui me somme.

Nonobstant que je suis vieil homme,

205J’ay le visaige bien riant!


 [[ Print Edition Page No. 395 ]] 
PAILLART

Il me souvient du roy Priam,

Il est de stature ainsi grande.

BRIFFAULT

300 vo]Je ne sçay qu’on ne [te] le mande

Pour estre à quelque grant seigneur.

PAILLART

210Pensez qu’il humera d’honneur

Largement, mais qu’il s’entretiengne,

Mais pour Dieu de nous vous souvengne,

Quant vous aurés le vent à gré!

MAL EN POINT

Quant je n’auray aultre degré,

215Que jà, n’ayés soucy de moy!

Par Dieu, je vous feray des biens.

Faictes grant chère avecques moy!

BRIFFAULT

Vrayement il y a bien de quoy

La mercy Dieu et saint Legier.

MAUPENCÉ, capitaine des Maulx Haictiez, incipit:

220Près tondu!

PRÈS TONDU

Maistre?

MAULPENSE

Sans songer,

Vien avant, garson larronceau!

PRÈS TONDU

Je n’ay pas loysir de menger.

MAUPENSÉ

Vien avant, sanglant mensongier!

PRÈS TONDU

S’il devoit tout vif enrager,

225Si bouteray-je ce morceau!

MAUPENSÉ

Près tondu!

PRÈS TONDU

Maistre?

MAUPENSÉ

Sans songer,

Vien avant, garson larronceau!

Il est plus enflé qu’ung pourceau,

Regardez ung peu son jupon.

230Ung canart ou ung gras chappon

Ne luy monte plus qu’une freze.

PRÈS TONDU

Enflé suis donc de macher brese,

Vous me servez bien de railler.

MAUPENSÉ

Pense-tu qu’on te puisse bailler[+1]

235Tousjours les chappons entre mains.

PRÈS TONDU

Je me passasse bien à mains

Mais qu’on me voulsist escouter.

MAUPENSÉ

301 ro]Tu as aussi bien à brouter

Que compaignon que je visse oncque.

PRÈS TONDU

240Voire les parois.

MAULPENSÉ

Et quoy doncques?

N’esse pas assez, je te prie?

Que laissons ceste mengerie!

Venons au propos de devant,

C’est laide chose à ung servant,

245Qui est en ce point sur sa bouche.

PRÈS TONDU

Bon gré n’ait Dieu, le fait me touche!

Il y a jà plus de trois moys

Que je ne menge que des pois

Tous crus, pour mes dens aprouver.

MALPENSÉ

250Varlet, où puissons-nous trouver

Quelque gallant avantureux,

Qui fust droictement bon baveux,

Pour passer temps à ces bons motz?

PRÈS TONDU

Vous ne parlez point à propos,

255Vous me promistes quant je vins

Avoir telle viande et vins

Et je n’ay que povreté non.

MAULPENSÉ

Tu es aise selon mon nom,

Car, par Dieu, je suis Maulpensé

260De toy.

PRÈS TONDU

Il a dit vray macé,

Quant je n’ay gaige ne demy,

Ne rien.


 [[ Print Edition Page No. 396 ]] 
MAULPENSÉ

Mon garson, mon amy,

Mon mignon!

PRÈS TONDU

Mon estronc de chien!

MAULPENSÉ

Tais-toy, je te feray du bien!

265C’est ung seigneur!

PRÈS TONDU

Des poulx, des poulx!

Mais que dyable me ferés-vous?

M’envoyerés-vous tuer Karesme?

Vous estes si chetif vous-mesme

Que n’avez que frapper aux dens.

MAULPENSÉ

270Près Tondu, cerche moy des gens,

Beau sire, comme je disoye!

En feras-tu riens?

PRÈS TONDU301 vo]

Je songeoye

Autre chose, mon gentil maistre.

MAULPENSÉ

Il y fault diligence mettre!

275Il me vient cy en la cervelle

Une grosse chose nouvelle,

Dont treffort me merencolie.

PRÈS TONDU

Ce peult estre quelque folie,

Qui couve soubz vostre bonnet.

MAULPENSÉ

280Tu mens, maulvais garson, non est,

Mais c’est ung gros fait à merveilles

Qui me met la puce à l’oreille

Et m’esmoye par tel façon.

PRÈS TONDU siffle MAULPENSÉ

Paix, paix, paillart garson!

285Laissez vostre maistre parler!

Près Tondu, il te fault aller

A la Halle. Quant là seras,

Regarde se tu trouveras

Quelque homme de bon acabit, —

290Ne regarde point à l’abit, —

Mais qui soit ung bien nouvel homme

Pour moy raconter bien grant somme

Des haulx faitz d’armes et d’honneur.

PRÈS TONDU

Et se je treuve ung sermonneur,

295Voullez-vous point que je m’en charge?

MAULPENSÉ

Nenny non! Leur menche est si large

Qu’on en seroit tout empesché!

PRÈS TONDU

Vous vous tenez pour tout presché,

Je l’entens à vostre patoys.

MAULPENSÉ

300Quiers moy quelque gentil gallois

Qui viengne avant, ou trois ou quatre,

Pour passer temps et moy esbatre,

Car je ne quiers qu’esbanoyer.

PRÈS TONDU

Voire, mais que pars de payer,

305Vous ne parlés point du salère.

MAUPENSÉ

Il souffist, mais que je les aye!

Tu sces bien en quel monnoye[-1]

J’ay payé gens à mon service,

Dy tousjours qu’ilz auront office

310Et que bien je les pourvoyeray.

PRÈS TONDU

302 ro]Je vois se j’en trouveray,

Nouvelles en orray tantost.

PAILLART

Ha! sang bieu, je sens du rost,[-1]

Il y a cy près une cuisine![+1]

BRIFFAUT

315Pleust ore à Dieu que ma cousine

Fust tainte et oingte et que pro ait[[316]]

Plain ung plat du meilleur brouet

Qui fust huy en leschefritte.
[S’approchant de Mal en Point]

PRÈS TONDU

Vray Dieu! quelz compaignons d’eslitte,

320Comment ilz sont legiers et gens,

Ce sont advocatz ou sergens,

Regardés là quelz fines lippes

Pour tesmoigner d’ung plat de tripes

Devant ung juge de taverne!

325Je cuide que bise et galerne

Leur font souvent ung grief assault.


 [[ Print Edition Page No. 397 ]] 

Il maschent le sens aussi chault

Que la braise au fons d’ung puis,[-1]

Leurs jaretz sont si tresfort cuitz

330Qu’ilz ont couleur d’une saulssice.

Ilz vont en quelque grant office

Autour du maistre cuisinier:

C’est de quelque gros prisonnier

Qu’ilz ont recousses [ces] despouilles,[[334]]

335Saincte sang bieu! quelz rifflandouilles

Pour casser le col d’ung canard!

Dieu gar[d] ces seigneurs!

MAL EN POINT

Dieu gard!

Mon gentil fallot, qui t’amaine?

PRÈS TONDU

C’est Maupensé le capitaine

340Des Maulvais Haitiez, qui droicte voye

Vers vous me transmet et envoye

Sçavoir se de vostre clemence

Vouldriez prendre la pascience

A souper dedans sa maison.

MAL EN POINT

345Barbe à barbe?

PRÈS TONDU

Aussi l’entend-on!

Y viendrez-vous?

MAL EN POINT

Puis que le veult,

Il me plaist bien, mais qui le meust

De nous mander? Grant doubte en fais.

A-il ouy parler de nos fais?

350Je cuide qu’il ne nous vit oncques,

Me congnoist-il bien?

PRÈS TONDU302 vo]

Et quoy doncques?

On voit bien à vostre pourpoint

Qu’on vous appelle Mal en Point

Et aussi pensez monseigneur

355Qu’il est bien . . .

MAL EN POINT

Vostre serviteur,

Tenez tousjours vostre propos.

PRÈS TONDU

Dea! monseigneur.

MAL EN POINT

Ostez ces motz,

Beau sire et ne seigneuriés plus.

PAILLART

Et couvrez-vous, de par Jesus,†

360Car quoy, grant plaisir luy ferés!

PRÈS TONDU

Grant mercys!

BRIFFAULT

Vueillez vous couvrir,

Se vous voulés qu’on parle à vous.

PRÈS TONDU

Grant mercys!

MAL EN POINT

Ce n’est point à nous.

Et, par Dieu, mon gentil varlet

365Vous mettrez sus ce chappelet

Sans en faire plus de debas!

Et au propoz!

PRÈS TONDU

Vecy le cas

De vostre grande renommée,

Qui est partout tant renommée,

370Que venue est jusques aux oreilles[+1]

De mon maistre.

MAL EN POINT

Vecy merveilles!

En a-il jà ouÿ le bruit?

PRÈS TONDU

Ouy, depuis six jours ou huyt,

Et a tel desir de vous veoir

375Qu’il meurt.

PAILLART

Nous vouldroit-il avoir,

S’i vouldroit-il bien encliner?

PRÈS TONDU

S’il pensast qu’il n’en peust finer,

Il n’eust pas fait attentes grandes,

Mais il doubte.

BRIFFAULT

Quoy?


 [[ Print Edition Page No. 398 ]] 
PRÈS TONDU303 ro]

Les viandes,

380Mais me dient aucuns baveux

Que vous estes tant dangereux

A servir de mets que c’est rage

Et ne voulez menger potage

S’il ne baigne tout en sucre.[-1]

MAL EN POINT

385C’est à Guillaume du Sepulcre,

Nous sommes bons à assovir,

Il n’y a nen plus à servir

En nous qu’en ung enfant petit

Riens qui soit.

PRÈS TONDU

Je l’ay tousjours dit,

390Mais mon maistre croit le contraire,

Je vous diray son ordinaire,

Vous aurés la belle porée

Au lart, aucuneffois la purée,

Le beau beuf et le beau mouton.

PAILLART

395Par saint Père là les vent-on?

PRÈS TONDU

Puis serez servis fort et roide.

Belle espaulle de mouton froide,

Au soir, lardée de beau percil,

C’est ung mès qui est bien gentil

400Et fust pour servir les trois Roys.

BRIFFAULT

Allons-y! bon gré bieu, tous trois!

PRÈS TONDU

Tant qu’est de gibier de poulaille

Vous n’en donnés guères.

MAL EN POINT

Pas maille!

PRÈS TONDU

Mais vous aurés de tresbon vin,

405Laisson rosty, les beaux poussins,

Aucuneffois chascun sa poulle

Devant son museau.

PAILLART

Pied à boulle!

PRÈS TONDU

Monsieur, pour vous advertir:

On ne peult pas tousjours rostir.

410Vous arez pour vous donner joye

La belle jolye petite oye

Et le beau chappon au jonet.

BRIFFAULT

Ha! saint gris, mon fait est net.[-1]

PRÈS TONDU

Puis vous aurez soubz vostre paste

415Chascun son gros chappon en paste,

La belle perdris, la becasse,

303 vo]A chascun morceau pleine tasse

De vin bastard ou vin d’Asoye.

PAILLART

Et qu’il me tarde que g’y soye!

PRÈS TONDU

420Ung bel oyson gros et douillet

Là aucuneffois à l’ailet,

En deffault de dragée perlée,

Au soupper, force de gelée,

Pour vous aguyser l’appetit,

425Ce mès-là vous seroit petit.

On s’en passe à jour ferial,

Ne fait pas.

MAL EN POINT

Il n’y a riens mal.

PRÈS TONDU

Après tous voz mets et vitailles,

Chascun sa dousaine de cailles

430Toutes roties de broche en bouche,

Et puis pour faire bonne bouche

Les dragmes de sucre plains,

L’eaue rose à laver leurs mains,

Le beau feu, demandés-vous mieulx?

BRIFFAULT

435Partons tost, bon gré en ait Dieux!

PRÈS TONDU

Après l’ypocras, le mestier:

A chascun son paon tout entier,

La belle tarte d’Angleterre.

MAL EN POINT

Et allons-y, bon gré saint Pierre!


 [[ Print Edition Page No. 399 ]] 
PRÈS TONDU

440Et puis après, sans departir,

Chascun son escu, au partir,

Vous l’aurés, Maupensé l’a dit,

Et puis sans que nul soit desdit,

Tout du moins XX ou XXX torches

445Pour vous [d]emener en vos porches,

Voulés-vous modes plus notables?

PAILLART

Allons-y de par tous les dyables!

PRÈS TONDU

Puis en despit des medisans,

Chascun sa fille de quinze ans,

450Couchée en beaux lis parés,[-1]

Qui sont pour vous tous preparés,

Encourtinez de part en part.

BRIFFAULT

Allons tost, le dyable y ait part!

PRÈS TONDU

Puis avant que Maupensé hobbe,

455A chascun le drap d’une robbe,

L’ausne du pris de quatre escus,

304 ro]Puis vous fera laver les cuz

Jusques à mynuit aux estuves,

Pour vous sont apprestées les cuves.[+1]

460Ce banquet vous fera demain,

Mon maistre a le cueur trop humain,

Il ne se daigneroit desdire.

MAL EN POINT

Sang bieu! on ne sçauroit mieulx dire!

PRÈS TONDU

Viandes a de commun cours,

465Que vous aurés près tous les jours,

Mais vous ne mengerez telz mès.

PAILLART

Je ne sçay.

PRÈS TONDU

Non feriez jamais.

Qui ne vous en feroit l’essay,

Vous n’en vouldriez point.

BRIFFAULT

Je ne sçay.

PRÈS TONDU

470On s’en passeroit au besoing.

MAL EN POINT

Qu’esse?

PRÈS TONDU

Le beau pasté de coing

Et moillé de beuf à foison,

Enveloppé en peau d’oison

Et succré comme s’il sourdoit.

PAILLART

475Par mon âme, velà bien dit!

PRÈS TONDU

Et si vous vueil bien dire arrière

Que mon maistre a une manière

Qu’il veult voulentiers bons mengeurs.

BRIFFAULT

Il n’en est pas trois aussi seurs

480Que nous d’icy jusqu’à Pavie.

PRÈS TONDU

Gardez aussi sur vostre vie

Que vous ne soyez point honteux.

Tranchez moy aux pers et aux bleux,

Mon maistre hait ces gens mignotz

485Et se voz morceaux sont trop gros,

Si en prenez deux à la fois,

Double morceau, puis deux, puis trois,

Faites ces mains chasser aux lièvres

L’une au plat, l’autre aux baulèvres.[-1]

490Tandis que la viande habonde,

Il est le plus joyeux du monde

De veoir une machine seiche

Qui grain et paille vous despesche

Comme une meulle de moulin.

PAILLART

495Pour Dieu, mettons nous au chemin,

304 vo]Il me tarde que nous n’y sommes.

PRÈS TONDU

Attendez ung peu, gentilz hommes,

Je mettray vos robes à point,

Vecy ung collet de pourpoint

500Bien fin et fust-il pour ung conte.

MAL EN POINT

Il doit avoir ung pourpoint gras

Celuy qui s’appelle Mal en Point,

Par Dieu nous n’en tenons compte,[-1]

Nous ne sommes point bobenciers.


 [[ Print Edition Page No. 400 ]] 
PRÈS TONDU

505On ne sçauroit trouver plus chiers

En ce monde ne mieulx choisy.

Nota que y doit avoir ung chapeau de

paille celuy qui s’appelle Mal en Point.

BRIFFAULT

C’est d’ung satin gras moysi[-1]

Yssu de la peau d’une chèvre

Et le beau chappellet de bièvre,

510Qui vault d’argent ung million.

PRÈS TONDU

Dont est-il?

MAL EN POINT

Il est de Lyon.

Ne voyez-vous quel poil il porte?
[Ils approchent de la maison de Maupensé]

PRÈS TONDU

Entrez après moy à la porte!

Salutat

Ça, monsieur, Dieu vous begnie,[-1]

515J’ay amené la compaignie

Mal en Point, icy devers vous.

MAULPENSÉ

Où sont-ilz?
Mal en Point le salue et ces
compaignons, ployant les genoulx.

PRÈS TONDU

Ployez ces genoulx,

Saluez cest apoticaire.

MAL EN POINT

Sire, le grant can de Cataire

520Vous doint vos plaisirs singuliers!

MAULPENSÉ

D’où vienent ces trois escuyers,

Qui n’ont point noblesse amoindrie?

BRIFFAULT

Nous venons de Salvigondrie,

D’Escosse et de Saragosse,[-1]

525De Galerne et de Papagosse

Et de plusieurs pays menus.

MAULPENSÉ

Vous soyez aussi bienvenus

Comme est ung poulx entre deux cinges,

305 ro]On voit bien à vos robes linges

530Que vostre estat n’est pas petit,

Mais se vous n’avez appetit[[531]]

De desployer la maschouère[-1]

Pour bien menger et pour bien boire,

Pour Dieu que vous tirez de là!

PAILLART

535Mais qu’il ne tiengne qu’à cela,

Nostre fa[i]t se trouvera bon.

MAL EN POINT

Quant ilz vous tiennent ung jambon

Les veez vous ces deux presidens,

Ilz font saillir feu de leurs dens,

540Comme on fait de ces gros cailloux.

MAUPENSÉ

Or ca Mauprest, contez-nous[-1]

De voz faitz, car j’en veulx ouyr

Pour moy ung petit esjouyr,

Car je suis fort melencolique.

MAL EN POINT

545La chose la plus autentique

Que je fis oncques en ma jeunesse,

Ce fut quant je vins sur l’anesse,

Monté avecques Hanibal,

Qui avoit ung grant vieil cheval

550Atoute la queue pellée.

Sypion vint à la meslée,

Qui mena cent mille Souisses,

Qui se brulirent tous les cuisses

Avecques la grosse cathault

555Et là firent ung grant assault

Pour conquerir le sang royal:

Hector, Tristan, Parceval[[557]]

Avec Lancelot du Lac.

PRÈS TONDU

Voulez-vous ce lièvre au Boussac

560Ou s’on le mectra au civé?

Je croy qu’il vault mieux au Grave[-1]

Et si n’y mettrons point d’oignons.

MAULPENSÉ

Certes ilz sont bons compaignons[[563]]

Et ne sont de rien dangereux

565En hen! sire.

MAL EN POINT

Je vins à eulx

Avec Nabugodonosor,

Qui avoit une espée d’or

Et faisoit rage d’en frapper.[[568]]


 [[ Print Edition Page No. 401 ]] 

Sang bieu! je le voy bien coupper

570Mille gorges de la main destre

Et autant de la main senestre

Et deux lances bien assorties.

PRÈS TONDU

Et ces perdris comment?

MAL EN POINT305 vo]

Rousties,

Despesche-toy, mais qu’il te plaise!

BRIFFAULT

575Ha! sang bieu que nous serons aise!

PAILLART

Tais-toy, il ne fault mot sonner!

PRÈS TONDU

S’on peult estre aise pour jeuner,

Vous arez maintenant bon temps,

Je croy qu’il y a bien sept ans

580Qu’il n’eust ceans ne vin ne blé.

MAULPENSÉ

Ainsi. . . .

MAL EN POINT

Cestuy-là m’a troublé,[[581]]

Les fièvres le puissent tenir!

Ha! (je) ne sçay qui eust veu venir

La grosse bataille à grans nombres,

585Qui nous firent si grans encombres.

Au bon Fierabras de Connimbres,

J’abatoye chevaulx et timbres

Avec cinq cens sagitaires[-1]

Qui jouèrent si bien des naquieres,

590Tout au meillieu de la bataille.

Ilz frappoient d’estoc et de taille

Et tousjours Mal en Point sur bout.

PRÈS TONDU

Voulez-vous vos poussins au moust?

Maulpensé, vous n’en dictes rien.

MAL EN POINT

595Voulez-vous ung estronc de chien?

Cestuy-cy ne se taira point!

PAILLART

Laissez le dire, Mal en Point,

Il parle pour nostre prouffit.

MAULPENSÉ

Lancelot fust-il desconfit?

600Mal en Point, je le vueil sçavoir.

MAL EN POINT

Se Tristan n’eust fait son devoir

Aussi bien que Margot, sa fée,

Qui luy bailla si grant baufrée

Au travers de la maschoire?[-1]

605Cela est tout cler et notoire.

J’estoye assis tout au dessus

Avecques le grant roy Arthus,

Olofernes, qui tousjours frappe,

David y vint atout sa harpe

610Qui me cuidoit faire dancer.

J’avoye bien ailleurs à penser

Et là vint Julius Pompée,

Qui se tua de son espée,

Quand au griffon coupit la pate.

PRÈS TONDU306 ro]

615Ces chappons, les mettray-je en paste

Ou rostir au beau loisir[-1]

Au feu de charbon?

MAL EN POINT

Quel plaisir!

Paix, que saint Anthoine vous arde!

PRÈS TONDU

Voulez-vous largement moustarde

620Parmy vostre barde Robert?

MAL EN POINT

Tenez, cy mon propos se pert

Pour ce paillart qu’ainsi caquette.

PAILLART

Je vueil deslasser ma jaquette!

Va te chier, bon combatant!

625La chair bieu, je mengeray tant

Que j’en auray, je te promès,

Pour trois jours!

BRIFFAULT

Il y a des mès

Trop plus que pour les Quinze-vingtz.

PRÈS TONDU

Duquel voulez-vous de noz vins,[[629]]

630S’en empliray cinq ou six potz?

MAULPENSÉ

Du meilleur! Or, sire, à propos,

Vous vistes les seigneurs jouster?


 [[ Print Edition Page No. 402 ]] 
MAL EN POINT

Je ne vous sçauroye rien compter

Pour les entremès qu’on me baille.

MAULPENSÉ

635Or sus! qui gaigna la bataille?

Mal en Point, vous acheverés.

MAL EN POINT

Je n’en diray plus.

MAULPENSÉ

Si ferez,

Beau sire, car je vous en prie.

MAL EN POINT

Sus donc, Rifflart de Barbarie

640Tout armé de sa brigandine . . .

PRÈS TONDU

Et ces canars?

MAULPENSÉ

A la dodine!

Ha! saint George, il te fault tout dire.

MAL EN POINT

Vecy bien pour crever de rire,

Quant à moy je pers pascience.

PAILLART

645Par saint Jehan, ce n’est pas science,

Il parle pour nostre avantaige.

MAULPENSÉ

306 vo]Çà, qui a-il plus?

PRÈS TONDU

Le potage.

Faictes-les seoir sur ce banc:

Haricot brun, haricot blanc

650Et blanc mouton tout en ung pot.

MAL EN POINT

Si meshuy vous en dy ung mot,

Je prie Dieu qu’on me puisse pendre!

MAULPENSÉ

Mal en Point, on peult bien entendre

Par vos gestes et par vos ditz,

655Que vous estes preux et hardis,

Sans craindre flesche ne raillon

Et pourtant le Pont à Baillon

Garderez et là serez mis

Pour doubte de nos ennemis

660Qu’ilz ne se boutent en ma terre.

BRIFFAULT

Pour Dieu, n’allons point en la guerre

Que nous n’ayons souppé premier.

MAULPENSÉ

On vous portera à menger

Largement a’vous entendu?

665Sus tost, menés-les, Près Tondu,

Vistement garder le passaige!

PAILLART

Par le sang bieu, on n’est pas saige

De partir sans avoir souppé!

PRÈS TONDU

On vous en portera.

BRIFFAULT

La rage!

PAILLART

670Par le sang bieu, on n’est pas sage!

PRÈS TONDU

Vous arez poire et formage,[-1]

Rousty boully et tout sur pie.

PAILLART

Par le sang bieu, on n’est pas saige

De partir sans avoir souppé!

BRIFFAULT

675J’ay si grant paour d’estre trompé

Que la sueur m’en vient au front.

PRÈS TONDU

Sus compaignons, vecy le Pont

A Baillon que vous garderez

Et vecy où vous vous serrez.

680Est point donc vostre estat notable?

BRIFFAULT

A! vecy tresmerveilleuse table,[+1]

Dont est elle, ne de quel arbre?

PRÈS TONDU

De quoy est la Table de Marbre?

307 ro]Regardez donc se je vous flate

685Et par dessus la belle nate

Jaulne comme le cul d’ung singe.

MAL EN POINT

Par mon serment, vecy beau linge,

Siez toy, Paillart, mon valeton,

Sus Briffault, seez, vous dit-on!


 [[ Print Edition Page No. 403 ]] 

690Enfans, nous sommes tous privez,

Sommes-nous pas bien arrivez?

Fy de lart et de tout ce que. . . .[[692]]

PRÈS TONDU

Dictes, à cela je ne tocque,

695Arrière pour la nicque nocque!

BRIFFAULT

J’ay si grant paour que ne nous mocque

Que je pers près sens et memoire.

PRÈS TONDU

Voirement quel vin voulez (vous) boire

Pour vous refreschir celle gorge?

MAL EN POINT

700Blanc.

PAILLART

Rouge.

BRIFFAULT

Cleret.

PRÈS TONDU

Ha! saint George,

L’ung à l’autre en rien ne ressemble.

MAL EN POINT

Aportez de tous trois ensemble:

Par ainsi nous contenterez,

Et qui soit bon!

PRÈS TONDU

Vous en aurez,

705Voire de l’eaue du vivier,

Vous serez souppez en plenier,

Car vous [serez] servis devant,

Comme les moynes d’ung couvent

Sont à servir au reffretouer.

MAULPENSÉ

710Il fault que je les aille veoir

Pour les visiter ung petit.

PAILLART

Vray Dieu que j’ay grant appetit

De despecier ceste poullaille.

MAL EN POINT

Mais ces perdris?

PRÈS TONDU

Baille luy, baille,

715Nourrice, ton cul à teter!

BRIFFAULT

Escoute!

PAILLART

Rien n’y vault l’escouter,[+1]

307 vo]Il ne nous vient chose qui vaille.

BRIFFAULT

Ha! hay! que j’ay grant fain, je baille.

MAL EN POINT

Serons-nous tousjours sans vitaille

720En gardant le Pont à Baillon?

BRIFFAULT

Ha! hay! que j’ay grant fain, je baille,

Tant ay baillé pour bailler.[-1]

PAILLART

Maulpensé, que ne nous baille-on

Nostre boully ou nostre rost

725Vistement?

MAULPENSÉ

Et Près Tondu,[-1]

Il ne vous a pas entendu.

BRIFFAULT

Va faire haster Près Tondu,

Paillart, Mal en Point se morfond!

Quelque brouet ou quelque saulce!

PRÈS TONDU

730Velà mes escuyers de Beaulce,

Je les fais soupper de bailler.

MAL EN POINT

Il ne nous viendront rien bailler,

Que fussent-ilz à la rivière![[733]]

MAULPENSÉ

Or avant compaignons quel chère

735Faictes-vous? Homme ne se hobbe!

J’aymeroye mieux perdre ma robe

Que nul ne desemparast le banc.[+1]

Que dictes-vous de mon vin blanc,

Est-il friant et amoureux?

PAILLART

740Quel vin bon gré!

MAULPENSÉ

Il est fumeux

Et prent ung homme par le front,

Qui ne s’en garde.


 [[ Print Edition Page No. 404 ]] 
BRIFFAULT

Estronc, estronc!

Mais que diable est-ce que vous dictes?

MAULPENSÉ

Voz perdris ont esté mal cuites,

745Mais pour Dieu qu’i ne vous desplaise!

Une autrefois serez plus aise,

Quant je sçauray vostre venue!

MAL EN POINT

C’est bien sa promesse tenue,

Près Tondu, tu es vaillant sire,

750Sces-tu quoy?

PRÈS TONDU308 ro]

Vecy qu’il veult dire:

Il vient pour vous remercier[[752]]

De vos biens.

MAULPENSÉ

Ça, pour abreger,

Vous prendrez en gré ceste fois,

Mais je vous requiers à tous trois

755Que vous me viengnez souvent veoir!

BRIFFAULT

Rien, rien! Faictes vostre devoir!

Baillez-nous ce que vous sçavez!

PRÈS TONDU

Sus, compaignons, lavez, lavez,

Vous tenez trop longuement table!

PAILLART

760Laver? Nous ferons vostre diable,

Mengé n’avons beuf ne mouton.

PRÈS TONDU

Quoy? Et lavez, ce vous dit-on,[[762]]

Et puis aurez deux motz de graces!

MAL EN POINT

Et de quoy ay-je les mains graces?

765Je n’ay point souppé, bon gré bieu!

PRÈS TONDU

Si avez, dea! selon le lieu

Où vous estes, mes gentilzhommes,

Regardez bien!

MAL EN POINT

Où nous sommes,

Nous sommes tristes et pensifz

770A la Table de Marbre assis,

Couvers chascun d’ung vieil haillon

Et gardons le Pont à Baillon,

Tous prestz pour couldre et pas tailler.

PRÈS TONDU

Ainsi vous sert-on de railler

775De fain, de froit et de froidure

Et de sanglante morfondure

Qui vous tendra par les talons.

MAL EN POINT

Ainsi doncques nous en allons,

Pance platte et les dens agües,

780Sans menger ne chappons, ne grues,

Ne congnins, ne perdrix, ne lièvres,

Les dens tremblant et les baulièvres,

Sans saulce rousse ne vert jus,

Souviengne-vous et sus et jus!

785Seigneurs, n’oubliez point

Que les Compaignons mal en point

Vont souvent coucher sans soupper,

Quant ilz ne peuvent rien attraper.[+1]

Chascun l’a veu en son degré,

790Prenez nostre esbat en gré!

EXPLICIT

[308 verso blanc]

NOTES

 [XLIX.] Farce du Capitaine Mal en Point.

 [146] Le beau chappelet à mistre, mitre? Tout le passage est fort joli.

 [179] Mon gris, cf. XLVII, 112.

 [183] Qui n’est pas escous d’un patin, littér.: remué par un soulier?

 [260] vray macé, quid?

 [316] que pro ait, qu’elle ait avantage? Texte corrompu et incertain.

 [519] le grant can de Cataire. Quel est ce personnage chimérique? Je pense au grand can (khan, chef) des Coquillards.

 [557] Ce mélange de héros antiques et médiévaux est fort plaisant.

 [657] Le Pont à Baillon = Pont à Billon, cf. Introduction.

 [683] La Table de marbre du Palais de Justice de Paris. Cf. Introduction.

 [750] et ss., la scène du repas imaginaire, qui rappelle celle du Babio de ma Comédie latine au XIIe siècle, et qui peut-être en vient, est également de plaisante invention.

 [764] On prenait la viande dans le plat avec les doigts.

 [770] Cf. 683.

 [789] en son degré, les gradins de la salle.

Endnotes

 [11,] O: P. q. je le . . .

 [48,] O: emperis.

 [58,] O: Je.

 [146,] O: mestre.

 [206,] O: priant.

 [316,] O: qzproet.

 [334:] recousesse d.

 [359,] O: Et courrez . . .

 [370,] O: Qui.

 [485.] O: ce.

 [531,] O: M. ce.

 [568,] O: scapper.

 [581,] O: me.

 [†] 620, O: BARBE R.

 [622,] O: se

 [629,] O: voz v.

 [692:] manque un vers pour rimer avec celui-ci; j’en tiens compte dans la numérotation.

 [752,] O: Sa.

 [762,] O: se.


 [[ Print Edition Page No. 405 ]] 

L
309 ro] FARCE NOUVELLE
TRESBONNE ET FORT JOYEUSE DE LA RESURRECTION JENIN A PAULME
A CINQ PERSONNAIGES
*

  • C’est assavoir:
  • JENYN A PAULME
  • LA SEUR A JENYN
  • JOACHIN
  • THOYNON
  • CAILLETTE

[vignette]

LA RESURRECTION DE JENYN A PAULME

LA SEUR JENYN commence309 vo]

Or est mon frère Jenin mort,

Dont j’ay au cueur ung dur remort,

L’a’vous point veu icy venir?

Le devoit Dieu faire mourir?

5Par Dieu il s’en fust bien passé,

Hée! Jenyn tu es trespassé,

Pleust à Dieu que tu fusses en vie!

JOACHIN

Et benoiste Vierge Marie

Qui a-il?

LA SEUR

Grant adversité.

JOACHIN

10Vous monstrez qu’estes fort marrie,

Mais quoy?

LA SEUR

Quoy? Benedicite

Je suis en tel perplecité

Que, se de Dieu n’y a remède,

N’est homme en ceste cité

15Qui m’y sceust donner nul remède.

JOACHIN

Vous estes encore forte et roide.

Ayez bon cueur, prenez couraige

Et ne soyez pas si froide![-1]

On sait mort que c’est une rage.†

LA SEUR

20Jenyn, mon frère, ha! j’enraige,[-1]

Toutes les fois que pense à toy.

JOACHIN

Et par Dieu, vecy bel ouvrage!

A’vous mestier qu’on vous ramonne?

Quant il seroit l’heure de nonne,

25Voulentiers vous allegeroye.

LA SEUR

Las onc depuis mon cueur n’eut joye

Que mon frère Jenyn à Paulme

Mourut en terre et au chaulme.[-1]

Il n’a garde qu(e) on luy attrape.

JOACHIN

30Qui? Jenyn, hy! je te tappe[-1]

Taisez-vous, nous aurons du pluc!

LA SEUR

Si n’es-tu point sur le suc[-1]

Comme estoit mon frère Jenyn.

JOACHIN

Je ne suis pas si très badin

35Que ne vous maine aux Cordeliers,

Par saint Jehan, aussi voulentiers

Que fist oncques vostre frère.[-1]

LA SEUR

G’y vois souvent veoir mon beau père

Pour reposer ma conscience.


 [[ Print Edition Page No. 406 ]] 
JOACHIN

40Ho! j’auray assez pascience,

310 ro]N’en doubtez, je vous feray vray;

Jenyn mengea le papegay,

Mais je ne feray pas ainsi.

LA SEUR

Tu seroys tout villain aussi.

JOACHIN

45Quant vous aurés appetit[-1]

De troter en commission

Et aussi que le jeu vous hecte

Je vous metray en ma brouette

Gorière, comme ung gentil gallant,[+1]

50En lieu d’ung chariot branlant.

Par bieu je ne sauroye mieulx dire.

LA SEUR

Qu’en ton fait n’y ayt que redire,

Car je hente de[s] gens de bien!

JOACHIN

Que je dye ung mot, rien, rien!

LA SEUR

55Quant mon frère Jenyn vivoit,

Par tout grant chère on me faisoit,

En ces cloistres, en ces couvens,

Je y avoye souhaict à tous vens,

J’estoye partout la bien venue.

JOACHIN

60J’entens bien, vous estes congneue

En tous lieux.

LA SEUR

Mais que de finesse

Je faisoye.

JOACHIN

Voire sur les fesses

Vous estes bien carillonnée.

LA SEUR

Oncques femme de mère née,

65Je croy, ne fist ce que j’ay fait.

J’ay fait le fait et le deffait

Entrer par l’ung, saillir par l’autre.

JOACHIN

Voire et Jenin couchoit au peaultre,

Il avoit bonne pacience.

LA SEUR

70Je vous jure sur ma conscience[+1]

Qu(e) oncques puys qu’il mourut, en somme,

Je ne rencontray ung tel homme,

J’en ay perdu mains bons repas.

JOACHIN

Parbieu, je ne vous fauldray pas,

75Je suis clerc en telle matière

Croyez-moy, nous ferons grant chère!

Laissez Jenin, il fouille aux taulpes!

LA SEUR

Pas ne suis de ces meschantes gaupes[+1]

Qui le font à deux à la fois.

JOACHIN

80Vertu sainct Pierre, je vous crois,

310 vo]Suyvez-moy, le Seur à Jenin,

Nous mengerons d’un bon connin

Aujourd’huy en quelque banquet.

LA SEUR A JENIN

Le sces-tu bien?

JOACHIN

Cessons ce caquet,[+1]

85N’ayez soucy qu(e) à bien dancer,

Allons et ne vueillés penser

Fors qu(e) à tenir gestes de mesmes.

LA SEUR

Ho! se je ne faulx à mon esme,

Je feray bien le personnaige.

JENIN A PAULME

90Hy! hy! je te jou, je te trippe!

JOACHIN

Cheminon!

JENIN en chantant

Ababou, tanfarara, tanfarara.[[91]]

LA SEUR

Jamais mon cueur joye n’aura,

Joachin!

JOACHIN

Quel[e] raison?[-1]

JENIN chante

95Arras m’envoie en garnison,

C’est chose qui m’envoye hoye.


 [[ Print Edition Page No. 407 ]] 
JOACHIN

Sang bieu! velà en ceste voye

Jenin à Paulme.

LA SEUR

Las! et où?

JOACHIN

Je l’ay ouy icy.

JENIN chante

Je te jou[+1]

100Tarara, tararirene, hy! hy!

LA SEUR

Et par mon âme c’est il,[-1]

Jenin, Jenin, Jenin mon frère.

JENIN

Hen! hen! me cheur!

LA SEUR

Que doy-je faire?

Vecy Jenin ressuscité.

JENIN

105Vray dis-tu.

JOACHIN

Benedicite,

Quelle venue en ce royaulme!

JENIN

Hy! hy! je te jou à paulme.

Boit-on nyant vin de festu?

LA SEUR

Hélas! mon frère, d’où viens-tu?

JENIN

110D’où je viens?

311 ro]Par ma foy d’estrange contrée.

LA SEUR

Tu en viens? mon Dieu!

JENIN

Par foy oye

Trois lieues delà soleil levant.

JOACHIN

Nous sommes mieulx que par devant.

JENIN

115Je viens d’Enfer d’icy tout droit,

Où l’en ne fait à chacun droit.

Il y a piteuse rouardure.

JOACHIN

Mais dy moy se le chemin dure

Longuement.

JENIN

C’est diablerie!

JOACHIN

120Quelz gens y sont, sans mocquerie?

JENIN

Par ma foy tousdis plus de sept,

G’y ay veu Gilbert Cochet[-1]

Attacqué parmy sa gargate.

Bren de qui en on acte[[124-125]]

125Que chest chy Dieu que de cose.

JOACHIN

Parlez à luy!

LA SEUR

En dea! je n’ose,

Je diffère jusques à demain.[+1]

JENIN

J’ay veu tousdis le povre Alain

Et Charles qui tua le hongre,

130Il est au plus près de ton oncle,

Joachin.

JOACHIN

Reviendront-il point?

JENIN

Par ma foy, je n’en doubte point,

Attendez-les dedans deux moys.

JOACHIN

Si feray-ge.

LA SEUR

Ouy, dea! g’y vois,

135Quelle joye j’ay!

JENIN

Hen! hen!

LA SEUR

Et par monsieur saint Jehan

Je porteray mon boys gorier.

JENYN

Par foy j’ai tousdis mon gosier†[[138]]

311 vo]Plus sec que plume de duvet,

140A boire! à boire!


 [[ Print Edition Page No. 408 ]] 
LA SEUR

Jolivet,

Vous en aurez de bon couraige.

JOACHIN

Sacrement Dieu, Jenin dit rage.

JENIN chante

Tarara rira riraine

Arras m’envoie, je tocque.[-1]

JOACHIN

145Il a rapporté une tocque,

Il est plus sot qu’il ne fut oncques!

LA SEUR

Qu’est-il de faire?

JOACHIN

Allons-nous (en) doncques

Qu’i ne se montre à noz amys.

LA SEUR

En quel point tu m’as le cueur mis,

150Jenin mon frère, à ta mort.

J’en ay eu au cueur tel remort

Qu’(e) a peu que (je) ne suis trespassée!

JENIN

Ilz sont en gallée gallée

Les maraulx, hon! hon!

CAILLETTE

Hon! hon! hon! hon!

155Vien t’en avecques moy, Thoynon,

A la bien venue de Jenin.

THOYNON

Mais est-il venu mon cousin?

CAILLETTE

Et ouy, il est avec sa seur,

Viens avec moy que je n’aye peur

160Thoynon, do, do, do, do.

THOYNON

J’ay grant fain de le veoir,[-1]

Ha! ha! mon cousin pour tout voir.

Caillette, nous ferons grant chère!

CAILLETTE

Prens-moy par là!

THOYNON

Fault-il tant faire?

165Allons dont bien et saigement.

CAILLETTE

Ton, ton, ton, ton, la, la.

THOYNON

Quelle contenance Caillette a,

Que dira mon cousin Jenyn?

CAILLETTE

Il nous donra à boire du vin

170A la feste, feste, feste.

THOYNON

Ha! ha!

Où je le diray, allez![-1]

CAILLETTE312 ro]

Carillonnez, carillonnez,

Ha! ha! ha! ha! ha! ha!

THOYNON en le frappant

Ha! ha! ha!

Or sus faictes bien le saige,

175Velà Jenin!

CAILLETTE

En quel passaige?

Je vous prie, menez moy tout droit.

THOYNON

Le velà, le velà!

CAILLETTE

Touet, touet.

THOYNON

Approuchons de luy saigement,

Monstrez vostre gouvernement

180Et ne faictes plus le fol, non?

CAILLETTE

Ha! Jenin, Jenin, hon! hon!

Beau sire, baille moy ta cappe!

JENIN

Et je te jou et je te tappe.

THOYNON

Ha! ha! mon cousin, d’où viens-tu?

185J’ay eu ung enfant dy, oy tu?

Tu ne l’as pas veu, il est mort,

Mais verras qui l’a fait.

JOACHIN

Aufort,

Ce sera belle recouvrance,

D’où est-il yssu?


 [[ Print Edition Page No. 409 ]] 
THOYNON

De mon ventre,

190Aussi grant qu’ung petit cochon.

Quant il fut né, il faisoit hon! hon![+1]

Les larons le m’ont desrobé.

JOACHIN

Tu le gaignas au Bourg l’Abbé.

THOYNON

Maire.

JOACHIN

Dy hardyment, ouy.[-1]

JENYN chante

195Vecy la dance barbary liry

Et Thoynon, Thoiny, Thoynette,

Dieu gard me my, Dieu gard Caillette!

CAILLETTE

Jenin, Dieu gard!

JENIN

Dieu vous benoye!

Je viens de veoir ma grande toye

200Et l’âme de mon papegay.

THOYNON

Sainct Jehan, je croy bien qu’il dit vray,

Me congnois-tu point?

JOACHIN312 vo]

Ouy pour une. . . .

JENIN chante

Happe la lune, happe la lune,

Hen! hen! hen!

JOACHIN

205Plus joyeulx que oncques ne fus.

LA SEUR

Chang[e]ons propos.

TOYNON

Trut avant! trut!

Allons faire ung bancquet ensemble!

JOACHIN

C’est tresbien dit comme il me semble,

Je seray le maistre d’hostel.

LA SEUR

210C’est aussi bien advisé, il n’est tel,

Il est temps de se resjouir.

TOYNON

Trut! vous n’avez garde de fouir,

Il fault ensemble banqueter.

CAILLETTE

Hon! hon!

JOACHIN

Sans plus cy caqueter.

JENIN

215Allons disner à noz maison,

Je vous donray d’ung bon oyson

Par foy et de la petite oye.

CAILLETTE

Je le croiray mais que le voye,

Ne se fault pas mocquer de nous.

220Nous porteron, entendez-vous,

Chacun sa bribe.

JOACHIN

C’est bien dit,

Mais que je boive, il souffit,[-1]

Je ne mangüe point grandement.[+1]

LA SEUR

Vecy que on m’a donné vrayement

225Ennuyt à la Pomme de pin.

JOACHIN

Regardez icy quel loppin

On m’a donné à la Ruppée!

TOYNON

Nous serviron donc de purée,

Puis que viande avez assez.

JOACHIN

230Sus benedicite.

TOYNON

Commencez.

JENIN chante

Nous sommes de l’ordre de saint

Baboyn.[+2]
Ilz chantent tous:

L’ordre ne dit mye de lever matin,

Dormir jusqu’à prime et boire bon vin

313 ro]Et chanter matines sur ung pot de vin.

TOYNON

235Ha! ha! fault-il faire ainsi?


 [[ Print Edition Page No. 410 ]] 
JOACHIN

Par Dieu, Caillette, à vecy,[-1]

Esse la boisson qui nous donne? . . .

TOYNON

Ha! le villain!

CAILLETTE

Est-elle bonne?

Buvez-en à vostre appetit!

LA SEUR

240Qui en a assez d’ung petit

La boisson est toute esventée.

CAILLETTE

Je l’ay tout maintenant percée,

C’est mal entendu vostre cas,

Je vous pry, ne l’espargnez pas,

245Buvez, trempez-y vostre pain.

JOACHIN

Que grant dyable le villain,

Y nous a tous empuantiz!

CAILLETTE

Vous estes ennonchalantis

N’ay-je pas fourny la boisson?

LA SEUR

250Je croy qu’il soit nourry de son,

Il vesse comme ung pourceau.

TOYNON

Vous ne mengerés huy morceau,

Nous diffamez-vous en ce point?

CAILLETTE

Oste moy ce poulx qui me point,

255Toynon.

TOYNON

Mon frère, or allez,

Vous nous avez bien ravallez

Au ressuscitement de Jenin!

CAILLETTE

Bou.

TOYNON

Regardez moy quel verdin!

On a bel honneur de le suivre.

JENIN

260Hy! hy!

LA SEUR

Poix! poix!

CAILLETTE

Est-il yvre?

Il n’a pas trop beu, ce me semble.

TOYNON

Mais avant que on se dessemble

Tenons chapitre entre nous,[-1]

Veulx-tu?

JOACHIN

313 vo]Je m’en raporte à vous,

265Je tiens ce que vous direz.

LA SEUR

Et point vous ne contredirez.

JOACHIN

Ainsi le prometz.

LA SEUR

Somme toute,

Ung couvent auron, quoy qu’il couste,

Pour recepvoir ceulx qui venront

270Ceans et qui ressusciteront

Si comme a fait Jenin mon frère.

JOACHIN

Sainct Jehan! dame, on le doit faire

A celle fin quant je mourray

Et plus en vie ne seray.

275Peult-estre que ressusciteray,[+1]

Au moins auray-je maison faicte.

LA SEUR

Il fault qu(e) au vif elle soit pourtraicte[+1]

Qui y sera commis?

JOACHIN

Pour Dieu

Nommez la place et le lieu[-1]

280D’icelle situation,

Sans faire longue station,

J(e) y feray bientost besongner.

THOYNON

Aucuns en pourroient bien grongner

Et si pourront bien opposer.

JOACHIN

285Ilz n’y sauroient rien proposer

Qui nous sceust tourner prejudice.


 [[ Print Edition Page No. 411 ]] 
LA SEUR

Pour faire l’ediffice[-2]

Veulx que Caillette on y mecte[-1]

En chair affin qu’il commecte

290Par son auctorité quelqu’un.

THOYNON

Ha! pour bailler raison, c’est ung:

En l’ordre n’y a son pareil.

LA SEUR

Vous faictes trop long appareil,

Caillette, assoyez-vous là,[-1]

295Entendez deçà et delà,

Dictes quelque bonne pensée!

CAILLETTE

Mais la chaire est-elle persée?

J(e) y vueil faire mon aisement.

LA SEUR

Ouy, seez-vous seurement:

300Vostre cul ung peu se repoise!

CAILLETTE

Je suis icy bien à mon aise,

Bon, bon!

THOYNON

Caillette, sus de vostre grace,[+2]

314 ro]Establissez que vouldriez que face

Nostre couvent et en quel lieu?

CAILLETTE

305Ce sera Joachin par Dieu,

Il est propre et gaillart.[-2]

LA SEUR

Où sera-ce?

CAILLETTE

Au Champ Gaillart,

Sur le grant chemin de voye,[-1]

A celle fin que chascun nous voye[+1]

310Pour augmenter nostre pratique.

LA SEUR

Il n’y fault point faire replique,

Car il est tresbien ordonné.

CAILLETTE

Le congé vous en est donné,

Besongnez-y quant vous vouldrez!

LA SEUR

315Joachin, le soing en prendrez

Vous estes ung grant inventeur.

Se voulez ung soliciteur,

Jenyn, mon frère, servira.

JOACHIN

Mais Caillette ne bougera,

320Ce sera l’abbé du couvent.

CAILLETTE

J’en suis d’acord.

TOYNON

Et moy vrayement,

C’est bien entendu la raison.

JENYN

Je n’ay pas ung piètre nom[-1]

Pour faire chière lye au nys.

TOYNON

325Allons-nous en!

JENYN

Mais je vous prie!

JOACHIN

Vive les enfans de Beauvais!

Si concluons par motz exprès

La Resurrection Jenyn

A Paulme, nostre amy très,

330Adieu vous dy jusqu’à demain!

EXPLICIT

[314 verso blanc]

NOTES

 [L.] Farce de la Résurrection Jenin à Paulme. On ne connaissait jusqu’à présent que la Résurrection de Jenin Landore (Répertoire, p. 228).

 [32] suc jargon de Coquillards (cf. P. Champion, Villon, II, p. 74): l’amboureus lui rompt le suc, le bourreau lui tranche, le cou.

 [90] Je te trippe. Je t’étripe.

 [96] hoye?

 [193] au Bourg l’Abbé. Cf. Introduction.

 [227] Je n’ai pu identifier la Rupée, et la Rapée est moderne.

 [258] quel verdin, quid?

 [307] au Champ Gaillart, cf. Introduction.

 [326] les Enfans de Beauvais, les écoliers du Collège de Beauvais à Paris, cf. Introduction.

Endnotes

 [19,] O: on cest m . . .

 [91:] Vers incomplet, auquel manque la fin rimant avec le précédent.

 [110:] vers incomplet, qui ne rime, non plus que le suivant.

 [124-125,] attribués par O à JOACHIN; texte corrompu et incompréhensible.

 [138,] O: P. f. je t.

 [305,] O: Se.


 [[ Print Edition Page No. 412 ]] 

 [[ Print Edition Page No. 413 ]] 

LI
315 ro] FARCE NOUVELLE
DES CHAMBERIÈRES
A QUATRE PERSONNAGES
*

  • C’est assavoir:
  • GUILLEMETTE
  • DEBAT
  • MARGUERITE
  • et LE CORDELIER
  • MARGUERITE

[vignette]

LA PREMIÈRE commence315 vo]

Pardiquès, il me fault lever

Demain au matin pour trouver

Le premier lieu à la fontaine,

Je n’y sauroie d’heure ariver,

5Fust en esté ou en yver,

Que n’y trouve la place plaine.

LA SECONDE

Il ne fut jour de la sepmaine

Que du moins n’allasse ung voyage

A la fontaine, c’est grant rage

10Du degast que nous en faison

Tous les jours en nostre maison!

Encore m’y fault-il aller

Et m’y devroi-ge espauller,[-1]

Aporter ma courge et mes sceaulx.

LA PREMIÈRE

15Encore n’y a nulz vaisseaulx,

Dea! je suis bonne chambrière

Puisque j’(e) arrive la première,

Vrayement je doy bien louer Dieu

Pour ceste fois.

LA SECONDE

Qui donne lieu?

LA PREMIÈRE

20C’est moy, vien-t’en!

LA SECONDE

Et Dieu mercy!

Puisqu’il n’y a que toy icy

Et que je t’ay seulle trouvée,

Je suis à bonne heure arrivée,

Car j’ay haste de retourner

25Pour mettre cuy[r]e le disner,

Je suis bien, puisqu’il n’y a presse.

LA PREMIÈRE

Que te semble de ta maistresse

Dy, Guillemette?

LA SECONDE

De la dame?

Je la treuve assez bonne femme

30Mais nostre maistre ne vault rien,

Il est plus rechiné qu’un chien,

On ne peult rien à son gré faire!

LA PREMIÈRE

Ma maistresse ne fait que braire,

Tous les jours elle est despite.[-1]

LA SECONDE

35Je te demande, Marguerite,

Pourquoy fusse que tu partis

De ches chose?

LA PREMIÈRE

Et j’en sortis

Pour ung petit de fantaisye.

LA SECONDE

Quoy? y avoit-il jallousye?

40Estoit ta maistresse jallouse?

La fièvre quartaine m’espouse,

316 ro]Se la mienne l’estoit de moy,

Je diroy je sçay bien quoy[-1]

Qui luy viendroit bien mal à point.


 [[ Print Edition Page No. 414 ]] 
LA PREMIÈRE

45Elle estoit et n’y avoit point,

Ce me semble, cause de l’estre,†[[46]]

Synon aucuneffois mon maistre

Me rioit et faisoit des tours

Par joyeuseté.

LA SECONDE

Et d’amours

50Ne t’en requist-il jamais?[-1]

LA PREMIÈRE

Il m’en a bien requise, mais

Il ne me l’a pas fait pourtant,

Posé le cas qu’en s’esbatant

Aucuneffois il me tastoit,

55Quant la maistresse n’y estoit,

Mais au seurplus il n’y a rien.

LA SECONDE

Par saincte Marie, le mien

M’a voullu donner une cotte

Et me faire beaucoup de bien,

60Mais je n’ay pas esté si sotte.

LA PREMIÈRE

Sy disoit d’avant hier ung hoste,

D’auprès de vous, qu’i t’aymoit fort.

LA SECONDE

Au regard du commun rapport

Des gens, je n’y conte une maille!

LA PREMIÈRE

65Et je t’entans bien, ne t’en chaille,

Mais que tu face ton proffit

Bien en la maison!

LA SECONDE

Il suffit,

Et pour Dieu, quant ainsi se croit

Qu’à ma maistresse tanseroit,

70Je le sçauroys bien rapaiser!

LA PREMIÈRE

Tu as donc veu aucun baiser

Ta maistresse, le temps passé.

LA SECONDE

Et je sçay bien ce que je sçay,[[73]]

Par ma foy, je ne suis pas beste.

LA PREMIÈRE

75Je n’ay en ce monde tempeste

Qui me desplaise en mon service

Que d’une orde vielle nourrice

Qui nourit ung petit enfant

De l’ostel.

LA SECONDE

Ha! je les hays tant:

80Ces nourices tant flateresses

Sont tousjours auprès des maistresses,

C’est une chose qui me fasche.

LA PREMIÈRE316 vo]

Jamais en maison que je sache

Où soit enfant à nourriture

85Ne serviray.

LA SECONDE

Ce n’est que ordure:

Il y a ung tas de drappeaux

Plains de fy fy à gros morceaux,

Cela me fait tant de mal au cueur.

LA PREMIÈRE

Cela me fait plus de douleur

90Qu’i fault aller à la rivière

Et en estre la chamberière

De ceste nourrice breneuse

Et si encore est envieuse

Des gens.

LA SECONDE

Or me dy, je te prie,

95Icy, Marguerite ma mye,

Vous avez ung gentil varlet,

Comment il a non? Raullet?[[97]]

Est-il point amoureulx de toy?

LA PREMIÈRE

S’il est point amoureux de moy?

100Par bieu, il y a mis grant peine,

Mais, par la doulce Magdalaine,

Jamais il n’y sceust advenir!

LA SECONDE

Sy luy vi-ge une fois tenir

Ta main en l’ouvrouer en passant.

105Estoit-il point en mal pensant?

Par ta foy, dis la verité!


 [[ Print Edition Page No. 415 ]] 
LA PREMIÈRE

Pour ung baiser pris de costé

Aucuneffois entre deux huys,

Quant il voit que seulle je suis,

110Je ne luy sauroye eschapper.

Aucuneffois après soupper,

Que la dame se va coucher,

Le cocquin se vient aprocher,

Mais je le foys bien vistement

115Tirer arrière.

LA SECONDE

Seurement,

En nostre hostel je suis bien aise,

Synon qu(e) aucuneffois j’ay noyse,

Quant elle treuve d’aventure

Derrière l’huys la ballayeure

120De l’hostel.

LA PREMIÈRE

J’en suis tout ainsi,

Mais encore y a-il ung si

En ma maistresse, qui me gaste.

S’el me voit que je ne me haste

A son gré, tousjours elle tence,

125Mais, au regard de la despence,

317 ro]Nous sommes assez bien pensez:

Pain, viande, assez, assez[-1]

Et tousjours du vin à plain pos.

LA SECONDE

Or vien çà, chang[e]ons de propos,[[129]]

130Combien gaigne-tu tous les ans

De ton sallaire?

LA PREMIÈRE

Quatre francs.

LA SECONDE

Quatre frans, sans plus, quel deduyt!

A paine je m’y donneroye.

LA PREMIÈRE

Du remède?

LA SECONDE

Je serviroye

135Plustost ung homme à marier

Que tu congnoys, sans te lier

A ces rechignardes maistresses.

A tout le moins j’auroye les gresses,

Les vielz soulliers que je vendroye

140Et tout ce que je filleroye.

Quatre frans, qu’esse? ce n’est rien!

LA PREMIÈRE

Je treuve qui m’en donne bien

Jusques à six, mais il me suffit,

J’ay honneur.

LA SECONDE

Par sainct Jullian

145Moins d’honneur et plus de prouffit!

Que m’en chauldroit-il qu’on me fist?

Ce n’est qu’opinion de sotz.

LA PREMIÈRE

Je n’ay faulte que de repos,

Nous sommes tousjours à mynuit

150A coucher, cela me destruyt,

Et puis me lever si matin!

Ces enfans mainent tel hutin

Qu’i n’est qui puisse prendre somme.

LA SECONDE

Ton maistre me semble bon homme,

155Guillemette.

LA PREMIÈRE

Aussi est-il,[-1]

Mais il n’est pas assez subtil

Pour congnoistre aucuneffois

Ce que je voy.

LA SECONDE

Je ne congnoys†[[158]]

En ma maistresse que tout bien.

LA PREMIÈRE

160Se tu n’en vouloys dire rien

Je te diroye bien en l’oreille,

Je sçay bien quoy.

LA SECONDE

Vecy merveille,317 vo]

Pense que sois bavar[d]esse?[-1]

LA PREMIÈRE

Escoutez en l’oreille![-2]

LA SECONDE

165Par la saincte messe[-3]

J’eusse bien osé deviner

Que l’autre jour, après-disner,†[[167]]

Environ une heure elle y alla,

Elle et ung autre.


 [[ Print Edition Page No. 416 ]] 
LA PREMIÈRE

C’est cela,

170Mais garde toy bien d’en parler

Jamais me sauroit rien celer,

Rien ne fait qu’el ne me le dye.

LA SECONDE

Et la mienne ne me dit mye

Ce qu’el fait, il s’en fault beaucoup![[174]]

175Aussi il ne m’en chault pas trop,

Je n’entens qu’à faire ma main!

LA PREMIÈRE

Tu emporteras ton sac plain

Et en fourniras ton mesnaige.

LA SECONDE

Pour ung tas de menu bagaige

180Pense-tu qu’on s’en aperçoyve

Et puis cela, si ne leur grefve,

On ne les en sauroit destruyre.

LA PREMIÈRE

Voire, mais si le fault-il dire

Au confesseur quant vient à Pasques.

LA SECONDE

185Non fait, par monsieur sainct Jacques,

Quant j(e) y suis, il ne m’en souvient!

LA PREMIÈRE

Mes seaulx sont plains, il me convient

Retourner bientost, l’heure est brefve

Que ma maistresse ne se lieve,

190Il en est temps!

LA SECONDE

Or va à Dieu!

Ung autreffois je te donneray lieu[+2]

Ainsi comme tu m’as donné.

DEBAT

Sang bieu! si voirez-vous beau jeu!

Tantost ont-ilz bien sermonné

195Et de leur estat gergonné,

Et des maistres et des maistresses,

Raconté tout[e]s les finesses

De la maison, et des manières

Des nourrices et des cha[m]brières

200Et comme se part le butin.

Se je ne [l]eur livre hutin,

Je vueil perdre cest oeil icy,

Je voys [con]fronter ceste-cy

318 ro]Hay! Marguerite. Dieu te gard!

205Quel heure est-il?

LA PREMIÈRE

Il est jà tard,

Mais de l’heure je n’en sçay rien.

DEBAT

Et par bieu, je m’esbahis bien

Comme tu oses arrester

A babiller n(e) à quaqueter

210A ceste grosse Guillemette,

C’est la langue la plus infaicte

Que je sache point sur ma foy!

Se tu sçavoys qu’el dit de toy,

Tu en seroys tout esbahye!

LA PREMIÈRE

215Qui, de moy?

DEBAT

Plus de mocquerie

Qu’on ne sçauroit dire de femme

Et que tu es la plus infâme

Qui soit à Paris chambrière.

LA PREMIÈRE

Ha! a! la puante brenassière!

220Dit-elle de moy tel langaige?

Et maintenant c’estoit la raige,

Tant de son segret me disoit.

DEBAT

Par sainct Jehan, elle le faisoit

Pour te tirer les vers du nez

225Et dit franchement que tu n’ez

Qu’une friande menteresse,

Grosse truande, larronnesse,

Brief, c’est une chose villaine!

LA PREMIÈRE

Bien, bien, demain à la fontaine

230Je la trouveray la prestresse!

Se ce n’estoit pour ma maistresse,

De ceste heure, je te recouroye,

Mais si bien je la batroye

Qu’à tout jamais s’en sentiroit.


 [[ Print Edition Page No. 417 ]] 
DEBAT

235En effect on ne te sauroit

Dire tout le mal qu’elle en dit,

Mais ne te chaille, c’est ung dit,

N’en parle point, ce seroit noyse.†[[238]]

LA PREMIÈRE

Quoy! parler plus que je m’en taise,

240Le grant Dyable d’Enfer m’emporte,

J’aymeroye mieulx estre morte!

L’orde puante becquerelle

M’a dit qu’el estoit macquerelle

De sa maistresse et d’ung moyne![-1]

245Or vienne, vienne à la fontaine,

Je luy feray bien sa raison!

Ça, ça, je voys à la maison,[[247]]

Mais demain par saincte Basille

318 vo]Il en y aura à la ville,

250Ha! ha! me dresse-tu coquille

Et je me fioye tant à toy!

DEBAT [à part]

Esmeue est à la bonne foy:

Tantost y aura beau sabat!

Entre [e]lles oncques debat[-1]

255Ne fut veu, mais aller me fault

A l’autre livrer ung assault

Et luy eschauffer la cervelle.

LA SECONDE [à part]

J’ay veu Marguerite là-hault

Et ung homme parler à elle.

260Il y aura quelque nouvelle:

Se la chose n’est bien secrette,

Je le sçauray!

DEBAT

Hay! Guillemette,

Es-tu icy?

LA SECONDE

Ouy! vraibicque,[-1]

Qu’est-il de nous?

DEBAT

Tant de traficque,

265Que ceste garse Marguerite

Dit de toy! Elle te despite

Que c’est une terrible chose,

Je suis esbahy comme elle ose

Dire ce qu’elle dit de toy

270Et par grant injures.

LA SECONDE

De moy?

DEBAT

Voire de par la foy de mon corps,[+1]

Elle dit quant tu vas dehors

De la maison où tu demeures,

Tu arrestes deux ou trois heures

275Avec le clerc d’un chanoyne,[-1]

Puis dis que c’est à la fontaine

Où tu ne povois avoir lieu.

LA SECONDE

Qu’elle l’a dit, la feste bieu!

Or regardez la becquerelle

280Et, par mon createur, c’est elle,

Sans autre, qu’elle soit ainsi

Proprement.

DEBAT

Elle dit aussi

Que tu fais faire ta raison

Au maistre de la maison

285Et t’a chascun, qui t’en demande!

LA SECONDE

Or regarder l’orde truande

Ladresse puante, pourie,

Que je suis maintenant marrie

Quant à ceste heure estoit icy

290Que je ne savoye cecy,

Je luy eusse fourby la teste!

DEBAT319 ro]

Croy-moy, et pour le plus honneste,

Jamais avec elle ne hante,

Car c’est une garse meschante,

295Qui ne vault mettre au papier.

LA SECONDE

Une garse de plain clappier

Toute sa vie à la cellette!

DEBAT

Par bieu, tu dis vray, Guillemette,

Ces parolles point ne me plaisent,

300Mais ne te chault, elle est infame,

Tousjours les plus saiges se taisent!

LA SECONDE

Taise et que parolles voisent[-1]

Ainsi sur moy villainement,

Ha! je vous jure mon serment

305Que je luy fourbiray la teste!


 [[ Print Edition Page No. 418 ]] 
DEBAT

Or t’y gouverne saigement

Et monstre que tu n’es pas beste.

LA SECONDE

Ça, que Dieu en ait malle feste![[308]]

Me tient-on ainsi sur les rens?

310Par bieu, se je ne te le rens,

Tristesse, je puisse mourir

Ou tu gaigneras au courir,

Car tantost aura une alarme.

DEBAT

Il ne s’en fault plus enquerir

315Tantost y aura beau vacarme,

Si ne vient Cordelier ou Carme,

Qui les puisse mettre d’accord!

LA PREMIÈRE [à part]

Le grant dyable d’enfer m’emport,

Se je te treuve Guillemette!

320Orde, puante garse infaicte,

Je te romperay le museau!

Je n’yroys point demain à l’eau,

Se n’estoit pour te rencontrer

Et ta follie te monstrer:

325D[i]s-tu de moy telz deshonneurs?

LE CORDELIER

Faictes bien aux Frères Mineurs,

Mineurs, Mineurs, Mineurs, Mineurs,

Pour l’amour de Dieu, si vous plaist!

De disner me voicy tout prest,

330Je ne sçay à dire que c’est,

Au moins ung petit de pitance!

Crier me fault à grant puissance

Affin d’esveiller les seigneurs!

Faictes bien au Frères Mineurs

335Mineurs, Mineurs, qu’âme n’y touche.

Je mettray cecy en ma poche:†

Ce sera bon commencement!†

319 vo]J’ay fiance, si chet en couche,[[337]]

D’avoir cy des biens largement!

LA SECONDE [à part]

340A l’eau m’en vois legierement

Où ceste garce trouveray

Et le museau luy congneray,

Par ma foy, puis que je l’ay dit!

El dedira ce qu’elle a dit

345De moy, ou je l’asomeray!

LA PREMIÈRE [à part]

Je m’en voys, je la trouveray

A ceste heure, se je ne faulx.

Si bien la battray de mes seaulx

Que oncques personne n’avalla!

350L’orde truande! la velà,

Bien luy en feray souvenir!

LA SECONDE [à part]

Voicy ma ribaulde venir!

Que le feu sainct Anthoine l’arde!

LA PREMIÈRE

Vien ça! malheuré[e] paillarde!

355Qui te fait tenir tes procès

De moy et dire telz excès?

Par ma foy, je te defferay!

LA SECONDE

Par le bien Dieu, je te tueray,

Orde garse, putain rusée!

360M’as-tu maintenant accusée?

Je te romperay le museau!

DEBAT

La, la, la!

LA PREMIÈRE

Pour rompre mon seau,

Sy en auras-tu ceste drame,

Garse puante!

LA SECONDE

Nostre Dame,

365Au meurdre! ayde[z]-moy, je suis morte!

LA PREMIÈRE

Le grant dyable d’enfer m’emporte,

Tristesse se je ne t’asomme,

As-tu esté dire à ung homme

Que je suis une larronesse?

DEBAT

370D’acort, d’acort!


 [[ Print Edition Page No. 419 ]] 
LA SECONDE

Elle est prestresse

Puante, elle m’a confessé:

Il y a plus d’ung moys passé

Que le monde en est adverty.

LA PREMIÈRE

Prestresse moy? tu as menty,

375C’est toy qui hantes les prestres,[-1]

Vas sus les recommanderesses

Pour veoir que c’est qu’on t’y dira!

DEBAT

Et cessés-vous? On vous orra,

320 ro]Ce sera honte!

LA SECONDE

Quoy? Me taire?†[[379]]

380Pour ceste ribaulde adultaire,

Vieulx cabas qui ne peult nyer

Qu’el ne desroba le psaultier

D’un prestre couché avec elle.

LA PREMIÈRE

Va truande!

LA SECONDE

Va maquerelle!

LA PREMIÈRE

385Va où tu dois aller,[-2]

Par bieu je te feray bruller!

LA SECONDE

Bruller?

LA PREMIÈRE

Voire.

LA SECONDE

Hé! bon gré ma vie

Me diras-tu si largement

D’injures et de villanye?

390Cecy auras pour ton payement,

Oys-tu?

LA PREMIÈRE

Ha! bon gré mon serment,

Tu n’es pas encore eschappé[e]!

Puisqu’en ce point tu m’as frappée,

La parucque te pigneray!

LA SECONDE

395Au meurtre!

LA PREMIÈRE

Je t’etrangleray,

Orde, puante, garse infaicte![[397]]

LE CORDELIER [survenant]

Et cessez-vous bon gré, mon âme,

Fault-il s’entrebatre en ce point?

LA PREMIÈRE

Brief je la tueray!

LA SECONDE

Nostre Dame!

LE CORDELIER

400Sans bieu, ne cesserez-vous point?

Je requiers Dieu, qui me pardoint,

[Se] sur tous deux ne frapperay,

Cessez-vous?

LA PREMIÈRE

Je l’estrangleray

En effect, remède n’y a!

LE CORDELIER

405Benedicite Maria,

Voicy femmes abhominables

Et cessez-vous, par tous les dyables?

Il ne fault point mener de guerre

Maintenant.

LA SECONDE

Ha! a! frère Pierre!

410L’orde puante m’a destruicte,

De Dieu puist-elle estre mauldicte!

Injure n’est ne villanye

Que sur ma maistresse ne die!

LA PREMIÈRE

Mais putain! . . .

LE CORDELIER

Vous estes folles,[-1]

415Laissez-moy toutes ces parolles

320 vo]Et parlons de joyeuseté.

LA SECONDE

Ha! par la saincte crestienté,

Se justice me veult entendre,

Tristesse je te feray pendre

420Pour ung enfant que tu tuas.

LE CORDELIER

Debat, plus viste que le pas

Vuidez, ne soyez plus entre elles!


 [[ Print Edition Page No. 420 ]] 
DEBAT

Frère Pierre, entend bien le cas,

Il appaisera leur querelles.

LE CORDELIER

425Sans que plus en soit de nouvelles,

Vuidez! en ce point le conclus,

De cecy n’en parle[rai] plus,

C’est ung debat qu’il fault rabatre,

Mais qui vous a fait entrebatre?

430Dictes-le-moy.

LA PREMIÈRE

Ce fut cest homme,

Qui m’a dit et racompté comme

Ceste ribaulde m’injurye!

LA SECONDE

Ç’a-il fait, par saincte Marie,[[433]]

Qui m’a dit que tu me blasmoys

435Et que tant d(e) injures disoys

De moy que c’estoit grant ordure!

LE CORDELIER

Or qu’on ne parle plus d’injure,

Laissons Debat, il ne vault rien,

Chassons-le et le baton[s] bien,[[439]]

440Car il est de faulce nature.

LA PREMIÈRE

Frappons sur luy à desmesure

Et qu’i soit baptu comme ung chien.

LE CORDELIER

Or qu’on[[443-444var,       443-4en]]

Laissons.

LA SECONDE

445Je cuidoyes, je vous asseure

Que ce fust ung homme de bien,

Car il avoit trouvé moyen

De nous mettre en grande laidure.[[449-4]]

LE CORDELIER

Or qu’on                         Laissons

450Chassons.                       Car il est.

LA PREMIÈRE

Chantons d’acord.

LA SECONDE

Tenons mesure,

Et puis, que disner on s’en voise!

De Debat [n’y doit] avoir cure

En bonne compaignie françoyse!

EXPLICIT

NOTES

 [LI.] Farce des Chambrières. Une farce du même titre est signalée dans Répertoire, p. 118 et publiée dans l’Ancien Théâtre français, au t. II, p. 435, mais elle est entièrement différente, quoique parisienne également.

 [443-4] et 449-450 sans doute débuts de chanson, rythmant les coups.

Endnotes

 [14,] O: Aportes.

 [46,] O: Se.

 [58,] O: cotte.

 [70,] O: Je la s.

 [73,] O: se q. je s.

 [75,] O: se.

 [97,] O: C. esse qu’il . . .

 [129,] O: sa.

 [140,] O: se.

 [147,] O: que aupinion . . .

 [158,] O: Se. . . .

 [167,] O: Quel a.

 [174,] O: Se.

 [179,] O: bacaige.

 [238,] O: se.

 [247,] O: Sa, sa.

 [300,] manque un vers.

 [308,] O: Sa . . . hait.

 [336,] O: secy.

 [337,] O: Se.

 [379,] O: Se.

 [397,] O: lon âme.

 [427,] O: secy.

 [432,] O: mainjuroye.

 [433,] O: Sa il . . .

 [439:] lay.

 [443-444,] Vers incomplets, peut-être débuts de chansons.

 [449-4,] Cf. 443-444.

 [453,] O: De Debat il a. c.


 [[ Print Edition Page No. 421 ]] 

LII
321 ro] FARCE NOUVELLE
DE LA TRIPPIERE
A TROIS PERSONNAGES
*

  • C’est assavoir:
  • ROLHIART
  • MALE FIN
  • LA TRIPPIÈRE

[vignette]

LA TRIPPIÈRE

ROLHIART commence321 vo]

Celuy qui fist le Firmament

Saulve et garde la seigneurie

Et aussi generallement

Toute la noble compaignie.
Tunc faciat unum [discursum] peri>
plateam et post dicat ante tripperiam:

5Donnez l’aumosne pour Jhesus

A ce povre loqueteux,

Qui soubvenir ne se peult plus,

Tant est de ses jambes goutteux.
Iterum dicat:

A ce povre loqueteux

10Donnez l’aumosne pour Jesus,

Qui soustenir ne se peult plus,

Tant est de ses jambes goutteux.

LA TRIPPIÈRE

Va à Dieu,

L’aumosne est faite.

ROLHIART

15Ung morceau de ceste teste,

Belle dame, si vous plaist!

LA TRIPPIÈRE

Tu n’auras riens en effect.

ROLHIART

Hé! dame, si vous plaist,

De celle trippe ung morceau!

LA TRIPPIÈRE

20Va, va garder les veaulx,

Gros truant belistre!

ROLHIART

Hélas! je n’ay pas ce tiltre!

Dame, ne vous desplaise,

Si, en l’honneur de sainct Blaise,

25Je vous requiers de voz biens.

LA TRIPPIÈRE

Va, paillart, tu n’auras riens,

Fuyz d’icy que n’ayes des coups!

ROLHIART

Au moins à sucer les os

Ou du brouet.

LA TRIPPIÈRE

30Donner je te feray du fouet,

Paillart, si ne vuydes le lieu.

ROLHIART

Tresdoulx Jesus, qui es vray Dieu,

Ayes pitié de ce povre homme!

LA TRIPPIÈRE

A qui vendray-je en somme

35Mes trippes grasses comme lart?

Le grant dyable y ait part,

322 ro]Au bellitre truant advoultre?

Tu me portes tres mal[e] encontre!

Que de fièvres soyes lyé,

40Mais aussi tresbien relié,

Si premier ne tumbe en pièces,

Qui estoit si remply de leiches

Que mal bien te puissent faire.

L’on me puisse les yeulx deffaire

45Que si ne fusse si paillart


 [[ Print Edition Page No. 422 ]] 

Plus je n’eusse pour ung liart

De la trippe qui me demeure.

Or va en la malheure

Et mais aussi en mal point

50Encores tout à malefin

Ira trestout ainsi que croy.

Tout m’esquille parmy les dois!

Comment la male adventure,

Voicy tresbonne fourniture

55Encores pour les bons gallans!

Or avant, avant, mes chalans,

Çà venés à la bonne estreine!

Je vous jure saincte Heleine

Que qui premier m’estrenera

60De mon propre gaing il aura,

Qui l’aura? Qui l’aura?

Sçaura pour combien. Est-ce rien?

Gentil gallant sera

Qui m’en despeschera,

65Pas n’est le morceau delaissé.

ROLHIART

Tantost en seras despeschée,

Cabas infaict, ne te soucye!

Car tantost je te certiffie

Je te viendray faire meslée,

70Se premier ne t’en es allée,

Car je ne te procure nul bien[[71]]

Puis que dit que non as du tien,

Avecques injures et villenye,

Sans cause, par ta felonnye,

75Publicquement emmy la place

Avecques tes grosses menasses.

Comme une faulce loudière[[77]]

Sale et ordure et fière

Te monstreray se j’ay povoir

80De te payer et decepvoir,

Tu m’as dit que je n’auraye point,

Ainsi qu’il t’est venu à point,

En disant que dessus mon dos,

Tu me feroys donner des coups

85Et en te demandant du brouet

322 vo]Dit m’as que me feriés du fouet

Donner, si ne vuide le lieu,

Et je te jure mon bon Dieu

Que de tel pain tu auras souppe.

MALE FIN

90Has! ha! a! J’ay la goutte,

Has! ha! a! lassé,

Ce que j’ay amassé

Et qui le despencera?

Celuy qui gré ne m’en sçaura!

95Haula! host!

Je mengay hyer trop de rost,

Moult fort me tire mon pourpoint

Et si vendengay bien du vin.

Je ne sçay se je suis delivre,

100Car j’estoye hyer bien yvre.

En mon organe plus n’a rien

Ne au charnier, je le voy bien.

Je ne sçay bonnement que voy

Le cul ou la teste ou quoy

105Ou le hault de mon menton,

Endormy suis comme ung g[u]eulx

Tant suis chargé de dorm[eve]ille,

Aller me fault à quelque mille

Qui me foncera de la crie[[109]]

110Au moins qui vouldra que je crie

De la pienche et de l’artis,

Car sur cela suis moult fetis.

Si m’en voys droit à la grant place

Pour trouver quelqu’un qui me face

115Du bien pour Dieu et son aulmosne.

LA TRIPPIÈRE

Velà cy friande et bonne,

La blanche trippe et grasse,

Les meilleures ay-je de la place

Ne qui y furent de cest an,

120Chalans, venez avant, çà,

N’alés de moy autruy chercher

Pour cuyder avoir le marché

Meilleur que ne vous fois en somme

A autruy que je ne vous donne!

125Trippes vous donne et boudin

Qui ne m’en demeure loppin

A celuy qui premier prendra

Et qui estrener me vouldra,

Je luy en donne ung bon morceau,

130Soit de la trippe ou de veau

Qui n’en paye à moy jà la maille.

ROLHIART [à part]

Tu ne vendras denier ne maille

Que tout n’aye par ma cautelle,

323 ro]Car je la te garde moult belle.


 [[ Print Edition Page No. 423 ]] 

135Pas ne t’en lairray ung bouillon

De la trippe ne ung taillon,

Mais que trouver me puisse à point

De en parler à Male Fin,

Mon bon compaignon, sur ma foy,

140Car je t’ay jà dit une fois

Que je ne te procure bien.

MALE FIN [à part]

Je voy mon compaignon qui vient

Droit à moy, ce m’est advis.[[143var,           143-150en]]

ROLHIART

Et Dieu te gard amy,

145Comment te va?

Et dy moy, s’il te plaist,

Male Fin, Dieu te gard!

MALE FIN

Et toy Rolhiart

En depuis hier?

ROLHIART

150Je te le diroye voulentiers,

Je bus bien hier comme tu sçais

Encores en ay-je tout mon fais!

Si fort j’en remply mon pourpoint

Que d’ung pié près il ne me joinct,

155Tant ay la gorte pleine de fourrage.

MALE FIN

Rolhiart, bon couraige,

Car aussi prest suis-je de boire

Comme toy, et par bieu voire,

Et de faire lasche journée,

160Mal acoustrée, mal adornée

Et me sens faichés de ma chère,

Faire bonne vesne planière

Sans forcer le molle de rien.

ROLHIART

Si je ne l’entens, je le sens bien

165Que le feux arde la serreure,

Tu l’as tirée verte et meure,

Tu n’as en toy nulle raison.

MALLE FIN

Tousjours est-elle de saison,

N’en ayes nulle peur ne doubte

170Mais la main de ton nes oste

Car c’est du vent qui puriffie.

ROLHIART

A! que le dyable s’i fye!

MALE FIN

Tu t’enfuys par bonne cautelle,

Tu la me bailles belle,

175Tu t’enfuis à celle fin

Que de tes bribes n’aye point,

323 vo]Attens du vin de ma bouteille.

ROLHIART

Ha! ha! à l’oreille,

Male Fin, laisse cela.

MALE FIN

180Parle bas

Et parlons d’autre matière

Se point tu as ne vin ne byère,

Donne-m’en pour Dieu à humer,

Car je suis par bieu enfumé

185Contre la pienche, si ne boy,

Foy que à nostre ordre doy

Je n’ay ne fructus ne ventris.

ROLHIART

Point ne nous fault de gris.

MALE FIN

Or sommes pris

190Puis que rien n’avons pour disner,

Mal prestz sommes de desjuner

Se nous n’y pensons autrement.

ROLHIART

Et comment?

MALE FIN

Car en nostre bisac n’a rien

Pour faire trembler le lambeau.

ROLHIART

195Ha! je te diré de nouveau

Sus ma foy, ainsi m’ayt Dieu,

De quoy valoir tu pourras mieulx

Et moy aussi je le sçay bien,

Ce n’est pas chose de nyent

200Mais que en moy tu soyes ferme!

MALE FIN

Oncques plus ferme ne fut Carme

A prescher pour avoir argent

Que je suis prest et diligent

De tout le tresbon conseil faire,

205Mais que je sache tout l’affaire,

Si le me dy car je m’en rons.


 [[ Print Edition Page No. 424 ]] 
ROLHIART

Or entens donc!

Je te jure par sainct Martin

Que aujourd’huy à ce matin

210Allé m’en suis à la Grant Sale

Du grant Palais et puis aux Halles,

Veu que trouver ne te povoye

Et en passant parmy la voye

Arté me suis emmy la place

215Icy tout droit dessus ma masse,

Querant pour povre loqueteux

Donner l’aumosne à ce gouteux.

Il y a eu une trippière

324 ro]Qui moult m’a fait layde chère,

220Disant que tant de coquinaille,

Questions ne vallions une maille,

Mais donner me vouloit du fouet,

Quant demandé luy ay du brouet

En mon escuelle de ses trippes.

MALE FIN

225Si dedans puis mettre la grippe

Jamais tu ne veis plus beau jeu,

Si ne feray ne ung ne deux

Que n’arape en ma main.

Par Dieu elle n’en aura pas mains

230Car moult bon maistre suis du croc!

ROLHIART

Bien sçay que tu ne sçais que trop

Au regard de ce que veulx dire.

MALE FIN

Mon cueur si fort desjà y tire

Que c’est raige tant me presse,

235Il me semble jà que la gresse

Je sens boullir dedans mon ventre.

ROLHIART

Aultre[[237var,     237en]]

Saindre te fault sur la callade

A estre ung parfaict malade

240En querant pour l’honneur de Dieu!

Se donner elle ne t’en vieut,

Fains-toy de acheter de trippe

Pour ung liart, mettant la grippe

Sur le plus friant morceau qui soit!

245Fais bien cela, comment qu’il soit,

Car tantost question tiendra

Encontre toy et se prendra

A tantost dire villenie

Et moy qui ne tarderay mye

250De venir là-dessus le bruit,

Qui verray trestout le deduyt,

Viendray sur toy faignant de batre,

En te donnant troys coups ou quatre!

De te revencher ne te faint

255En prenant son pot à la main

Et t’enfuis tant que tu pourras.

MALE FIN

Par Dieu, couronné tu seras

D’ung des boyaulx de la trippière,

Quant nous en feron bonne chère

260Avecques trippes et boudins!

ROLHIART

Encores y a-il ung point.

Logier te fault et estre habille,

Quant fuyras, parmy la ville,

Si pense d(e) aller cautement,

324 vo]Car moult elle menera tourment

266A nous suyvir et à nous prendre.

MALE FIN

Je n’ay garde de les luy rendre

De rien que preigne de sa trippe,

Si ung coup le tiens soubz ma grippe

270Par quoy nullement soye prins,

Car moult rouge y suis et gris

Pour dire que m’aye en ce point.

ROLHIART

Encores y a-il ung point:

Pour chose que l’on te die

275Ne face, tire ta vie,

Car la vie y gist et pent,

Si entent,

Sans la deshonneur qu(e) on auroit.

Pourquoy grant follie seroit,

280A toy qui est subtil et saige,

Si n’aviez à ce bon couraige,

De t’enfouyr tant que pourras

Et sçais-tu bien où tu yras:

En la vieille tour de la ville,

285Passe tousjours par vieilles rues,

Si nous perdra tantost de veue

En prenant tousjours le torce

Et sans cesser ne lascher cource

Par ainsi perdra la loudière,

290Orde et sale trippière

Toutes ses trippes et son pot.


 [[ Print Edition Page No. 425 ]] 
MALE FIN

Par le sang bieu tu es fallot

Et mais aussi digne de vivre,

Ce n’est pas signe que soyes yvre,

295Quant parlez ainsi saigement

Se je ne faulx à mon emprinse.

ROLHIART

A! que bien je luy garde grise

A la loudière nez infect.

MALE FIN

Or en effect

300Je m’y en voys

Tresque habillé par ma foy,

Je me feray ainsi qu’est dit.

ROLHIART

Et moy aussi aultre habit

De peur que congneu je ne soye.

LA TRIPPIÈRE

305Galans qui passés sur la voye

A mes bonnes trippes et graces:

Les meilleures ay de la place

Ne qui y fussent de l’année.

325 ro]Ne seray-je point estrenée?

310Qui m’estrenera

Ne qui l’aura

Le gras morceau

A ce pié de veau

Vecy aussi de bon polmon,

315Du faye et pié de mouton!

Riens je n’ay que viande honneste

Et quel brouet pour faire feste

Pour cuire ris et amendes,

Il y a bien ung doy d’espès

320Au bouillon de fine gresse!

Ne me viendra-il ennuyt presse,

Qui m’estrenera?

De mon propre gaing il aura.

Or avant, que Dieu y ait gaing!

MALE FIN [à part]

325Tantost te presteray la main,

Attens seullement ung petit!

ROLHIART

J’en ay aussi grant appetit

De te manier que c’est rage.

A! que j’en ay moult grant courage,

330Loudière remplye de souppes,

Que cuytte fusses comme trippes,

Au plus parfont de ton gras pot.

Se l’on ne me tenoit à sot

Du coup que je t’eusse donné,

335Arraché je t’eusse le nés

Par despit de ton faulx courage,

Qui tant est si remply d’oultrage.

Que le feu sainct Anthoyne t’arde!

Entour du nés elle a de merde

340Que grant mal me fait quant j(e) y pence.

Regardés aussi sur sa manche

Et en l’orbe de son grant pot:

De merde il y a floc,

Les ongles a-elle infectes.

345Pire est-elle que les bestes,

Qui font soubz elles leur ordure!

Or tenés quelle bordure

A mettre en ung plat de fient.

LA TRIPPIÈRE

Esbahye suis que nul ne vient!

350Venez, Gallans, joyeusement,

Joyeusement venez avant

A ce beau matin!

MALE FIN

En l’honneur de sainct Martin,

Confortés ce povre malade.

LA TRIPPIÈRE

355Moult simple es sur la callade,

325 vo]Je ne sçay se tu te fains.

MALE FIN

Hé! dame en l’honneur saint Martin,

Je vous requiers une aulmosne.

LA TRIPPIÈRE

Ta contenance moult est bonne

360Et propice à flateurs.

MALE FIN

En l’honneur de Nostre Seigneur,

Dame, ung morceau de vos biens!

LA TRIPPIÈRE

Tu n’auras riens.

MALE FIN

Quelque chose, s’il vous plaist.

LA TRIPPIÈRE

365Rien n’auras en effaict.


 [[ Print Edition Page No. 426 ]] 
MALE FIN

Ung morceau de trippe.

LA TRIPPIÈRE

Si tu y metz la grippe,

Je te donray sur le museau.

MALE FIN

Hé! dame ung morceau

370De cela qu’il vous plaira!

LA TRIPPIÈRE

Ce paillart point ne me lairra![[371]]

Ennuyt ne me vint que coquinaille,

Qui ne me vallent une maille

Et si me portent grant malheur.

375Je te jure Nostre Seigneur

Que si ne me vuydes le lieu,

Je te donneray, se m’aist Dieu,

Au plus hault de ta caboche!

Or garde que tu ne me approches,

380Bellitre infaict!

MALE FIN

Si vous plaist!

LA TRIPPIÈRE

L’on me defface

Si de ta masse

Ne te rons la cervelle,

385Or que plus nouvelle

Icy n’ayons.

MALE FIN

Si vous plaist, vendés m’en donc

Et me faictes bon marché

De quelque riens qui à mascher

390Soit tendre, de peur de ma dent.

LA TRIPPIÈRE

Regarder icy dedans

Ce qui sera bon à ta bouche,

326 ro]Mais garde que tu n’y touches,

Car je te donroye sur les doys.

MALE FIN

395Et non feray-je par ma foy

Que à cela que j’acheteray

Et cecy par dessus prendray

Pour ung liart, tout sera mien!

LA TRIPPIÈRE

Ha! par Dieu, je n’en feray rien,

400Laisse cela, feras que saige.

MALE FIN

Pas ne vous sera-il dommaige,

Laissez-le-moy!

LA TRIPPIÈRE

Riens je n’en feray par ma foy,

Ha! le prens-tu maulgré le mien?

405Je ne te donneray par Dieu rien,

Tourne-les cy!

ROLHIART

Et qu’est cecy?

Quelle est vostre noyse?

Bien fault que je le voye,

410Si seray vostre arbitre.

LA TRIPPIÈRE

C’est ce villain belistre

Qui me desrobe à tous las.

MALE FIN

Et non fais, sire, par Dieu, pas,

Monsieur, ne vous desplaise,

415Mais bien est vray, par saint Blaise,

Que n’achetoye du menu

Et j’ay prins cecy par dessus,

Dont nul tort ne fais, ce me semble.

LA TRIPPIÈRE

Et pourquoy cecy tu embles,

420Sans que en soye consentant?

ROLHIART

Or entend,

Tu en auras, par ma foy,

Et bien ça, n’esse pas toy

Qui l’aultre hyer portez en ville,

425Qui tant me dis de villenie

En passant parmy la place:

Vous aurés par Dieu de ma masse,

Maintenant, puisque je vous tien.[[428]]

LA TRIPPIÈRE

Par Dieu, il n’en fera rien,

430Belistre, laisse cela!

MALE FIN

Hélas!

A la mort!

LA TRIPPIÈRE

L’on ne luy fait nul tort,

326 vo]Frappez, Galant!


 [[ Print Edition Page No. 427 ]] 
MALE FIN

435Dieu vous mettre en mal an,

Hélas!

Laissés cela,

A la mort!

ROLHIART

Je ne te fais nul tort

440Ne mais oultraige.

LA TRIPPIÈRE

Se tu es saige,

Laisse, feras.

MALE FIN

Non feray par Dieu pas,

En peine de payer l’enqueste,

445Je luy en donneray par la teste

De ce pas.

LA TRIPPIÈRE

Hélas!

ROLHIART

Saulte, Colhiart!

LA TRIPPIÈRE

Ha! le paillart!

MALE FIN

450A la mort!

LA TRIPPIÈRE

Ha! que le dyable t’emport,

Las! il m’a bruslé le visaige,

Hélas! il me cuist que c’est rage,

Frappés dessus!

ROLHIART

455Tu en auras, bossu,

Tu me repareras l’injure

Que tu m’as fait de ma saincture

Jus.

LA TRIPPIÈRE

Frappés dessus!

MALE FIN

460Hé! Jesus!

LA TRIPPIÈRE

Tu le lairras,

Senglant coquin.

MALE FIN

Non feray point!

ROLHIART

Tu en auras

465Encore ung coup.

LA TRIPPIÈRE

Hélas! mon pot

Il le m’emporte!

Paillart raporte,

Ça, hault!

MALE FIN

470Babault,

327 ro]Vous ne me tiendrés par Dieu ennuyt.

LA TRIPPIÈRE

Le visaige si fort me cuyst

Que s’il dure, j’enraigeray,

Que feray?

475De deus je ne sçay duquel plaindre,

Car je ne sçay qui est le maindre

De mon mal ou de ma perte!

Mon sens pers tout,

Par toy faulx glout,

480Riens ne me reste!

MALE FIN

Je ne sçay qui aura perte,

Mais au moins j’auray du gaing.

ROLHIART

Si tenir te peulx de ma main,

De mon baston auras sans nombre.

LA TRIPPIÈRE

485A! le mal encombre

Qui m’est venu aujourd’huy,

Courir las! plus je ne puis,

Tant desrompue suis et lasse,

Hé lasse!

490Que dois-je faire?

Hé! Vierge Marie

Consolez-moy,

Hé! que! desroy!

A! quelz larrons d’engrès

495A! messeigneurs trestous après,

Je vous emprie

Et mais supplye:

Diligence soit faicte,

Car j’ay jà rompue la teste

500Et troublée de mon entendement!

Que l’on voise au devant

Pour Dieu, quelcun, je vous emprie,

Je croy que j’en perdray la vie,

Se Dieu ne me garde le sens,


 [[ Print Edition Page No. 428 ]] 

505Hélas! la teste me fent,

Au larron, quoquin!

Passez delà jà le grant court,

Je ne les voy plus de veüe,

A! la chose est bien congneüe

510Que ce sont larrons manifestz.

MALE FIN

Quoy qui charge, j’ay mon fais!

J’ay bien joué mon personnage,

L’odeur me donne grant couraige

Quant je la sens au nez frapper!

LA TRIPPIÈRE

515Las! se je les peulx attrapper

327 vo]Pendre les feray par la gorge

Devant que l’on torge!

Or gardent-soy bien de ma main!

Par bieu, ilz n’en auront pas mains

520Les trippes et mais le pot:

Dix solz de roy m’avoient cousté,

Sans le travail de ma sepmaine,

Et si ne prise pas ma peine

Que environ deux gros de roy,

525Qui estoit, sire, par ma foy

Pour acheter ung pou de pain

Et je voy bien que tout mon gain

Je pers et aussi ma potée.

MALE FIN

Quel gresse pour faire tostée,

530La langue m’en va en vo[i]age

Tant y est mis le mien courag[e],

Ha! qu’il est chault,

Hault! hault!

Assoir me fault cy en ce coing,

535Car certes d’aller plus loing

Loisir n’arés, tant y est mon cueur!

LA TRIPPIÈRE

Las! quelle douleur,

Je mourray si Dieu ne m’ayde,

J’estoye devant bien layde

540Et maintenant le seray plus,

Ha! Jesus!

Mon Dieu ayés pitié de moy!

Ainsi que vouloye le doy

Dedans mettre pour le taster,

545Le faulx larron l’a emporté

Si ne sçay quel estoit son point.

MALE FIN [à part]

Tresbien à point

Qu’i n’y fault rien.

ROLHIART

Je voy ma trippière qui vient,

550Moult yrée et bien confle.

Rouge est comment ung pié d’escoufle,

Elle se plaint, elle se deult!

Ha! vous en mengerés du rost

Par le Dieu qui le monde fit,

555Changer me fault d’aultre habit

Pour m’en aller à son devant,

Car si plus guères vient avant,

Elle trouvera Male Fin

Et cela viendra mal à point

560Pour nous qui sommes malfaicteurs!

LA TRIPPIÈRE

Ha! les traistres flateurs,

Il m’ont bien donné la basque,

Que mis soient en malle Basque

Et mais aussi la Vierge mère,

328 ro]Je iray tant par ses repaires

566Qu’en quelque lieu en auray nouvelles.

MALE FIN

Puis que pris[es] elles [s]ont [t]elles,

Jamais ne les verra fumer,

Car tout cecy elle a fené,

570Si menger en veult-en d’autre,

Car, par monsieur saint Jehan l’apostre,

De ceulx-cy ne rescourras-tu point,

Si je devoye mon pourpoint

Esclater et aussi mon ventre!

ROLHIART

575Dieu vous vueille à joye rendre

Et de mal, dame, Dieu vous gard!

LA TRIPPIÈRE

Hélas! je n’y auray point part,

Ainsi que doy.

MALE FIN

Nenny, par ma foy.

ROLHIART

580Et pourquoy?


 [[ Print Edition Page No. 429 ]] 
LA TRIPPIÈRE

Pourquoy?

Hélas!

Ne sçavez-vous pas ma perte

Que ay faicte embas,

585Certes du tout je suis deserte.

ROLHIART

Est-ce à certes?

MALE FIN

Ouy! par ma foy.

LA TRIPPIÈRE

A certes quoy?

Lasse!

590Dictes-moy, mais qu’il vous plaise,

Amy de joye,

Avez-vous point veu parmy la voye

Porter ung pot?

ROLHIART

Dire ne vous en sçauroye ung mot

595Sur mon âme ne sur ma foy,

Mais bien vous diray-je quoy

D’ung qui par amont fuyoit,

Où maintes gens après couroit.

D’autre chose ne says-je mot,

600Mais qu’il emportoit ung pot,

Ainsi que on dit, je n’en sçay rien.

LA TRIPPIÈRE

A! c’est cela, je le sçay bien.

Qu’à male fin puisse-il estre!

Et en ung gibet les mettre

605Qu’i ne voyent le jour de demain.

ROLHIART

328 vo]Pensés qu’il en ont fait maint,

De quoy n’est nulle mention.

LA TRIPPIÈRE

A! que malle passion

Les puisse enverser trestous!

ROLHIART

610Pensés qu’il disent: “Mais bien vous!”

Combien qu’ils ne vous entendent.

LA TRIPPIÈRE

Aller me fault en celle bende.

A moy sont venus ce matin

Lier les jambes d’un patin,

615Faignant des jambes estre gouteux,

Criant comme povre loqueteux

Et pour en mieulx faire la feste,

L’autre se faignant de la teste

Estre malade de sainct Main.

ROLHIART

620Apensés qu’il y a maintz

Qui se faignent pour mieulx avoir.

LA TRIPPIÈRE

A cela sont faitz à savoir

En ce se faignant estre malade

Car il ressemble sur collade

625Ung sainct hermite par ma foy.

ROLHIART

Je vous en croy,

Tousjours parlent au plus loing

De leur pensées, n’entendés point,

Vray comme Pater noster,

630Qui disant d’un et faire d’autre,

Soyés certain de ce que ditz,

Car des ans y a plus de dix

Que je congnois bien leurs façons.

LA TRIPPIÈRE

Deceue m’ont-il[s] par telle façon

635Et si ne sçay lequel d’eux

A faulceté joue le mieulx,

Car semblant on[t] fait de se batre

Et le coquart puant follatre,

Qui bien contrefaisoit la beste,

640Luy a voullu getter à la teste

Mon pot, que à deux mains a pris,

Et le faulx traistre chat et gris

M’a getté du brouet au visaige,

Disant et pensant de courage,

645Ainsi que ne sçay beaucoup mieulx,

Qu’il s’enfuiroit contre deux,

Que mon visage torcheroye,

Et par ce point ont prins leur voye,

Par là où dictes, entre eulx deux,

650Tant que de loing je les ay veuz,

Suivy les ay à belle course,

Mais il ont prins chemin à torse

Là où de veue les ay perdus.

ROLHIART329 ro]

Or en effect les ay veuz

655Certes tirés delà du Pont,

Pourquoy à vous seroit tresbon

D’y aller et prestement.


 [[ Print Edition Page No. 430 ]] 
LA TRIPPIÈRE

Je m’y en voys presentement,

Pardonnés-moy!

MALE FIN

660Et je si foys.

ROLHIART

J’ay bien joué mon personnaige,

Disner m’en voys.

Comment tu boys,

Atten ton compaignon!

MALE FIN

665Je tastay s’il y a de l’ongnon,

Mais tresbon est à mon advis.

ROLHIART

Oncques mais je ne vis

Meilleure saveur,

Il me resjouyt tout le cueur,

670Mais ne fait pas.

MALE FIN

Assiés ton bas

De delà

Et moy deçà

Tu es trèsbien.

ROLHIART

675N’esse cy rien

Gras comme lart?

MALE FIN

J’en veulx ma part!

ROLHIART

Tu en fais gros morceau.

MALE FIN

Holà! tout beau,

680Par Dieu, il m’eschappe.

ROLHIART

Et je te tape.

MALE FIN

Je te prens pour le pire.

ROLHIART

Mieulx te vaulsist, orde trippière,

Que m’eusses faicte bonne chère,

685Quant au premier je vins à toy,

Mais tu voulois à part toy

Sans faire une charité.

Si est escript par verité:

Qui trop empoigne mal estraint,

690Et velà trestout le point

De ce que m’as esté rebelle.

MALE FIN

Velà pour elle!

ROLHIART329 vo]

A toy je boy!

MALE FIN

Et moy à toy

695Dessus la corde!

ROLHIART

Vecy bon ordre.

MALE FIN

Bien sçay mener la chalemelle.

ROLHIART

Jamais feste ne fut telle,

C’est davantage.

MALE FIN

700Or sus courage,

N’y laissons rien!

ROLHIART

Je le veulx bien

Et celuy [qui] mieulx mengera

Le gaing de la trippière aura,

705Or sus, noz maistres!

MALE FIN

A male fin puisses-tu estre!

ROLHIART

Tu en sçais bien estre,

Boire me fault.

MALE FIN

A l’assault!

ROLHIART

710Holà! trop me dure.

MALE FIN

Quoy, qui en pleure. . . .

ROLHIART

La bouteille en chantera.

MALE FIN

Mauldit soit-il qui lairra

Ne trippe ne mais bollion.

ROLHIART

715Et moy, si laisse à taillon,

Je suis content de payer tout.


 [[ Print Edition Page No. 431 ]] 
MALE FIN

Or que nuluy ne sonne mot

Que saoulz ne soyons trestous deux!

LA TRIPPIÈRE

Hé! Dieu!

720Que diray

Ne que feray?

Dolente, hélasse!

Plus ne sçay que je face,

Tant suis dolente que c’est raige

725Et n’est-ce pas ung grant oultrage

A ces paillars coquins infaictz

Que ainsi du visaige deffaitz

Il m’ont par leur grant tromperie.

Or de bon cueur à Dieu je prie

330 ro]Que ceulx qui m’ont fait en ce point

731Ma trippe perdre qu’à male fin

Puissent venir en brief temps!

Fouyr me fault toutes ces gens,

Car aultre chose je n’auroye

735Que mocquerie parmy voye,

Adieu ma trippe et mon pot!

ROLHIART

Confle je suis comme ung bot,

Si me fault lascher ma ceinture.

MALE FIN

Et de menger plus je n’ay cure,

740Car je suis soul comme ung Angloys!

ROLHIART

Puis que me suis desanglé,

La pance plus ne me tire!

MALE FIN

Quant je me advise, il fault dire

Après grâces une chanson.

ROLHIART

745C’est bien raison,

Je voys donc commencer.
     Cantat

Le trou du cul me boutonne,

Je ne sçay si flourira,

Il y viendra une prune

750Que Male Fin mengera.

MALE FIN

C’est bien assés,

Tu es ung très ordureux sire,

Mais je ne te l’ose dire.

Tu la m’as baillé très verte,

755C’est par Dieu toute pure merde,

Car je la sens droit à mon nez.

Icy tout droit m’a donné,

Ne tire plus.

ROLHIART

Fais-tu refus?

760C’est tout à boire

Et par Dieu voire,

Je te prie que tu chantes

Quelque chanson gente,

Si te donne ce morceau riant.

MALE FIN cantat

765Fleur de paillardise

Mourras-tu sans heritier?

Nenny pas par telle guise

Que Rolhiart aye denier.

Pour aymer dames suis honneste,

770Car du cul mène bien feste,

Mais cure il n’ont de moy.

ROLHIART

Comment pot à chier par ma foy

A travers bout et debies.

MALE FIN330 vo]

Car mon cul te dit bona dies,

775Mais saches, bien ne te fait!

ROLHIART

Ort et infect

Tu as mengé merde.

MALE FIN

Mache celle herbe!

ROLHIART

Car je la sens à mon advis,

780Fy!

MALE FIN

Je m’en iray,

Si guères dure.

ROLHIART

Cuyt soye si plus endure,

Je me osteray d’emprès toy,

785Ung boyau as au cul, qui te fault.

MALE FIN

Oster le fault.


 [[ Print Edition Page No. 432 ]] 
ROLHIART

Prins le d’assault,

Par Dieu tu as tort.

MALE FIN

Faisons accord

790Et que tu me acolles.

ROLHIART

Puis que sommes soulz

Allons nous dormir au soleil.

MALE FIN

C’est le bon conseil,

Trestous allons!

ROLHIART

795Or allons!

MALE FIN

Seigneurs et dames, je vous prie

Que s’il y a nul qui s’en rie,

D’entre vous autres bonnes gens

Qu’il puisse avoir de l’argent

800Pour acquerir jeune amye,

Saulvant Dieu la compaignie!

FINIS

NOTES

 [LII.] Farce de la Trippière: unum il manque un mot comme discursum: Per plateam, désigne-t-il la salle ou la scène, je croirais plutôt, le proscenium. L’expression figure déjà à propos des diables dans les rubriques du Jeu d’Adam (fin XIIe siècle). La versification du début est trop irrégulière pour être corrigée, peut-être texte à l’improvisade comme la Jalousie du Barbouillé de Molière.

 [52] m’esquille ou mesquille, je ne connais pas ce verbe et il ne paraît pas avoir de rapport avec notre substantif esquille, fragment d’os fracturé.

 [109] et 111 argot que je ne comprends pas.

 [143-150] ce passage n’est ni rythmé ni rimé, ce qui fortifie mon hypothèse d’improvisation.

 [155] gorte je connais le gort, gouffre.

 [160-3] argot de quayments (mendiants) incompréhensible, de même la suite jusqu’à 194.

 [228] arape, argot que je ne comprends pas.

 [237] incomplet, sans doute l’argot n’ayant été compris.

 [238] saindre te . . . callade, je n’ai pu comprendre ce vers en jargon gobelin même avec l’aide de Sainéan, Sources de l’Argot ancien.

 [428] jusqu’à la fin. On ne peut être sûr de la numérotation, car on ne reconnaît plus les vers. Cf. 143-150.

 [550] confle, il faut prononcer comme dans notre Midi gonfle, enflée.

 [563] Je ne suis sûr ni de la lettre ni du sens de ce vers.

 [737] comme ung bot, comme un crapaud.

 [773] debies?

 [796] dames. On se demande avec effarement quelles dames pouvaient entendre pareilles grossièretés.

Endnotes

 [65,] O: delaisser.

 [70,] O: est.

 [71,] O: n. m’as.

 [77,] O: Comment.

 [85,] O: demandent.

 [107,] O: dormille.

 [143,] O: se.

 [237:] Vers incomplet sans doute en jargon coquillard.

 [371,] O: Se.

 [733,] O: doubte c. g.


 [[ Print Edition Page No. 433 ]] 

LIII
331 ro] FARCE NOUVELLE
DES COQUINS
A CINQ PERSONNAGES
*

  • C’est assavoir:
  • MAULEVAULT
  • PAIN PERDU
  • et POU D’ACQUEST
  • LE TAVERNIER
  • et LE CLERC
MAULEVAULT commence

Je ne requier pour mes labours

Autre chose certainement

Qu’avoir santé plaine d’argent

Et belle dame par amours.

5Par ma foy je feroye des tours

Plus de mille se l’aventure[[6]]

M’avenoit et mon ancestrure

Seroit du tout renouvellée

Et seroit Grève relevée,[[9-10, 48-52]]

10Saint Innoscent et Petit Pont.

POU D’ACQUEST

Dy, tu n’as garde de ce bont,

Il ne s’en convient point debattre.

MAULEVAULT

Pourquoy, Pou d’Acquest?

Tu comptes sans rabatre

15Et scez bien que n’en sera rien,

Et qui est ce truant de bien

Qui m’a ainsi tost ravallé?

Point n’ay si tost eu parlé

Qu’i m’a pris; j’en suis tout esmeu!

POU D’ACQUEST

20Ne t’ay-je point autrefois veu?

Si ay, mais je ne sçay quel part.

PAIN PERDU

Dieu gart les compaignons, Dieu gart!

POU D’ACQUEST

Dieu gart! Où va le compaignon?

PAIN PERDU

D’où je vien? Je vien d’Avignon.

POU D’ACQUEST

25Comment t’appell-on, le scez-tu?

PAIN PERDU

Si fais, j’ay nom Pain perdu.

POU D’ACQUEST

Pain Perdu, sang bieu, est-ce rien?

Avisez quel homme de bien!

A bien chopiner il est prest.

PAIN PERDU

30Et toy?

POU D’ACQUEST

J’é à nom Pou d’Acquest.

PAIN PERDU

Et ton compains, se Dieu te sault?

MAULEVAULT

Qui? Moy j’é à nom Moulevault,

Se je t’en doys rien, dy-le-moy!

PAIN PERDU

331 vo]Nous sommes tous trois, par ma foy,

35Gentilz compaignons et habilles,

Je cuide que ès trois plus grans villes

De France, non pas d’Angleterre,

On ne sçaroit finer ne querre

Trois aussi soutilz compaignons

40Que nous sommes.

POU D’ACQUEST

Or devisons, mes mignons,

Qu’on dit de beau parmy Paris.


 [[ Print Edition Page No. 434 ]] 
PAIN PERDU

On y vent le vin à baris,

A seaux, à bros et à bouteilles.

POU D’ACQUEST

45Ne le vent-on point à corbeilles,

A panniers ou à brouetées?

MAULEVAULT

On le vent à chariotées

En Grève et aussi aux Halles.

PAIN PERDU

J’en vis hyer mener vingt balles,

50Voire douze, en ung tumbereau.

POU D’A[CQUEST]

Et je vy passer ung bateau

Auprès de l’ille Nostre-Dame,

Mais je vous jure, sur mon âme,

Que quant il entra en la ville,

55Il contenoit plus de dix mille

Tonneaux de vin tout espendu.

PAIN PERDU

Qui ne le croit, est-il pendu?

Pou d’Acquest, tu faulx à mentir.

MAULEVAULT

Et l’oses-tu bien desmentir?

PAIN PERDU

60Quoy donc, je dy qu’il n’en est rien,

Il est borgne qui ne voit bien

Qu’i ment tresmanifestement.

MAULEVAULT

Je vy moy dernierement,[-1]

En revenant de Pampelune,

65Ung homme qui portoit une plume[+1]

Dessus son bacinet d’aultruche,

Mais encontre luy une pusse

Y vint trestoute escervellée,[[68]]

Sur la mer, en une gallée,

70Qui venoit tout droit d’Allemaigne,

Mais oncques le roy Charlemaigne

Ne fist plus beau fait qu’elle fist.

J(e) ose bien dire qu’on ne vit

Oncques donner tel croquenelle

75Qu’elle bailla sur la cervelle

De celuy qui portoit la plume,

Et si prist une grande enclume

En ses mains, car l’homme disoit,

Par ses bons dieux, qu’i la tueroit

80Pour ce qu’elle avoit frappé.[-1]

PAIN PERDU

332 ro]Se l’homme eust esté attrappé

Par raison de ceste pusse?[-1]

MAULEVAULT

Il peult bien dire qu’une aulmusse

Elle luy eust mis sur son chef,

85Mais que fist-elle derechef?

Elle prist une hache d’armes

En son poing et quatre guisarmes,

Mais à frapper elle faillit

Son homme, car elle saillit

90Dix lances plus que ne devoit.

Par mon serment on ne povoit

Lever la hache de terre,[-1]

Il fault bientost aller querre[-1]

Force de gens pour la tirer,

95Qui ne sceurent oncques miner

La terre pour oster la hache,

Mais ung qu’on appelloit Gamache,

Qui estoit du pays de Prusse,

Salua gentement la pusse,

100Lequel arracha le cousteau

Et cy y avoit au monceau

Trois paians desquels trois le moindre

Par bieu n’eust point failly d’ataindre

A la croix du plus hault clocher

105De Paris, mais oncques arracher

N’ont peu la hache de la pusse.

J’ay bataillé l’homme de Prusse,

Devant appellé Gamache,[-1]

Celuy qui arracha la hache,

110Que la pusse avoit fait tenir

En terre, cuidant ferir[-1]

Celuy qui est descript devant.

Je te jure mon sacrement

Toy, Pou d’Acquest, et Pain Perdu,

115Que je suis trestout esperdu

Quant me convient entrer la lice,

Car j’estoye ignoscent et nice

Et ignorant trestous les faiz

De batailler, mès touteffois,

120Quant ce vint à bailler les coups,

Par mon serment, il fut escous,

Ne fault pas demander comment.

Il eust esté au sacquement

Bouté ou mis à neant,[-1]

125Je ne me fusse point mocqué,

Aussi chacun le voit bien.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 435 ]] 
POU D’ACQUEST

Par sainct Jacques il n’en est rien,

Maulevault, dy nous hardyment

Verité.

MAULEVAULT

Par mon jugement

130Il est vray, croy-moy, se tu veulx.

POU D’ACQUEST

Je diroye moy pour le mieulx

Que nous en alission boire.[-1]

PAIN PERDU

Se je n’ay perdu ma memoire,[[133]]

332 vo]J’ay icy medecine tresbonne,

135Dequoy j’ay donné à ung homme

Ung franc de pleine ceste boiste.[+1]

POU D’ACQUEST

Haro! saincte chair Dieu benoiste,

Pain perdu, comment l’appell-on?

PAIN PERDU

Par sainct Jehan on l’appelle mon.

MAULEVAULT

140Non, jamais n’en ouy parler.

POU D’ACQUEST

Comment le fault-il avaller?

PAIN PERDU

Nenny, mais il s’en fault oindre[-1]

Les dens bien fort, sans point se faindre.

POU D’ACQUEST

De ceste puantise là?

PAIN PERDU

145Je te pry, Pou d’Acquest, ne va

Point despriser ma marchandise.

MAULEVAULT

D’où l’apportes-tu?

PAIN PERDU

De Venise.

POU D’ACQUEST

En Ytalye.

MAULEVAULT

Par ma foy, je ne t’en croy mie,

150Pain perdu, car tu n’y fuz oncques!

PAIN PERDU

Maulevault, ne veulx-tu point doncques?

Par sainct Jehan, il sera vuidé

Maintenant.

MAULEVAULT

Se j’eusse cuidé

J’en eusse pris.

PAIN PERDU

Dea! Maulevault,

155Pr[i]e hardiment ce que te fault,

Point ne te sera espargné.

MAULEVAULT

Ne seray-je point engigné?

PAIN PERDU

Et nenny, car je le te donne.
[à part]

Par la chair bieu pieça n’eust homme

160Aussi bien farcé qu’i sera.

POU D’ACQUEST

Demande-luy qu’il en fera.

Vien çà, en veuz-tu, Pain Perdu?

PAIN PERDU

Maulevault, et que feras-tu

De ce bruvage que te donne?

165Respondras-tu?

MAULEVAULT

Par Dieu cest homme

De qui je parloye naguère

M’a donné telle mantonnière

333 ro]Sur le pié icy que j’en cloche.

POU D’ACQUEST

N’avois-tu point une taloche

170Pour mettre au devant de la hache?

MAULEVAULT

Nenny non!

PAIN PERDU

Fust-ce point Gamache?

MAULEVAULT

Si fut, le grant Dyable l’emporte!

POU D’ACQUEST

Tu as menty, je m’en raporte

A toy, si fais-je à Pain perdu,

175Que tu dis que l’aviés batu

Tant qu’i demoura à la place.


 [[ Print Edition Page No. 436 ]] 
PAIN PERDU

C’est bien chié une limace.

Delà la mer te mettroit[-1]

A terre et si te batroit[-1]

180Tant qu’elle te feroit chier.

MAULEVAULT

Il n’en est rien, j’en vy l’autre hyer

Dix huit mille, assemblées,

Qui estoient toutes arengées,

Dès le jour de la sainct Remy

185Devant le terrier d’ung fremy,

Qui ne le sceurent affamer.

PAIN PERDU

Et les fremis d’oultre la mer,

Quelz bestes sont-ce, à ton advis,

De quel poil sont-ilz?

MAULEVAULT

De poil gris

190Et ont le museau comme ung oeuf

Et les oreilles comme vans

A vaner, et si sont si grans,

Si fors et si fournis[-2]

Qu’i portent bien quarante muis[[194]]

195De blé, ou temps de la moisson,

En leurs terres et font boisson,

Paille et trestout ce qu’il leur vault.

POU D’ACQUEST

Quant à cela, Maulevault[-1]

En scet tout ce qu’il en peult estre.

PAIN PERDU

200Mais toy tu es jà passé maistre

En baverie et en tels faitz.

MAULEVAULT

Tu baves mieulx que je ne fais,

Car tousjours ne fais que mentir.[[203]]

POU D’ACQUEST

Efforce-toy tost de brandir

205A parler du roy Prestre Jehan

Car je sçay bien que, puis ung an,

En suis revenu tout pour vray.

PAIN PERDU

Se sommes mon, comme je croy.

MAULEVAULT

333 vo]Avant, parle de ces cornus

210Hommes qui vont tousjours tous nus

Qui mengeuent les gens tous crus.

POU D’ACQUEST

De ceulx qui sont bien plus veluz

Par les dens que ne sont les ours

Et de ceulx qui vont à rebours,

215Qui ont ung oeil, si est derrière.

MAULEVAULT

Pou d’acquest, tire-toy arrière.

POU D’ACQUEST

Pourquoy?

MAULEVAULT

Vois-tu point comme il rue?

PAIN PERDU

Il sont plus clercs, contraire veue.

POU D’ACQUEST

Avant, passe oultre la barrière!

MAULEVAULT

220Il s’en fault pou que je ne sue,

Pou d’acquest, tire-toy arrière.[[221]]

POU D’ACQUEST

Pourquoy?

MAULEVAULT

Voys-tu point comme il rue?

PAIN PERDU

Nous en vismes en une rue,

Plus de deux cens trestous ensemble,

225Dessoubz une fueille de tremble

Pour paour des pierres precieuses

Qui cheoient si très hideuses,

C’estoit grande terribleté!

Or je vous jure en verité,

230Sans en point dire faulce chose,

Car la maindre est com je suppose

Beaucop plus grosse qu’ung groseil

Ne la pierre de Mauconseil

Ou du Palays lyez ensemble.

POU D’ACQUEST

235Il est tout vray, et si me semble

Que ces gens, et si me semble,

Ont les visages aux tallons

Et si sont presques trestous hommes.


 [[ Print Edition Page No. 437 ]] 
MAULEVAULT

Ilz ont les paupières de pommes

240Et les sorcilz de choux gellés

Et s’ont les yeulx d’ongnons pelés,

Si sont vestus trestous de lanternes[+1]

Et si portent grandes cavernes

Dessus leurs colz pour eulx coucher

245Ou en chacune a ung clocher

Grant comme les tours (de) Nostre-Dame.

Dea! voirement je me reclame

De ces grans fromys que je vis,

Car, quant j(e) y pense, il m’est advis

250Et me souvient de grans destriers

Qui aux costez ont deux estriers

Où on monte comme à cheval.

PAIN PERDU

334 ro]Et en ce pays a ung val

Où croyst l’or comme faict cy plaistre.

MAULEVAULT

255Ces fremys sont ferrez de marbre

Et les cloux qui les font tenir

Sont de il, sauroye-je y venir?

J’en ay veu plus de cent ensemble

Trout avant! Ilz sont, ce me semble,[[259, 260, 263]]

260De. . . .

PAIN PERDU

Ce sont cloux de girofle!

MAULEVAULT

Non sont! Du mau saint Cristofle[-1]

Et de fièvres soys-tu vestus!

En dea! ce sont cloux de festus,

Qui ès piedz font tenir les fers.

POU D’ACQUEST

265Par saint Michel, vous estez clercs

Et n’avez pas perdu le temps.

PAIN PERDU

Vien çà! compte-nous de ces gens[[267]]

Qui n’ont qu’ung pié et. . . .

POU D’ACQUEST

Je sçay bien,

Je t’en diray, se j’en sçay rien.

270Il est vray qu’il y a des hommes

Qui n’ont qu’ung pié rond comme pomme

Et plus large qu’une grant nate,

Voir et plus plat qu’une savate

Et quant l’ung d’iceulx est couché

275Aux champs et qu’il est endormy,

Il a son visaige bouché

Tout autour, de pié et demy.

PAIN PERDU

Il est tout vray, par saint Remy,

Et se couchent d’avanture[-1]

280Sus terre, que, fort molle ou dure,

Il mestent au devant de l’oeil

Leur pié pour cause du soleil:

Il n’a garde de les frapper.

MAULEVAULT

Tu ne fais par bieu que baver

285Et as bien aprins à mentir!

PAIN PERDU

Tu t’estoys cuidé repentir,

Maulevault, que tu n’avoys mis

De cest oignement où tu dis.

Où est-ce?

MAULEVAULT

C’est icy dedans.

PAIN PERDU

290En quel endroit?

MAULEVAULT

Entre les dens,

Mais icy j’ay oublié son nom.[+1]

PAIN PERDU

Autre chose n’y a que mon.

MAULEVAULT

A du mon! nul ne me regarde,

334 vo]Harau! par sainct Jacques, c’est marde.

PAIN PERDU

295Par mon serment, sire, c’est mon.

Ce que tu dis est son droit nom,

Je le sçay, passé à ung an.

MAULEVAULT

Par Dieu, Pain Perdu, c’est tout bran!

Ne te chault, m’en as-tu donné.

300Du mon je vueil estre nommé

Huet, s’il ne t’est chault rendu!

POU D’ACQUEST

En dea! entens-tu, Pain Perdu?

Point ne te promet poires molles.


 [[ Print Edition Page No. 438 ]] 
PAIN PERDU

Je tien tous ces ditz pour frivolles,

305Car il le me pardonnera.

MAULEVAULT

Par sainct Michel, donc ce sera,

Quant je t’en auré autant fait.

POU D’ACQUEST

Il fault penser ung autre fait.

PAIN PERDU

Quel fait?

POU D’ACQUEST

Que nous en allions boire!

PAIN PERDU

310Où trouverons-nous? Au Chasteau?

POU D’ACQUEST

Voire[+1]

Nous serons ayses comme roys.

MAULEVAULT

Allons doncques entre nous trois,

Quant est à moy, j’en suis content.
[devant le Château]

POU D’ACQUEST

Huche le clerc hastivement!

PAIN PERDU

315Clerc de ceans!

MAULEVAULT

Y a-il âme?

POU D’ACQUEST

Je cuide que luy et la dame

Comptent ensemble du Chasteau.

PAIN PERDU

Et vien çà! traistre macquereau,

Nous feras-tu meshuy attendre?

LE CLERC

320Qui est là?

PAIN PERDU

Vien tost qu’on te puist pendre

Par ton col.

MAULEVAULT

Que te tinsse j(e) ore!

LE CLERC

Vous n’y entrerés jà encores,

Se je n’ay de vous congnoissance.

PAIN PERDU

325Or je te jure me conscience,[+1]

Traistre pa[i]llart, se je te tien,

Je te batray tant qu’oncques chien

Ne fut battu à la façon.

MAULEVAULT335 ro]

Je vous diré que nous feron:

330Emblon[s] tous les biens de ceans!

POU D’ACQUEST

Tu ne dis pas se les sergens

Passent par cy qu’ilz nous trouvassent,

J’auroye grant peur qu’ilz nous menassent

En Chastellet sans arrester.

PAIN PERDU

335Nous feras-tu meshuy brester?

LE CLERC

Qui estes-vous, dictes-le-moy.

POU D’ACQUEST

Nous sommes officiers du roy.

LE CLERC

Je vois à vous trestout en l’eure.

PAIN PERDU

Adviser comment ce clerc demeure.[+1]

POU D’ACQUEST

340Nous avons tous trois de la muse.

MAULEVAULT

Ce truant paillart nous abuse.

PAIN PERDU

Non fait, je l’ay ouÿ venir.

POU D’ACQUEST

Nous feras-tu meshuy tenir?

Icy j’auré tantost la toux.

MAULEVAULT

345Par ma foy tu auras des coups,

Se jamais je te tien en place.

LE CLERC

Mais que voullez-vous que je face?

MAULEVAULT

Que tu nous apportes à soupper.[+1]


 [[ Print Edition Page No. 439 ]] 
LE CLERC

Par sainct Jehan, il convient boutter

350Gaiges à si fais compaignons.

PAIN PERDU

Advisons que nous boutterons.

POU D’ACQUEST

Tenez! velà ma saincture![-1]

LE CLERC

Par mon âme, je n’en ay cure,

Comment! elle ne vault neant.

POU D’ACQUEST

355Mais ung estronc de chien puant

Elle (ne) vault la fièvre quartaine

Qui vous tienne ceste sepmaine.

Or ne te chault, se je te treuve

De cest an ne de l’autre en Grève.

360Par saint Jehan, il te vausist mieulx

N’avoir huy veu de tes deux yeulx

Ceste saincture que cy vois.

Je te feray battre par trois

Des plus paillars de ceste ville.

LE CLERC

365Se tu estoys entre deux mille,

Si seras-tu le plus paillart

335 vo]De tous et le plus grant raillart,

Qui en Grève puisse hanter.

MAULEVAULT

Il ne dit pas pour te venter.

370Dy, Pou d’Acquest, l’entens-je bien?

PAIN PERDU

Chia, chiat, estronc de chien,

N’aurons-nous meshuy à souper?

LE CLERC

Je vous comment doncques bouter

Gages, ou vous n’en aurez point.

PAIN PERDU

375Par sainct Jehan, c’est ung autre point.

Crois-le-nous, je te prie bien!

LE CLERC

Par sainct Pol, je n’en feray rien.

PAIN PERDU

Soys content, tien velà bon gaige,

Aporte ung quartier de fromage,

380Du pain et du vin une quarte.

LE CLERC

Voulentiers.

MAULEVAULT

Le grant dyable t’enporte,[+1]

Seras-tu tousjours si paillart?

PAIN PERDU

Par ma foy, je seray gaillart,

Doresnavant, si je m’y pren.

MAULEVAULT

385J’ameroye mieulx menger bran

Ou merde que chose qui tienne.

POU D’ACQUEST

Pourquoy?

MAULEVAULT

Il y a de la taigne

Demy pié dessoubz son bonnet.

PAIN PERDU

Quant à de toy, tu es si net

390Que c’est une terrible chose.

Je m’esbahis comment tu oses

Parler des autres si parfont,

Ne vois-tu pas les poux qui vont

Dessus ta robe quatre à quatre.

MAULEVAULT

395La malle mort le puisse abatre

Qui en ment, car il n’en est rien!

LE CLERC

Or ça, compaignons, je revien.

Voicy à boire et à menger!

PAIN PERDU

Tu me pourroys bien [ar]anger

400De tes poux, se plus hault ne monte.

LE CLERC

Et par bieu, c’est une grant honte

Combatre en telle manière!

Mengez et faictes bonne chère

Tous ensemble, sans faire noise!

405A Dieu! il fault que je m’en voise

Voir ma maistresse incontinant.

POU D’ACQUEST336 ro]

Revenez-vous? Burés avant!


 [[ Print Edition Page No. 440 ]] 
LE CLERC

Non feray, je vous viendray voir.

Adieu!

PAIN PERDU

Ton pourpoint est tout noir

410Et puant de force d’ordure.

MAULEVAULT

Je m’esbahy comment j’endure

Ce que te truant-cy me dit.

POU D’ACQUEST

Par Dieu, c’est bien ce que l’on dit.

A vostre advis, lequel vault mieulx?

415L’un est teigneux, l’autre est morveux,

Et n’ont point paix l’ung avec l’autre.

PAIN PERDU

Or liève ton chappeau de feustre

Harau! il semble estre meseau

Et il faisoit le damoiseau.[[419-420]]

420Que se il n’en eust point eu[-2]

De la lumière.

POU D’ACQUEST

Et qu’as-tu veu,

Et Maulevault, entre vous deux?

PAIN PERDU

J’é veu ton nez qui est morveux,

Si fort qu’il en sault du morveau,

425Qui te pent dessus le museau,

Et luy entre dedans la bouche.

MAULEVAULT

Va te coucher et si te mouche,

Car, par Dieu, tu ne mengeras

Avec nous ne ne buras[-1][[429]]

430Meshuyt, sy ne lave tes pattes.

POU D’ACQUEST

Tu es ung tigneux qui[te] grattes

La teste par telle façon[[432]]

Qu’elle fondroit comme ung glaçon

Devant le feu, qui l’y mettroit.

MAULEVAULT

435Par Dieu, Pain Perdu, c’est de droit

Que tu ailles laver tes grippes.[[436]]

PAIN PERDU

Et toy, velà encore les trippes[+1]

Des poux qu’as maintenant tuez.

POU D’ACQUEST

Vous deveriez estre plus huez

440Qu’onques ne fut loup devant chien.

PAIN PERDU

Va-t-en d’icy, tu n’y vaulx rien

De despriser tes compaignons.

POU D’ACQUEST

Or t’en va gratter tes tignons,

336 vo]Et toy va-t-en tuer tes poux!

MAULEVAULT

445Or garde que tu n’ays des coups

Car je sçay bien, se je te pren,

Je te feray chier le bran

Par le nez, vert comme porée!

POU D’ACQUEST

Tu as la joue encor(e) dorée

450De celuy que tu as mengé.

PAIN PERDU

Et ne seras-tu point vengé,

Dy, Maulevault, de ce garson,

Qui encor te farce de mon.

POU D’ACQUEST

De qui la mange si tresfort.

MAULEVAULT

455Tu resveilles le chat qui dort.

On dit souvent: “Trop parler nuyst,”

Et aussi que “Trop grater cuyst.”

Pour ce tais-toy, se tu me crois!

PAIN PERDU

Sus! que le premier de nous trois

460Qui huy icy se gallera

Ne celuy qui se pouillera

Ne mouchera, poira l’escot.

MAULEVAULT

Ouy!

PAIN PERDU

Tu ne dis mot[-3]

Pou d’Acquest, en es-tu content?

POU D’ACQUEST

465Ouy, mes que je me mouche avant!

PAIN PERDU

Mouche-toy, je me galleray.


 [[ Print Edition Page No. 441 ]] 
MAULEVAULT

Et doncques je m’espouilleray

Et ung et deux et trois et quatre,

Or sus, poux, allez vous esbattre!

PAIN PERDU

470Sus, Pou d’Acquest, j’ay presque fait.

POU D’ACQUEST

Par mon serment, je suis refait,

Je ne me veulx meshuy moucher.

MAULEVAULT

Ne moy aussi.

PAIN PERDU

Ne moy toucher.

POU D’ACQUEST

Ainsi verrons nous qui poira

475Et qui son dit deffausera.

PAIN PERDU

Par Dieu, ce ne seray-je mye.[[476, 479]]

POU D’ACQUEST

Il sera de la compaignie.

PAIN PERDU

Or ne te chaille, on le verra.

POU D’ACQUEST

Par mon serment, ce ne sera

480Pas Pou d’Acquest.

PAIN PERDU337 ro]

Ne Pain Perdu.

POU D’ACQUEST

En dea! doncques ce sera tu.

Maulevault ne sera pas doncques.

MAULEVAULT

Je ne sçay, je ne faulçay oncques

Mon dit.

PAIN PERDU

Garde que tu feras

485Car, par mon serment, tu poiras

L’escot du long, se tu t’espouilles.

POU D’ACQUEST

Et vien ça, qu’est-ce que tu fouilles

En ton sain, dy nous, Maulevault!

MAULEVAULT

Tu n’en sçauras rien, ne t’en chault,

490Tu as moult grant fain de tancer.

PAIN PERDU

Se je te voy huy avancer

De chasser après poul ne pusse

J’envoiray tout droit ton aulmusse

Querir pinte de muscadet.

MAULEVAULT

495Ce seroit trop fait en cadet,

Pain perdu, ne te haulce goutte!

PAIN PERDU

Dy nous que tu fais!

MAULEVAULT

Et je boutte

Ma chemise au devant de moy.

POU D’ACQUEST

Vien ça, Maulevault, ferme-toy,

500Ou dy que tu n’en feras rien!

MAULEVAULT

Quant à cela je sçay bien[-1]

Qu’i me fauldra le tout payer,

Mais qui me devroit noyer,

Ou me pendre parmy le col,

505Ou me tondre en guise de fol,

Je cuide que je ne sçauroye

Finer quelque brin de monnoye!

Pour brief, je n’ay ne crois ne pille,

Si ay-ge par Dieu encor mille

510Compaignons tous à mes despens.

PAIN PERDU

Et où sont-ilz?

MAULEVAULT

Icy dedans

En ma chemise et en mon pourpoint,[+1]

Mais si en a ung qui me point,

Par telle façon sur les coustés,[+1]

515Qui a grant.

POU D’ACQUEST

Gard que tu ne l’hostes,

Maulevault, je te conseille.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 442 ]] 
PAIN PERDU

Et j’ay, au dessus de l’oreille,

Ung tignon, qui me fait tel raige,

Qui m’est à pou que je n’enraige,

520Encor ne l’osai-ge galler.

POU D’ACQUEST

337 vo]A grant paine puis-je parler,

Tant ay le nez plain de morveau.

PAIN PERDU

Dy quelque chose de nouveau,

Maulevault.

MAULEVAULT

De quoy?

POU D’ACQUEST

Des gueux.

PAIN PERDU

525Que t’as autre fois faict[+2]

Ne t’en souvient?

MAULEVAULT

Si fait, dea!

Mais par ma foy, il en y a

Beaucop de gueux; je n’ay memoire.

Commence, Pou d’Acquest!

PAIN PERDU

Voire[-1]

530Le premier, si seras delivré.[+1]

POU D’ACQUEST

On diroit que je seroye yvre.

MAULEVAULT

Non fera, non, ne t’en chault!

POU D’ACQUEST

Mais toy commence, Maulevault!

MAULEVAULT

Je le vueil très bien, g’y vois doncques.

535Dictes-moy, n’ouistes-vous oncques

Parler des beaux faits de la Hire

Qui fut. . . .

POU D’ACQUEST

Si ay.

PAIN PERDU

Laisse-le dire!

MAULEVAULT

Qui fust si vaillant homme en guerre,

Il avoit ungs d’Angleterre

540Avecques luy qui se savoit

Estre si fort que nul povoit.

Je le combatis sans sommer.

Mais quant le roy ouyt nommer

Mon nom, tantost se pensa bien

545Que pas n’estoye homme de rien,

Mais tantost me alla querir.[[546]]

Pas ne mis long temps à venir,

Touteffois tant allé et tant vins

Par boys, buissons et par chemins

550Que je vins à la bonne ville

De Tours. Là eussiez-vous veu mille

Petis et grans me venir veoir

Et si vous fais bien assavoir

Que l’en y eut ung bien torché

555Qu’il vouldroit mieulx estre escorché

Tout vif qu’il y eust nulluy,

Qui eust esté plus fort que luy,

Car il estoit ung tresfort homme,

Foy que doy sainct Pere de Romme.

560Ung Breton, qui estoit Gallot,

Luy dist sans tarder à ung mot

Que se recullast, mais il dist

Rien n’en seroit. Mon Breton prist[[563]]

Son homme par cy et par là

565Et sans plus parler le tua

338 ro]Devant luy, sans y point tarder.

Ung chacun v[e]noit regarder

Cest homme qui avoit esté

Vaincu, mais je n’euuse esté.

570Par Dieu, le Breton estoit mort,

Car le vaincu estoit plus fort.

A Paris n’en a nul pareil,

Il a ung chapperon vermeil

Et une hache en son poing destre,[[574]]

575Au moins, se tu le veulx congnoistre,

Cela t’y pourra bien ayder.

POU D’ACQUEST

Tu n’y fais icy que plaidier.

Delivre-toy legierement!

MAULEVAULT

Or te tay bien appertement

580Que ne soys froté si endroit

Maulgré tes dens en ton visaige


 [[ Print Edition Page No. 443 ]] 

Et si ay par Dieu le courage

De te tresbien battre à ma poste

Et de te faire poyer l’hoste,

585Avant que d’icy je m’en aille.

POU D’ACQUEST

Je croy que cest[e] qui[n]quinaille

Ne se pourroit tenir ensemble.

PAIN PERDU

Or avant! et di[s] que te semble,

Es-tu point quoquin comme nous?

590Cuide-tu point avoir des poux?

Es-tu taigneux, morveux ou ladre?

Sces-tu quoy? Je te feray ardre,

Par tous les sains de paradis,

Se jour de ta vie tu dis[[594]]

595Chose qui porte prejudice

A homme nul, et se Justice[[596]]

Te peult jamais apprehender,

Je te voiré les yeulx bander[[597]]

Ou mouché des. . . .

MAULEVAULT

Bien à reffaire.

POU D’ACQUEST

600Il me fault garder de mal faire.

MAULEVAULT

Cuide-tu estre bourg[e]oys de la cité

Ou escollier de l’Université,

Ju[g]e ou prestre ou officier du Roy?

Jour de ta vie tu n’euz ung tel efroy

605Que tu trouveras, s’aucun sergent

T’a ouy, car, pour nul argent,

En rechapperas et pour quoy,

Qui n’envoira devant le Roy

Querir ta grace hastivement.

POU D’ACQUEST

610Se je parle declairement

De ton fait, tu seras pendu

Et te rendras aussi vaincu

Et aussi plat qu’une punaise.

MAULEVAULT

338 vo]Il vault trop mieulx que je m’en voise,

615A celle fin qu’on ne me larde

Comme les autres.

POU D’ACQUEST

Tu n’as garde!

Par saint Michel, tu demouras

Avecques nous et si pourras

Poier l’escot, se tu te despoulles[+1]

620Voire ou seullement tu folles

En ton soing, pour ce advisé t’ay.

MAULEVAULT

Si feray-je.

POU D’ACQUEST

A vous deux je boy,

Tien, haulse!

MAULEVAULT

Je ne l’ay[+2]

En dea! je ne fois que boire:[-1]

625Vrayement ce sera Pain Perdu

Qui bura le premier, le veulx-tu?

POU D’ACQUEST

Et par saint Jacques non sera

Ou Maulevault parachevera

Ce qu’il a pieça commencé.[[629]]

MAULEVAULT

630J’aymasse mieulx m’estre avancé.

Que veulx-tu? tous deux nous entrasmes

Es lices et si fort luctasmes

Que chacun s’en esmerveilloit,

Mais le faulx Angloys me cuilloit

635Par cy et par là par le col.

Je ne fis mye comme fol,

Car je le prins parmy les reins,

Si qu’il cuidoit que de deux liens[[638]]

L’eusse lyé ou d’une chesne,

640Je le mis en si forte gesne,

Avant qu’il partist de ces pattes

Qu’il estoit plus plat que savates,

Avant qu’il se levast de terre:

Velà mon homme d’Angleterre

645Ainsi vaincu qu’avez ouÿ.

POU D’ACQUEST

N’aveys-tu autre robe?

MAULEVAULT

Ouy.

POU D’ACQUEST

Et compte-nous comment tu fus

Abile quant tu fuz veuz.[-1]


 [[ Print Edition Page No. 444 ]] 
MAULEVAULT

Par ma foy j(e) auroys trop à dire,

650Si me failloit compter et dire.

En verité, je n’auroye point

Fait qu’il ne fust nuyt ou près,

Mais je fuz vestu de frais[-1]

Et de neuf, se Dieu pais me doint,

655Car on m(e) ala faire ung pourpoint

Si estroit, si juste à mon corps,

Qu’on n’eust pas pinsé par dehors

Aussi gros comme de couton.

339 ro]Je semblé, à voir, ung Godon

660A parler veritablement,

Tant estoye vestu proprement

Mais l’Angloys, de prime venue,

S’appresse de moy et me rue

Son bras et m’empoigna par cy,

665Mais il en fist rien n’en que cy.

Mon porpoint estoit trop estroit

Toutes fois il me tint à droit

Une fois par cy et par là.

PAIN PERDU

Par saint Jacques, on ment par là.

MAULEVAULT

670Ha! ha! truant, me desmens-tu?

PAIN PERDU

Ouy, par la chair bieu, entens-tu?

MAULEVAULT

Ha! chien mâtin!

POU D’ACQUEST

Or paix tous deux,

Car, à ce coup, commencer veulx

A parler de plus piteables

675Choses et de plus proffitables,

Car Jude, le roy d’Angleterre,

Alloit partout paix acquerre[-1]

Terres, forestz, chasteaux, heritaiges,

Villes, forteresses, villaiges,

680Lequel estoit tousjours fourny

Des meilleurs archiers et garny

Qu’on peust en ung pays finer.

Ung jour vint qu’i les fist tirer

Trestous ensemble par raison,

685Desquelz en y avoit foyson

Qui tiroient bien, les autres non.

Toutes fois merotyer ne non,

Tant tirèrent, comme il me semble,

Egalement trestous ensemble.

690Le roy cuidoit qu’ilz se faignassent

Et que pas fort ilz ne tirassent,

Car il n’y avoit point de perilz,

Car pour quoy il avoit apris

De tirer à qui mieulx tiroit,

695Avoit le pris tel qu’il devoit.

Le pris fut mis et pendu en une arbre

A ung dart d’or bien asseuré de marbre

Lequel estoit prysé de deux cens mars

On amena aux butes gramment d’ars

700Qui estoient moult fors à tendre.

Pour abreger, ledit roy n’en f[i]st prendre

Tous les plus fors et les plus chers vendus,

Mais en briefz temps tous furent tendus.

Ung chacun s’en donnoit merveille.

705J’en menay ung jusques à l’oreille.

Tant y allé de grant roideur

Dy, c’estoit la plu grant hideur

Que jamais on ouÿ compter.

Point ne dy pour me venter.

710Pardieu j’estoye et suis tenu

339 vo]Le plus abille et le mieulx vestu

Sur tous et le meilleur archier

Par bieu en ouyt bien fronder

La flèche par telle devise

715Qu’il sembloit que le vent de bise

Et galerne y fussent venus,

Mais le second fut tenuz[-1]

Et le vireton y fut mys

Par mon saint sacrement je mis

720La corde beaucop par delà.

Mon nes, le vireton alla,

Dedans le blanc tout droict frappa.

Vous eussés veu chacun happer

Son arc pour cuider recouvrer,

725Mais n’y eust dart qui sceust voller

Jusques à la moitié de la voye.

Tu peulz penser que pas n’avoye

A mon temps esté mal aprins

Puis que j’ay gaigné ung tel pris.

PAIN PERDU

730S’il est vray, il se peult bien faire.

POU D’ACQUEST

Ha! je me fois bien fort de traire

Ou fin mellieu de ces deux fesses

Mais que j’aye de bonnes flèches,

Telles que les vouldray querir,

735Aussi que vueilliés tenir[-1]

Droit à ma guise en certain lieu.


 [[ Print Edition Page No. 445 ]] 
PAIN PERDU

Il y a d’autres plus beaux jeux

A soy jouer à vau le monde.

POU D’ACQUEST

Je frapperay la chose ronde

740Qu’on appelle le trou du cul.

MAULEVAULT

Ha! saint Père, il n’y fait nul.

[PAIN PERDU]

Mais je te pocheray ung oeil.

POU D’ACQUEST

Non feray, ce n’est pas pareil

Pour ce n’en fault-il plus debattre?

PAIN PERDU

745Laissez m(e) avoir deux mis ou quatre

Aussi bien comme vous avez.

Il est bien vray que une fois fuz

En ung royaulme bien estrange,

Où tous les moys chacun on change

750Sa femme à (une) autre plus ryante,

Qui mieulx scet dancer ou mieulx chante

Ou scet mieulx faire la besongne.

Encore plus fort de la Bouloigne

Deux lieues oultre (le) soleil levant

755Y a la plus terrible beste,

Là où les pourceaulx ont le cul,

Croyez pour vray qu’onques home nul,

N’en vit en sa vie de telle.

Si fait fort tempeste ou gèle,

760Elle mettra trestout dedans

340 ro]Sa teste en son cul jusque(s) aux dens.

Je passoye bien près de là,

Mais ung homme me trouva[-1]

Et si me dist: “Vien ça, mon amy,

765Tu auras millier et demy

De florins de Rhin ou de [m]ailles

Et que en presence tu aill[es]

Tuer la plus abhominable

Beste et la plus espoventable

770Que l’en sceust jamais pourpenser!

Vueille-toy bientost avancer

Car desplaisir elle me fait!”

Je luy demande s’il avoit

Une tresbonne chappeline.

775Dist-il “par saincte Katherine,

Il ne tiendra pas à cela!”

Pour abregier il apporta

Et la me mist dessus mon chief,

Mais ce fut ung si grant meschief

780Que jamais on ne le croiroit.

Par mon serment on ne povoit

Enfermer ma teste dedans

Touteffois j’estraingn[i]s les dens

Et la prins par cy et par là

785Et fis tant qu’elle devalla

Et puis je prins une arbalestre

Et luy prestay le bras dextre[-1]

Et le chief sans revencher.

MAULEVAULT

Tu puisse jamais menger,

790Se ung seul mot huy vray prononça.

POU D’ACQUEST

Or çà, de par le dyable, çà,

En m’a cy prins ung tournois![-1]

MAULEVAULT

Par le sang bieu, je ne l’ay pas.

PAIN PERDU

Non n’ay-je par saincte Mar[ie].

MAULEVAULT

795Tu l’as Pain Perdu?

PAIN PERDU

N’aye mye,

Vous y mentez parmy voz dens.

LE TAVERNIER

Sang bieu je croy que ces truans[[797]]

Se tiendront meshuy là[-2]

Et comment dea, quella quella

800Avez meshuy fait parler, parlez.

MAULEVAULT

Si aurons, or vous en allez!

PAIN PERDU

Verse, Maulevault!

MAULEVAULT

Icy.

PAIN PERDU

Voire.

POU D’ACQUEST

Mais, par Dieu, qui me vouldra croire

Nous ne beurons meshuy icy.


 [[ Print Edition Page No. 446 ]] 
PAIN PERDU340 vo]

805Si tu ne veux plus estre cy,

Paie ton escot premierement

Et t’en va bien legierement,

Ton tournois sera rabatu.

MAULEVAULT

Et vien cy, vien, te debas-tu?

810Dy-je toutefois encore dy.[+1]

POU D’ACQUEST

Ouy, par sainct Jacques et si dy,

C[oquins] que (vous) partez de ceans

Je vous feray par les sergens

En Chastellet mener tout droit.

MAULEVAULT

815Par mon serment, qui me vouldra

Croire, tu ne les sauras pas[[816]]

Querir sans bien froter ton bas.

POU D’ACQUEST

Si je ne les amaine icy,

Poche-moy ung oeil.

PAIN PERDU

Cours après luy,[+1]

820Maulevault.

MAULEVAULT

Mais toy, Pain Perdu?

PAIN PERDU

Traistre chien, t’en yras-tu[-1]

D’icy sans payer ton escot?

MAULEVAULT

Et je m’en vois, sans dire mot,

Icy près, car il nous escoute,

825Attens-moy!

PAIN PERDU

Par Dieu, je me doubte

Qu’i n’y ait machination,

Nous sommes d’une nation

Tous trois et si me font cecy!

Ha! ha! je l’oy!

LE CLERC

Et qu’est cecy?

830Où sont ces deux autres coquins?

PAIN PERDU

L’ung m’a desrobé deux florins

Et atout il s’en est fuy,

J’ay envoyé l’autre après luy,

Je ne sçay si reviendront point.

LE CLERC

835Saincte sang bieu, suis-je en ce point?

Par saint Jehan vous le comparrés,

Compaignon!

PAIN PERDU

Vous ne me verrés

Meshuy, non pas, par Dieu, du moys,

Adieu vous comment, je m’en vois!

EXPLICIT

NOTES

 [LIII.] Farce des Coquins. Il y a dans le Recueil Trepperel, une sottie des Trois Coquins (avant 1488) sans rapport avec celle-ci.

 [9-10, 48-52] Sur ces lieux parisiens, voir l’Introduction. Sur la Grand’ Salle parallèle à la Seine, voir Pierre Champion, Villon, I, p. 250.

 [185] fremy, fourmi?

 [203] prestre Jehan, la terre du —, pays fantastique de l’Orient, souvent mentionné depuis le XIIe siècle.

 [234] du Palays, la Pierre du Pet au Diable qu’enlevèrent Villon et ses compagnons. J’enrage de n’avoir pu identifier la Pierre de Mauconseil qui devait être près de la rue du même nom.

 [242] lanternes, Rabelais aurait-il connu ce texte? On sait par mon Rabelais et le Théâtre, 1911, combien il a été influencé par la farce. Ce qui me confirmerait dans cette vue est, trois vers plus loin, la référence aux tours de Nostre-Dame.

 [310] au Chasteau, ce n’est pas le Châtelet.

 [315] Clerc de ceans, sans doute le clerc de la geôle (cf. P. Champion, Villon, t. I, p. 185), ennemi juré des “Coquins.”

 [436] tes grippes, tes mains (argot).

 [505] le fol, on tondait les fous; c’est une tradition dont témoigne La Folie Tristan, mais qui, au théâtre remonte au moros phalacros des Grecs et au Mimus calvus des Latins. Elle se perpétue dans le chauve de nos vaudevilles, enlevant par mégarde sa perruque avec son chapeau.

 [510] et ss. La scène des coquins que leurs pous et teignes démangent et qui ne veulent se gratter pour ne pas payer l’écot est grossière mais drôle.

 [536] la Hire, voir l’Introduction.

 [574,] le Bourreau.

 [560] Gallot, français de langue, s’emploie encore pour la région occidentale de l’Armorique. Le récit est assez incohérent et difficile à suivre.

 [623] haulse! lève ton verre, rends-moi raison.

 [659] godon, anglais.

 [676] Jude, ce roi d’Angleterre est imaginaire.

 [687] merotyer??

Endnotes

 [6,] O: ce.

 [26,] O: Si fois.

 [36,] O: que ces t.

 [41,] O: divisons.

 [44,] O: A ceaux.

 [64,] O: Pampemune.

 [68,] O: Il.

 [133,] O: Ce.

 [154,] O: J’en n’e. p.

 [186,] O: effamer.

 [194,] O: mais.

 [221,] O: derriere.

 [236,] O: et si me semble; certainement dittographie à remplacer, d’autant plus que la rime est en -ons.

 [257,] O: S. de il s.

 [259, 260, 263,] O: se.

 [267,] O: ses g.

 [400,] O: ce.

 [403,] O: Menger.

 [419-420,] répétés indûment par O.

 [429:] Cette réplique est attribuée par O à PAIN PERDU.

 [432,] O n’attribue à M. que les mots sy etc.

 [436,] O: q. luy.

 [476, 479,] O: se.

 [489,] O: sçairas.

 [495,] O: Se.

 [525,] O: Il manque la rime.

 [539,] O: ungs [archier?]

 [540,] O: lavoit.

 [546:] menu oya q.

 [563,] O: bon B.

 [594,] O: Ce.

 [596,] O: sa J.

 [597,] O: peulz.

 [612,] O: rendre.

 [629,] O: Se.

 [638,] O: S’il qui c.

 [†] O: Pou D’Acquest.

 [766,] O: de rain.

 [797,] O: ses.

 [799,] O: quella?

 [810,] O: lettres effacées et de lecture difficile.

 [816,] O: tueras p.



 [[ Print Edition Page No. 447 ]] 

INDEX DES INCIPITS, REFRAINS, CHANSONS, OEUVRES ET PIÈCES CITÉES

Adieu, adieu! Kathelinote, XXXVII, 208.

A la duché de Normandie, XXXVII, 370.

Asoir, ung gentil compaignon, XLV, 577.

Au boys, au boys, Madame, XXXVII, 170.

A vous point veu la Perronnelle, XXXVII, 116.

Aymés-moy, belle, aymés-moy, XLVII, 151.

Baille-luy, baille, baille-luy belle, VI, 43.

Bible en françoys, XLVI, 137.

C’est bon mestier Rue Faucheron, XXXVII, 311.

C’est la lire, lire, lire, lire, XXXVII, 337.

Chascun m’y crie: marie-toi, marye, VII, 1.

Compost, XLVI, 140.

Criste audi nos, XL, 1.

Crocque-la-pie se marie, VI, 11.

Dieu doint très bon soir à m’amye, IX, 511.

Doeul angoisseux, XXXV, 415.

En ce moys de may, hauvay! XXXIII, 13.

Entre Peronne et Saint Quentin, XXII, 13.

En vollant amourettes, en vollant, XXXVIII, 1.

Et allons, allons, gay, XXXVII, 192.

Et Dieu te doint bon jour Jehane(tte), XXXVII, 143.

Happe la lune, happe la lune, L, 203.

Hau! mauvais, mauvais, XXXVII, 239.

Hélas; que la nuyt est pesante, XLIX, 94.

Ilz s’en vont trestous à la guerre, IV, 209.

J’ayme mieux mourir bref que languir, VIII, 1.

Je n’ay que trois brains d’avoyne, XXXVII, 188.

Je n’y seray jamais, bergère, IX, 260.

Je prometz en vérité, IX, 1.

La rose vermeille (ete), XXXVII, 68.

La tricoton, coton, la tricotée, XXII, 1.

L’autre jour jouer m’aloye, XXXIII, 1.

Le pairier qui charge souvent, XXXVII, 381.

L’ordre ne dit mye de lever matin, L, 232.

Madame, je vous supply, IX, 96.

Marguerite de franc couraige, XXXVII, 126.

Matheolus, VII, 162.

Maulgré jalousie, II, 1, 600.

Mesnaige, mesnaige, XXXVII, 55.

Oncques depuis mon cueur n’eut jove, VI, 1.

Or va de bout, de bout, de bout, XXXVII, 87.

Pathelin, voir index onomastique.

Picardie la jolye, XXXVII, 94.

Point, point, point, point, point, point, IX, 229.

Prenés le temps, Breton de Nantes, XXXVII, 391.

Ramonnez vos cheminées, XXX, 1.

Regnault, se tu prens femme, VII, 31.

Requiescant in pace, VII, 284 et ss.

Rommant de la Rose, VII, 214.

Seigneurs et dames que Dieu gard, XLV, 1.

Quant reverdira ce boys, XXXVII, 265.

Tarabin, tarabas, tarabinelle, VI, 45.

Tel parle de la guerre, XXXVII, 101.

Thobye, XXXI, 415.

Tous trois avons gardé la lune, VIII, 547.

Tritouyn au vert buisson, XXXVII, 200.

Tu t’en repentiras, Regnault, VII, 23.

Virgille méthamorfosé, XLVI, 139.

Vous m’y faictes tant rire et tant rire, XXXVII, 412.


 [[ Print Edition Page No. 448 ]] 

INDEX DES PERSONNAGES

ADAM., XXXVIII.

ALIBORUM, MAISTRE, VI.

ALISON, XVI, XVII.

AMOUREUSE (l’), VIII.

AMOUREUX (l’), XXIX.

AVEUGLE (l’), Jenin Cornet, XLV.

BARAT, XII.

BARBETTE, XVII.

BEATRIX, voir l’AMOUREUSE.

BERTRAND, XXIV.

BIETRIX, XXII.

BIGOTTE (la), XLVI.

BON TEMPS, XLVII.

BRAGARDE (la), XLVI.

BRIFFAULT, XLIX.

BRIGANT, (le), X.

CAILLETTE, L.

CAPITAINE DE SOT VOULOIR (le), IV.

CAUTELLEUX, XII.

CHAMBERIERE (la) de l’Aveugle, Thomasse, XLV.

CLAUDINE, XXXVII.

CLERC (le), XXIII, LIII.

CLERC (le) de Messire Jehan, VII.

COLETTE, voir la VOISINE.

COLIN, fils de THEVOT, V.

COMMÈRE (la), XVI.

COQUILLON, XLII.

CORDELIER (le), Frère Pierre, LI.

COUSTUME, XLIII.

CURÉ (le), X, XLI.

CURÉ (le), Maître Guillaume, XIX.

DANDOT, XXIX.

DEBAT, LI.

DIGESTE NEUFVE, XLIII.

DIGESTE VIEILLE, XLIII.

DORELOT, XXIV.

DOUBLET, XXVIII.

ECCLESIASTICQUE (l’), Gaultier, XXXI.

ECOLIER, LE PREMIER, XLIII.

ECOLIER, LE SECOND, XLIII.

ECOLIER, LE TIERS, XLIII.

ECOLIER, LE QUART, XLIII.

ENGUERRANT, XXXVIII.

ESBAHY, LE PREMIER SOT, III.

ESBAHY, LE SECOND SOT, III.

ESBAHY, LE TIERS SOT, III.

ESGARD (l’), XXXVIII.

ESPOIR, XXXVI.

ESVEILLEUR, LE PREMIER, XXXIV.

ESVEILLEUR, LE SECOND, XXXIV.

FAICTE AU MESTIER, XXIV.

FAULCONNIER DE VILLE, XXVI.

FAULCONNIER CHAMPESTRE, XXVI.

FAULTE D’ARGENT, XLVII.

FEMME, (la), II, V, XIX, XXX, XXXIX.

FEMME (la) du Laboureur, Jehanette, XXIII.

FEMME, PREMIERE, XXXVI.

FEMME, SECONDE, XXXVI.

FEMME (la) de Macé, VI.

FEMME (la) de Michault, VI.

FEMME (la) du Savetier, XX, XXXIII.

FIERETTE, XXXVIII.

FILLE (la) estant près de la Tour de Mariage, XXXI.

FIN (la), XL.

FINETTE, XXXVIII, XLVIII.

FOL (Le), XVI, XXXIV.

FRANC ARBITRE, VII.

FRANC ARCHIER, LE PREMIER, XIV.

FRANC ARCHIER, LE SECOND, XIV.

FRAPPART, Frère, XXIII.

FRICQUETTE, XXII.

FRIGALLETTE, XXVIII.

GALLANT, LE PREMIER, IX, XLVII.

GALLANT, LE SECOND, IX, XLVII.

GALLANT, LE TIERS, XLVII.

GALLANT (le), qui se marie, XXXI.

GAULTIER, VIII, IX, XXXIX.

GAULTIER, Faulceron, XLIV.

GAULTIER GUILLOME, XVII.

GENTILHOMME (le), XXVI.

GODIN FALLOT, VII.

GORIERE (la), XLVI.

GRANT GOSIER, XV.

GUILLAUME, VIII.

GUILLEMETTE, XVII, XXIX, LI.

GUILLEMETTE, femme de Martin de Cambray, XLI.

GUILLOT TABOURET, XXVII.

HARANGIERE, LA PREMIERE, Thyphaine, XV.

HARANGIERE, LA SECONDE, Jehanne l’Anglese, XV.

HOMME (l’), Jehan-Jehan, XIX.

HOMME (l’), marié, XXXI.


 [[ Print Edition Page No. 449 ]] 

JAQUET, XXV.

JEHAN, MESSIRE, VII.

JEHAN DE LA COMBE, Franc Archier, XIV (214).

JENIN, Jehan Marion, XV.

JENIN CLERC, XI.

JENIN CORNET, voir l’AVEUGLE.

JENYN A PAULME, L.

JOUHAN, le Dorelot, XXV.

JOACHIN, L.

JUGE (le), XX.

JUSTICE, III, XLII.

LABOUREUR (le), Jehan des Prés, XXIII.

LAVOLLEE, VII.

LEGIER D’ARGENT, XXIV.

LUBINE, IV.

MACÉ, Ianternier, VI.

MAHUET DROUET, XXXIX.

MAISTRE REGNAULT, XVI.

MAISTRE PIERRE, XI.

MALE FIN, LII.

MAL EN POINT, Capitaine, XLIX.

MALE PASCIENCE, XXXVIII.

MARGUERITE, LI.

MARI (le), II, XVI.

MARION, XVII.

MARTIN, VIII.

MARTIN DE CAMBRAY, XLI.

MARTIR EN MESNAIGE, XL.

MARTIR EN PROCÈS, XL.

MARTIR MARIÉ, Raoul, XL.

MAULEVAULT, LIII.

MAULPENSÉ, Capitaine, XLIX.

MAUSOUPPÉ, voir l’AVEUGLE.

MÈRE (la) de Mahuet, XXXIX.

MÈRE (la) de Robin Mouton, XXXII.

MICHAULT, savetier, Gaultier, VI.

MIEULX, DE, XXXVI.

MINCE DE QUAIRE, XXII.

MOYNE (le), frère Pierre, XXXIII.

MYMIN (MAITRE), IV.

NAUDET, varlet, XXXVII.

OFFICIAL (l’), XI.

PAIGE (le), XXV.

PAILLART, XLIX.

PAIN PERDU, LIII.

PATINIER (le), XXI, XXXV.

PELERIN (le), V.

PEU SUBTILLE, XXXII.

PHELIPPOTTE, XXIX.

PIERRE TINETTE, XXIX.

PORTIER (le), XXXIII.

POU D’ ACQUEST, LIII.

PRES TONDU, XLIX.

PRINCIPAL (le), XVII.

PROVINCIAL (le), XVII.

RAMONNEUR (le), XXX.

REGNAULT, VII.

RESJOUY D’ AMOURS, XVIII.

RICHARD, XLIV.

RIFFLART, XLVIII.

ROBINET, XVII.

ROBIN MOUTON, XXXII.

ROLHIART, LII.

ROUSINE, IX.

SADINETTE, XXIV.

SAVETIER (le), XVI, XXXV.

SAVETIER (le), Fin-Vertjus, XXXIII.

SAVETIER (le), Jacquet, XXI.

SAVETIER (le), Jehennin, XX.

SAVETIER (le), Sandrin, XXXVII.

SAVETIÈRE (la), XXI, XXXV.

SEBILLE, XXXII.

SEIGNEUR DE PETIT POUVOIR, IV.

SEUR (la) à Jenin, L.

SOT, LE PREMIER, I.

SOT, LE SECOND, I.

SOT, LE PRINCE DES, I.

SOUDOUVRER, XLII.

SOULDART (le), IV.

TARABAS, XIII.

TARABIN, XIII.

TAVERNIER (le), LIII.

TENDRETTE, XVIII.

THEOLOGIENNE (la), XLVI.

THEVOT LE MAIRE, V.

THOYNON, L.

TIBAULT CHENEVOTE, XXVII.

TIERRY, XLIV.

TRIBOULLE MESNAGE, XIII.

TRIPPIERE (la), LII.

TUBERT CHAGRINAS, XXVIII.

VARLET (le) du Ramonneur, XXX.

VARLET (le), Goguelu, XLV.

VIEILLE (la), XV, XXV.

VILLAIN (le), XII.

VILLOIRE, XXXVIII, le sotereau de villaige.

VOYSINE (la), XXX.

VOYSINE (la), Colette, II.

YSABEAU, XXXVII.


 [[ Print Edition Page No. 450 ]] 

INDEX ONOMASTIQUE

Abaquin, VIII, 461.

Alain, L, 128.

Aletho, XVIII, 120.

Alizon, XLIV, 802, 803, 804.

Aman, III, 170.

Antecrist, XXIII, 322, XXXV, 258.

Antitus, Maistre, I, 64.

Archer du Bois Guillaume, le franc, IV, 32.

Aristote, XVII, 347, 354, 410.

Arthus, le Roy, XLIX, 607.

Aymon, XI, 80 et passim.

Bauldichon, XXVI, 88.

Bavotier, Messire, Curé, IV, 115.

Bertram de Cloquin, VIII, 460.

Bon Temps, I, 10.

Bouttefeu, XIII, 164.

Buridan, XVII, 347.

Cerberes, III, 68.

Charlemaigne, LIII, 71.

Charles, L, 129.

Chietouflecte du Tableau, XXXVII, 271.

Colin Bisac, XXV, 123.

Colin Guillot, XXVII, 157.

Colin Rembouré, XLIV, 33.

Colinet, XXII, 208.

Collard le Fevre, XI, 136, 193.

Copin, IV, 14.

Dadanez, VIII, 462.

Dando Dandinastre, XXVIII, 313.

David, III, 166, XLIX, 609.

Enfumé (Maistre), XXV, 246.

Fierabras de Connimbres, XLIX, 586.

Frappart (Frère), XXXIII, 528.

Fy Fy, Maistre, XLI, 46.

Gabellus, XXXI, 414.

Gabriel, XI, 121.

Galien, XVIII, 206.

Gallans sans soucy, IX, 555, XLVII, 123.

Gallot Breton, LII, 560.

Gamache, LIII, 97, 108, 171.

Gaultier, XXX, 48.

Gaultier, Messire, XXXVII, 38.

Gaultier de Cambray, VIII, 203.

Gaultier Garguille, V, 352.

Gaultier Guillaume, XVIII, 151, 266, 284, 359.

Genin, XII, 181.

Germaine, XXII, 313.

Gillet Basset, XXVII, 181.

Gilbert Cochet, L, 122.

Godefray de Billon, VIII, 459.

Goudon, XXVII, 167.

Grenelles, V, 59.

Guillaume, XXII, 189.

Guillaume (Messire), Curé, II, 297, 404.

Guillaume du Sepulcre, XLIX, 385.

Guillot (le grand), XXVII, 188.

Guiot, XXII, 185.

Hannibal, XLIX, 548.

Hector, XVII, 54, XLIX, 557.

Helainne, XVIII, 161.

Henry (Maistre), XLII, 136.

Henry Latirail, XLIV, 462.

Innocent, pape, XXV, 26.

Jamette, II, 448, 449.

Jaques Bonhomme, XVIII, 331.

Jason, III, 16.

Jehan, Messire, II, 295.

Jehan du Houx, XXX, 110, 121.

Jehan Friponnet, XXXVII, 25.

Jehan Gosset, XXVII, 173.

Jehan la Chèvre, XLIX, 108.

Jehan Peillon, XXVII, 179.

Jenin Cornet, XLV, 34.

Jenin des Paulmes, XXV, 128.

Jenin Patin, XXV, 133.

Jenyn, I, 174, IX, 139, 438, XXXIII, 549.

Jhenin corné, XVI, 35.

Job, XLIII, 226.

Johannes, XVIII, 35, 465.

Jouan (le povre), XXV, 129.

Jude, roi d’Angleterre, LIII, 676.

Julius Pompée, XLIX, 612.

Juno, XVIII, 115.

La Hire, LIII, 536.

Lambert, XXVIII, 398.

Lancelot du Lac, XLIX, 558, 599.

Louisse (la), XLIX, 76.

Lucifer, VIII, 340.

Luycifer, XXXV, 218.

Margot la fée, XLIX, 602.

Marion, XIX, 83, XXVII, 232, XXXVII, 110.


 [[ Print Edition Page No. 451 ]] 

Martin Couillart, XXVII, 187.

Martin l’âne, XII passim.

Massé, XXX, 48.

Maulvais Haitiez (les), XLIX, 340 et titre.

Mauprest, XLIX, 541.

Médée, III, 18.

Michault, XXXV, 14.

Michault, père de Cautelleux, XII, 238.

Michaut, XXXVIII, 71.

Michelette, XXVII, 37.

Michel Jestiés, XXVII, 182.

More (le), XXXVII, 375.

Mousche (Maistre), I, 59.

Mynos, XL, 30.

Nabugodonosor, XLIII, 218, XLIX, 566.

Notre Dame de Boulongne, XXIX, 214, XXXVIII, 216, XXXIX, 39, 254, XLII, 149, XLIV, 278, XLVIII, 84.

Notre Dame de Lience, XIV, 208, XXVIII, 218.

Occam, XVII, 346.

Odin Bidault, XXVII, 180.

Olofernes, XLIX, 608.

Orbatus, III, 161.

Palas, XVIII, III.

Paris, XVII, 54.

Parceval, XLIX, 557.

Pasque de Sole, XXV, 186.

Pathelins, XXVI, 199.

Pausadière, Monsieur de la, XXV, 115.

Perrin, Piquet, XXVII, 60.

Perret le Closier, XLIV, 465.

Phebus, III, 26.

Phèdre, III, 32.

Phecton, III, 28.

Philippes (le Roi), XLIX, 25.

Pierre (frère), XXII, 150.

Pierre Truette, V, 357.

Pithagoras, I, 41.

Platon, I, 41.

Prêtre Jean, LIII, 205.

Priam (le Roi), XLIX, 206.

Pronet, XXVII, 22.

Radamant, XL, 30.

Raguel, XXXI, 428.

Raphaël, XXXI, 408.

Raoullet, père de Maître Mymin, IV, 165, 191, 276, 317.

Raullet, LI, 97.

Richard Coutet, XXVII, 181.

Rifflart de Barbarie, XLIX, 639.

Robin Preudhomme, XXVII, 180.

Roger, I, 10.

Rogier, IV, 184.

Rolland, XIV, 258.

Rollant, II, 201, XXXVII, 277, XLIX, 196.

Salomon, XLVI, 93.

Sanson, XLVI, 96.

Saphire, III, 35.

Sathen, XXXV, 255.

Sic Sac, XXV, 183, 205.

Socrates, I, 40.

Soudart du Froit Hamel, IV, 97, 287.

Sypion, XLIX, 551.

SAINTS
Amant, XXXV, 273.
Anthoine, XII, 312, XIII, 48, 84, XV, 112, 134, 159, XVII, 317, XIX, 12, 109, 227, XXVII, 87, 203, 240, XXVIII, 65, XXXIII, 301, XXXVII, 286, XLV, 29, 412, XLVII, 18, XLIX, 618, LI, 340, 352.
Aquaire, XLVIII, 22.
Arnoul, XIX, 589, 602, 650.
Avoye, XXXI, 240.
Baboyn, L, 231.
Baieux (de), VIII, 290.
Basille, LI, 248.
Blaise, XXXIV, 105, LII, 24, 417.
Canet, XXVII, 2.
Claude, XII, 428.
Congne Festu, XL, 52.
Cornille de Compiègne, XLVI, 118.
Cristofle, LIII, 261.
Cybart, IX, 119.
Debet-Testu, XL, 51.
Denis, XVII, 51, XXXV, 232.
Estienne, II, 565, XXXIII, 162.
Eustache, XXXIX, 156.
Fortuny, XXXIV, 43.
Fremin, IV, 309, XXII, 158, XXXIV, 41.
Georges, XIX, 749, XXI, 245, XXIX, 128, XLI, 36, XLIV, 395, 512, 841, XLV, 98, XLIX, 642.
Germain d’Arras, XXII, 165.
Gervais, XLII, 102.
Gervaise, XXXII, 212.
Gille, XIV, 145, XXII, 29, XXXIII, 259, XXXIX, 58.
Gobin, XXXVI, 102.
Honoré, XLV, 161.
Honnoray, XXXVIII, 330.
Hubert, XLI, 423.
Hylaire, XXIII, 123.
Jacques, V, 313, XVIII, 292, XXII, 145, XXIV, 256, XXVII, 272, XXIX, 361, 379, XLIV, 26, LI, 185, LIII, 127, 294, 627, 669, 811.
Jehan, II, passim, VII, 38, VIII, 125, XI, 201, XII, 333, XIII, 310, XV passim, XIX, 19, XX, passim, XXI, passim, XXII, passim, XXIV, 316, 358, XXVI, passim, XXVIII, 359 et ss., XXIX, passim, XXXIII, passim, XXXV, passim, XXXVII, 81, 287, XXXIX, passim, XLI, passim, XLIV, 831, XLVIII, passim, XLIX, passim, L, passim, LIII, 152, 239.
 [[ Print Edition Page No. 452 ]] 

Jehan l’apostre, LII, 573.
Jehan Baptiste, XLVI, 146.
Jehan de Boulongne, XXXIII, 201.
Jouan cocu, XL, 53.
Julien, Julian, Jullian, XIX, 209, 218, XLI, 179, XLV, 328, XLVI, 134, LI, 144.
Ladre, XXXV, 143.
Legier, XLIX, 219.
Leu, XXXV, 146, XXXIX, 163.
Lou, XLI, 236.
Lubin, XXXIV, 38.
Lucas, XXIII, 148.
Magloire, XXXII, 106.
Main, LII, 621.
Malo, XLVI, 216.
Marceau, XXIII, 129.
Martin, XV, 165, XIX, 298, XX, 99, XXVIII, 335, XXIX, 327, 442, XXXV, 146, XXXIX, 100, 282, XLI, 422, LII, 210, 355.
Matelin, Mathelin, XX, 144, XLI, 423 1.
Mathieu, XXIII, 245, XLI, 421.
Michel, Michié, XI, 117, XXVII, 111, XXXIX, 170, XLVI, 246, LIII, 265, 306, 617.
Mor, I, 112, XII, 276, XVI, 384, XXII, 271, XXIX, 178, 226, 230, XXXIX, 233, 260, XLIV, 70, 296, 323.
Nicaise, XXXII, 205, XXXIII, 168.
Nicolas, XIX, 65, XXXIX, 104.
Ouen, XL, 117.
Père, Pierre, Père de Romme, Pierre de Romme, passim.
Pol, VIII, 345, IX, 136, XIX, 218, XXXIII, 126, 171, 304, 317, XLI, 163, 424, LIII, 377.
Poursain, XXX, 175.
Quentin, XLI, 236.
Remy, XIV, 177, XIX, 218, XXXIII, 72, 196, LIII, 184, 278.
Remy de Raims, XXXIX, 244.
Silvestre, XXIII, 114.
Simon, I, 60, VIII, 247, XV, 287.
Thomas, XXXIII, 344.
Valentin, XLI, 237.
Ypocras, XLII, 301.
Yve, XIV, 156.

SAINTES
Anne, XV, 156.
Avoye, XXXIII, 430.
Jeanne, XXXV, 360.
Katherine, XIV, 25, XXI, 258, XXIX, 381, XXXVIII, 348, XLII, 234, XLIV, 214, XLVIII, 70, LIII, 775.
Hélène, LII, 57.
Marie-Magdalene, XXVIII, 219.
Magdalaine, LI, 101.
Mesaise, XIX, 148.
Pentouffle, XLIV, 313.

Taille Boudin, XXVIII, 242.

Temps qui court (le), I, 76, XXXIV, 2, XL, 442.

Teste de Fol, XLVI, 233.

Thevot, IV, 5, XXV, 141.

Thibault, XXII, 172.

Thobye, XXXI, 408, 429.

Tiremelle, XIII, 165.

Tire Viret, XXVII, 187.

Triboullet, I, 130.

Tristan, XLIX, 557, 601.

Turelupin, XVIII, 258.

Vicestre, V, 59.

Virgille, XLVI, 90.

Ypocras, XIII, 243, XVII, 262.

Endnotes

 [1] Cf. KRAEMER (E.v.), Les maladies désignées par le mom d’un saint, Helsingfors, 1949, in 8.


 [[ Print Edition Page No. 453 ]] 

INDEX TOPONYMIQUE

Allemaigne, LIII, 70.

Amyens, XLII, 244.

Angleterre, LIII, 37, 539, 644.

Anthay, XIII, 66.

Arragon, XIII, 214.

Arras, L, 95, 144.

Asoye (vin d’), XLIX, 418.

Auvergne, XIII, 215.

Auxerre, XLII, 265.

Avignon, XIII, 211, LIII, 24.

Baignollet, voir Paris.

Beaulce, Beaulse, IV, 235, XLIX, 730.

Beaulne (vin de), XV, 79.

Beauvais, XLII, 234.

Bordeaux, XIII, 218.

Borgneux, voir Paris.

Boulongne, voir Paris.

Bourg l’Abbé, voir Paris.

Bourguignons (les), IV, 79, XLII, 233.

Boussac (vin), XLIX, 559.

Boys Guillaume, IV, 32, 139.

Bretaigne, XXIX, 202.

Brières, les, XLVI, 569.

Caen, XL, 116.

Cambray, XLI, titre.

Cataire, XLIX, 519.

Castellonne, XIII, 215.

Charolles, II, 280.

Charonne, voir Paris.

Clamart, voir Paris.

Cleron (Notre Dame de), V, 297.

Damas, IX, 63.

Daulphiné, XXXVII, 119.

Escosse, XXV, 59, XLIX, 524.

Espaigne, XIII, 214.

Estradure, XXXI, 99.

Evrecy (vin de), XL, 115.

Ferrez, XIII, 215.

France, LIII, 37.

Galerne, XLIX, 525.

Genevois (les), IV, 138.

Gentilly, voir Paris.

Grave (vin), XLIX, 561.

Languedoc, XIII, 215.

Logeotruie (collège imaginaire), XXXIII, 50.

Loire, XIX, 26.

Lyon, XLII, 61, XLIX, 511.

Mascon, XXV, 154.

Meaulx, XLII, 279.

Medoz (Isle de), XIII, 217.

Mellun, XLII, 309.

Meudon, voir Paris.

Millan, XXV, 126.

Montfort, voir Paris.

Mont-le-Hery, XIV, 53.

Montmartre, voir Paris.

Montpellier, XVII, 306.

Mont-Valerien, voir Paris.

Naples, V, 9, 215, XIV, 24 et passim, XLVI, 499.

Nully, voir Paris.

Pampelune, XXXI, 98, LIII, 64.

Papagosse, XLIX, 525.

PARIS:
Mentions générales: III, 125, IX, 68, XV, 70, 301, 328, XVI, 12, 20, 76, 85, 146, 449, 463, XVII, 6, 55, XXVI, 111, 266, 396, XXVII, 205, 263, XXX, 257, XXXIII, 41, XXXVIII, 60, 297, 354, XXXIX, 19, 21, 34, 70, 268, 281, XLVII, 189, XLIX, 49, LI, 218, LIII, 42, 105, 572.
Indications particulières:
Aigremont (couvent des Dames d’), XXXIII, 46.
Augustins (librairie des), IX, 288, XVI, 186.
Beauvais (Collège de), L, 326.
Brières (les), XLVI, 569.
Cardinal Le Moyne, XVI, 52, 51, 127.
Carmes, XV, 36, XVII, 17.
Champ Gaillart, L, 307.
Chasteau (le), LIII, 310, 317.
Chastellet, XLII, 206, LIII, 334, 814.
Cordeliers, XV, 106, XVI, 187.
Diable Vauvert, XLV, 254.
Empire (auberge?), XXV, 286.
Faucheron, rue, XXXVII, 311.
Grève, XLII, 202, LIII, 9, 48, 359, 368.
Halle (la), XXXIX, 126, XLIX, 287, LII, 213, LIII, 48.
Ille Nostre-Dame, LIII, 52.
Jacobins, XVI, 186.
Lion d’Argent (auberge), XXXVI, 170.
Mathurins, XVI, 187.
Mauconseil (la pierre de), LIII, 233.

 [[ Print Edition Page No. 454 ]] 
Montaigne, la, XVII, 20, 84.
Narbonne (collège de), XLVI, 632.
Navarriens, IV, 252.
Notre-Dame, XIX, 154.
Notre-Dame des Champs, XVII, 106.
Ostel-Dieu, XLVI, 490.
Palais (le), XVI, 415, XVII, 3, XXII, 133, LII, 213, LIII, 234.
Petit Pont, III, 109, XXXIII, 57, LIII, 10.
Pomme de Pin, cabaret, L, 225.
Pont (le), LII, 657.
Pont à Baillon, XLIX, 647, 677, 772.
Pont Notre-Dame, XXII, 134.
Port au fain, XLII, 202.
Porte Bodès, XX, passim.
Pourcelectz, cabaret, XV, 89.
Quinze-Vingts, XLIV, 119, XLIX, 628.
Ruppée, cabaret, L, 227.
Saint Avoye, XXI, 240, XXXIII, 430, XXVIII, 333, 380.
Sainct-Germain (Clochier de), I, 140.
Saint-Germain des Prés, XLVI, 312.
Saint-Gervoys, XI, 71.
Saint-Innocent, XV, 42, XXV, 64, 279, LIII, 10.
Saint-Jean, XL, 401.
Saint-Lorens, XXII, 160.
Saint-Marry, XLVI, 345.
Saint-Mathurin, XLIV, 176.
Saint-Maurice, XIX, 153.
Table de Marbre, XLIX, 633, 771.
Tours Nostre-Dame, XLIV, 97, LIII, 246.

Environs de Paris:
Baignollet, XXVII, 20, XLVI, 111, 336.
Borgneux, XXVII, titre et 261.
Boulongne, Bouloigne, Notre-Dame de, XX, 100, XXIX, 214, XXXVIII, 216, XXXIX, 39, 254, XLII, 149, XLIV, 278, XLVI, 357, XLVIII, 84, LII, 753.
Bourg-l’abbé, L, 193.
Charonne, XXIX, 182, 373.
Clamard, XXVII, 151.
Gentilly, XXVII, 157.
Meudon, XXVII, 166.
Montfort (l’Amaury?), (Notre-Dame de), IV, 154.
Montmartre, XLVI, 307.
Mont Valérien, XLIV, 100.
Nully (Port de), XXII, 189.
Saint-Mor, I, 112, XII, 276, XVI, 384, XXII, 271, XXIX, 178, 226, 230, XXIX, 233, 260, XLIV, 70, 296, 323, XLVI, 308.

Pavie, XLIX, 480.

Peronne, XXII, 13.

Picardie, XXXVII, 94.

Portingal, XXXI, 99.

Prusse, LIII, 98, 107.

Rains, IX, 63, 67, 71, XXX, 206.

Rhin, LIII, 766.

Rin (Vin de), XV, 79.

Rin, XI, 7.

Rochelle (La), XIII, 218.

Romme, V, 215, XVI, 68, 511, XVII, 49, XIX, 166, XXV, 65, XXXIII, 376, XLVI, 121, 190, 208, XXX, 205.

Rouen, I, 127, XL, 116.

Rosne (le), XLII, 61.

Saint-Mor, voir Paris.

Saint-Quentin, XXII, 13.

Saint-Silvin (vin de), XL, 115.

Salvigondie, XLIX, 523.

Saragosse, XLIX, 524.

Sarasins, IV, 257.

Sarazinesme, V, 285.

Savoye, XXV, 115.

Sayne, XVII, 423.

Seine, XVI, 596, XLI, 393, XLIV, 112.

Surie, XLVI, 500.

Tours, XLII, 47, LIII, 551.

Turquie, V, 305.

Valenciennes, IV, 14.

Vendosme, XLIX, 76.

Venise, IX, 61, LIII, 147.

Ytalye, LIII, 148.


 [[ Print Edition Page No. 455 ]] 

GLOSSAIRE DES MOTS RARES OU DIFFICILES

accipé, reçu, XLIX, 101.

achoison, occasion, motif, VII, 129, XLVII, 67.

achoison (sans), discussion, XXXVI, 114.

acop, tout de suite, XI, 37.

adans, face contre terre, IV, 56.

adnichiller, annihiler, XXXVI, 200.

advertin, accès de folie, XXXIII, 217, XXXV, 145.

advoultre, adultérin, LII, 36.

advoyer, conduire, XXIII, 395.

aestes, latinisme?, III, 67.

afjerendons, terme d’Eglise, XL, 331.

afjyer, assurer, XLVIII, 140.

allumelle, lame, XXIII, 38.

amette, petite âme?, XVII, 153.

andosse, vêtement qu’on a sur le dos, XLV, 204.

apompelis, ?, XLIII, 46.

arcenicles, ?, XXII, 125.

aroussy, ?, XVIII, 365.

arter, arrêter, XXXI, 426, LII, 216.

asseré, enfermé, XL, 214.

assoir, hier soir, XLIV, 338.

ataines, querelles, XXXV, 128.

attricquer (se), s’arranger, XXVII, 226.

aubert, argent, XV, 83.

au fort, enfin, au fait, VIII, 404, XI, 152, XII, 40.

aveaux, plaisir, XXII, 127.

avertin, voir advertin.

avoy!, exclamation d’exhortation, XIII, 94.

avoyer (s’), s’en aller, XIII, 132.

bacquet, ?, XXV, 25.

baculer, frapper sur le cul, XIII, 25.

barbestées, bavardages, XIX, 447.

barday, armé, XLV, 273.

basir, crouler, XXIII, 195.

bastier, ouvrier qui fabrique des bâts, IX, 551.

barde, selle, XLVI, 20.

basac (mettre à), anéantir, XLIII, 152.

baster, guetter, XXIX, 49, 57 et passim.

batant, immédiatement, II, 184.

baudre, mettre, XXII, 154, 177, XXVIII, 198.

baulèvre, baulièvre, lèvre, XLIV, 369, XLIX, 489, 782.

baveuse, bavarde, IX, 345.

bealx je, de baer, désirer vivement, XXXVII, 32.

bemus, niais, XXXVIII, 318.

beaubeau, terme érotique, XVIII, 24.

becquerelle, mauvaise langue, LI, 242, 279.

bers, berceau, XL, 231.

bicestre, maison de fous, XLI, 258.

bignon, ?, IX, 399.

bille, sur pied sur bille, ?, XXXV, 177.

bis (gros), important, XXII, 25, XLIX, 52.

bobans, faste, XLVI, 276.

bobencier, fastueux, XLIX, 504.

bober, tromper, XXXV, 194.

bongons, ?, XXXVIII, 305.

bont, cf. bailler le bont, abandonner, XXX, 95, LIII, 11.

bos, coups de bâton, ?, XL, 17.

bot, crapaud, LII, 739.

boulle, tenir pied à boulle, mettre beaucoup d’assiduité, V, 112.

bouller, tromper, II, 57.

bouticle, boutique, XXIV, 170.

boutte, botte, ?, XIX, 262.

boys, bé, XLVI, 155.

bracart, ?, XXVIII, 102.

braguer (se), faire l’élégant, XLVI, 12, 46 et passim.

brester, se débattre, LIII, 335.

bricq (attrapé au), piège, XLVI, 397.

brifault, glouton, VI, 278.

brouer, plonger dans l’eau, XXII, 291.

brouer, disputer, III, 155, XXII, 254.

brouer (s’en), s’enfuir, XXII, 147, XXVIII, 195.

broulemens, disputes, III, 70.

brouller, déranger, XXXIX, 191.

broulleurs, disputeurs, XLVII, 216.

brouy, empoisonné, XXXV, 260, XLIV, 348.

bruiller, disputer, V, 157.

brunette, étoffe d’une couleur foncée dont le tissu n’est pas exactement connu, II, 193, 447.

bufje, giffle, XXII, 234.

cabasser, chaparder, XIV, 8.

cabeur, trompeur, XLI, 340.

cabuser, tromper, XXIX, 406.

calanger, revendiquer, disputer, XL, 299.

canepin, pelure végétale servant à écrire, XLIII, 289.

cariée, ?, XXI, 8.

carneaux, cerneaux, ?, XXXIX, 83.

carreur, métier, charroyeur, ?, XL, 131.

cathault, ?, XLIX, 554.

catoire, ruche, XXXVIII, 317.

cauchierres, chaucieors ?, paveurs, XL, 130.

caymant, caymens, mendiant, XXII, 247, XXXVII, 147.

chable, machine de guerre, IV, 201.

chalemelle (mener la), jouer de la flûte, LII, 699.

champt, chant, XII, 19.

chappeau, couronne de fleurs, XXXI, 316.

chasier, panier à claire-voie pour égoutter les fromages, IV, 189.


 [[ Print Edition Page No. 456 ]] 

chauldeau flamment, boisson chaude qu’on apportait aux nouveau-mariés le lendemain matin de leurs noces, XXII, 19.

cherier, charrier ?, XXVII, 300.

choisir, apercevoir, XXIX, 282.

cliquet, coup, XV, 54.

collade, ?, LII, 626.

cohuel, ?, XL, 48.

coissin, coussin, XIII, 219.

confle, enflé, LII, 552, 739.

conne, mot libre ?, XXIV, 19, XXVI, 194.

contemps, = contense, discussion, XXXIV, 16, XLI, 361.

cophin, panier, XXXIX, 48.

copier, coppier, railler, XIII, 20, XXIII, 25, XXIX, 386, XXXVIII, 87.

coquart, sot, XLII, 116.

coquelles, coquilles, balivernes, XXV, 262.

coquille (dresser), essayer de tromper, LI, 250.

coquoys (en), ?, XXVIII, 316.

cotte verte (prendre la), s’asseoir sur l’herbe, XLVI, 52, 565.

cou, cocu, XV, 243, III, 126.

couleur, prétexte, apparence, XXIII, 255, XXIX, 161.

coupet, sommet, XXVI, 451.

coustiller, soldat portant la coustille ou dague, XLII, 219.

cragnequin, ?, XLIII, 312.

craventer, meurtrir, XXXVIII, 14.

cretir, ?, XL, 45.

crevasse, parties de la femme, injure, XIII, 44.

croquer la pie, boire un coup, XXXIII, 6.

crousler ses pois, crousler = remuer, expression érotique, XXVIII, 317.

cucuel, cocu ?, XL, 47.

cuninet, connin, lapin, XLI, 6.

dadez, ?, XXII, 87.

deadragon, = diadragon = tragacanthe, médicament, XXVIII, 266.

debies, ?, LII, 775.

debiller, affaiblir, XXVI, 157.

decliquer, lâcher un coup, XV, 54.

deffauser son dit, LIII, 475, cf. faulcer son dit, LIII, 483.

deffin, conclusion, XXI, 217.

deffineur, ?, XXIV, 380.

degoy, plaisir, XLI, 478, XLIII, 175, 449.

despars, être en, ?, XLVI, 76.

desrocher, détruire, VIII, 313.

dessiré, déchiré, XXV, 180.

destriaux, ?, XLIII, 460.

destroit, à, avec difficulté, XXXVI, 64.

desuier, essuyer, XIX, 252.

détrier (sans), retarder, XXIII, 315.

diaculun, terme érotique, XXVIII, 267.

difiner, = definer, arriver à la fin, XIII, 21.

dilation, retard, XVI, 268.

disgner, dîner, XVIII, 372.

dorelot, mignon, XXVI, 44.

dorelotte, mignonne, XXIII, 63.

dorelos, joyaux, XXI, 254, XXXV, 463.

dosne, dame, XL, 220.

dragme, pierre précieuse, XLIX, 432.

duenant, ?, XVI, 379.

dymancheret, endimanché, XVI, 352.

embler, voler, IV, 189.

emcuser, blâmer, VIII, 270.

empru, en premier, IV, 137.

empunaisi, devenu punais, puant, XIII, 20.

encoste, à côté de, XXVIII, 56.

enfuiné, ?, XXXVIII, 140.

enne, particule affirmative, VI, 187, XV, 21.

ennemenne, par ma foi, vraiment, VI, 78.

ennuyt, aujourdhui, XXXIII, 278, XLIV, 588, LII, 374.

entecrite, ?, XXXV, 152.

entretant (mon), ?, XXIV, 21.

envis, à regret, IX, 386, XVIII, 6, XLII, 18.

erres, arrhes, XXII, 221.

esbanoyer, amuser, XLIX, 303.

ascaillet, ?, IX, 123, 124.

escolté, décolleté, XVI, 475.

escous, secoué, XXXI, 163, XXXIII, 320, 400, XLIX, 183, LIII, 121.

esme, estimation, XLII, 74, L, 88.

espercer, = esparser, éparpiller?, XIX, 498.

espiciaux, spéciaux, XLIII, 458.

espuilles, = espoilles, dépouilles, XXVII, 268.

esquarrir, déguerpir, abandonner, XXXIII, 565.

esquiller, nettoyer, LII, 51.

essoir, hier soir, XLIV, 408.

estau, = estal, de pied ferme, XIII, 236.

estorement, choses nécessaires pour vivre et se couvrir, XL, 364.

estrille, soulier, XLI, 114.

estriver, disputer, XX, 175, 206, XXVI, 408.

estrodion, danse, XLIII, 18.

eversier, renverser, XLIII, 57.

extringuer, ?, V, 300.

farcin, inflammation avec ramollissement des ganglions et vaisseaux lymphatiques, XXXV, 145.

fatrouiller, baragouiner, V, 156.

fatrouller, baragouiner, XV, 178.

faye, foie, LII, 317.

fermaille, engagement, XX, 257.

festu (vin de), ?, L, 108.

feurre, paille, XLVI, 588.

filomie, physionomie, XXVII, 199.

finer, trouver, LIII, 507.


 [[ Print Edition Page No. 457 ]] 

fique, ?, XXXVII, 159.

flamment, voir chaudeau.

flaveler, = faveler, parler, babiller ?, XLIV, 589.

foncer, aller au fond, érotique, XXIV, 133, 153.

fondrilles, le fond, IX, 54.

forcelle, ?, XVI, 366.

fornicallement, terme juridique forgé comiquement? V, 185.

fouet à l’huys, ?, XXIV, 23.

fourcelle, poitrine, XLV, 603.

frazée, débarrassée comme d’une enveloppe, XVIII, 28.

fremy, fromy, fourmi, LIII, 185, 187, 248.

frestel, flûte à sept tuyaux, IX, 397.

friquenoques, ?, XII, 14.

frische, vigoureux, gaillard, XVIII, 21.

furon, furet, VI, 323, XXVI, 8.

galandinois, galants ?, XL, 9.

galerne, vent du Nord-Ouest, XLIX, 325.

galler, frapper, XLI, 263.

game, gamais, ?, XVIII, 13, 14.

ganaige, = gaaignage, gain, XLI, 176.

gargate, gorge, L, 123.

garnier, ?, XXVI, 451.

garouage, = garouillage, lieu de débauche, VII, 28, XXXVIII, 176.

garpelée, injure adressée à une vieille femme, XXV, 157.

gauldin, = gaudin, ?, des bois, XXVIII, 17.

gay, perroquet, XXXIX, 66.

geleusé, jaloux ?, XL, 431.

genne, sorcière, XLIII, 46.

gergonner, jargonner, XLV, 545.

geron, = giron, pan coupé en pointe, à droite et à gauche de la robe, V, 330.

giber, s’agiter, XXI, 249.

giber, chasser, XXI, 249, XXXV, 458.

glatir, crier, IX, 23.

godinette, fillette, IV, 222, XXXII, 20, XLI, 283, XLII, 328.

godon, anglais, LIII, 659.

gorre, luxe, XLV, 231, XLVI, 542.

gorrier, gorier, goriere, élégant, XVI, 413, XXVII, 7, L, 49.

gorte, gouffre ?, LII, 157.

gourd (sur le), richement vêtu, XXV, 183.

gourt, élégant, III, 155.

graiger, = gregier, être accablé, XXIX, 118.

gringnot, = grignos, grognon, mécontent, XI, 12.

grippes, mains (argot), LIII, 436.

gris (son), ?, XLVIII, 112, XLIX, 179.

grivellé, de couleur mêlée, XIII, 44.

groncer, ?, XVI, 155.

grosser, se moquer, XIX, 424.

grue, stupide, XXXI 32, XLII, 323.

gruel, ?, XL, 45.

gruner, ?, XLVI, 542.

guementer, se plaindre, XXXVII, 198.

guille, tromperie, XXXII, 87.

haictier, donner du désir, XXII, 332.

harier, harceler, XII, 2.

harnas, = harnoi, cris, dispute, XXVIII, 91.

haroy, = harnoi, cris, dispute, XIII, 59.

haulser, lever le verre, LIII, 623.

hauvoy, avec, IX, 114.

hecter, voir haictier; L, 47.

herdre, attacher, VIII, 555.

het, plaisir, gré, I, 23.

hober, hobber, bouger, I, 36, 94, 134, XXIV, 316, XXXVII, 70, XLIX, 454, 735.

hongnement, grognement, VI, 193.

hongner, II, 37, IX, 473, XIII, 11, 51.

houdeurs, ceux qui attachent, soudent, XL, 129.

houser, housser, garnir, housser les cheminées, expression érotique, XX, 340, XXX, 24, 63, 155, 191, 208, XLI, 40.

housseurs, ceux qui garnissent, expression érotique. XXX, 87, 204.

houspaillier, valet d’armée, XIV, 39.

hoye, ?, L, 96.

hua, chat-huant, XXIX, 308.

huart, milan, XXII, 196.

huet, hault, ?, XX, 173.

huet, cocu, XXXIX, 183.

huette, fém. de cocu, XXIX, 289.

huier, = huer, crier, XIII, 47.

hus, = huis ?, VIII, 43.

hutin, tapage, querelle, IV, 167, XXV, 217.

impedimie, épidémie, XXXV, 141.

impugner, attaquer, XXX, 280.

inconfusible, impossible à confondre, XLVI, 381.

infait, infect, XIII, 27.

interestre, latinisme ?, III, 65.

jambayer, marcher à grands pas, IX, 152.

JOBELIN (Parler) ou argot: V, 244-245, 250-251, 256-257, 264-265, 290-291, LII, 111, 113, 114, 163-165, 186-187, 190, 196, 208, 230, 240, 273, 289, 299, 357.

jogue, ?, I, 55.

joncheux, trompeurs, XXIV, 274.

journade, habillement de dessus, sorte de casaque, avec ou sans ceinture, XLIX, 102.

larder, se moquer, XLVII, 19.

latin, formules d’exorcisme, VIII, 331 et ss.

lignolet (au) d’une manière élégante, XXVII, 21.

lisive, lessive, XXIX, 146.


 [[ Print Edition Page No. 458 ]] 

longes, cordes pour tenir un animal ou au figuré un homme, VI, 117.

loquebault, serrure, XVI, 573.

lorpidon, injure adressée à une vieille femme, vieille trompeuse, XXV, 149.

loudier, loudière, injure: vaurien, vaurienne, XV, 40, XXII, 165, 173, 216, XLVIII, 76, LII, 78, 291, 300, 332.

lueque, là, XXXV, 72.

macé, ?, XLIX, 260.

maiz, particule renforçant toujours, XX, 331.

manicle, partie de l’armure couvrant la main, XXIV, 172.

mardre, martre, XXXVII, 287.

marrien, voir merrien.

marmouserie, fâcherie, XXXI, 338.

martin (chanter d’autre), changer de sujet, X, 64.

massis, massifs, XXX, 21.

mathelineur, qui a le mal de saint Mathelin, XXX, 21.

maujoints, parties naturelles de la femme, VI, 277.

mausaingne, injure, ?, XLI, 60.

mautac, maladie, ?, XLIII, 153.

may, bonheur, cadeau, XXXI, 247.

m’édieux, m’aide Dieu, XXXVII, 329.

merotyer, ?, LIII, 687.

merrien, mairrien, marrien, bois de charpente, signifie aussi personne, XXI, 78, XXXV, 129.

meseau, lépreux, XLV, 179, LIII, 418.

mesouen, désormais, XXXIV, 28.

michié, exclamation, XXVII, 5.

mille du quoys, ?, XLV, 489.

millourt, Mylord, XLIII, 272.

mince de quaire, pauvre d’argent, XXXI, 88.

minot, ?, XXIV, 87.

mireau mirelle (par le diable), locution exclamative, XXIX, 243.

miste, gentil, élégant, XXXVII, 157, XLIII, 453, XLIX, 177.

mocquin mocquart, prends garde à toi, XLII, 115.

motet, petit mot, XXIX, 411.

moron (songer le), rêvasser, VI, 320.

moue (pris par sa), ?, XXVIII, 318, XLIV, 569.

moyeu, jaune d’oeuf, XXXI, 385.

musequin, diminutif de museau, XXVI, 130, 195, XLIII, 311, 447.

musequinet, diminutif de musequin, XVIII, 72, XXVI, 283.

naquieres, = nacaires, instrument de musique militaire, petit tambour, XLIX, 589.

nasquet, page, XXV, 19.

nicque nocque, jeu où l’on se donnait des chiquenaudes, raillerie, IX, 189.

niquet, monnaie de billon valant deux deniers tournois, XII, 202.

nivelet, idiot, XXXI, 174.

o, avec, XLIII, 158.

obice, obstacle, III, 64.

orains, tout à l’heure, XXXIII, 303, XLI, 327.

orbes, coups, XLIV, 735.

orelien, ?, VI, 297.

orgemuse, ?, XXVII, 166.

ostade, espèce de serge ou d’étamine, XLIX, 103.

ouan, cette année, XXVI, 27.

oue (manger de l’), manger de l’oie, expression inspirée de Pathelin, XXVIII, 194, XXXIII, 467.

ou tout, avec, XIX, 119, rubrique.

outry, ?, XIX, 742.

pairier, co-seigneur, ?, XXXVII, 381.

panart, coutelas, à deux taillants, IV, 13, 52.

panceaulx, ?, XII, 319.

papier, babiller, XXXV, 379.

papin, bouillie, XXV, 134.

passe-avant, sorte de jeu, monnaie, machine de guerre, XV, 166.

passe-mariotes, vêtement, ?, VII, 176.

passe-route, ce qui surpasse tout, érotique, XVIII, 18.

payayes, ?, XL, 156.

patin, soulier, XLIX, 183.

paulart, ?, XXVII, 156.

peaultre, au féminin, gouvernail, IX, 518.

peaultre (coucher au), s’en aller promener, L, 68.

pelé (étre), avoir la vérole, XXIV, 136.

penal, où l’on porte peine, I, 70.

penne (gagner une), ?, IX, 409.

philosomye, physionomie, XXXIII, 506.

pier, boire, XV, 81, XXI, 189.

pigne, peigne, XIV, 202.

pigner, peigner, LI, 394.

pirdouy, air mélancolique, XVI, 663.

pissote (à la), comme l’eau sort de la canule du cuvier, à jet continu, VII, 229.

plateur, métier, ?, XL, 129.

pluc, butin, XXIV, 156, L, 31.

pochon, pot, vase, XXVII, 86.

pommelée, pommelière, phtisie pulmonaire dans l’espèce bovine, XLIII, 153.

porée, porré, poireau, XVI, 606, XLIII, 153.

porée de bède, ?, XLIV, 520.

pourginée, = progène, ?, progéniture, XXII, 83.

pousteau, ?, XXIV, 33.

presentier, prêt à, XLIV, 811.

pro, avantage, XLIX, 316.

prune, ?, XXIV, 258.

pugny, puni, II, 497.

pur (à) et à plein, absolument, XIX, 385.

putier, débauché, XVIII, 292.

putinier, = putenier, débauché, XIX, 244.


 [[ Print Edition Page No. 459 ]] 

que, car, VII, 298.

quelongne, quenouille, XXVIII, 57.

quinquaille, monnaie de cuivre, X, I.

quignet (en), en coin, XLVI, 56.

racaille fatré, ?, XVI, 362.

raffarder, railler, XVI, 31.

ragassotir, ?, XVI, 80.

ragner, = ragnyer, renier, V, 158.

ramonner, terme érotique, L, 23.

ranposne = ramposne, reproche, moquerie, XL, 220.

raquit, paiement, XL, 168.

ratisserie, ?, VI, 102.

raulder, marauder, XIV, 9.

rebat, rabais, XXXVIII, 346.

rebecas (sans), de rebechier ?, réprimander, XXIII, 149.

rebourse, désagréable, VI, 233.

rechiner, faire mauvaise chère, VII, 57.

recipe, recette ?, XXVIII, 176.

recluche, ?, IX, 365.

recors, témoin, XXVIII, 190.

redelet, généreux, XXX, 136.

refariage, = refarderie ?, moquerie, XL, 94.

refleuse, injure, ?, XLI, 60.

regiber, regimber, XXI, 250, XXXV, 459, XLIV, 170.

regrapper, grapiller, XII, 63.

relacques, repos, XL, 336.

relier, serrer, XV, 220.

remery, rendu, XXXIX, 214.

renchière (sans), sans faire de difficultés, XXIII, 49.

requoy (estre à), être en repos, XLVI, 189.

ressiner, souper, XLIX, 4.

retentive, mémoire, II, 364.

retroissé, rétréci, XLIV, 192.

reviron (à), en retournant, XIX, 83.

riblerie, pillerie, VI, 105.

riffler, manger avidement, XII, 301.

rigler, régler, XVII, 98.

riglette, réglet, XVII, 32.

rioter, rire un peu, II, 117, XXVIII, 216.

rotier, ?, VI, 168.

rouardure, ?, L, 117.

roulé, rolet, papier, XI, 121.

roupie (logé à la), ?, XLVI, 503.

routier, qui connaît les routes, expérimenté, IX, 543.

roye, poisson, XV, 4.

sacher, arracher, XLIV, 446.

saint, ceinture, XXII, 117.

saison (je), ?, XLIV, 13.

saulx (estre en ses), ?, XLIII, 127.

sauvagine, gibier, XXVI, 260.

sellée (à la), à la celée, en cachette, VII, 268.

seller, terme érotique, II, 457.

semaidieux, si m’aide Dieu, XXVIII, 128.

serment, sarment, XXXI, 268.

serre (tenir en), serrer, XV, 276.

si (un), un point, LI, 121.

sollé, soulier, XLI, 113.

suc, cou, L. 32.

sopicquet, ?, XLIII, 22.

sourger, ?, XLIII, 362.

supernal, supérieur, suprême, XVIII, 157.

taillon, petite contribution, LII, 717.

taist, morceau, XXXIV, 35.

tatin, coup, I, 166, XII, 302.

temperiser, obtempérer, XL, 138.

templete, bandeau ou cercle de métal, dont les femmes se serrent les tempes, XLV, 294.

tenner, tourmenter, XLII, 269, 365.

test, pot, XII, 9.

testière, masque, XXV, 4, 16.

tiquet, loquet, VII, 134.

tostée, tranche de pain rôtie, LII, 531.

toye, grand tante, L, 199.

toye, ?, XV, 78.

treppié, ?, IX, 223.

trestis, = traitis, bien tourné, XVI, 372.

triacle, = thériaque, médicament, XLIV, 560.

tribouller, tourmenter, XIII, 2.

tripper, étriper, XII, 220, L, 90.

trueller, = troiller ?, tromper, XLV, 187.

truppelus, badin, XLII, 212.

trut avant, en avant, passons outre, XIV, 220, XLVI, 401.

vanet, petit van, XXXVII, 24.

verdin, ?, L, 258.

viaire, visage, XXIII, 126.

vireton, trait d’arbalète, empenné en hélice, avec des lamettes de bois, de corne ou de fer, LI, 718, 721.

vouler, voler, XII, 11.

voulge, hallebarde, pique, XLII, 246, 294.